61989J0033

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 juin 1990. - Maria Kowalska contre Freie und Hansestadt Hamburg. - Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Hamburg - Allemagne. - Politique sociale - Indemnité temporaire suite à la cessation du travail - Exclusion des travailleurs à temps partiel - Article 119 CEE. - Affaire C-33/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-02591


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1 . Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Rémunération - Notion - Indemnités octroyées au travailleur à l' occasion de la cessation de la relation de travail - Inclusion

( Traité CEE, art . 119 )

2 . Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Exclusion des travailleurs à temps partiel du bénéfice d' une indemnité temporaire en cas de cessation de la relation de travail - Effectif des travailleurs à temps partiel composé principalement de femmes - Inadmissibilité en l' absence de justifications objectives

( Traité CEE, art . 119 )

3 . Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Article 119 du traité - Effet direct - Portée

( Traité CEE, art . 119 )

Sommaire


1 . Les indemnités octroyées au travailleur par l' employeur à l' occasion de la cessation de la relation de travail constituent une forme de rémunération différée, à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, mais qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, dans le but de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de celle-ci . De telles indemnités entrent de ce fait dans la notion de rémunération au sens de l' article 119 du traité .

2 . L' article 119 du traité s' oppose à l' application d' une disposition d' une convention collective, conclue pour les services publics nationaux, qui permet aux employeurs d' exclure du bénéfice d' une indemnité temporaire en cas de cessation de la relation de travail des travailleurs à temps partiel, lorsqu' il s' avère qu' en fait un pourcentage considérablement plus faible d' hommes que de femmes travaille à temps partiel, à moins que l' employeur n' établisse que ladite disposition est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

3 . En présence d' une discrimination indirecte dans une disposition d' une convention collective, les membres du groupe défavorisé, hommes ou femmes, doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres travailleurs, proportionnellement à leur temps de travail, régime qui, à défaut de la transposition correcte de l' article 119 du traité en droit national, reste le seul système de référence valable .

Parties


Dans l' affaire C-33/89,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par l' Arbeitsgericht Hamburg ( République fédérale d' Allemagne ) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Maria Kowalska

et

Freie und Hansestadt Hamburg,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 119 du traité CEE ainsi que de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins ( JO L 45, p . 19 ),

LA COUR ( sixième chambre ),

composée de MM . C . N . Kakouris, président de chambre, F . A . Schockweiler, G . F . Mancini, T . F . O' Higgins et M . Díez de Velasco, juges,

avocat général : M . M . Darmon

greffier : Mme D . Louterman, administrateur principal

considérant les observations présentées :

- pour Mme Kowalska, partie demanderesse au principal, par Me Klaus Bertelsmann, avocat au barreau de Hambourg et par M . le professeur Heide Pfarr,

- pour le Freie und Hansestadt Hamburg, partie défenderesse au principal, par Mes Wolfgang W . Scheer et Rolf Stahmer, avocats au barreau de Hambourg,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M . Bernhard Jansen, membre du service juridique, en qualité d' agent,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Kowalska, du Freie und Hansestadt Hamburg et de la Commission, à l' audience du 7 mars 1990,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 28 mars 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 12 décembre 1988, parvenue à la Cour le 9 février 1989, l' Arbeitsgericht Hamburg a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l' interprétation de l' article 119 du traité et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins ( JO L 45, p . 19 ).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige qui oppose Mme Kowalska à son ancien employeur, la ville libre et hanséatique de Hambourg, au sujet du droit invoqué par l' intéressée d' obtenir une indemnité temporaire (" UEbergangsgeld ") au moment de son départ à la retraite .

3 Il ressort du dossier que la relation de travail en cause était régie par les dispositions de la convention collective des agents contractuels de la fonction publique ( Bundesangestelltentarifvertrag, ci-après "BAT "). Selon l' article 62 du BAT, les travailleurs employés à temps plein, qui remplissent les conditions requises à cette fin, ont droit, le jour de la cessation de la relation de travail, à une indemnité temporaire .

4 Sur la base de cette disposition et au motif que Mme Kowalska avait travaillé à temps partiel, l' employeur de celle-ci a refusé de lui verser cette indemnité .

