61989C0105

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 2 octobre 1990. - Ibrahim Buhari Haji contre Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité sociale - Règlement (CEE) no 1408/71 - Champ d'application - Ancien ressortissant d'un État non fondateur - Liquidation d'une pension de retraite dans un État tiers. - Affaire C-105/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-04211


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les questions préjudicielles posées par le tribunal du travail de Bruxelles concernent le litige qui oppose M . Ibrahim Buhari Haji à l' Institut national d' assurances sociales pour travailleurs indépendants ( ci-après "Inasti ") à propos de son droit à une pension de retraite de "travailleur indépendant" en raison de son affiliation obligatoire à un régime de sécurité sociale belge au cours des années 1938 à 1960 .

2 . Né sur le territoire du Nigeria en 1914, M . Buhari était de nationalité britannique jusqu' à l' indépendance de ce territoire en 1960, proclamée treize ans avant l' adhésion du Royaume-Uni à la CEE . Depuis lors, M . Buhari a la nationalité du Nigeria .

3 . Il s' est installé en 1937 au Congo belge, devenu depuis lors le Zaïre, et il y a exercé la profession de commerçant jusqu' en 1986 . Il continue d' ailleurs à y résider, tout en étant domicilié au Nigeria .

4 . En 1986, M . Buhari a sollicité auprès de l' Inasti une pension de retraite de "travailleur indépendant" pour sa carrière effectuée au Congo belge jusqu' au 30 juin 1960, veille de l' accession à l' indépendance de ce territoire .

5 . Sa demande a été rejetée par l' Inasti au motif qu' il possède la nationalité nigériane et réside au Zaïre .

6 . Le juge de renvoi nous indique qu' il est d' ores et déjà acquis que M . Buhari a droit à une pension de retraite du chef de son activité dans l' ex-Congo belge pour la période du 1er janvier 1938 au 30 juin 1956 . En ce qui concerne la période du 1er juillet 1956 au 30 juin 1960, le tribunal a ordonné la réouverture des débats aux fins de permettre au demandeur de rapporter les preuves nécessaires pour la reconnaissance de cette période en vue de l' octroi d' une pension .

7 . Quant à la liquidation effective de la pension, le juge de renvoi ajoute qu' en vertu de la législation belge M . Buhari,

a ) s' il était ressortissant belge ou communautaire, percevrait sa pension au Zaïre ou au Nigeria;

b ) et qu' avec sa nationalité actuelle il percevrait sa pension s' il résidait dans le royaume de Belgique ou dans un autre État membre de la Communauté .

8 . C' est dans ce contexte que le tribunal du travail de Bruxelles nous a posé trois questions préjudicielles .

Observation préliminaire

9 . Une lecture attentive du jugement de renvoi montre que ces questions ont uniquement pour objet d' établir si le droit communautaire comporte une disposition qui oblige l' Inasti à "liquider", c' est-à-dire à verser effectivement une pension à laquelle un ancien travailleur a incontestablement droit, nonobstant le fait que le bénéficiaire potentiel a la nationalité d' un pays non membre de la Communauté et qu' il réside dans un tel pays . Il serait, dès lors, possible qu' après avoir constaté que tel est en substance l' objet des questions posées vous vous limitiez à déclarer ce qui suit .

10 . La disposition pertinente en la matière est l' article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement ( CEE ) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté ( 1 ) ( ci-après "règlement "). Cet article prévoit ce qui suit :

"A moins que le présent règlement n' en dispose autrement, les prestations en espèce d' invalidité, de vieillesse ou de survivants, les rentes d' accident de travail ou de maladie professionnelle et les allocations de décès acquises au titre de la législation d' un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d' un État membre autre que celui où se trouve l' institution débitrice ."

Il résulte des termes mêmes de cette disposition qu' elle vise uniquement à assurer le paiement des prestations acquises aux personnes résidant sur le territoire d' un État membre autre que celui où se trouve l' institution débitrice, et non pas à celles résidant dans un pays tiers .

