61988C0305

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 3 mai 1990. - Isabelle Lancray SA contre Peters und Sickert KG. - Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Reconnaissance d'une décision intervenue contre un défendeur défaillant - Art. 27, point 2. - Affaire C-305/88.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-02725


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Vous êtes saisis de cette affaire par une demande de décision à titre préjudiciel présentée par le Bundesgerichtshof au titre du protocole du 3 juin 1971 concernant l' interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale ( ci-après "convention de Bruxelles "). Les deux questions qui vous sont déférées visent à faire préciser le sens de l' article 27 de la convention de Bruxelles dans la rédaction en vigueur avant l' adhésion à cette convention du Danemark, de l' Irlande et du Royaume-Uni . L' article 27 prévoit les cas dans lesquels les juridictions d' un État contractant ne peuvent reconnaître des décisions rendues par les juridictions d' un autre État contractant . La première question déférée à la Cour correspond à celle posée par le Bundesgerichtshof dans l' affaire 36/88, qui a été rayée du registre à la suite du désistement intervenu dans l' instance au principal .

Les faits

2 . Les faits de la cause sont les suivants . Le 2 novembre 1983, Isabelle Lancray SA ( ci-après "Lancray "), société française ayant son siège social à Neuilly-sur-Seine, a conclu un contrat de distribution exclusive de ses produits avec Peters und Sickert KG ( ci-après "Peters "), société en commandite de droit allemand établie à Essen . Le contrat stipulait qu' il était soumis au droit français et attribuait compétence au tribunal de commerce de Nanterre . Lancray a, par la suite, résilié le contrat, estimant que Peters ne le respectait plus . Conformément à l' article 24 de la convention de Bruxelles ( dont les termes sont identiques dans la rédaction antérieure à l' adhésion et dans la rédaction postérieure ), Lancray a alors demandé à l' Amstgericht Essen une ordonnance de référé interdisant à Peters de céder tous produits Lancray en sa possession . Il a été fait droit à cette demande le 18 juillet 1986 . Le 30 juillet 1986, Lancray a introduit devant le tribunal de commerce de Nanterre une procédure visant à la confirmation des mesures ordonnées par l' Amstgericht ainsi qu' à certaines mesures supplémentaires . Le même jour, les autorités françaises compétentes ont adressé au président du Landgericht Essen l' assignation à la requête de Lancray, rédigée en français, enjoignant à Peters de comparaître devant la juridiction française, le 18 novembre 1986 . Cet acte était accompagné d' un formulaire imprimé en français et en anglais et partiellement rempli en français, ainsi que d' une demande visant à ce que l' acte soit signifié à Peters et à ce qu' un certificat de signification soit retourné aux autorités françaises .

3 . Le 19 août 1986, l' assignation et le formulaire établi en anglais et en français ont été remis à une secrétaire dans les bureaux de Peters . Ces documents n' étaient pas accompagnés de traductions en allemand . Une nouvelle assignation rédigée en français, en date du 19 septembre 1986, pour l' audience du tribunal de commerce de Nanterre du 16 décembre 1986, a été, par la suite, adressée à Peters par lettre recommandée .

4 . Le 16 octobre 1986, le Landgericht Essen a annulé l' ordonnance de référé que Lancray avait obtenue de l' Amstgericht le 18 juillet . Peters en a informé le tribunal de commerce par lettre en date du 11 novembre 1986, dans laquelle elle a souligné également que les documents précédents n' avaient pas été signifiés correctement dans la mesure où ils n' étaient pas accompagnés de traductions en allemand . Comble d' ironie, le tribunal de commerce a retourné cette lettre en invitant l' intéressé à produire un document rédigé en français .

5 . Peters n' a pas comparu devant le tribunal de commerce qui, le 15 janvier 1987, a rendu une décision faisant droit à la demande de Lancray . Le jugement du tribunal de commerce a été signifié à l' associé gérant de Peters, le 9 mars 1987 .

6 . Le 6 juillet 1987, le Landgericht Essen a décidé que le jugement du tribunal de commerce en date du 15 janvier 1987 était reconnu en République fédérale d' Allemagne et en a autorisé l' exécution sur certains points . Un recours formé par Peters à l' encontre de cette décision devant l' Oberlandesgericht a été couronné de succès . Lancray a formé à son tour un pourvoi à l' encontre de la décision de l' Oberlandesgericht devant le Bundesgerichtshof, qui a déféré deux questions à la Cour à titre préjudiciel .

