CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 18 mai 1989 ( *1 )

Sommaire

 

I — Quant à une absence de demande préalable de renseignements à CdF Chimie SA

 

II — Quant au caractère de « communication des griefs » des décisions litigieuses

 

III — Quant à une utilisation illégale du pouvoir de demander des renseignements

 

IV — Quant à la nécessité des renseignements demandés

 

V — Quant à un droit à ne pas témoigner contre soi-même

 

VI — Quant à la présomption d'innocence et aux droits d'accusé de CdF Chimie

 

VII — Quant à un renversement de la charge de la preuve

 

VIII — Observations finales et propositions

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

La firme CdF Chimie SA requiert, dans le cadre de l'article 173 du traité CEE, l'annulation d'une décision de la Commission en date du 9 novembre 1987 par laquelle cette institution lui a demandé, en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (ci-après « règlement n° 17 ») ( 1 ), de fournir certains renseignements. Cette décision se rattachait à une enquête à laquelle procédait la Commission sur l'existence présumée d'accords ou de pratiques concertées contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité dans le secteur des thermoplastiques, notamment en ce qui concerne le polyethylène basse densité (ci-après « PEBD »), produit qu'entre autres firmes CdF Chimie SA fabrique et distribue dans la CEE.

2. 

De son côté, la firme Solvay requiert, également dans le cadre de l'article 173 du traité CEE, l'annulation d'une décision de la Commission en date du 24 novembre 1987 par laquelle il lui a été demandé, en application de la même disposition du règlement n° 17, de fournir certains renseignements. La décision se rattachait aussi à l'enquête de la Commission relative au secteur des thermoplastiques, mais, cette fois, en ce qui concerne le polyvinyle chloride (ci-après « PVC »), produit fabriqué et distribué dans la CEE par Solvay, notamment.

3. 

Les deux décisions de la Commission ne concernent pas CdF Chimie SA et Solvay au titre du même produit ni, par conséquent, du même accord ou de la même pratique concertée éventuels tombant sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité. C'est la très large analogie des moyens d'annulation invoqués par ces deux firmes qui a justifié, de la part de votre Cour, l'examen des deux requêtes au cours d'une même audience et qui nous conduit, aujourd'hui, à vous exposer ensemble nos conclusions à leur sujet.

4. 

Afin d'éclairer le contexte dans lequel s'inscrivent ces deux recours, il convient de préciser que la vaste enquête menée par la Commission dans le secteur des thermoplastiques, et qui s'est concentrée respectivement sur le PEBD et le PVC, s'est poursuivie après la prise des décisions de novembre 1987. Précisons, d'ailleurs, que d'autres producteurs-distributeurs de PEBD et de PVC avaient été destinataires de décisions semblables à celles visant CdF Chimie SA et Solvay. L'enquête a abouti à l'ouverture, le 24 mars 1988, de deux procédures relatives à des infractions à l'article 85, paragraphe 1, l'une concernant le PEBD ( 2 ), l'autre le PVC ( 3 ). Au terme du déroulement de ces deux procédures, la Commission a adopté, le 21 décembre 1988, deux décisions relevant, respectivement à la charge de certains producteurs de PEBD et de PVC, des infractions à l'article 85 du traité et leur infligeant des amendes. Au nombre de ces entreprises figuraient CdF Chimie SA sous sa nouvelle appellation, Orkem SA, pour le PEBD, et Solvay pour le PVC ( 4 ). Vous savez que, de même que d'autres entreprises, Orkem SA vous a saisis, le 14 avril dernier, d'un recours en annulation contre la décision adoptée le 21 décembre 1988.

5. 

La décision litigieuse du 9 novembre 1987 concernant CdF Chimie SA avait été précédée de l'envoi, le 20 août 1987, d'une demande de renseignements au titre des paragraphes 2 et 3 de l'article 11 du règlement n° 17. C'est parce qu'elle a estimé que CdF Chimie SA avait refusé, de façon injustifiée, de lui fournir « la plupart des renseignements demandés » ( 5 ) que la Commission a adressé à cette firme, en application du paragraphe 5 de ce même article, la décision demandant des renseignements. Pareillement, c'est parce que la Commission a estimé ne pas pouvoir accepter qu'en présence de sa demande de renseignements en date du 20 août 1987 Solvay n'ait fourni « aucun des renseignements demandés ... concernant les réunions des producteurs et les ententes présumées sur les prix de vente et les quotas » ( 6 ) qu'elle lui a adressé la décision demandant des renseignements.

I — Quant à une absence de demande préalable de renseignements à CdF Chimie SA

6.

C'est à propos des deux temps de la procédure de demande de renseignements sur la base de l'article 11 du règlement n° 17, à savoir la demande simple, puis la décision demandant les renseignements, que CdF Chimie SA a invoqué, à titre principal, un moyen d'annulation qui lui est propre. Mettant en valeur la circonstance que, destinataire de la décision litigieuse demandant les renseignements, elle n'avait pas, en revanche, été préalablement destinataire de la demande « simple », celle-ci ayant été adressée à sa filiale CdF Chimie EP, et non à elle-même, CdF Chimie SA estime qu'il y a eu, en la circonstance, violation du traité CEE et de l'article 11 du règlement n° 17, notamment en son paragraphe 5.

7.

Selon le paragraphe 1 de l'article 11 du règlement n° 17, la Commission peut, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont confiées par l'article 89 du traité CEE, à savoir veiller « à l'application des principes fixés par les articles 85 et 86 », « recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des gouvernements et des autorités compétentes des États membres, ainsi que des entreprises et associations d'entreprises ». Les paragraphes 2 à 4 de l'article 11 du règlement n° 17 sont relatifs aux exigences de forme applicables à une demande de renseignements. Le paragraphe 5 de l'article 11 précise que, « si une entreprise ou association d'entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision ».

8.

Dans son arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic, votre Cour a expressément relevé qu'il résultait du texte de l'article 11 que celui-ci prévoyait

« effectivement ... une procédure en deux phases, dont la seconde, comportant l'adoption par la Commission d'une décision qui ‘précise les renseignements demandés’, ne peut être engagée que si la première phase, caractérisée par l'envoi aux entreprises ou associations d'entreprises d'une demande de renseignements, a été tentée sans succès » ( 7 ).

9.

S'appuyant sur cet arrêt, CdF Chimie SA estime la décision litigieuse irrégulière, la première phase n'ayant pas été, selon elle, accomplie à son égard, puisque, comme nous l'avons indiqué, la demande préalable de renseignements avait été adressée non à elle-même, mais à CdF Chimie EP.

10.

En réponse à ce moyen, la Commission a indiqué que CdF Chimie EP est une filiale à 100 % de CdF Chimie SA, que ces deux entreprises, même si elles constituent des entités juridiquement distinctes, font néanmoins partie du même groupe et que, suivant la jurisprudence de la Cour, en particulier son arrêt du 14 juillet 1972, ICI/Commission,

« la séparation formelle entre (des) sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne pourrait s'opposer à l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de concurrence » ( 8 ).

Selon la Commission, cette unité de comportement sur le marché en question a été particulièrement illustrée par le fait que, depuis le début des investigations menées au sujet du PEBD, CdF Chimie SA et CdF Chimie EP avaient manifestement toujours eu connaissance l'une et l'autre du courrier adressé par la Commission, quel que soit le destinataire formel. Aussi, la Commission, qui rappelle également la jurisprudence de votre Cour selon laquelle une décision est notifiée dès lors qu'elle est régulièrement entrée dans la sphère interne du destinataire, estime que la procédure en deux phases prévue par l'article 11 n'a pas été viciée.

11.

Face à ces arguments, CdF Chimie SA conteste la pertinence de la notion d'unité d'entreprise, développée par la Cour à propos de l'imputabilité d'agissements d'une filiale à une société mère, s'agissant, dans l'affaire qui la concerne, d'une question touchant à la procédure, et non au fond. Elle estime, en substance, que l'identité juridique d'une entreprise peut n'être pas déterminante sur le fond, mais qu'elle doit être strictement respectée d'un point de vue procédural, singulièrement lorsque l'acte litigieux survient à un stade de la procédure où il ne peut absolument pas être préjugé du fond, c'est-à-dire de l'unité de comportement éventuelle d'entreprises juridiquement distinctes. La requérante ajoute que la notion jurisprudentielle de « sphère interne » ne saurait être étendue du destinataire d'un acte à toutes les sociétés appartenant à un même groupe sans méconnaître le principe d'individualité et d'autonomie des personnes physiques ou morales, consacré aussi bien dans les droits nationaux que par des conventions internationales.

12.

Il est incontestable que, formellement, c'est CdF Chimie EP qui a été destinataire de la demande de renseignements datée du 20 août 1987 alors que la décision du 9 novembre 1987 a été adressée à CdF Chimie SA. D'un point de vue strictement procédural, cela apparaît, a priori, peu satisfaisant au regard des dispositions de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17. Il ne paraît pas inutile, cependant, de rappeler l'historique des diligences accomplies par la Commission, à l'égard de CdF Chimie SA et de CdF Chimie EP, dans le cadre de ses investigations au sujet d'accords ou de pratiques concertées concernant le PEBD.

13.

Le 15 janvier 1987, la Commission prend, au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, une décision de vérification dont le destinataire est: « CdF Chimie, Tour Aurore ... Paris La Défense ». On notera qu'à ce stade la Commission s'adresse à l'entreprise destinataire en ce qui concerne deux produits, le PEBD et le PVC. Cette décision est notifiée le 20 janvier 1987 à M. Henwood en sa qualité de secrétaire général de CdF Chimie EP.

14.

Le 9 avril 1987, la Commission adresse, au titre de l'article 11, paragraphes 2 à 4, du règlement n° 17, une demande de renseignements relative au seul PEBD, dont le destinataire est: « CdF Chimie SA, Tour Aurore ... Paris Défense ». Le 6 mai 1987, c'est CdF Chimie EP, dont l'adresse postale est: « Tour Aurore ... Paris-Défense », qui répond à cette demande. La lettre commence ainsi : « Nous vous prions de trouver, en annexe, les réponses que nous formulons à la demande de renseignements datée du 9 avril, qui est parvenue en nos bureaux le 15 avril 1987. »

15.

Le 2 juillet 1987, la Commission prend, en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, une décision demandant des renseignements à CdF Chimie SA, Tour Aurore (etc.). Le 28 juillet 1987, CdF Chimie EP adresse à la Commission une lettre qui débute ainsi: « Nous faisons suite à la décision de la Commission du 2 juillet 1987, notifiée à la société CdF Chimie le 9 juillet 1987 et la priant de fournir dans un délai de trois semaines un certain nombre de renseignements. »

16.

Le 20 août 1987, la Commission adresse une nouvelle demande de renseignements, mais à CdF Chimie EP cette fois. Cette firme répond par lettre du 1er octobre 1987, et c'est le 9 novembre 1987 que la Commission prend, à l'égard de CdF Chimie SA, la décision aujourd'hui attaquée devant vous.

17.