11 . Même s' il avait la citoyenneté de l' un des douze États membres de la Communauté, M . Buhari ne pourrait pas se fonder sur cette disposition pour obliger l' Inasti à lui verser sa pension sur un compte ouvert auprès d' un institut financier situé au Zaïre ou au Nigeria . A fortiori, en tant que ressortissant d' un pays tiers, M . Buhari ne saurait revendiquer un traitement plus favorable que celui que la législation communautaire réserve aux ressortissants communautaires résidant dans un de ces pays . Il ne saurait donc être question de discrimination .

12 . Dans ces conditions, il n' est même pas nécessaire d' examiner si le règlement n° 1408/71 s' applique à un travailleur ayant eu la nationalité d' un État membre actuel de la Communauté, mais ayant perdu cette nationalité avant l' adhésion de cet État à la Communauté .

13 . Nous ne voudrions cependant pas aller jusqu' à vous suggérer cette façon de procéder . Pour notre part, nous ne saurions de toute façon nous dispenser d' examiner l' applicabilité éventuelle de l' ensemble des dispositions de droit communautaire citées par le tribunal de renvoi .

Quant à la première question

14 . La première question porte sur le point de savoir

"si la liquidation, par un État membre, d' une pension de retraite ( en l' espèce : de travailleur indépendant ) du chef d' une activité professionnelle ( en l' espèce : de colon ) exercée 'antérieurement dans un territoire ayant entretenu à l' époque, avec cet État membre, des relations particulières' , à une personne ayant eu, à cette même époque, la nationalité d' un second État ( devenu entre-temps ) membre, et ressortissant actuellement d' un État tiers, mais constitué d' un autre territoire ayant entretenu, à l' époque avec ce second État ( devenu entre-temps ) membre, également des relations particulières, tombe, ou non, dans le champ d' application des articles 1 à 4, 10, paragraphe 1, premier alinéa, et 44 à 51 du règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application de la sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, et, subséquemment, 35 à 59 du règlement ( CEE ) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d' application de celui-ci ".

15 . Comme la Commission, nous estimons qu' il faut déterminer, dans un premier temps, si une situation telle que celle de M . Buhari entre dans le champ d' application du règlement n° 1408/71 .

1 . Sur le champ d' application du règlement

16 . A cet égard, il y a lieu de se référer, tout d' abord, à l' article 2, paragraphe 1, du règlement, qui est rédigé comme suit :

"Le présent règlement s' applique aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l' un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l' un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant sur le territoire d' un des États membres ..."

17 . Comme la Cour l' a mis en évidence dans l' arrêt Belbouab ( 2 ) ce texte réclame, pour son application, la réalisation de deux conditions, à savoir :

- qu' un travailleur soit ou ait été soumis à la législation de l' un ou de plusieurs États membres;

- que ce travailleur soit ressortissant de l' un des États membres .

a ) La notion de "législation d' un État membre"

18 . Il résulte du jugement de renvoi que M . Buhari a un droit ouvert à une pension de retraite belge de travailleur indépendant, en vertu notamment de l' arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967, relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants .

19 . Nous partageons l' avis de la Commission selon lequel "il ne fait pas de doute que cette loi nationale correspond à la définition du terme 'législation' contenue à l' article 1er, sous j ), du règlement n° 1408/71, à savoir les lois, règlements, dispositions statutaires et toutes autres mesures d' application qui concernent les branches et régimes de sécurité sociale visés à l' article 4, paragraphes 1 et 2 . L' article 4, qui concerne le champ d' application matériel du règlement, vise expressément, sous c ) et d ), les branches de sécurité sociale auxquelles se rattache la législation belge en cause ". La législation en question n' est pas non plus citée parmi les régimes spéciaux exclus, mentionnés à l' annexe II, car sous la rubrique "Belgique" de cette annexe figure la mention "sans objet ".

20 . Enfin, on ne saurait objecter, comme cela a été fait à plusieurs reprises dans le passé devant la Cour, qu' une législation qui concerne exclusivement des périodes d' activité accomplies en dehors du territoire européen des États membres ne peut pas être considérée comme "législation d' un État membre" au sens de l' article 2 .