7 . Dans la procédure au principal, Peters conclut à ce que le jugement du tribunal de commerce ne soit pas reconnu en République fédérale d' Allemagne, et ce en vertu de l' article 27, point 2, de la convention de Bruxelles . Celui-ci dispose qu' une décision d' une juridiction d' un État contractant n' est pas reconnue dans les autres États contractants "si l' acte introductif d' instance ( ou un acte équivalent ) n' a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu' il puisse se défendre ". Les mots entre parenthèses ont été ajoutés lors de l' adhésion à la convention du Danemark, de l' Irlande et du Royaume-Uni, afin de tenir compte des particularités du droit procédural de ces deux derniers États et d' indiquer les actes qui doivent être reçus pour que le droit à être entendu soit respecté ( voir rapport Schlosser, JO 1979, C 59, p . 71, 125, 126 et 128 ).

8 . Selon l' Oberlandesgericht, si l' assignation à comparaître devant le tribunal de commerce le 18 novembre 1986 a été délivrée à Peters suffisamment tôt pour qu' elle puisse préparer sa défense, elle n' a pas été signifiée ou notifiée conformément aux conventions internationales applicables relatives à la signification et à la notification à l' étranger des actes judiciaires, car elle n' était pas accompagnée d' une traduction en allemand . En outre, l' Oberlandesgericht n' a pas estimé qu' il lui était loisible d' appliquer ses dispositions nationales relatives à la réparation d' un vice de signification, dans la mesure où Peters ne maîtrisait pas la langue dans laquelle les documents en question avaient été rédigés .

Les questions déférées à la Cour

9 . Sur pourvoi, le Bundesgerichtshof a déféré à la Cour les questions suivantes à titre préjudiciel :

"1 ) En vertu de l' article 27, point 2, de la convention dans sa rédaction ancienne, une décision n' est-elle pas reconnue si l' acte introductif d' instance n' a pas été signifié ou notifié régulièrement au défendeur défaillant, mais l' a été en temps utile pour qu' il puisse se défendre?

2 ) L' article 27, point 2, de la convention dans sa rédaction ancienne exclut-il, au cas où une décision n' est pas reconnue parce que l' acte introductif d' instance a été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile pour sa défense, mais ne l' a pas été régulièrement, la reconnaissance de la décision même si les lois de l' État dans lequel la reconnaissance est invoquée admettent que le vice de signification puisse être réparé?"

10 . Avant d' examiner sur le fond les questions posées, il est nécessaire de se demander quelle est la rédaction de la convention de Bruxelles qui est applicable au litige au principal . La rédaction initiale de cette convention a été modifiée par la convention du 9 octobre 1978 ( ci-après "convention d' adhésion "), par laquelle le Danemark, l' Irlande et le Royaume-Uni y ont adhéré . Les articles 34 à 36 de la convention d' adhésion contiennent un certain nombre de dispositions transitoires . Le deuxième paragraphe de l' article 34 dispose :

"... dans les rapports entre les six États parties à la convention de 1968, les décisions rendues après la date d' entrée en vigueur de la présente convention à la suite d' actions intentées avant cette date sont reconnues et exécutées conformément aux dispositions du titre III de la convention de 1968 modifiée ".

11 . La France et la République fédérale d' Allemagne figuraient parmi les six États contractants d' origine de la convention de Bruxelles . A l' égard de ces États, la convention d' adhésion est entrée en vigueur le 1er novembre 1986 . Lancray a introduit la procédure devant le tribunal de commerce de Nanterre le 30 juillet 1986 et cette juridiction a rendu son jugement le 15 janvier 1987 . Il semblerait, dès lors, comme le fait observer la Commission, que ce sont les dispositions modifiées relatives à la reconnaissance et à l' exécution, et non les dispositions antérieures à l' adhésion, qui s' appliquent dans la présente affaire .

12 . La juridiction de renvoi ne vous a pas demandé de préciser quelle était la rédaction applicable de la convention de Bruxelles . De toute façon, la convention d' adhésion n' a pas apporté au contenu de l' article 27, point 2, de modifications ayant une incidence sur l' affaire qui nous occupe . Nous ne croyons donc pas qu' il soit nécessaire que la Cour spécifie quelle est la rédaction de la convention de Bruxelles sur laquelle porte sa décision . A notre avis, les questions qui lui sont déférées appellent une réponse dans les mêmes termes, quelle que soit la rédaction applicable . Dans la suite des présentes conclusions, nous indiquerons, lorsque ce sera nécessaire, les modifications apportées par la convention d' adhésion .