Ce déroulement des faits révèle que, même si l'on fait abstraction de la première démarche de la Commission, en date du 15 janvier 1987, concernant formellement « CdF Chimie » sans préciser « SA » ou « EP », une demande de renseignements, en date du 9 avril 1987, puis une décision demandant des renseignements, en date du 2 juillet 1987, toutes deux adressées expressément à « CdF Chimie SA », ont donné lieu à deux réponses, respectivement en date du 6 mai 1987 et du 28 juillet 1987 émanant de CdF Chimie EP. Il nous paraît important de noter que ces deux réponses ne formulent aucune observation, aucune réserve, quant à la circonstance que CdF Chimie SA devrait être distinguée de CdF Chimie EP. D'ailleurs, contrairement à ce qui a pu vous être dit à l'audience sur ce point, aucune observation n'a été adressée à la Commission, avant la survenance de la décision litigieuse, sur la nécessité de distinguer les deux sociétés. Dans l'ensemble de la correspondance échangée entre la Commission et l'une ou l'autre des deux sociétés, les premières réserves n'apparaissent que dans la réponse, en date du 26 novembre 1987, de CdF Chimie SA à la décision litigieuse du 9 novembre 1987.

18.

L'enchaînement des faits que nous venons de rappeler et les arguments des parties nous paraissent justifier les remarques suivantes.

19.

En premier lieu, nous estimons que l'on ne saurait donner tort à CdF Chimie SA lorsqu'elle soutient que l'on ne peut présumer, au stade de l'enquête, d'une unité de comportement, sur un marché déterminé, entre une société mère et sa filiale, même s'il s'agit d'une filiale à 100 %. Il faut, en effet, rappeler que, si vous considérez que

«... la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère » ( 9 ),

vous avez par ailleurs observé, dans une affaire où BMW Belgium, filiale à 100 % de BMW Munich, alléguait ne pouvoir poursuivre un objectif différent de celui assigné par la société mère, que

« le lien de dépendance économique existant entre une société mère et une société filiale n'exclut ni une diversité de comportement ni même une diversité d'intérêts entre les deux sociétés » ( 10 ).

C'est, nous semble-t-il, indiquer clairement que le statut juridique de filiale à 100 % ne permet pas à lui seul de présumer une unité de comportement sur un marché et de ne pas respecter l'identité juridique de chaque entreprise sur le plan procédural. En principe, ce n'est que lorsque la Commission a établi, en fait, l'existence de cette unité de comportement qu'elle peut en tenir compte.

20.

Cependant, il nous semble également que, en présence d'une attitude de deux entreprises faisant apparaître, avec une certaine constance, une interchangeabilité face aux actes de procédure émanant de la Commission, l'une ou l'autre de ces entreprises ne peut, au bénéfice d'un tardif scrupule de rigueur formaliste, invoquer une identité juridique qu'elle a auparavant singulièrement contribué à estomper. Avant la survenance de la décision litigieuse du 9 novembre 1987, CdF Chimie SA et CdF Chimie EP ont indiscutablement entretenu ou, à tout le moins, permis une confusion, puisque, à deux reprises, et sans aucun commentaire, CdF Chimie EP a répondu à un acte adressé à CdF Chimie SA. En l'absence de la moindre observation de la part de CdF Chimie EP, la Commission, qui connaissait par ailleurs le statut de filiale à 100 % de cette société par rapport à CdF Chimie SA et l'identité d'adresse des deux firmes, était fondée à considérer que CdF Chimie EP avait normalement qualité pour s'exprimer au nom de CdF Chimie SA sur les questions touchant au marché du PEBD et qu'il n'y avait pas de distinction à faire entre les deux entreprises. Notons, d'ailleurs, que la lettre de CdF Chimie EP du 28 juillet 1987, répondant à la décision de la Commission adressée le 2 juillet 1987 à CdF Chimie SA, indique qu'elle fait suite « à la décision ... du 2 juillet 1987, notifiée à la société CdF Chimie ». Une telle référence à « CdF Chimie » ne pouvait manquer, dans ce contexte, d'accréditer l'idée que CdF Chimie SA et CdF Chimie EP formaient, en quelque sorte, un tout.

21.

Sur la base de la notion de « sphère interne du destinataire » consacrée par votre arrêt ALMA du 10 décembre 1957 ( 11 ), nous pensons que le comportement des deux firmes concernées, où l'une, CdF Chimie SA, est destinataire d'actes auxquels l'autre, CdF Chimie EP, répond de façon apparemment normale, routinière pourrait-on dire, autorise à les regarder comme appartenant à la même « sphère interne ». Dès lors, il peut être admis que l'acte adressé à l'une entre dans la sphère interne de l'autre, et réciproquement.

22.

Un tel assouplissement de la rigueur procédurale nous semble en harmonie avec votre jurisprudence, qui, en matière de notification des décisions, fait, dans une certaine mesure, prévaloir l'effectivité de la connaissance d'une décision sur la stricte régularité formelle de sa notification. Ainsi, dans votre arrêt ICI/Commission, précité, avez-vous relevé que, la requérante ayant eu complète connaissance du texte d'une décision et ayant fait usage, dans les délais, de son droit de recours,

« la question des irrégularités éventuelles de notification devient sans intérêt » ( 12 ).

La primauté de la connaissance effective sur la stricte considération de la régularité formelle se manifeste également dans votre arrêt Continental Can, précité, où vous soulignez que

« une décision est dûment notifiée, au sens du traité, dès lors qu'elle est communiquée à son destinataire et que celui-ci est mis en mesure d'en prendre connaissance... »,

et notez que

« ... tel a été le cas en l'espèce, Continental ayant effectivement reçu communication de la décision litigieuse et ne pouvant, pour rendre sans effet cette communication, se prévaloir de son propre refus d'en prendre connaissance » ( 13 ).

23.

Votre Cour resterait, selon notre estimation, dans le droit fil de sa jurisprudence en considérant qu'une filiale, qui est apparue, dans le cadre d'échanges de correspondance se rattachant à une enquête déterminée sur la base du règlement n° 17, comme habilitée à répondre aux courriers adressés par la Commission à la société mère, appartient à la sphère interne de cette dernière, au sens de votre jurisprudence, et que, dès lors, la société mère est réputée, dans la suite de la procédure considérée, avoir eu connaissance des actes formellement adressés à la filiale.

24.

De plus, et bien que cet argument ne soit que secondaire par rapport à celui de la sphère interne, il nous semble que la notion d'« estoppel », empruntée à la common law, interdit à celui qui a créé ou laissé créer une confusion de fait de se prévaloir ultérieurement des inexactitudes procédurales que celle-ci a provoquées.

25.

Enfin, il ne sera pas indifférent à votre Cour de relever, comme l'a fait la Commission, que la confusion entre CdF Chimie SA et CdF Chimie EP s'est prolongée jusque devant vous, puisque, dans la réponse à la question que vous avez posée par écrit à CdF Chimie SA, auteur du recours dont vous êtes saisis, il est notamment indiqué: « Avant de répondre à la question qui lui est posée par la Cour, Norsolor tient à rappeler... ». Or, Norsolor est la nouvelle appellation de CdF Chimie EP, alors que le destinataire de votre question était CdF Chimie SA, devenue Orkem ... Comme à nous, il vous paraîtra peut-être difficile d'exiger de la Commission que, dans ses actes de procédure, elle y voie plus clair, en ce qui serait censé distinguer CdF Chimie SA Orkem de CdF Chimie EP Norsolor, que ces deux firmes elles-mêmes.

26.

C'est pourquoi nous vous invitons à considérer que CdF Chimie SA a eu connaissance de la demande de renseignements du 20 août 1987 adressée à CdF Chimie EP, cette dernière firme étant apparue, dans des phases antérieures de la même enquête, comme appartenant à sa sphère interne. Si vous suivez cette suggestion, vous estimerez, alors, que la condition de l'envoi préalable d'une demande de renseignements, posée par le paragraphe 5 de l'article 11, a été satisfaite et que le moyen principal invoqué par CdF Chimie SA à ce sujet se trouve dépourvu de fondement.

27.

Nous parvenons ainsi à l'examen de moyens qui sont, pour l'essentiel, semblables dans les requêtes de Solvay et de CdF Chimie SA (ci-après « CdF Chimie »). Au-delà de leur apparente diversité, ces moyens s'articulent, en vérité, autour de la préoccupation de garantir des droits de la défense au stade de l'enquête menée par la Commission lorsqu'elle cherche à rassembler des éléments d'information sur l'existence éventuelle d'accords ou de pratiques concertées contraires aux règles de concurrence du traité. Peut-être, d'ailleurs, cette articulation vous a-telle, comme à nous-même, parfois semblé incertaine, au vu des contradictions qui paraissaient opposer des griefs entre eux ou qui paraissaient affecter intrinsèquement le développement de tel ou tel grief. Ainsi, la cohérence entre l'affirmation suivant laquelle les renseignements demandés n'étaient pas nécessaires, la Commission disposant déjà d'éléments à charge suffisants contre les entreprises « questionnées », et l'allégation que la Commission, en posant des questions globales et très générales, cherchait à rènverser la charge de la preuve et à laisser aux entreprises, par la réponse à ces vastes questions, le soin d'établir elles-mêmes à leur encontre les preuves que la Commission n'avait pu rassembler, n'apparaît pas, de prime abord, très évidente. De même, la consistance d'un droit au silence ou à ne pas s'incriminer qui s'effacerait dès lors que la Commission ferait état d'indices précis peut paraître éloignée de l'idée que les juristes se font, en général, d'un tel droit.

28.

Mais, derrière ces apparentes contradictions, il y a une logique, que l'audience a assez bien mise en lumière, celle d'une revendication des entreprises requérantes tendant à ce que le questionné sache ce que sait déjà le questionneur. Nous pensons ne trahir la pensée de qui que ce soit en disant qu'il s'agit ainsi de permettre aux entreprises, dans le cadre des enquêtes menées par la Commission en matière de concurrence, de savoir ce qu'elles peuvent encore dissimuler. Disons-le aussitôt, cela n'est nullement choquant. C'est précisément l'essence même de la défense que de se prévaloir de toute la latitude laissée par les règles de droit et de s'efforcer de faire admettre comme droit positif la conception la plus extensive de cette latitude. Les entreprises requérantes sont donc parfaitement dans leur rôle en développant une série d'arguments tendant à voir consacrer leur « droit de savoir » au stade de l'enquête. Mais c'est votre rôle que de préciser la portée des règles juridiques applicables à ce stade et de dire si, en définitive, un tel droit existe.

29.

C'est donc dans la perspective générale de répondre à cette question qu'il convient d'examiner les différents moyens soulevés par les requérantes.

II — Quant au caractère de « communication des griefs » des décisions litigieuses

30.