21 . Dans l' arrêt du 31 mars 1977, Bozzone ( 87/76, Rec . p . 687 ), qui concernait des périodes d' assurance accomplies par un travailleur de nationalité italienne dans l' ancien Congo belge, la Cour a, en effet, dit pour droit que l' article 10 du règlement, et donc le règlement n° 1408/71 en tant que tel,

"s' applique à la situation d' un bénéficiaire de prestations garanties par la législation d' un État membre et relatives à une occupation salariée effectuée exclusivement dans un territoire ayant entretenu à l' époque avec un État membre des relations particulières ..." ( point 21 ).

22 . Dans son arrêt du 9 juillet 1987, Laborero et Sabato ( 82/86 et 103/86, Rec . p . 3401 ), qui concernait également des périodes d' assurance effectuées au Congo belge et au Zaïre par des ressortissants italiens, la Cour a déclaré que

"... pour déterminer la portée du terme 'législation' il convient, comme la Cour l' a dit dans son arrêt du 23 octobre 1986, Van Roosmalen ( 300/84, Rec . p . 3116 ), d' attribuer une importance essentielle non pas au critère du lieu où l' activité professionnelle a été exercée, mais à celui constitué par le rapport qui lie le travailleur, quel que soit l' endroit où il a exercé ou exerce son activité professionnelle, à un régime de sécurité sociale d' un État membre dans le cadre duquel il a accompli des périodes d' assurance .

Le critère déterminant étant le rattachement d' un assuré à un régime de sécurité sociale d' un État membre, il est sans importance que les périodes d' assurance dans le cadre de ce régime aient été accomplies dans des États tiers" ( points 24 et 25 ).

Force est donc de conclure que M . Buhari a été soumis à la législation d' un État membre .

b ) La qualité de "ressortissant de l' un des États membres"

23 . L' article 2, paragraphe 1, du règlement vise, en second lieu, les travailleurs qui "sont des ressortissants d' un État membre ". Une interprétation littérale de cette expression pourrait donner à penser que cette qualité doit, en tout cas, exister au moment où l' intéressé prétend tirer des droits du règlement n° 1408/71 . Or, M . Buhari est actuellement ressortissant d' un pays tiers, le Nigeria .

24 . Dans le dispositif de son arrêt du 12 octobre 1978, Belbouab ( 10/78, Rec . p . 1945 ), la Cour a cependant déclaré

"que les articles 2, paragraphe 1, et 94, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 combinés doivent être interprétés en ce sens qu' ils garantissent la prise en considération de toutes les périodes d' assurance, d' emploi ou de résidence accomplies sous la législation d' un État membre avant la date d' entrée en vigueur dudit règlement pour la détermination des droits ouverts conformément à ses dispositions, à la condition que le travailleur migrant ait été ressortissant de l' un des États membres au moment de leur accomplissement" ( 3 ).

25 . Il est vrai que l' article 94 ne concerne que les travailleurs salariés, mais le règlement n° 1408/71 comporte une disposition analogue qui couvre la situation des travailleurs non salariés, à savoir l' article 95, paragraphe 2, dont la version actuelle, applicable depuis le 1er janvier 1986, est rédigée comme suit :

"Toute période d' assurance ainsi que, le cas échéant, toute période d' emploi, d' activité non salariée ou de résidence accomplie sous la législation d' un État membre avant le 1er juillet 1982 ou avant la date de mise en application du présent règlement sur le territoire de cet État membre est prise en considération pour la détermination des droits ouverts conformément au présent règlement" ( 4 ).

26 . Dans ses observations écrites, la Commission a conclu de tous ces éléments "qu' il est donc permis de considérer que l' intéressé, ressortissant britannique au moment où il a effectué les périodes visées, entre dans le champ d' application des règlements ". A l' audience, elle s' est cependant montrée très hésitante sur ce point .

27 . Pour notre part, tout en étant convaincu qu' il serait contraire à l' équité que M . Buhari soit privé de sa pension, nous ne croyons pas qu' il ait été un travailleur migrant, ressortissant de l' un des États membres, au moment de l' accomplissement des périodes d' assurances en question . A notre avis, sa situation ne peut pas être assimilée à celle de M . Belbouab .