5 S' estimant victime d' une discrimination indirecte interdite par la loi, Mme Kowalska a introduit une action devant l' Arbeitsgericht Hamburg . La juridiction nationale a considéré que cette demande soulevait des problèmes d' interprétation des articles 117 et 119 du traité CEE ainsi que de la directive 75/117, précitée . Dès lors, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes :

"1)L' article 119 du traité CEE de 1957 est-il enfreint en raison d' une 'discrimination indirecte à l' égard des femmes' lorsqu' une convention collective conclue pour les services publics en République fédérale d' Allemagne prévoit une indemnité temporaire ( UEbergangsgeld ) d' un montant allant jusqu' à quatre mois de salaire, tirant historiquement son origine du droit des fonctionnaires, en cas de cessation de la relation de travail pour des raisons non imputables à l' agent ( notamment en cas d' arrivée à la limite d' âge, de mise à la retraite, d' incapacité de travail ou de diminution très importante de la capacité de travail ), mais exclut du bénéfice de cette indemnité les agents dont le contrat de travail ne porte pas sur la totalité de la durée normale de travail ( 38 heures par semaine ), et lorsque la proportion des femmes travaillant à temps partiel par rapport à l' ensemble des agents à temps partiel relevant de la convention collective est considérablement plus élevée que la proportion des femmes par rapport à l' ensemble des agents travaillant à temps complet et relevant de ladite convention collective?

2)S' il est répondu par l' affirmative à la question 1 : résulte-t-il des dispositions combinées des articles 119 et 117 du traité CEE et/ou des dispositions de la directive 75/117/CEE du Conseil que les agents à temps partiel disposent, nonobstant le régime prévu par la convention collective, d' un droit ( proportionnel à leur horaire de travail ) à l' indemnité temporaire, ou bien l' autonomie dont disposent les parties aux conventions collectives pour l' adoption d' un régime fait-elle obstacle à l' existence d' un tel droit?"

6 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire au principal, des dispositions communautaires en cause, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

Sur la première question

7 Par sa première question, la juridiction nationale tend à savoir, en substance, si l' article 119 du traité s' oppose à ce qu' une convention collective conclue pour les services publics prévoie que les employeurs versent une indemnité temporaire en cas de cessation de la relation de travail, uniquement aux travailleurs à temps plein, lorsque le groupe de travailleurs à temps partiel comprend un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes .

8 Pour apporter des éléments utiles de réponse à cette question, il y a lieu d' abord de vérifier si des indemnités temporaires octroyées au travailleur à l' occasion de la cessation de la relation de travail relèvent du champ d' application de l' article 119 du traité .

9 Ainsi que la Cour l' a jugé, la notion de rémunération, au sens du deuxième alinéa de l' article 119, comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu' ils soient payés, fût-ce indirectement, par l' employeur au travailleur en raison de l' emploi de ce dernier ( voir, en dernier lieu, arrêt du 17 mai 1990, Barber/Guardian Royal Exchange Assurance Group, point 12, C-262/88, Rec . p . 0000 ). Par conséquent, la circonstance que certaines prestations soient versées après la cessation de la relation d' emploi n' exclut pas leur caractère de rémunération au sens de l' article 119 du traité .

10 Pour ce qui concerne, en particulier, les indemnités octroyées au travailleur à l' occasion de la cessation de la relation de travail, il convient de constater que celles-ci constituent une forme de rémunération différée, à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, mais qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, dans le but de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de celle-ci ( voir, dans le même sens, arrêt du 17 mai 1990, C-262/88, précité ).

11 Il s' ensuit que des indemnités octroyées au travailleur à l' occasion de la cessation de la relation de travail entrent, en principe, dans la notion de rémunération au sens de l' article 119 du traité .

12 S' agissant de cette dernière disposition, il convient de rappeler que, ayant un caractère impératif, la prohibition de discrimination entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s' impose non seulement à l' action des autorités publiques, mais s' étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié ainsi qu' aux contrats entre particuliers ( voir arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, point 39, 43/75, Rec . p . 455 ).