Nous vous proposons d'examiner en premier lieu le moyen d'annulation invoqué à titre principal par Solvay, qui est pratiquement identique au deuxième moyen invoqué à titre subsidiaire par CdF Chimie. Les deux firmes allèguent que les décisions litigieuses constitueraient en réalité des communications de griefs déguisées derrière l'apparence de décisions ordonnant la fourniture de renseignements et que, dans ces conditions, la Commission aurait violé, outre le règlement n° 17 du Conseil, son propre règlement n° 99/63 ( 14 ) et le principe des droits de la défense, qualifié de « principe général » par Solvay et de « principe fondamental » par CdF Chimie. Schématiquement, le raisonnement des requérantes consiste à dire que les décisions attaquées comportent, à leur égard, une accusation formelle d'avoir participé à une entente contraire à l'article 85, accusation à l'appui de laquelle la Commission affirme, dans le texte même des décisions, détenir des éléments de preuve. Aussi, dès lors que la Commission aurait ainsi formulé des griefs d'infraction à l'article 85, elle aurait dû respecter les conditions prévues par le règlement n° 17 et le règlement n° 99/63 en ce qui concerne les droits de la défense, c'est-à-dire faire connaître aux entreprises visées les données sur lesquelles reposaient les griefs et leur donner la possibilité de s'expliquer sur ces données, sans que ces firmes puissent, désormais, être dans l'obligation de répondre à quelque question que ce soit. Or, les décisions litigieuses ne comporteraient pas de description précise des données justifiant les griefs formulés et prétendraient contraindre les entreprises, sous la menace d'amende ou d'astreinte, à répondre à des demandes de renseignements.

31.

La Commission répond, en substance, que la phase de l'enquête serait distincte de la communication des griefs et antérieure à celle-ci, et que c'est pour se conformer aux exigences de l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17, relatif aux demandes de renseignements, qu'elle aurait fait état d'éléments de preuve relatifs à l'infraction visée par l'enquête. La mention de tels éléments ne serait nullement caractéristique d'une communication de griefs au sens de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et les entreprises concernées ne seraient pas fondées à invoquer la méconnaissance des droits de la défense qui assortissent cette communication.

32.

Comme le rappel des principaux arguments ‘échangés l'a déjà fait apparaître, le moyen selon lequel les décisions litigieuses constitueraient des communications de griefs déguisées doit son intérêt au fait que, suivant le régime juridique défini par le règlement n° 17 et le règlement n° 99/63, la protection des droits de la défense est prise en compte de façon beaucoup plus importante dans le cadre de la communication des griefs que dans celui des actes d'enquête proprement dits de la Commission.

33.

Selon l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17, « avant de prendre les décisions prévues aux articles 2, 3, 6, 7, 8, 15 et 16, la Commission donne aux entreprises et associations d'entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission ». S'agissant plus particulièrement de l'action de la Commission en vue de faire cesser des infractions à l'article 85, paragraphe 1, ou de les sanctionner, il faut noter que l'article 19, paragraphe 1, s'applique avant la prise d'une décision obligeant « les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée » ( 15 ) et avant la prise d'une décision infligeant des amendes aux « entreprises et associations d'entreprises » qui, «de propos délibéré ou par négligence ... commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1 » ( 16 ).

34.

Le règlement n° 99/63 prévoit, par le paragraphe 1, première phrase, de son article 2, que « la Commission communique par écrit aux entreprises et associations d'entreprises les griefs retenus contre elles » et, par son article 3, que « les entreprises et associations d'entreprises expriment par écrit et dans le délai imparti leur point de vue sur les griefs retenus contre elles » en pouvant « exposer tous les moyens et faits utiles à leur défense dans leurs observations écrites », « joindre en tant que de besoin des documents » et « proposer que la Commission entende des personnes qui sont susceptibles de confirmer les faits invoqués ». En outre, l'article 7, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que « la Commission donne aux personnes qui l'ont demandé dans leurs observations écrites l'occasion de développer verbalement leur point de vue si celles-ci ont justifié d'un intérêt suffisant à cet effet ou si la Commission se propose de leur infliger une amende ou ’une astreinte ». Enfin, l'article 4 du même règlement prévoit que, dans ses décisions, « la Commission ne retient contre les entreprises et associations d'entreprises destinataires que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue ».

35.

La « consistance » de la communication des griefs a été précisée par votre jurisprudence. Dans votre arrêt Hoffmann-La Roche du 13 février 1979, vous avez déduit tant des dispositions précitées des règlements nos 17 et 99/63 que du principe général des droits de la défense « dont elles font application » que le respect de ces droits

« exige que l'entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances alléguées et sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction » ( 17 ).

36.

Mais, ainsi qu'il résulte formellement de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17, les décisions prises sur le fondement de ses articles 11 ou 14 ne relèvent pas du régime juridique dont nous venons de rappeler les grands traits. Votre arrêt National Panasonic, précité, se montre sur ce point très précis. En présence de la thèse suivant laquelle une entreprise aurait été privée du droit d'être entendue avant qu'une décision de vérification ne soit prise en application de l'article 14, paragraphe 3, vous avez indiqué que

« un tel droit de défense s'inscrit principalement dans le cadre des procédures judiciaires ou administratives visant à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, telles que les procédures visées par le règlement n° 99/63 ... Par contre, la procédure de vérification ... ne vise pas à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, mais a uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée ».

Et vous ajoutez que c'est seulement

« si la Commission estime que les éléments d'appréciation ainsi réunis justifient l'ouverture d'une procédure au sens du règlement n° 99/63, précité, que l'entreprise ou l'association d'entreprises concernée doit, avant qu'une telle décision ne soit prise, être entendue » ( 18 ).

37.

Cette très nette différenciation de régime entre la vérification, se rattachant au pouvoir d'enquête de la Commission, et la communication des griefs « premier acte de la procédure administrative » proprement dite, ainsi que l'a rappelé votre arrêt Hoffmann-La Roche, précité ( 19 ), est sans nul doute d'application à l'égard de l'autre modalité d'investigation à la disposition de la Commission dans le cadre de son pouvoir d'enquête, à savoir la demande de renseignements. De façon analogue à la vérification, la demande de renseignements ne vise pas à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, mais a uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir les informations nécessaires pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée. Elle ne donne donc pas lieu non plus à l'application des droits de la défense prévus dans le cas où la Commission estime réunies les conditions justifiant l'ouverture d'une procédure. Nous souscrivons tout à fait, sur ce point, à l'analyse de la Commission et de la République française. Elle n'est d'ailleurs discutée par personne, même pas par la doctrine qu'invoquent les requérantes à l'appui de certaines de leurs thèses. En effet, M. Asteris Phakos indique, dans son récent ouvrage intitulé Les droits de la défense et le droit communautaire de la concurrence, que « ce n'est qu'à l'issue de l'instruction que les entreprises peuvent présenter leurs observations au sujet des griefs que la Commission se propose de retenir contre elles dans ses décisions » ( 20 ).

38.

Aussi, nous estimons que le moyen présentement examiné ne serait éventuellement fondé que si les décisions litigieuses apparaissaient non comme ayant pour objet de permettre à la Commission la récolte des informations nécessaires pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée, mais comme manifestant que les éléments d'appréciation dont elle dispose sont de nature à justifier, de façon quasiment certaine, l'ouverture d'une procédure administrative au sens du règlement n° 99/63 et de votre jurisprudence précédemment analysée. Qu'en est-il?

39.

La décision du 9 novembre 1987 visant CdF Chimie indique que la Commission enquête sur l'« existence présumée d'accords ou de pratiques concertées » ( 21 ) contraires à l'article 85, paragraphe 1, dans le secteur des thermoplastiques, auquel appartient le PEBD, produit et distribué par CdF Chimie, et que, par l'exercice de vérifications et de demandes de renseignements antérieures auprès de la requérante et d'autres entreprises, elle est en mesure de « supposer la participation » ( 22 ) de CdF Chimie à la fixation d'objectifs de prix de vente et à l'instauration de quotas ou d'objectifs en matière de volume par les producteurs qui fournissent les thermoplastiques dans le marché commun. La Commission rappelle ensuite qu'elle a adressé le 20 août 1987 à la requérante une demande de renseignements et expose les raisons invoquées par cette dernière pour ne pas fournir la plupart d'entre eux. Ces raisons s'analysent, pour l'essentiel, en une contestation du droit de la Commission de demander les renseignements en cause. Puis, rappelant les dispositions de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, ainsi que celles des articles 15, paragraphe 1, sous b), et 16, paragraphe 1, sous c), du même texte, relatives au pouvoir de la Commission d'infliger des amendes ou des astreintes aux entreprises qui fournissent des renseignements inexacts ou refusent de fournir des renseignements complets ou exacts, la Commission arrête la décision demandant à la requérante de fournir, dans un délai de deux semaines, des renseignements précisés dans une annexe.

40.

Les renseignements demandés figurent, dans l'annexe, sous quatre intitulés. Sous le premier, « Réunion des producteurs », il est indiqué: « Les éléments de preuve dont dispose la Commission montrent que votre entreprise a été parmi celles qui ont participé à ces réunions. » Il est ajouté que la requérante « en a même organisé quelques-unes ». Suivent alors des questions dont nous ne développerons pas le détail. Elles concernent la date, le lieu, la fréquence des réunions, l'indication de celles auxquelles CdF Chimie était représentée, l'indication des autres entreprises participantes, la régularité de leur participation, l'indication de l'identité et/ou de la qualité des personnes représentant les entreprises. La Commission demande copie de tout document concernant ces réunions, établi avant, pendant ou après celles-ci.

41.

Sous l'intitulé « Prix d'objectif ou prix minimal », la Commission indique que, selon les documents obtenus par elle, l'un des principaux sujets abordés lors des réunions concernait les initiatives visant à fixer et maintenir, pour le PEBD, des niveaux de prix satisfaisant tous les participants. Suivent des questions sur chaque initiative susceptible d'avoir été discutée, proposée, envisagée ou approuvée par les participants, depuis le 1er janvier 1976, avec les dates et les tableaux de prix, puis sur les instructions de prix adressées par le siège social de la requérante à ses agents et sur les rapports adressés par ces derniers au siège social. Nous relevons en particulier la demande de fournir copie de tout document, « quel qu'il soit, en possession de votre entreprise qui démontre les prix de vente visés ou recommandés pour les qualités principales dans chaque pays du marché commun ».

42.

Sous l'intitulé « Quotas, objectifs ou répartition entre les producteurs de PEBD », la Commission indique que, selon les documents qu'elle a obtenus, les réunions ont vu les producteurs mettre au point la fixation d'objectifs de vente annuels pour chaque entreprise, une estimation portant sur l'ensemble du marché européen disponible étant effectuée, puis celui-ci étant réparti entre les producteurs. Suivent des questions sur les méthodes de répartition, le contrôle du respect des quotas, les renseignements communiqués par la requérante à d'autres producteurs sur sa propre production de PEBD ou ses propres ventes.

43.

Sous l'intitulé « Déclarations transmises à la Fides et statistiques fournies par celle-ci », suivent des questions sur les échanges d'informations de la Fides pour le PEBD, en particulier pour ce qui concerne les informations adressées à cette société par la requérante et celles reçues chaque mois de ladite société.

44.

Au-delà du détail des renseignements demandés, il est intéressant de noter que, alors que le début de la décision, notamment la page 1, avait recours au conditionnel, c'est l'indicatif qui est généralement utilisé dans toute l'annexe. C'est ainsi que l'on demande à la requérante d'indiquer la ou les réunions auxquelles elle « a participé », l'identité et la qualité des personnes qui « la représentaient », de fournir copie de tout document « qui démontre les prix de vente visés ou recommandés pour les qualités principales dans chaque pays du marché commun », d'indiquer encore quels renseignements « ont été communiqués » par elle à un ou plusieurs autres producteurs concernant le tonnage de sa production ou de ses ventes de PEBD, etc.