28 . Rappelons brièvement les faits qui étaient à la base de l' arrêt Belbouab et comparons-les à ceux du litige au principal . M . Belbouab est né en 1924 en Algérie, qui était, à cette époque, un territoire français . Il a été travailleur de fond dans les mines françaises du 29 mars 1947 au 17 novembre 1950, puis du 6 juin 1951 au 4 octobre 1960 . En 1960, il a établi sa résidence en République fédérale d' Allemagne pour éviter d' éventuelles difficultés politiques . Il y a travaillé à partir du 26 mai 1961 dans un emploi de mineur de fond . En 1974, il a demandé à bénéficier de la pension que la législation allemande accorde aux mineurs qui ont atteint l' âge de 50 ans révolus . M . Belbouab a possédé la nationalité française jusqu' à l' accession de l' Algérie à l' indépendance, intervenue le 1er juillet 1962 . Il a donc eu la nationalité d' un État membre postérieurement à l' entrée de celui-ci dans la Communauté, qui, en l' occurrence, a coïncidé avec la création de celle-ci, et postérieurement à son immigration en Allemagne .

29 . M . Buhari, par contre, a perdu la nationalité britannique en 1960, soit treize ans avant l' adhésion du Royaume-Uni à la Communauté .

30 . Nous estimons, dès lors, que le principe de sécurité juridique, sur lequel la Cour s' est principalement fondée dans l' arrêt Belbouab, empêche de reconnaître à M . Buhari la qualité de "ressortissant de l' un des États membres ". Dans l' arrêt Belbouab, la Cour a, en effet, déclaré que la seconde condition imposée par l' article 2, paragraphe 1, doit être interprétée de manière à

"respecter le principe de sécurité juridique, dont l' un des impératifs exige que toute situation de fait soit normalement, et sauf indication expresse contraire, appréciée à la lumière des règles de droit qui en sont contemporaines ".

Or, à aucun moment de la période au cours de laquelle M . Buhari a exercé son activité et versé des cotisations au titre de la législation belge, le Royaume-Uni n' était membre de la Communauté . L' intéressé n' avait donc pas la qualité de ressortissant d' un État membre, mais celle de ressortissant d' un État tiers .

31 . La deuxième observation qui s' impose est la suivante . L' arrêt Belbouab est intervenu dans le contexte particulier du problème de la totalisation des périodes d' assurance accomplies dans deux États membres différents . Dans ce contexte, il était logique de prendre en considération la nationalité qu' avait l' intéressé au cours de la période où il a accumulé des périodes d' assurance en France . A cette époque, M . Belbouab était un ressortissant français, partant un ressortissant CEE, dont la situation était déjà appréhendée par le droit communautaire . En ce qui concerne les périodes antérieures à l' entrée en vigueur du règlement n° 1408/71, notamment celles se situant avant l' instauration de la CEE, il pouvait invoquer l' article 94 de ce règlement .

32 . Par contre, M . Buhari n' a été soumis, pour autant que nous le sachions, qu' à la législation d' un seul État membre, la Belgique . Le fait qu' il soit passé du Nigeria au Congo belge n' a eu, en l' occurrence, aucune incidence pratique sur l' étendue de ses droits à pension . Le règlement n° 1408/71 n' a commencé à jouer un rôle dans la vie de M . Buhari qu' à partir du moment où se posait le problème de l' "exportation" de sa pension de la Belgique vers le Zaïre .

33 . Dans un cas comme celui du litige au principal, on ne saurait dès lors guère invoquer, à l' appui d' une interprétation large de la notion de "ressortissant de l' un des États membres", le fait que

"les dispositions du règlement n° 1408/71, pris en application de l' article 51 du traité, doivent être appliquées à la lumière de l' objectif de cet article, qui est de contribuer à l' établissement d' une liberté aussi complète que possible de la libre circulation des travailleurs migrants"

ou que

"le but des articles 48 et 51 ne serait pas atteint si, par suite de l' exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d' un État membre" ( 5 ).

En l' espèce, nous ne sommes pas vraiment en présence d' un cas de libre circulation des travailleurs . Ce n' est pas en vertu du traité que M . Buhari a pu venir du Nigeria au Congo belge . De plus, ni avant 1960, lorsqu' il était citoyen britannique, ni ultérieurement, lorsqu' il était devenu citoyen du Nigeria, il n' aurait eu le droit de venir s' établir sur le territoire de la Communauté . ( La convention de Lomé ne le prévoit pas .)