13 . L' article 27 de la convention de Bruxelles figure au titre III, intitulé "Reconnaissance et exécution ". La règle générale concernant la reconnaissance est inscrite au premier alinéa de l' article 26 . Celui-ci dispose que "les décisions rendues dans un État contractant sont reconnues dans les autres États contractants, sans qu' il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ". L' article 27 constitue une exception à cette règle générale . Il prévoit plusieurs cas dans lesquels une juridiction d' un État contractant a l' obligation ( et non pas seulement la faculté ) de refuser de reconnaître une décision rendue par une juridiction d' un autre État contractant . En vertu de l' article 34 de la convention de Bruxelles, l' article 27 s' applique également aux demandes présentées aux juridictions d' un État contractant et visant à l' exécution d' une décision rendue par une juridiction d' un autre État contractant . Selon l' article 46, point 2, de la convention de Bruxelles, la partie qui invoque la reconnaissance ou demande l' exécution d' une décision par défaut est tenue de produire "l' original ou une copie certifiée conforme du document établissant que l' acte introductif d' instance ( ou un acte équivalent ) a été signifié ou notifié à la partie défaillante" ( les mots entre parenthèses ont été ajoutés par la convention d' adhésion ).

14 . L' objet du point 2 de l' article 27 de la convention de Bruxelles est d' assurer le respect des droits de la défense, comme le note le rapport Jenard ( JO 1979, C 59, p . 1, 44 ). La Cour a précisé dans l' affaire 166/80, Klomps/Michel, point 9 ( Rec . 1981, p . 1593 ), qu' il avait "pour but d' assurer qu' une décision ne soit pas reconnue ou exécutée selon la convention, si le défendeur n' a pas eu la possibilité de se défendre devant le juge d' origine ". Bien que, en tant qu' exception à la règle générale inscrite à l' article 26 de la convention de Bruxelles, l' article 27 ne doive pas faire l' objet d' une interprétation extensive, une interprétation trop restrictive pourrait affaiblir les droits de la défense . La Cour a souligné dans l' affaire 49/84, Debaecker/Bouwman, point 10 ( Rec . 1985, p . 1779 ), que cela n' était pas une manière acceptable de réaliser les objectifs de la convention de Bruxelles .

15 . La première question déférée à la Cour par le Bundesgerichtshof vise, en substance, à savoir si les conditions posées par l' article 27, point 2, selon lesquelles la signification ou la notification doit avoir été effectuée correctement et en temps voulu sont cumulatives ou si la première condition ne s' applique plus dès lors que la seconde a été remplie . Selon une interprétation littérale, il est manifeste, au moins au vu des textes anglais et français, que l' une et l' autre conditions doivent être remplies : l' acte introductif d' instance doit avoir été signifié ou notifié à la fois correctement et en temps voulu si une décision par défaut doit être reconnue dans un autre État contractant . Que telle a été l' interprétation voulue par les auteurs de la convention de Bruxelles ressort du rapport Jenard, qui énonce ( à la page 44 ) que :

"Lorsque le défendeur a été condamné par défaut à l' étranger, la convention lui assure une double protection . Il faut, tout d' abord, que l' acte ait été signifié régulièrement ... En second lieu, alors même que la signification a été régulière, la reconnaissance pourra être refusée si le juge devant lequel la reconnaissance est invoquée considère que l' acte n' a pas été transmis en temps utile au défendeur pour qu' il puisse assurer sa défense ."

La Cour a reconnu elle-même, dans l' arrêt Klomps/Michel, au point 15, que l' article 27, point 2, posait deux conditions, devant être remplies l' une et l' autre pour qu' une décision par défaut puisse être reconnue .