45.

Pour ce qui concerne, maintenant, la décision litigieuse en date du 24 novembre 1987 concernant Solvay, il suffit de mentionner que, réserve faite de certaines différences quant aux dates et de ce que le produit en cause, parmi les thermoplastiques, n'est plus le PEBD, mais le PVC, les renseignements sont demandés suivant la même formulation qu'à CdF Chimie. On remarque, toutefois, que leur nombre est moindre que dans le cas de CdF Chimie alors que les demandes préalables adressées à ces deux firmes étaient quasiment identiques. Cela est peut-être dû au fait que, contrairement à CdF Chimie, Solvay a accepté de fournir certains des renseignements préalablement demandés au sujet des réunions, des prix, des quotas et des renseignements fournis à la société Fides.

46.

La première remarque qui s'impose, au vu du libellé des deux décisions litigieuses, c'est qu'elles indiquent que les deux firmes destinataires sont, sur la foi d'informations recueillies par voie de vérifications ou de demandes de renseignements, soupçonnées d'avoir participé à des accords entre producteurs prohibés par l'article 85, paragraphe 1. Un tel constat ne nous conduit cependant pas à considérer que ces décisions ont pour objet de formuler le grief de commission d'une infraction à cette disposition. En effet, il nous semble que, en faisant état du soupçon de l'existence d'accords contraires à l'article 85, paragraphe 1, pour justifier les demandes de renseignements qu'elle formule, la Commission n'a fait que se conformer à l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17, qui précise qu'elle doit indiquer le but de sa demande. A propos de la décision de vérification, dont l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 prévoit également qu'elle doit indiquer le but de la vérification, votre Cour a estimé, dans son arrêt National Panasonic, qu'en mentionnant comme but poursuivi la vérification

« des circonstances de nature à faire ressortir l'existence éventuelle d'une interdiction d'exporter contraire au traité » ( 23 )

la Commission avait donné à sa décision une motivation satisfaisant aux exigences du règlement n° 17. Cette solution doit être transposée au but de la demande de renseignements. En faisant état du soupçon d'existence d'une infraction, la Commission ne fait que se conformer aux exigences de l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17 relatives au but de la demande de renseignements. Aussi, l'indication du soupçon d'existence d'accords entre producteurs de PEBD ou entre producteurs de PVC ne saurait, a priori, être considérée comme l'indice de ce que les décisions litigieuses ne sont pas des demandes de renseignements.

47.

La circonstance que le soupçon d'existence d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, est, en outre, « personnalisé » à l'égard des requérantes, en ce sens qu'il est précisé qu'elles sont suspectées d'y avoir participé, ne nous conduit pas non plus, dans les circonstances de l'affaire, à estimer que les décisions en cause perdent le caractère de demandes de renseignements et se révèlent comme des communications de griefs. A partir du moment où la mention d'un soupçon d'infraction à l'article 85, paragraphe 1, de la part des producteurs européens de PEBD et de PVC, répond aux exigences légales, le fait de préciser formellement à un producteur européen de PEBD ou de PVC, destinataire d'une demande de renseignements, qu'il est suspecté d'avoir participé à l'éventuelle infraction en question ne nous paraît pas, en soi, dénaturer la demande de renseignements en communication de griefs. La formulation de soupçons à l'égard d'une entreprise ne pourrait s'analyser en énoncé de griefs que si la Commission apparaissait, dans sa décision, comme s'en tenant à ces soupçons pour considérer l'entreprise coupable de l'infraction, sans qu'elle ait vraiment besoin d'informations nouvelles afin d'asseoir cette conviction. Or, tel n'est pas le cas dans les décisions litigieuses.

48.

Certes, l'utilisation de l'indicatif dans la formulation même des renseignements demandés aboutit à ce que ceux-ci se présentent, apparemment, non comme le moyen d'établir s'il y a effectivement eu ou non infraction de la part de l'entreprise concernée, mais comme celui de préciser la portée d'une infraction dont l'existence paraît acquise. A ce titre, cette rédaction nous paraît regrettable. L'appréciation que l'on doit porter sur ses conséquences mérite cependant d'être quelque peu nuancée. En effet, nous estimons que, selon votre jurisprudence, l'existence d'imputations présentant déjà un certain degré de précision à l'égard d'une entreprise n'est pas incompatible avec une demande de renseignements et, par conséquent, que la formulation de ces imputations n'est pas exclusive d'une telle demande.

49.

Comme nous l'avons rappelé précédemment, on peut déduire de votre arrêt National Panasonic que la distinction essentielle entre actes d'investigation et ouverture d'une procédure proprement dite, exigeant alors la communication des griefs, réside en ce que les premiers ont pour objet de permettre la récolte des informations nécessaires pour vérifier

« la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée » ( 24 )

alors que la seconde n'intervient que lorsque la conviction de la Commission est forgée et que celle-ci estime que les éléments d'appréciation réunis justifient l'ouverture d'une procédure. Or, nous sommes ici en présence de décisions qui, bien que formulant déjà, à l'égard des entreprises visées, des imputations de participation à une infraction, leur demandent aussi, incontestablement, de nombreux renseignements. Nous pensons que, ce faisant, la Commission tend à recueillir des renseignements de nature à vérifier au moins la portée de l'infraction qu'elle soupçonne. Dès lors que ces demandes apparaissent comme substantielles, et non comme mineures ou artificielles, on ne peut considérer que la Commission a arrêté sa conviction. La communication des griefs n'intervient, selon votre jurisprudence, que lorsque la Commission estime que les éléments d'appréciation réunis sont suffisants pour ouvrir la procédure stricto sensu. Ce qui veut dire qu'à ce stade elle n'a plus d'informations à recueillir pour forger sa conviction. Le fait de demander des renseignements dont la consistance est tangible, incontestable, est le signe même de ce que l'on n'en est pas encore arrivé au stade où la Commission estime disposer d'éléments d'appréciation suffisants, fût-ce simplement sur la portée, et non plus sur la réalité, d'une infraction. Inversant la proposition, nous pourrions dire que le caractère substantiel des renseignements demandés interdit de présumer que la Commission a déjà la conviction de l'existence d'une situation justifiant, de façon certaine, inéluctable, l'ouverture d'une procédure.

50.

Nous n'avons pas besoin de rappeler à votre Cour, après le résumé que nous en avons fait, l'ampleur des demandes de renseignements formulées dans les décisions attaquées. Nous estimons, dans ces conditions, que, quelles que soient les imputations explicitement ou implicitement formulées dans ces décisions à l'égard des requérantes, l'importance objective des renseignements qui leur sont demandés interdit d'analyser lesdites décisions comme des communications de griefs déguisées sous la forme de demandes de renseignements. Aussi, les moyens des requêtes sur ce point ne nous paraissent pas fondés.

III — Quant à une utilisation illégale du pouvoir de demander des renseignements

51.

Nous vous proposons de procéder, maintenant, à l'examen d'un certain nombre d'arguments développés par CdF Chimie. Dans le cadre de son premier moyen subsidiaire, globalement fondé sur une violation du règlement n° 17 et des principes fondamentaux des droits de la défense, cette firme invoque un argument selon lequel la Commission ne pourrait prétendre obtenir des informations et des remises de documents qui, par leur nature et leur ampleur, ne constituent pas des renseignements au sens de l'article 11 du règlement n° 17. La requérante souligne que, par la décision litigieuse, la Commission demanderait non pas des renseignements, mais chercherait à recueillir des documents et informations, renversant ainsi l'ordre normal de l'enquête. Elle précise que, si la Commission peut, selon l'article 11, recueillir tous les renseignements nécessaires, elle ne peut, en revanche, contraindre les entreprises elles-mêmes à accomplir cette mission sans dénaturer cette disposition. CdF Chimie ajoute enfin que, dès lors que la demande de renseignements fait suite, comme en l'espèce, à une vérification effectuée en application de l'article 14 du règlement n° 17, elle doit tendre à obtenir des précisions sur des points particuliers non convenablement éclaircis, et non présenter une ampleur telle qu'elle reviendrait à obtenir de l'entreprise visée qu'elle établisse, au lieu et place de la Commission, un entier dossier consignant avec pièces à l'appui ses propres aveux et le résultat d'investigations menées par elle-même auprès des autres producteurs.

52.

Nous devons avouer à votre Cour que la signification juridique des griefs ainsi formulés ne nous est pas apparue immédiatement avec toute la clarté souhaitable. A la réflexion, il semble, toutefois, que l'on puisse comprendre les arguments en question comme contestant le pouvoir pour la Commission de demander par la voie de l'article 11:

1)

des renseignements que l'entreprise concernée ne détient pas encore et qui supposeraient qu'elle les collecte auprès de tiers;

2)

des documents, ceux-ci devant être recherchés sur la base de l'article 14;

3)

des renseignements autres que des éclaircissements sur des points particuliers non clarifiés par une vérification antérieure, dès lors qu'une telle vérification aurait eu lieu, ce qui exclut des demandes de grande ampleur.

53.

La Commission a répondu sur ces différents points en indiquant que rien dans le règlement n° 17 ne permet de penser que le terme de renseignements exclurait des documents comportant les renseignements en question et que, par ailleurs, en utilisant l'expression « tous renseignements nécessaires », l'article 11 de ce texte aurait écarté toute idée de limite quantitative.

54.

Il ne nous semble pas que les arguments de la requérante doivent vous retenir très longtemps.

55.

Tout d'abord, il est clair que la Commission ne peut exiger, de la part d'une entreprise, que des renseignements que celle-ci détient déjà, même si elle doit, le cas échéant, les formaliser. La demande de renseignements ne peut viser à faire rechercher, par une entreprise, des informations détenues par des tiers. Aussi, une demande tendant à obtenir des renseignements que la Commission sait n'être pas détenus ou ne pouvoir l'être par l'entreprise concernée serait-elle certainement irrégulière. Encore faut-il que cette irrégularité résulte de données objectives, et non des seules déclarations de l'entreprise. Dans la présente affaire, il ne résulte ni du libellé de la décision litigieuse ni d'un autre élément du dossier que la Commission aurait demandé à CdF Chimie des renseignements que celle-ci ne détenait manifestement pas ou qu'elle ne pouvait manifestement détenir. Même lorsque, par exemple, il est question de réunions auxquelles CdF Chimie n'a pas participé, la décision demande des renseignements à propos de chaque réunion « connue » ( 25 ). Si aucune donnée objective ne permet de déceler que les renseignements sont sciemment demandés à une entreprise qui ne les détient pas ou ne peut les détenir, il appartient à celle-ci d'apporter la preuve de l'irrégularité alléguée, au besoin dans le cadre d'une action devant votre Cour contre une décision de la Commission infligeant une amende pour fourniture de renseignements inexacts ou une astreinte afin d'obtenir des renseignements complets et exacts. Mais, en l'absence de manifestation objective d'une telle irrégularité, la décision attaquée ne peut encourir de critique sur ce point.

56.