34 . Enfin, la situation de M . Buhari n' est, à notre avis, nullement comparable à celle d' un ressortissant britannique ayant acquis des périodes d' assurance au Congo belge à la même époque que M . Buhari et ayant toujours gardé la nationalité britannique . Ce dernier serait, en effet, devenu en 1973 ressortissant communautaire, tout comme les citoyens des États membres fondateurs, parmi lesquels M . Belbouab, le sont devenus en 1958 . Il aurait notamment pu bénéficier des dispositions transitoires des articles 94 ou 95 du règlement, qui permettent de prendre en considération les périodes d' assurance accomplies antérieurement à l' adhésion, pour totaliser les périodes accomplies au Congo belge avec celles accomplies par la suite au Royaume-Uni ou dans un autre État membre .

35 . M . Buhari, par contre, n' est pas passé du statut de citoyen britannique au statut de "citoyen britannique - ressortissant communautaire ". S' il était, par la suite, allé travailler au Royaume-Uni ou en Belgique, il n' aurait pas pu bénéficier, à cause de sa nationalité nigériane, d' une telle totalisation de périodes en vertu du droit communautaire .

36 . Pour que les droits acquis par les personnes se trouvant dans la situation de M . Buhari puissent être garantis par le droit communautaire, il aurait fallu une disposition spéciale en leur faveur dans l' acte d' adhésion du Royaume-Uni .

37 . Comme à notre connaissance tel n' est pas le cas, cette catégorie de personnes n' entre donc pas dans le champ d' application "ratione personae" du règlement n° 1408/71 . Dans ces conditions, il n' est pas nécessaire d' examiner l' applicabilité des autres articles de ce règlement cités par le juge de renvoi . Pour le cas, cependant, où vous ne partageriez pas notre interprétation de l' article 2, paragraphe 1, nous voudrions encore examiner ces autres articles .

38 . Toutefois, les observations relatives à l' article 3 trouvent mieux leur place dans le cadre de la deuxième question, qui a trait, comme cet article, au principe de non-discrimination . Quant à l' article 10, au sujet duquel nous nous sommes déjà exprimé au début des présentes conclusions, nous aurons à en reparler brièvement dans le contexte de l' article 51 du traité . Dans le cadre de la première question, il ne nous reste donc qu' à dire un mot au sujet des articles 44 à 51 du règlement n° 1408/71, et 35 à 59 du règlement n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d' application du règlement n° 1408/71 ( 6 ).

2 . Sur l' application éventuelle du chapitre 3 du règlement n° 1408/71 et du chapitre correspondant du règlement n° 574/72

39 . Les articles 44 à 51 constituent le chapitre 3 du règlement n° 1408/71, intitulé : "Vieillesse et Décès ( Pensions )".

40 . L' article 44, paragraphe 1, dispose que

"les droits à prestations d' un travailleur salarié ou non salarié qui a été assujetti à la législation de deux ou de plusieurs États membres, ou de ses survivants, sont établis conformément aux dispositions du présent chapitre ".

Il apparaît ainsi clairement que les articles 44 à 51 de ce règlement sont sans incidence dans la présente affaire, étant donné que M . Buhari n' a été assujetti qu' à la législation d' un seul État membre, à savoir celle de la Belgique .

41 . Cela vaut également pour les articles 35 à 59 du règlement n° 574/72, qui fixent les modalités d' application des dispositions susmentionnées du règlement n° 1408/71 .

42 . Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous proposons de répondre comme suit à la première question :

"La situation d' un bénéficiaire de prestations sociales garanties par la législation d' un État membre, et relative à une occupation non salariée effectuée dans un territoire ayant entretenu à l' époque avec un État membre des relations particulières, n' entre pas dans le champ d' application des règlements n°s 1408/71 et 574/72 lorsque, au cours de la période en question, le bénéficiaire était ressortissant d' un État qui n' était pas encore membre de la Communauté ."