16 . Dès lors, dans une affaire du type de celle actuellement pendante devant la juridiction de renvoi, la reconnaissance doit, à notre avis, être refusée lorsque l' acte introductif d' instance n' a pas été signifié ou notifié régulièrement, alors même que le défendeur a pu recevoir cet acte en temps utile pour qu' il puisse se défendre . Lancray plaide une interprétation contraire en soutenant qu' il n' est pas nécessaire d' exiger une signification ou une notification correcte si le défendeur a disposé, en tout état de cause, d' un délai suffisant pour préparer sa défense . Ce point de vue est difficilement conciliable avec le libellé des versions française et anglaise de l' article 27, point 2, et est incompatible tant avec les intentions des auteurs de la convention de Bruxelles qu' avec la jurisprudence de la Cour . Enfin, il est de nature à vider totalement de sa substance l' exigence d' une signification ou d' une notification régulière . Le gouvernement allemand observe à juste titre que, si ce point de vue était adopté, les demandeurs seraient tentés d' abandonner les voies de signification normales et d' assumer eux-mêmes la responsabilité de la signification . Cela créerait une insécurité considérable jusque sur le point de savoir si les actes ont bien été signifiés ou notifiés, ce qui ferait échec à l' application uniforme des dispositions de la convention . En outre, comme le fait observer la Commission, les défendeurs seraient laissés dans l' incertitude quant au point de savoir si une instance pouvant déboucher sur une condamnation a été engagée et s' il est donc nécessaire de préparer une défense .

17 . Comment, dans ces conditions, une juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d' une décision rendue dans un autre État contractant doit-elle déterminer si l' acte introductif d' instance a été signifié ou notifié régulièrement? Le premier alinéa de l' article IV du protocole annexé à la convention de Bruxelles dispose que "les actes judiciaires et extrajudiciaires dressés sur le territoire d' un État contractant et qui doivent être notifiés ou signifiés à des personnes se trouvant sur le territoire d' un autre État contractant sont transmis selon les modes prévus par les conventions ou accords conclus entre les États contractants ". Le rapport Jenard est plus précis lorsqu' il énonce, à propos de l' article 27, point 2, qu' "il y a lieu de se référer ... à la loi interne de l' État d' origine et aux conventions internationales relatives à la transmission des exploits" ( p . 44 ). Une affirmation similaire se trouve dans l' arrêt Klomps/Michel, au point 15, où la Cour a déclaré que cette question devait être tranchée sur la base de la législation de l' État d' origine et des conventions internationales qui lient celui-ci en matière de signification et de notification à l' étranger des actes judiciaires .

18 . Dans les cas où le défendeur domicilié sur le territoire d' un État contractant est attrait devant une juridiction d' un autre État contractant et ne comparaît pas, ces mêmes questions devront avoir été examinées par la juridiction d' origine, au titre des deuxième et troisième alinéas de l' article 20 de la la convention de Bruxelles . Dans la présente affaire, il apparaît que la disposition applicable est le troisième alinéa de l' article 20 . Celui-ci dispose que, lorsque l' acte introductif d' instance a dû être transmis en exécution de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l' étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, il y a lieu de faire application de l' article 15 de cette convention . Selon la juridiction de renvoi, la présente affaire est régie par cette dernière convention . L' article 15 dispose que, lorsqu' un acte introductif d' instance ou un acte équivalent a dû être signifié ou notifié à l' étranger et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu' il n' est pas établi que l' acte a été soit signifié ou notifié, soit autrement remis au défendeur selon certaines formes déterminées et que soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre . Les États contractants ont le droit de déclarer qu' une décision peut être rendue si certaines conditions sont réunies, bien qu' aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n' ait été reçue . Ces conditions se rapportent au mode de transmission de l' acte, au délai qui s' est écoulé depuis la date d' envoi de l' acte et aux diligences qui ont été accomplies auprès des autorités compétentes de l' État requis en vue d' obtenir une attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise .

19 . Le fait que, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, la juridiction d' origine doit avoir examiné le mode de signification ou de notification de l' acte introductif d' instance au défendeur ne dispense pas la juridiction requise de son obligation - qui lui incombe en vertu de l' article 27, point 2 - de vérifier cette question elle-même . La Cour l' a précisé dans l' affaire 228/81, Pendy Plastic/Pluspunkt ( Rec . 1982, p . 2723 ), où se posait à la fois une question de reconnaissance et d' exécution . Comme la Cour l' a souligné dans son arrêt ( voir point 8 ), et comme nous l' avons indiqué plus haut, l' article 27 s' applique à l' une comme à l' autre . Dans l' affaire Pendy Plastic, la Cour a énoncé :

"Sans harmoniser les différents systèmes de notification et de signification des actes judiciaires à l' étranger en vigueur dans les États membres, les stipulations de la convention de Bruxelles visent à assurer au défendeur une protection effective de ses droits . C' est dans ce but que le contrôle de la régularité de la notification de l' acte introductif d' instance a été confié à la fois au juge de l' État d' origine et au juge de l' État requis . L' objectif de l' article 27 de la convention exige, par conséquent, que le juge de l' État requis procède à l' examen prescrit au deuxième alinéa de cette stipulation, nonobstant la décision rendue par le juge de l' État d' origine sur la base de l' article 20, deuxième et troisième alinéas" ( point 13 ).