En ce qui concerne la possibilité, contestée par la requérante, d'obtenir des documents par la voie d'une demande de renseignements, il convient de noter que rien, dans le règlement n° 17, ne donne à penser que la vérification de l'article 14 serait une voie exclusive d'obtention de documents. Votre jurisprudence a même, comme l'a justement relevé la Commission, consacré la solution inverse, puisque, dans votre arrêt AM & S du 18 mai 1982 ( 26 ), après avoir rappelé que les dispositions des articles 11 et 14 du règlement n° 17 prévoyaient que la Commission pouvait recueillir les renseignements et procéder aux vérifications nécessaires pour la poursuite des infractions aux règles de concurrence, vous avez estimé que la correspondance entre avocat et client, pour autant qu'elle porte sur l'activité de l'entreprise « client » sur le marché, relève de la catégorie des « documents visés aux articles 11 et 14 ». Indirectement, mais expressément, vous avez ainsi admis que des documents pouvaient être obtenus aussi bien sur la base de l'article 11 que sur celle de l'article 14. D'ailleurs, en concluant dans une affaire précédente, l'avocat général M. Warner avait évoqué cette possibilité en indiquant que

« l'article 11 habilite la Commission à chercher à obtenir, si nécessaire par la contrainte, la coopération de l'entreprise concernée en vue de la collecte de renseignements qui peuvent ou ne peuvent pas être contenus dans des documents en possession de l'entreprise » ( 27 ).

Nous ne voyons rien à ajouter sur ce point, qui nous semble suffisamment éclairci.

57.

Enfin, nous devons vous avouer que nous n'avons trouvé nulle trace, dans le règlement n° 17 ou dans votre jurisprudence, d'indications dont il résulterait que l'utilisation préalable, par la Commission, du pouvoir de vérification de l'article 14 limiterait, dans le cadre de la même enquête, l'étendue du pouvoir de demander des renseignements sur la base de l'article 11. Nous avons relu les arrêts cités à l'audience par le représentant de CdF Chimie, mais sans y trouver le moindre élément accréditant la thèse selon laquelle, après une vérification, une demande de renseignements ne pourrait avoir pour objet que de préciser les éléments d'informations déjà recueillis. En fait, il semble que CdF Chimie ait interprété de façon quelque peu erronée votre arrêt National Panasonic.

58.

Dans cet arrêt, vous avez indiqué que les agents mandatés par la Commission, en effectuant une vérification, avaient le pouvoir de demander, au cours de celle-ci,

« des renseignements sur des questions concrètes spécifiques découlant des livres et des documents professionnels qu'ils examinent » ( 28 ),

ce qui signifie qu'au cours d'une vérification les agents de la Commission disposent d'un pouvoir de demander des renseignements limités. Cela se justifie par la circonstance, mise en valeur dans l'arrêt, qu'une décision demandant des renseignements doit obligatoirement être précédée d'une demande simple de renseignements, alors qu'une décision de vérification peut être prise sans que la Commission ait essayé au préalable d'effectuer une vérification par simple mandat. C'est pourquoi la possibilité de demander des renseignements au cours d'une vérification doit être limitée, afin que la Commission ne soit pas tentée de recueillir couramment des renseignements par ce biais, se dispensant ainsi du préalable de la demande simple. Mais nous ne voyons pas en quoi cela impliquerait une limitation du pouvoir de demander, dans le respect de la procédure en deux phases de l'article 11, des renseignements consécutivement à une vérification.

59.

Comme l'avait déjà fait M. Warner, dans ses conclusions précitées, il nous parait utile ici de vous rappeler les termes d'un arrêt que vous avez rendu à propos de l'article 47, alinéa 1, du traité CECA. Selon cette disposition, « la Haute Autorité peut recueillir les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Elle peut faire procéder aux vérifications nécessaires ». Dans votre arrêt du 14 avril 1960, Acciaieria di Brescia, vous avez relevé que cette disposition fixait,

« d'une part, les obligations de renseignement des entreprises et, d'autre part, l'étendue des investigations qui peuvent être concomitantes » ( 29 ).

Puis vous avez indiqué que la requérante dans l'affaire dont vous étiez saisis ne pouvait prospérer dans sa prétention de voir exercer l'information et la vérification

« en deux phases distinctes et successives, subordonnées l'une à l'autre selon une préséance que le texte ignore » ( 30 ).

60.

Bien qu'il s'agisse, présentement, non de l'article 47 du traité CECA, mais du règlement n° 17, nous pensons que, pareillement, rien, ni dans ce dernier texte ni dans votre jurisprudence, ne permet de conclure à une « préséance » ou un lien de subordination entre la demande de renseignements et la vérification. Nous rejoignons donc sur ce point la position de la Commission, qui estime que ces deux moyens d'investigation sont relativement autonomes et qu'elle peut avoir recours à l'un ou à l'autre, ou à l'un puis à l'autre, suivant les nécessités des enquêtes qu'elle mène, et sans que le recours à l'un restreigne les possibilités du recours ultérieur à l'autre.

61.

Ainsi, aucun des arguments invoqués par CdF Chimie quant à une utilisation irrégulière du pouvoir de demander des renseignements ne paraît convaincant.

IV — Quant à la nécessité des renseignements demandés

62.

Il paraît nécessaire, maintenant, de procéder à l'examen d'un argument pour ainsi dire commun à CdF Chimie et à Solvay, celui selon lequel les renseignements demandés par les décisions litigieuses n'étaient pas nécessaires au sens de l'article 11 du règlement n° 17. A cet argument qui constitue la deuxième branche du moyen subsidiaire invoqué par Solvay et le deuxième argument du premier moyen subsidiaire invoqué par CdF Chimie, on peut rattacher le troisième argument de ce dernier moyen, relatif à la violation du principe de proportionnalité.

63.

Selon les requérantes, la Commission aurait demandé des renseignements qui n'étaient pas nécessaires, puisqu'elle leur avait indiqué qu'elle disposait d'éléments de preuve permettant de conclure à l'existence d'une infraction et à leur participation à celle-ci. Or, l'article 11 du règlement n° 17 ne donne pouvoir à la Commission que de demander les renseignements nécessaires. Les requérantes soulignent qu'il ne suffit pas, à cet égard, que les renseignements soient simplement utiles. En outre, CdF Chimie estime que la décision la concernant viole le principe de proportionnalité en exigeant d'elle la fourniture de documents et renseignements sans commune mesure avec ceux que la Commission prétend déjà détenir et sans indication précise permettant d'apprécier le caractère nécessaire de la demande.

64.

La Commission répond que, si l'article 11 comporte effectivement un critère de nécessité, elle dispose, suivant votre jurisprudence, d'un large pouvoir pour apprécier cette nécessité. Elle ajoute que, loin d'avoir affirmé qu'elle disposait déjà d'éléments prouvant la culpabilité des requérantes, elle aurait eu le souci, par les demandes de renseignements, de poursuivre son enquête afin de ne pas accuser à la légère les entreprises mises en cause et de déterminer avec précision la responsabilité de chacune. Aussi se déclare-telle surprise du grief qui lui est fait, car une autre attitude de sa part dans des procédures en matière de concurrence l'exposerait à la censure de votre Cour pour insuffisance de preuves.

65.

Il est exact que l'usage des pouvoirs d'investigation accordés à la Commission par l'article 11, et aussi par l'article 14, du règlement n° 17, doit, suivant les termes mêmes de ces dispositions, être justifié par la nécessité. La Commission peut recueillir « tous les renseignements nécessaires auprès ... des entreprises et associations d'entreprises » ( 31 ), et elle peut procéder à « toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d'entreprises » ( 32 ). Il est également exact que vous reconnaissez à la Commission un large pouvoir d'appréciation de cette nécessité. Ainsi, analysant, dans votre arrêt National Panasonic, les dispositions de l'article 11, vous parlez des « renseignements que la Commission juge opportun de connaître » ( 33 ). Plus récemment, dans votre arrêt AM & S, vous avez noté, à propos de l'article 14, paragraphe 1, que, la Commission pouvant exiger les documents

« qu'elle juge ‘nécessaire’ de connaître pour pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence du traité, il s'ensuit qu'en principe il appartient à la Commission elle-même, et non à l'entreprise intéressée ou à un tiers, expert ou arbitre, de décider si un document doit ou non lui être présenté » ( 34 ).

66.

L'appréciation de la nécessité des renseignements ou vérifications ne peut cependant être laissée à la totale discrétion de la Commission. La doctrine a souligné certaines des exigences de la notion de nécessité. Ainsi, MM. Thiesing, Schröter et Hochbaum indiquent-ils que « la Commission ne peut faire usage de ses droits au titre de l'article 11 que lorsque et dans la mesure où cela paraît indispensable pour atteindre le but dans lequel les renseignements sont demandés ». Ils ajoutent que « le droit de demander des renseignements ne peut donc être utilisé pour recueillir des faits qui sont déjà connus de la Commission ou communément accessibles » et que « sont en outre irrecevables des demandes de renseignements qui visent uniquement à faciliter la tâche de l'administration ». Enfin, ils soulignent que « le moyen de la demande de renseignements doit être proportionné au but poursuivi » ( 35 ). Cependant, on ne peut affirmer que, selon votre jurisprudence, le contrôle de votre Cour doive s'exercer sur le respect absolu, « au millimètre près », des prescriptions résultant de ces opinions autorisées. En vérité, il semble que, compte tenu du pouvoir que vous reconnaissez à la Commission pour apprécier la nécessité, vous vous attachiez à vérifier si les mesures d'investigation décidées par celle-ci ne sont pas excessives, disproportionnées.

67.

Dans votre arrêt Acciaieria di Brescia, précité, vous avez, à propos de l'article 47 du traité CECA, indiqué que

« la nécessité des informations exigées par la Haute Autorité doit très certainement résulter de la décision »

et qu'à cet égard

«seul le but poursuivi peut servir de critère » ( 36 ).

Par la suite, et toujours à propos de mesures d'investigation prises par la Haute Autorité dans le cadre de la même disposition, vous avez indiqué que

« la limite des pouvoirs de la Haute Autorité dans l'application de l'article 47 est déterminée par les nécessités du contrôle » ( 37 )

et qu'il appartenait à votre Cour de

« vérifier si les mesures d'investigation prises par la Haute Autorité n'étaient pas excessives » ( 38 ).

Dans ce cadre, vous avez estimé qu'une demande de production de factures d'électricité par des entreprises

« n'était pas abusive et hors de proportion avec le but à atteindre » ( 39 ).

68.

S'agissant, cette fois-ci, du traité CEE et du règlement n° 17, vous avez estimé, à propos d'une décision de vérification, non précédée d'un mandat de vérification, et à l'égard de laquelle était invoquée une violation du principe de proportionnalité, en ce sens qu'une vérification sur mandat aurait suffi, que

« la décision attaquée visait uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l'existence éventuelle d'une violation du traité »

et qu'il n'apparaissait donc pas

« que la Commission ait, en l'espèce, agi de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi et ait, de ce fait, méconnu le principe de proportionnalité » ( 40 ).

69.