Quant à la deuxième question

43 . Par sa deuxième question, le tribunal du travail de Bruxelles demande

"si le refus, par un État membre, de liquider une prestation de sécurité sociale ( en l' espèce : une pension de retraite de travailleur indépendant du chef d' une activité professionnelle antérieure de colon sur le territoire de son ex-colonie ) à une personne résidant 'dans ce territoire ayant entretenu, à l' époque, avec cet État membre des relations particulières' et domiciliée dans un autre territoire - ayant entretenu, à l' époque avec un second État ( devenu entretemps ) membre - également des relations particulières, lequel est devenu actuellement un État tiers et dont elle possède maintenant la nationalité, formulé au seul motif de la conjonction de ses nationalité et résidence actuelles, constitue, ou non, une 'discrimination exercée en raison de la nationalité' visée par les articles 7, premier alinéa, inchangé, 48, paragraphes 2 et 3, sous c ) et d ), et 50, sous b ), du traité, qu' elle soit directe ou indirecte ou encore fondée sur la nationalité par application de critères formellement neutres, mais aboutissant, en fait, au même résultat, à savoir : désavantager les non-ressortissants par l' existence d' un obstacle disproportionné ".

44 . La juridiction de renvoi voudrait donc savoir, en substance, si le refus de la liquidation de la pension à laquelle a droit, en vertu du droit d' un État membre, une personne ayant la nationalité d' un État tiers et résidant dans un autre État tiers, constitue ou non une discrimination interdite par le traité CEE .

45 . Notons, tout d' abord, que l' interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité prévue par l' article 7 du traité vise uniquement à protéger les personnes ayant la nationalité d' un État membre de la Communauté et non pas les ressortissants des pays tiers .

46 . D' autre part, ainsi que la Cour a eu l' occasion de le préciser dans l' arrêt du 28 juin 1978, Kenny ( 1/78, Rec . p . 1489 ),

"dans le domaine d' application du règlement ( CEE ) n° 1408/71, l' article 7, paragraphe 1, du traité ... a été mis en oeuvre par l' article 48 du traité et par l' article 3, paragraphe 1, dudit règlement ..." ( point 12, p . 1497 ).

47 . D' après l' article 48 :

"1 ) La libre circulation des travailleurs est assurée à l' intérieur de la Communauté au plus tard à l' expiration de la période de transition .

2 ) Elle implique l' abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres ."

48 . Cet article a donc uniquement pour objet de garantir la liberté de circulation à l' intérieur de la Communauté . Un tel problème ne s' est pas posé et ne se pose pas dans le cas d' espèce . M . Buhari n' a d' ailleurs jamais été et n' est pas actuellement un travailleur salarié, seule catégorie de personnes visée par l' article 48 .

49 . En ce qui concerne les travailleurs indépendants, tels que les négociants ( profession exercée par M . Buhari ), le principe de non-discrimination de l' article 7 a été mis en oeuvre par l' article 52 du traité, qui prévoit que :

"... les restrictions à la liberté d' établissement des ressortissants d' un État membre dans le territoire d' un autre État membre sont progressivement supprimées au cours de la période transitoire ".

50 . Or, M . Buhari n' a pas non plus voulu s' établir, dans le passé, et ne veut pas, actuellement, s' établir en tant que travailleur indépendant sur le territoire d' un État membre, de telle sorte qu' il n' est même pas nécessaire d' évoquer la condition de nationalité prévue par cet article .

51 . Enfin, l' article 3 du règlement n° 1408/71 est rédigé comme suit :

"Les personnes qui résident sur le territoire de l' un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve des dispositions particulières contenues dans le présent règlement ."

Or, M . Haji Ibrahim Buhari ne réside pas présentement sur le territoire d' un État membre . Par conséquent, cette disposition ne lui est pas applicable .

52 . La juridiction nationale se réfère encore au paragraphe 3, sous c ) et d ), de l' article 48 . Comme M . Buhari n' a cependant jamais été un travailleur salarié, ces dispositions ne sauraient le concerner . De plus, le droit de demeurer ( lettre d ) )) ne saurait jouer qu' en faveur d' une personne ayant auparavant légalement résidé dans un État membre . Par ailleurs, en ce qui concerne le droit de séjourner dans un des États membres ( lettre c ) )), M . Buhari a fait préciser à l' audience que, même s' il en avait le droit, il n' établirait pas sa résidence sur le territoire de la Communauté, car il ne pourrait pas s' habituer aux conditions de vie en Europe .