13 Il ressort du dossier que la disposition de la convention collective en cause n' accorde qu' aux travailleurs à temps plein le bénéfice de l' indemnité temporaire lors de la cessation de la relation de travail . Or, une convention collective comme celle en cause, qui permet aux employeurs de maintenir une différence de rémunération globale entre deux catégories de travailleurs, ceux qui effectuent le nombre minimal d' heures de travail par semaine ou par mois et ceux qui, tout en accomplissant un même travail, n' effectuent pas ce minimum d' heures, aboutit en fait à une discrimination des travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, lorsqu' il s' avère qu' en fait un pourcentage considérablement plus faible d' hommes que de femmes travaille à temps partiel . Une telle convention doit, en principe, être considérée comme contraire à l' article 119 du traité . Il n' en serait autrement qu' au cas où la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs se justifierait par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ( voir arrêt du 13 mai 1986, Bilka-Kaufhaus, 170/84, Rec . p . 1607 ).

14 Au cours de la procédure, la ville de Hambourg a fait valoir en substance que les travailleurs à temps partiel ne subvenaient pas à leurs besoins et à ceux de leur famille grâce exclusivement aux revenus tirés de leur emploi et que dès lors il n' existait pas un devoir d' aide transitoire pour les travailleurs à temps partiel à la charge de l' employeur .

15 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu' il appartient à la juridiction nationale, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si et dans quelle mesure une disposition d' une convention collective qui s' applique indistinctement à tous les travailleurs, mais qui frappe en fait davantage les femmes que les hommes est justifiée par des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe .

16 Il faut, dès lors, répondre à la première question de la juridiction nationale que l' article 119 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à l' application d' une disposition d' une convention collective, conclue pour les services publics nationaux, qui permet aux employeurs d' exclure du bénéfice d' une indemnité temporaire en cas de cessation de la relation de travail des travailleurs à temps partiel, lorsqu' il s' avère qu' en fait un pourcentage considérablement plus faible d' hommes que de femmes travaille à temps partiel, à moins que l' employeur n' établisse que ladite disposition est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

Sur la seconde question

17 La seconde question porte sur les conséquences qui s' attacheraient à la constatation, par la juridiction nationale, de l' incompatibilité d' une disposition telle que celle en cause d' une convention collective avec l' article 119 du traité CEE, compte tenu notamment de l' autonomie des parties à une telle convention .

18 Il y a lieu d' observer à cet égard, comme la Cour l' a jugé dans l' arrêt du 8 avril 1976 ( 43/75, précité ), que l' article 119 du traité CEE est suffisamment précis pour être invoqué par un justiciable devant une juridiction nationale afin d' amener celle-ci à écarter toute disposition nationale incluant, le cas échéant, une convention collective non conforme à cet article .

19 Il ressort de l' arrêt du 13 décembre 1989, Ruzius-Wilbrink, ( C-102/88, Rec . p . 0000 ) que, dans un cas de discrimination indirecte, les membres du groupe défavorisé, hommes ou femmes, ont le droit de se voir appliquer le même régime que les autres travailleurs, proportionnellement à leur temps de travail . Cette solution s' impose également aux dispositions discriminatoires des conventions collectives .

20 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la seconde question qu' en présence d' une discrimination indirecte dans une disposition d' une convention collective les membres du groupe défavorisé, du fait de cette discrimination, doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres travailleurs, proportionnellement à leur temps de travail, régime qui, à défaut de la transposition correcte de l' article 119 du traité CEE en droit national, reste le seul système de référence valable .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

21 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant à l' égard des parties au principal le caractère d' un incident soulevé dans la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR ( sixième chambre ),

statuant sur les questions à elle soumises par l' Arbeitsgericht Hamburg, par ordonnance du 7 février 1989, dit pour droit :

1 ) L' article 119 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à l' application d' une disposition d' une convention collective, conclue pour les services publics nationaux, qui permet aux employeurs d' exclure du bénéfice d' une indemnité temporaire en cas de cessation de la relation de travail des travailleurs à temps partiel, lorsqu' il s' avère qu' en fait un pourcentage considérablement plus faible d' hommes que de femmes travaille à temps partiel, à moins que l' employeur n' établisse que ladite disposition est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

2)En présence d' une discrimination indirecte dans une disposition d' une convention collective, les membres du groupe défavorisé, du fait de cette discrimination, doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres travailleurs, proportionnellement à leur temps de travail, régime qui, à défaut de la transposition correcte de l' article 119 du traité CEE en droit national, reste le seul système de référence valable .