Si l'on s'efforce de tenir compte à la fois de la marge d'appréciation qu'il convient de laisser à la Commission et de l'esprit de la jurisprudence que nous venons de citer, il nous semble que votre contrôle devrait envisager la nécessité des demandes de renseignements sous deux aspects, d'ailleurs complémentaires. Le premier est celui de l'adéquation de l'objet des demandes au but poursuivi. Concrètement, cela signifie que les renseignements demandés par la Commission doivent concerner des informations apparemment liées avec l'infraction qu'elle recherche. Le second aspect est celui de l'adéquation de l'ampleur des renseignements demandés au but poursuivi. Il exprime le souci que, même objectivement justifiés par la recherche d'une infraction, les renseignements demandés n'apparaissent pas, de façon manifeste — nous soulignons ce point —, comme démesurés, excessifs, pour atteindre ce but.

70.

C'est dans une telle optique qu'il y a lieu, selon nous, d'examiner si les demandes de renseignements formulées par les décisions litigieuses étaient « nécessaires » au sens de l'article 11 du règlement n° 17.

71.

S'agissant, tout d'abord, des réunions de producteurs, la Commission indique respectivement à CdF Chimie et à Solvay que les éléments de preuve dont elle dispose montrent qu'elles ont participé à de telles réunions, précisant que la première firme en a organisé quelques-unes. Un tel point de départ ne fait, à notre sens, nullement obstacle à ce que soient demandés, comme c'est le cas dans les deux décisions litigieuses, des renseignements sur le calendrier des réunions, leurs lieux, l'identité des entreprises participantes, la qualité des personnes représentant lés entreprises et l'identité des représentants des requérantes dans ces réunions. De tels renseignements apparaissent, au contraire, comme de nature à permettre de cerner avec précision des éléments constitutifs d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, plus particulièrement pour caractériser l'existence des « accords entre entreprises » visés par cette disposition. Ils ne peuvent, a priori, être considérés comme non nécessaires. A l'égard des requérantes, en particulier, il ne paraît nullement indifférent de mesurer précisément l'importance de leur participation aux réunions. Quant à la demande concernant tous documents relatifs à l'une des réunions, formulée à l'égard de CdF Chimie seule, le fait que les documents recherchés soient ceux liés aux réunions de producteurs nous semble également de nature à permettre de cerner avec précision certains éléments constitutifs d'une infraction. En outre, nous ne discernons, dans ces différentes demandes, rien de manifestement excessif.

72.

Sur les prix, la Commission déclare que, selon les documents qu'elle détient, les réunions visaient à fixer et maintenir des prix, respectivement pour le PEBD dans la décision visant CdF Chimie et pour le PVC dans la décision visant Solvay. Dès lors, il nous semble que les différentes questions posées, qui concernent le détail de l'organisation des initiatives en matière de prix, aussi bien sur le plan global que, dans la décision visant CdF Chimie, sur celui des mécanismes internes à cette dernière, présentent indiscutablement de l'intérêt pour caractériser un autre élément constitutif d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, cette disposition visant les accords consistant à « fixer de façon directe ou indirecte les prix ». Au regard de cet intérêt, ces demandes de renseignements ne nous paraissent pas, non plus, manifester une quelconque démesure.

73.

Sur les quotas, la Commission fait état de ce que, selon les documents qu'elle détient, les producteurs ont, lors de leurs réunions, fixé des objectifs de vente pour chaque entreprise, et elle décrit le schéma général du système. Il ne nous paraît nullement superflu de demander aux requérantes, comme le fait la Commission, d'indiquer les modalités d'établissement des quotas et de contrôle de leur respect, ni de demander à CdF Chimie des indications sur les renseignements, relatifs à sa production de PEBD, qu'elle a communiqués à d'autres producteurs. Cela ne paraît en rien indifférent à une caractérisation précise d'accords consistant, suivant l'article 85, paragraphe 1, à « répartir les marchés ». Quant à l'éventuel excès dont témoigneraient ces demandes, nous considérons que leur formulation n'en comporte aucun signe manifeste.

74.

Enhn, sur les déclarations transmises a la société Fides, les questions, qui visent la seule firme CdF Chimie, paraissent relatives à une organisation des échanges d'informations entre producteurs de PEBD. L'organisation d'échanges d'informations entre des producteurs à propos desquels existent des soupçons d'accords sur les prix et la répartition de marchés peut contribuer à caractériser de façon plus précise des comportements prohibés par l'article 85, paragraphe 1. Aussi, les questions relatives à une telle organisation ne nous semblent pas pouvoir être considérées comme superflues. Elles ne nous paraissent pas davantage, à travers la façon dont la Commission les a formulées, comme d'une ampleur manifestement démesurée.

75.

Il est vrai que, pour illustrer l'absence de nécessité des renseignements demandés par la Commission, les requérantes soulignent que celle-ci, en même temps qu'elle leur a demandé des renseignements, leur a indiqué qu'elle disposait d'informations selon lesquelles les deux firmes auraient participé à des pratiques concertées prohibées par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cette circonstance doit être, sinon négligée, du moins relativisée. En effet, il faut rappeler qu'en indiquant qu'elle recherche l'existence éventuelle d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, la Commission se conforme ainsi à l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17, selon lequel le but de la demande doit être précisé. Nous vous avons dit, lorsque nous avons examiné le moyen relatif à la communication des griefs « déguisée », qu'il importait peu, à cet égard, que la Commission indique aux entreprises non seulement qu'elle voulait vérifier l'existence d'une infraction, mais aussi qu'elle les soupçonnait d'y avoir participé. Il ne serait pas concevable d'exiger de la Commission qu'elle n'entreprenne pas de mesures d'investigation vis-à-vis d'entreprises dès lors qu'elle dispose d'indices suivant lesquels elles auraient participé à des infractions à l'article 85, paragraphe 1. Au contraire, il faut considérer, comme MM. Thiesing, Schröter et Hochbaum, que, « si la Commission procède à des investigations pour infraction aux règles de concurrence, il doit toutefois déjà exister certains indices de la violation du droit » et qu'« une demande de renseignements adressée par pure précaution n'est pas admissible » ( 41 ). La Commission a d'ailleurs déclaré à l'audience qu'elle n'entreprenait d'investigations qu'à partir d'indices, et non pas par « sondages ».

76.

Aussi, il ne suffit pas, à nos yeux, que la Commission fasse connaître à une entreprise qu'elle dispose d'indices de sa participation à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, pour qu'elle se trouve privée de la possibilité de mener des investigations à son égard au motif que de telles mesures seraient excessives, manifestement dépourvues de nécessité. Une telle conclusion ne serait envisageable que si la Commission prétendait mener des investigations alors qu'elle a suffisamment de preuves ou si lesdites investigations tendaient à rassembler manifestement plus de preuves qu'elle n'en a besoin pour établir l'existence et la portée de l'infraction.

77.

L'analyse de la régularité des décisions litigieuses ne saurait pour autant conduire votre Cour à une appréciation du « besoin de preuves » de la Commission considéré comme un absolu. Si l'on sait, en physique, que l'eau bout à 100 degrés, mais qu'elle ne bout pas encore à 99 degrés, on ne dispose pas, dans le domaine qui nous préoccupe, de repères aussi définis. On ne peut, en effet, déterminer, a priori, et avec une précision rigoureuse, le seuil au-delà duquel la Commission demande des preuves sans nécessité ou en demande trop. L'appréciation du « besoin de preuves » revêt une large part de relativité.

78.

Il nous paraît également important de rappeler que, selon votre jurisprudence, les investigations menées par la Commission en application des articles 11 et 14 du règlement n° 17 ont pour objet de lui permettre de

« recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée » ( 42 ).

Comme nous l'avons fait observer en examinant le moyen relatif à la « fausse » communication des griefs, la Commission est donc fondée à rechercher tous les éléments de nature à lui permettre d'établir l'existence d'une infraction et de la cerner dans toute son ampleur. Aussi, la « nécessité » ou le « besoin de preuves » doivent être mesurés en conséquence. C'est pourquoi nous estimons que, même détentrice d'éléments de preuve établissant, de façon certaine, la participation de telle ou telle entreprise à des actes concourant à une infraction au sens de l'article 85, paragraphe 1, la Commission demeure fondée à poursuivre, à l'égard de toutes les entreprises qu'elle est en mesure de suspecter, ses investigations afin d'apprécier l'infraction dans toute son ampleur. Concrètement, la Commission peut déjà avoir connaissance de certaines réunions de producteurs, de la participation de certaines entreprises à ces réunions, d'accords couvrant certaines périodes et concernant certaines zones géographiques; elle est néanmoins fondée à rechercher s'il y a eu un déroulement plus important de l'infraction dans le temps et dans l'espace. Nous dirons même que c'est son devoir, car elle ne saurait, autrement, s'acquitter convenablement, au-delà de son rôle spécifiquement « répressif », de la mission plus générale que lui assigne le traité, à savoir veiller à l'application des règles de concurrence.

79.

De plus, la mise en œuvre, par la Commission, de mesures d'investigation alors même qu'elle détient des indices de l'existence d'une infraction et certaines preuves de la participation d'entreprises déterminées se justifie également au regard des exigences résultant du contrôle que votre Cour exerce lorsqu'elle est saisie de recours des entreprises auxquelles, après constatation d'une infraction, ont été infligées des amendes. Il suffit de lire un certain nombre des arrêts que vous avez rendus dans le cadre de tels recours pour constater que vous procédez à un examen attentif des preuves invoquées à l'appui des décisions de la Commission, cela afin de vérifier l'existence de l'infraction et la gravité de la participation des entreprises sanctionnées.

80.

Aussi, il est tout à fait normal que la Commission estime devoir mener une enquête de façon à rassembler des preuves suffisantes pour qu'une éventuelle décision constatant une infraction et infligeant une amende puisse être justifiée au regard des exigences du droit communautaire, qui s'expriment à travers votre jurisprudence.

81.

Si l'on tient compte de l'ensemble des conditions que nous évoquons, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, possédant déjà certaines preuves, la Commission puisse régulièrement entreprendre des investigations, puis estime pouvoir, malgré l'échec apparent de tout ou partie de ces investigations, ouvrir une procédure et, à cette fin, communiquer des griefs. Elle aura cerné une infraction présentant moins d'ampleur qu'elle ne l'envisageait, mais elle pourra tout de même estimer qu'elle dispose d'éléments de preuve suffisants pour constater une infraction à l'égard de certaines entreprises, pour certains comportements durant certaines périodes. Cela ne signifiera pas pour autant que les investigations qu'elle a entreprises n'étaient pas « nécessaires » au sens du règlement n° 17.

82.

La circonstance, invoquée par les requérantes, que la Commission a pu, malgré l'absence de réponse à la plupart des demandes de renseignements qu'elle leur avait adressées, ouvrir une procédure à leur égard et leur communiquer des griefs, n'établit donc nullement, selon nous, que les renseignements demandés et non obtenus n'étaient pas « nécessaires » au sens du règlement n° 17. Le caractère excessif d'une demande de renseignements résulte, dans la conception que nous vous avons exposée, non de ce que la Commission recherche plus de preuves, mais de ce qu'elle en recherche manifestement trop. « Plus » n'est pas « trop », et la constatation d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité peut être fondée sur plus ou moins de preuves sans que « moins de preuves » implique que la Commission a illégalement agi en cherchant, sans obtenir un succès total, à rassembler « plus de preuves ». Il nous semble, d'ailleurs, que la nécessité des demandes de renseignements ne peut être appréciée qu'a priori, et non sur la base des résultats obtenus.