53 . La juridiction belge cite enfin l' article 50, sous b ), du traité . Il doit s' agir là d' une erreur de plume, car l' article 50 ne comporte qu' une seule phrase, relative aux échanges de jeunes travailleurs .

54 . Par contre, l' article 51, sous b ), prévoit que le Conseil doit instituer un système permettant d' assurer

"le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des États membres ".

Le Conseil s' est acquitté de ce mandat en insérant dans le règlement n° 1408/71 l' article 10, paragraphe 1 . La Commission avait proposé au Conseil de prévoir également la levée de la clause de résidence pour les bénéficiaires résidant dans un pays tiers . Le Conseil n' a pas accepté cette proposition, et il a seulement prévu que les prestations acquises au titre des différents régimes de sécurité sociale

"ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d' un État membre autre que celui où se trouve l' institution débitrice ".

55 . Ce faisant le Conseil n' a certainement pas violé l' article 51, sous b ), du traité puisque celui-ci ne lui fait obligation que d' assurer le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des États membres .

56 . Nous vous proposons, dès lors, de répondre de la manière suivante à la deuxième question :

"Ni le principe de non-discrimination inscrit dans les articles 7, premier alinéa, 48 et 52 du traité et repris à l' article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, ni la levée de la clause de résidence prescrite par l' article 51, sous b ), du traité et par l' article 10, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1408/71 ne sont d' application lorsque le bénéficiaire de la prestation ne réside pas sur le territoire d' un État membre ."

Quant à la troisième question

57 . Par sa troisième question, la juridiction de renvoi voudrait savoir

"si la lettre et l' esprit des textes communautaires visés ci-dessus sont, ou non, compatibles avec le texte de la réglementation nationale belge, actuellement en vigueur, de l' article 144, 2°, de l' arrêté royal du 22 décembre 1967 ( portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants ), tel que modifié par les articles 24 de l' arrêté royal du 17 juillet 1972 et 64, 1°, de celui du 24 septembre 1984, ou avec l' interprétation restrictive qu' en donne le défendeur ".

58 . A propos de cette question, nous devons faire deux observations préliminaires . Le tribunal du travail a sans doute voulu demander si la réglementation belge à laquelle il se réfère est compatible avec le droit communautaire, et non l' inverse, car c' est le droit communautaire qui a primauté sur le droit national .

59 . En second lieu, il faut rappeler que, dans le cadre de la procédure du renvoi préjudiciel instaurée par l' article 177, la Cour n' est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d' une disposition de droit national avec le droit communautaire . La Cour peut cependant, devant une ordonnance de renvoi formulée de façon inexacte, identifier la question de droit communautaire en des termes qui lui permettent de se prononcer ( 7 ), afin de

"fournir à la juridiction nationale les éléments qui permettent à celle-ci de trancher les litiges dont elle est saisie" ( 8 ).

60 . En l' espèce, la juridiction nationale voudrait savoir si les dispositions du droit communautaire doivent être interprétées en ce sens qu' elles permettent à un État membre de prévoir dans sa législation qu' une pension de retraite de travailleur indépendant n' est "payable à l' étranger" qu' aux bénéficiaires

"résidant sur le territoire d' un pays où une pension de travailleur salarié pourrait leur être payée en application d' un accord de réciprocité ".

61 . Comme la Commission, nous estimons que, dans la mesure où les termes "à l' étranger" ne visent pas les autres États membres de la Communauté, mais seulement les pays tiers, une disposition de ce type n' est pas incompatible avec le droit communautaire .

62 . Il résulte, en effet, des observations faites ci-dessus qu' en son état actuel le droit communautaire n' oblige pas les États membres à verser des prestations de sécurité sociale à une personne résidant dans un pays tiers .

63 . En conséquence, notre réponse à la troisième question est la suivante :

"En son état actuel, le droit communautaire ne s' oppose pas à une législation nationale qui ne permet pas la liquidation d' une pension de retraite d' une personne résidant dans un pays tiers ."