20 . A notre avis, les principes appliqués dans ces affaires sont suffisamment précis pour permettre de répondre à la seconde question posée par la juridiction de renvoi . Cette question vise, en substance, à savoir si une juridiction est tenue de refuser de reconnaître une décision rendue dans un autre État contractant lorsque l' acte introductif d' instance a été reçu par le défendeur en temps voulu, mais n' a pas été signifié ou notifié correctement, alors même que les lois de l' État dans lequel la reconnaissance est invoquée admettent que le vice de signification puisse être réparé .

21 . Nous croyons qu' il y a lieu de répondre à cette question par un "oui" nuancé . Les règles à appliquer pour déterminer si l' acte introductif d' instance a été signifié ou notifié correctement sont, ainsi que nous l' avons déjà exposé, celles de l' État d' origine ainsi que les dispositions de toutes conventions internationales relatives à la signification et à la notification qui y sont applicables . Comme l' estime la Commission, c' est uniquement si ces dernières règles ( qui peuvent englober, par voie de renvoi, les règles applicables dans l' État requis ) admettent qu' un vice de signification puisse être réparé que l' acte introductif d' instance peut être considéré comme ayant été signifié ou notifié régulièrement au sens de l' article 27, point 2 . S' il en était autrement, la solution pourrait dépendre, en cas de demande de reconnaissance ou d' exécution dans plusieurs États contractants, du droit interne de chacun des États concernés et l' application uniforme de l' article 27, point 2, serait compromise .

22 . Le gouvernement français a invité la Cour à examiner si l' acte introductif de la présente instance a été, en fait, signifié ou notifié incorrectement . Toutefois, à notre avis, il y a lieu de se fonder, pour répondre aux questions déférées à la Cour, sur l' hypothèse que l' acte introductif n' a pas été signifié ou notifié régulièrement . Il n' appartient pas à la Cour, dans le cadre d' une demande de décision à titre préjudiciel, de vérifier si tel a été le cas dans les circonstances particulières de l' affaire pendante devant le Bundesgerichtshof . La question de savoir si l' acte a été, en fait, signifié ou notifié correctement ou non relève des juridictions nationales .

23 . Le résultat est malencontreux pour Lancray qui, apparemment sans faute de sa part, peut se trouver ainsi dans l' impossibilité d' obtenir la reconnaisance d' une décision rendue contre un défendeur dont la position, du point de vue procédural, ne semble pas particulièrement bien fondée . Néanmoins, nous croyons que la jurisprudence de la Cour et les intentions des auteurs de la convention de Bruxelles sont claires . Cette affaire souligne la nécessité pour les personnes responsables de la signification et de la notification des actes judiciaires à l' étranger de se conformer strictement aux dispositions applicables .

Conclusion

24 . Nous estimons, en conséquence, qu' il y a lieu de répondre ainsi qu' il suit aux questions déférées à la Cour par le Bundesgerichtshof :

"1 ) L' article 27, point 2, de la convention de Bruxelles interdit à une juridiction d' un État contractant de reconnaître une décision rendue par une juridiction d' un autre État contractant lorsque l' acte introductif d' instance ou un acte équivalent n' a pas été signifié ou notifié régulièrement au défendeur défaillant, même si cet acte a été reçu par le défendeur en temps voulu pour qu' il puisse se défendre .

2 ) Pour déterminer si l' acte introductif d' instance ou un acte équivalent a été signifié ou notifié régulièrement au sens de l' article 27, point 2, de la convention de Bruxelles, une juridiction d' un État contractant saisie d' une demande de reconnaissance d' une décision rendue par une juridiction d' un autre État contractant doit appliquer les dispositions du droit interne du second État et celles de toutes conventions internationales relatives à la signification et à la notification des actes à l' étranger qui y sont applicables . Une juridiction du premier État ne peut considérer les vices de signification comme réparés que si ces dispositions admettent une telle réparation ."

(*) Langue originale : l' anglais .