83.

Par conséquent, nous estimons que l'examen des deux décisions litigieuses n'a pas fait apparaître que les renseignements qu'elles demandent respectivement aux requérantes ne seraient pas nécessaires à la caractérisation d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, dans le sens d'une appréciation optimale de son ampleur, de ses mécanismes et de ses effets. Dès lors, les arguments des requérantes relatifs à une illégalité des décisions attaquées, en raison du caractère non nécessaire des renseignements demandés, doivent être regardés comme non fondés. Il en va de même, sans qu'il soit besoin de discuter spécifiquement ce point, de l'argument de CdF Chimie relatif à une violation du principe de proportionnalité.

V — Quant à un droit à ne pas témoigner contre soi-même

84.

Nous voici amené à examiner maintenant un autre argument commun, en substance, aux deux requérantes. Cet argument, qui constitue à la fois, semble-t-il, la première branche et la quatrième branche du moyen subsidiaire invoqué par Solvay, et qui figure par ailleurs dans le deuxième moyen subsidiaire invoqué par CdF Chimie, consiste pour l'essentiel à alléguer que les décisions litigieuses ont méconnu un principe selon lequel nul ne peut être contraint de témoigner contre soi.

85.

Selon CdF Chimie, le droit de ne pas témoigner contre soi-même constituerait un principe général de droit faisant partie du droit communautaire, consacré par des conventions internationales liant les États membres et par leur tradition juridique. Pour Solvay, il s'agirait d'un droit de l'homme fondamental qui serait compris dans les principes généraux du droit communautaire dont votre Cour, s'inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des instruments internationaux, assurerait le respect. Les requérantes estiment que la circonstance que le Conseil aurait refusé d'inscrire le droit au silence dans le règlement n° 17 ne lierait pas la Cour.

86.

La Commission objecte qu'il n'existe pas de principe général imposant le respect du droit à ne pas témoigner contre soi-même s'agissant de procédures de caractère administratif menées exclusivement à l'encontre de personnes morales. Elle ajoute que la thèse des requérantes ne saurait être retenue que si les dispositions du règlement étaient elles-mêmes contraires à la convention européenne des droits de l'homme, question qu'elle estime étrangère au litige.

87.

Un point nous semble devoir être clarifié, en préalable à l'important débat que suggèrent les thèses en présence. Il faut d'abord examiner si le règlement n° 17 consacre lui-même, ou non, un droit des entreprises de refuser de répondre à des demandes de renseignements lorsque les réponses auraient, à leur égard, un effet « auto-incriminant », c'est-à-dire comporteraient la reconnaissance d'une infraction à l'article 85 et les exposeraient aux sanctions prévues pour de tels cas. La discussion sur la prise en compte des traditions communes aux États membres ou d'instruments internationaux n'a, en effet, d'intérêt que si le droit à ne pas s'incriminer n'est pas déjà garanti par le règlement n° 17.

88.

Or, sur ce point, la réponse ne fait aucun doute. Il est tout à fait certain que le Conseil, auteur du règlement n° 17, a entendu ne pas assurer aux entreprises destinataires d'une demande de renseignements la possibilité de se prévaloir d'un droit à ne pas s'incriminer. Cela nous paraît d'abord résulter du régime juridique même de la demande de renseignements, tel qu'il est défini dans l'article 11 du règlement n° 17. Comment comprendre, en effet, qu'après avoir, en application des paragraphes 2 à 4, adressé une demande de renseignements à une entreprise la Commission puisse, en application du paragraphe 5, demander par voie de décision les renseignements que l'entreprise n'a pas fournis ou a fournis de façon incomplète, dès lors qu'elle aurait un droit à ne pas témoigner contre elle-même? Comment le comprendre alors qu'une telle décision doit, en outre, indiquer les sanctions prévues aux articles 15, paragraphe 1, sous b), et 16, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17? La première disposition, vous vous en souvenez, permet à la Commission d'infliger une amende aux entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles fournissent un renseignement inexact ou ne fournissent pas un renseignement dans le délai fixé, et la seconde lui permet de les soumettre à des astreintes « pour les contraindre ... à fournir de manière complète et exacte un renseignement qu'elle a demandé par voie de décision ». De tels mécanismes de contrainte ne nous paraissent pas intellectuellement conciliables avec l'idée d'un droit au silence.

89.

C'est d'ailleurs bien, nous semble-t-il, l'analyse qu'a faite devant vous M. Warner dans ses conclusions sur l'affaire National Panasonic. Votre avocat général a, en effet, indiqué que

« l'article 11 habilite la Commission à chercher à obtenir, si nécessaire par la contrainte, la coopération de l'entreprise concernée en vue de la collecte de renseignements » ( 43 ).

90.

Sur cette question de prise en considération ou de non-prise en considération du droit à ne pas témoigner contre soi-même, l'historique de l'élaboration du règlement n° 17 comporte des enseignements intéressants. Lors de l'examen, par le Parlement européen, de la proposition de règlement qui allait devenir le règlement n° 17, un rapport a été rédigé au nom de la commission du marché intérieur par M. Deringer. Le « rapport Deringer » ( 44 ) comportait, au point 121, des observations dont certaines doivent être ici citées. A propos de la disposition de la proposition de règlement relative aux demandes de renseignements, il était indiqué: «Votre commission estime que cette réglementation ne correspond pas en plusieurs points aux principes généraux en vigueur dans un État fondé sur la légalité, ce qui fait que le règlement risque d'être annulé par la Cour de justice » ( 45 ). A ce titre, le rapport précisait que, « en tout cas, toute personne tenue de fournir des renseignements doit avoir le droit de refuser le témoignage » ( 46 ).

91.

Sur la base de ce rapport, la commission du marché intérieur présentait au Parlement une proposition de résolution tendant à amender, sur de nombreux points, la proposition de règlement qui lui était soumise. A propos des demandes de renseignements, envisagées dans un article 9, sous l'intitulé « Droit d'information », la proposition de résolution prévoyait une rédaction selon laquelle « les personnes tenues de fournir les renseignements peuvent refuser de répondre aux questions lorsque ladite réponse risque de les exposer elles-mêmes ou d'exposer une des personnes pouvant refuser de témoigner en vertu du code national de procédure, ou les entreprises ou associations d'entreprises qu'ils représentent, à des sanctions pénales ». La résolution adoptée par le Parlement au cours de sa séance du 19 octobre 1961 reprenait cette rédaction ( 47 ). Or, nous le savons, le Conseil n'a pas repris cet amendement dans le texte finalement arrêté.

92.

Rappelant ces péripéties, et après vous avoir fait part, cependant, de ses

« doutes sérieux quant à la possibilité d'interpréter un règlement du Conseil par référence à son historique » ( 48 ),

M.

Warner, concluant cette fois dans l'affaire AM & S, vous indiquait:

« On peut comprendre que le Conseil n'ait pas désiré inclure dans ce qui est actuellement l'article 11 du règlement une disposition selon laquelle il ne serait pas possible d'enjoindre à une personne de répondre lorsque la réponse risque de l'exposer à des sanctions pénales, puisqu'un tel procédé aurait pu mettre en péril le but réel de l'article ou, pour le moins, le priver largement de ses effets » ( 49 ).

93.

L'historique, ainsi que le commentaire non équivoque de M. Warner sur ce point précis, semblent établir assez clairement que le Conseil n'a pas voulu ménager, dans le cadre de l'article 11 du règlement n° 17, un droit des entreprises à ne pas témoigner contre elles-mêmes. Cette volonté d'écarter un tel droit n'est pas, en réalité, sérieusement discutée de façon générale. La doctrine conteste, parfois, que le Conseil ait eu raison de le faire ou qu'il ait eu le pouvoir de le faire, mais non qu'il l'ait fait. A titre d'exemple, M. Asteris Pliakos indique, à propos du droit à ne pas s'incriminer, que « les règles de concurrence communautaires ne prévoient pas un tel droit » en faveur des personnes tenues de fournir des renseignements, et il cite le fait que le Conseil n'a pas retenu sur ce point la proposition du Parlement ( 50 ).

94.

Aussi, il convient maintenant de poser la question de savoir si, du fait que le règlement n° 17 ne consacre pas le droit à ne pas témoigner contre soi-même, il en résulte nécessairement l'absence d'un tel droit dans le droit de la concurrence communautaire. Autrement dit, si le législateur communautaire a entendu écarter un tel droit, ce qui est certain, cela signifie-t-il que le droit communautaire, envisagé dans son ensemble, a écarté un tel droit? Précisons ici que, contrairement à ce que suggère la Commission, il ne s'agit pas d'examiner un moyen qui aurait été soulevé tardivement à l'audience et selon lequel le règlement n° 17 serait entaché d'invalidité. Il s'agit plutôt de savoir si des principes juridiques applicables en droit communautaire de la concurrence, et formellement extérieurs au règlement n° 17, ne se superposent pas, en quelque sorte, à ce règlement. Ajoutons, d'ailleurs, que l'existence, éventuelle en droit communautaire, d'un principe de droit supérieur au règlement n° 17, et consacrant un droit à ne pas témoigner contre soi-même, n'entraînerait pas le constat d'une invalidité formelle dudit règlement, dans la mesure où la volonté du Conseil d'écarter un tel droit ne s'est pas matérialisée dans une disposition expresse de son texte. Dans l'hypothèse envisagée, nous serions plutôt en présence d'une question d'interprétation éventuelle d'un règlement dans un sens conforme à un principe supérieur, et non dans une problématique d'invalidité.

95.

Est-il, dès lors, possible de dégager, en dehors du règlement n° 17, un principe, reconnu dans le droit communautaire, qui consacrerait le droit à ne pas témoigner contre soi-même face à des demandes de renseignements formulées en application de l'article 11 de ce règlement?

96.

Les requérantes ont invoqué, à ce sujet, l'existence d'un principe général commun au droit des États membres ainsi que des instruments internationaux, précisément la convention européenne des droits de l'homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 1966.

97.

La description du droit des États membres, en ce qui concerne la question du droit à ne pas témoigner contre soi-même, a donné lieu à d'amples développements dans les écritures des parties. Ces développements nous ont parfois donné à penser que chacun avait trouvé, au moyen de cette comparaison des droits nationaux, non ce qu'il cherchait, mais ce qu'il avait décidé de trouver.

98.

Pour notre part, nous dirons que l'examen des droits nationaux a fait, certes, apparaître un principe commun consacrant un droit à ne pas témoigner contre soi-même, mais a fait également apparaître que ce principe devenait de moins en moins commun au fur et à mesure que l'on s'éloignait de ce que nous appellerons le cadre de la procédure criminelle classique.

99.