64 . On pourrait cependant aussi considérer que la réponse à la troisième question est déjà incluse dans la réponse proposée en ce qui concerne la deuxième .

65 . Après avoir ainsi, malheureusement, dû aboutir à la constatation que le droit communautaire n' est d' aucun secours pour M . Buhari, nous voudrions cependant exprimer avec force notre conviction qu' un refus de liquider la pension acquise par ce dernier serait profondément contraire aux exigences de l' équité . Comme la Commission, nous voudrions souligner qu' aucune norme de droit communautaire n' empêche le tribunal du travail d' interpréter de façon extensive les textes nationaux, à la lumière, notamment, des règles de droit international mentionnées dans le jugement de renvoi, ou en faisant application du principe de la confiance légitime . M . Buhari pouvait, en effet, légitimement s' attendre à ce que les cotisations payées par lui donneraient lieu au versement d' une pension, sinon il aurait, si possible, conclu une assurance vieillesse privée .

66 . Il est, par ailleurs, surprenant de constater que dans l' affaire Bozzone, précitée, l' Office belge de la sécurité sociale d' outre-mer voulait refuser à ce dernier le versement de sa pension en Italie, alors qu' il aurait été prêt à la lui verser s' il avait continué à résider au Zaïre . Il s' agissait, il est vrai, d' une autre administration et d' une autre loi; de plus, l' intéressé avait la nationalité d' un État membre . Mais on comprend mal pourquoi toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, ayant travaillé et cotisé dans l' ancien Congo belge, ne peuvent pas obtenir la liquidation de leur pension au Zaïre, alors que le principe général du respect des droits acquis et celui de la confiance légitime exigent manifestement que tel soit le cas .

Conclusion

67 . Les réponses que nous vous proposons de donner aux trois questions posées par le tribunal du travail de Bruxelles peuvent être récapitulées de la façon suivante :

"1 ) La situation d' un bénéficiaire de prestations sociales garanties par la législation d' un État membre, et relative à une occupation non salariée effectuée dans un territoire ayant entretenu à l' époque avec un État membre des relations particulières, n' entre pas dans le champ d' application des règlements n°s 1408/71 et 574/72 lorsque, au cours de la période en question, le bénéficiaire était ressortissant d' un État qui n' était pas encore membre de la Communauté .

2 ) Ni le principe de non-discrimination inscrit dans les articles 7, premier alinéa, 48 et 52 du traité et repris à l' article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, ni la levée de la clause de résidence prescrite par l' article 51, sous b ), du traité et par l' article 10, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1408/71 ne sont d' application lorsque le bénéficiaire de la prestation ne réside pas sur le territoire d' un État membre .

3 ) En son état actuel, le droit communautaire ne s' oppose pas à une législation nationale qui ne permet pas la liquidation d' une pension de retraite d' une personne résidant dans un pays tiers ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Ce règlement a été mis à jour par le règlement ( CEE ) n° 2001/83 ( JO L 230 du 22.8.1983, p . 6 ) et modifié depuis lors à plusieurs reprises, en dernier lieu par le règlement ( CEE ) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989 ( JO L 331 du 16.11.1989, p . 1 ).

( 2 ) Arrêt du 12 octobre 1978 ( 10/78, Rec . p . 915 ).

( 3 ) Non souligné dans le texte original .

( 4 ) Règlement ( CEE ) n° 1305/89 du Conseil, du 11 mai 1989, modifiant le règlement ( CEE ) n° 1408/71 relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, et le règlement ( CEE ) n° 1408/71 ( JO L 131 du 13.5.1989, p . 1 ).

( 5 ) Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 1987, Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank/De Rijke ( 43/86, Rec . p . 3611 ).

( 6 ) JO L 74 du 27.3.1972, p . 1, version codifiée par le règlement ( CEE ) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 ( JO L 230, p . 86 ).

( 7 ) Arrêt du 9 octobre 1980, Carciati ( 823/79, Rec . p . 2773 ).

( 8 ) Arrêt du 23 novembre 1977, Enka/Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen ( 38/77, Rec . p . 2203 ).