Le droit à ne pas s'incriminer fait l'objet d'une application très large en Espagne, où il est, en termes exprès, consacré par la Constitution, dans son article 24. On considère que la généralité de la formulation rend ce principe fondamental applicable aux personnes physiques comme aux personnes morales. Dans la mesure où la Cour constitutionnelle a, dans un arrêt de 1981, déclaré que les principes fondamentaux énoncés par l'article 24 sont aussi applicables aux procédures administratives susceptibles de conduire à l'imposition de sanctions, on s'accorde à penser que le droit à ne pas témoigner contre soi-même s'applique dans les procédures administratives nationales pouvant aboutir à des sanctions pour infractions aux règles de concurrence.

100.

On peut également parler d'application large en République fédérale d'Allemagne. Certes, contrairement au cas de l'Espagne, le droit à ne pas témoigner contre soi-même n'est pas formellement consacré par la Constitution, puisqu'il ne figure pas parmi les droits fondamentaux visés aux articles 1er à 19 de la loi fondamentale ni parmi les droits reconnus par les articles 101 à 104 du même texte. Mais la législation allemande fait une application très large de ce droit. S'agissant, plus précisément, du droit de la concurrence, ce principe peut être invoqué par les personnes physiques dans le cadre de la procédure dite « administrative » et de la procédure dite « sanctionnatrice », et il semble qu'il puisse être également invoqué par les personnes morales lorsqu'elles sont exposées à une amende dans le cadre de la procédure « sanctionnatrice ». Il n'y a, apparemment, d'hésitation que sur le point de savoir si les personnes morales peuvent invoquer ce droit au cours de la procédure « administrative », la jurisprudence paraissant ne pas l'admettre.

101.

Au Royaume-Uni, le droit à ne pas témoigner contre soi-même peut sûrement être considéré comme fondamental en ce qui concerne la procédure pénale classique, y compris pendant l'enquête préliminaire. On se plaît, d'ailleurs, à évoquer la tradition juridique anglo-saxonne lorsque l'on évoque le droit à ne pas témoigner contre soi-même. Celui-ci est également d'application générale en procédure civile. Il concerne aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Cependant, il semble qu'un certain nombre de lois dérogent au principe général en imposant de répondre à des questions alors que la réponse pourrait conduire à incriminer les personnes concernées. Si le législateur ne prévoit pas, en même temps, que les réponses ne pourront servir de preuves contre leurs auteurs dans des poursuites pénales ultérieures, les réponses paraissent pouvoir être admises comme éléments de preuve. Dans le droit de la concurrence, où, il faut le préciser, les autorités compétentes ont des pouvoirs d'enquête, mais pas celui d'imposer des amendes, la législation n'est pas totalement homogène: le Competition Act de 1980 et le Fair Trading Act de 1973 prévoient des pouvoirs d'enquête qui ne prévalent pas sur le droit à ne pas témoigner contre soi-même, alors que le Restrictive Trade Practices Act de 1976 ne prévoit pas que ce droit puisse être efficacement invoqué.

102.

En Irlande, il n'y a de sanctions publiques que pénales. Le droit pénal garantit le droit à ne pas témoigner contre soi-même, aussi bien pendant le procès que pendant l'enquête. En droit de la concurrence, Y Examiner for Restrictive Practices Orders a reçu du Restrictive Practices Act de 1972 des pouvoirs d'enquête qui lui permettent d'exiger d'une entreprise la production de tout renseignement dont il pourrait avoir raisonnablement besoin dans l'accomplissement de ses tâches. A l'issue de l'enquête, si des poursuites pénales ont lieu, la question se pose de savoir si, au cours du procès, le procureur peut faire état des renseignements recueillis pendant l'enquête. On s'accorde à dire que cela n'est pas certain.

103.

Aux Pays-Bas, le droit à ne pas témoigner contre soi-même est consacré par le code de procédure pénale. Il s'applique de façon générale en matière pénale et dans les procédures administratives susceptibles de conduire à l'imposition d'une amende. Les personnes physiques comme les personnes morales peuvent l'invoquer. En droit de la concurrence, les infractions revêtent un caractère pénal. La loi sur la concurrence économique prévoit l'obligation de fournir des informations à la commission de la concurrence, organisme non sanctionnateur. Il semble que le droit à ne pas témoigner contre soi-même ne puisse être invoqué lorsque la^ demande d'information est adressée à des personnes qui ne sont pas encore prévenues et précède le stade de poursuite, mais qu'il puisse l'être si un « prévenu potentiel » est sommé de fournir des informations qui pourraient être utilisées dans une procédure pénale ultérieure.

104.

Le droit danois consacre de façon très large, en matière pénale et en matière civile, le droit des parties et des témoins à ne pas témoigner contre soi, sans distinguer entre personnes physiques et personnes morales. Des lois « administratives », en particulier celle relative aux monopoles et à la concurrence, prévoient que l'administration peut exiger des renseignements d'un administré. On semble admettre que le droit à ne pas témoigner contre soi-même ne s'appliquerait pas dans le cadre d'une procédure administrative, mais la doctrine estime qu'en certains cas l'administré n'est pas tenu de fournir les renseignements lorsqu'il doit être considéré comme inculpé. Encore que l'interprétation de la loi apparaisse difficile, on pense que c'est la gravité des soupçons qui permettrait de déterminer si l'administré doit être considéré comme « inculpé ».

105.

bn Belgique, le droit de ne pas témoigner contre soi-même est reconnu en matière pénale, au profit de l'accusé ou du prévenu, sans, toutefois, que la procédure pénale interdise de l'interroger ou oblige à lui faire connaître qu'il a le droit de se taire. Tant qu'une personne n'a pas, procéduralement, la qualité d'accusé ou de prévenu, elle est entendue comme témoin, sous serment, ce qui ne semble pas lui permettre de refuser de répondre. En droit fiscal, l'administration peut demander tous documents ou renseignements pour vérifier une situation fiscale, sous peine d'amende fiscale. Dans le droit économique, plusieurs lois prévoient des pouvoirs d'investigation importants au profit de l'administration, mais ces textes ne donnent pas lieu à une pratique abondante. Aussi, bien que lesdits textes punissent le fait de refuser de fournir les renseignements demandés, on se pose la question de savoir si la jurisprudence ne consacrerait pas, aujourd'hui, la possibilité d'invoquer le droit à ne pas témoigner contre soi.

106.

Au Luxembourg, le droit à ne pas témoigner contre soi-même est reconnu, en ce qui concerne la procédure pénale, dans des conditions comparables à celles qui peuvent être observées en Belgique ou en France. Si aucune disposition ne consacre expressément le droit au silence en faveur de l'inculpé, au cours de l'instruction contradictoire, on estime que ce droit est inhérent au régime de l'instruction. Le témoin ne bénéficie pas, en principe, d'un tel droit. Un projet de loi, actuellement en discussion devant la Chambre des députés, prévoit d'introduire dans le code de procédure criminelle une disposition identique à l'article 105 du code de procédure pénale français, qui interdit d'entendre comme témoin celui contre lequel « il existe des indices graves et concordants de culpabilité ». En droit de la concurrence, le pouvoir de sanctionner les ententes prohibées appartient au ministre de l'Économie nationale. Une « commission des pratiques commerciales restrictives », instituée auprès de lui, a le droit de recueillir tous renseignements, dépositions et témoignages et de se faire communiquer tous documents et éléments d'information qu'elle juge nécessaires à l'accomplissement de sa mission. A la requête de la Commission, le ministre peut désigner des fonctionnaires et employés en vue de procéder aux enquêtes nécessaires. Ceux-ci jouissent des pouvoirs prévus par la législation sur les prix et peuvent, à ce titre, interroger les parties intéressées et toutes autres personnes pouvant fournir des renseignements. Le refus de fournir des renseignements et le fait de ne pas les fournir dans le délai prescrit ou de fournir sciemment des renseignements inexacts sont pénalement sanctionnés par l'amende et l'emprisonnement. Ce régime est donc exclusif d'un droit au silence au profit des opérateurs économiques visés par les enquêtes.

107.

Au Portugal, le droit à ne pas témoigner contre soi est généralement consacré par le droit pénal. En droit de la concurrence, il existe une situation contradictoire. Les comportements anticoncurrentiels sont susceptibles d'être qualifiés de «contra-ordenaçoes», comportements délictuels de moindre gravité que les infractions pénales, et d'être punis d'amendes, voire, dans les cas les plus graves, d'emprisonnement. Le décret-loi sur les contra-ordenaçoes prévoit l'application subsidiaire des dispositions du code de procédure pénale en ce qui concerne les règles procédurales. Mais le décret-loi sur la concurrence habilite la direction générale de la concurrence, dans le but d'établir les pratiques illégales, à exiger des entreprises certains renseignements, et il déclare pénalement punissable comme « crime de désobéissance » le refus de communiquer les renseignements demandés. Quel est celui des deux textes qui prime l'autre? On peut incliner à penser que le code de procédure pénale et, avec'lui, le droit à ne pas témoigner contre soi-même prévalent, mais on ne dispose d'aucune jurisprudence ou d'aucune référence doctrinale précise pour conforter cette impression.

108.

En Grèce, le code de procédure pénale consacre le droit de ne pas témoigner contre soi-même, en faveur des témoins et de l'inculpé. En revanche, ce droit n'est pas protégé dans le cadre des enquêtes administratives menées par la direction de protection de la concurrence du ministère du Commerce. Les entreprises, associations d'entreprises ou autres personnes physiques ou morales sont tenues de lui fournir de façon immédiate, complète et précise les renseignements qu'elle demande. A l'issue de l'enquête, le ministre du Commerce peut infliger des sanctions, notamment des amendes pour refus, retards et difficultés dans l'octroi des renseignements demandés. Des sanctions pénales sont prévues pour les entraves dans l'octroi des informations requises.

109.

En Italie, le droit à ne pas témoigner contre soi-même est consacré par le code de procédure pénale, au profit de l'inculpé. Le nouveau code de procédure pénale, qui entrera en vigueur en octobre 1989, fait également bénéficier de ce droit la personne objet d'une enquête préliminaire et, plus généralement, toute personne qui fait à la police des déclarations pouvant donner lieu à des indices de culpabilité contre elle-même. Mais, en dehors de la matière pénale, il semble que le droit à ne pas témoigner contre soi-même ne soit pas protégé. La Cour constitutionnelle a, à propos de la matière fiscale, indiqué que la protection des droits de la défense ne s'étendait pas à l'activité administrative destinée à vérifier l'accomplissement des obligations imposées par la loi. En l'absence de véritable droit de la concurrence, actuellement, en Italie, on peut relever que les lois fiscales, en matière de TVA et d'impôts sur les revenus, prévoient des sanctions pécuniaires infligées par les autorités fiscales, si les contribuables s'abstiennent de fournir les renseignements qui leur sont demandés ou fournissent des renseignements incomplets ou faux.

110.

En France, enfin, le code de procédure pénale reconnaît à toute personne susceptible d'être inculpée un droit au silence dans le cadre de l'instruction, un tel droit n'étant pas cependant reconnu au cours de l'enquête préliminaire. Le droit de la concurrence est principalement régi par une ordonnance du 1er décembre 1986, qui confère des pouvoirs d'enquête aux agents de la direction générale de la concurrence et des pouvoirs décisionnels au conseil de la concurrence, organisme administratif. Les enquêteurs peuvent recueillir, sur convocation ou sur place, tous renseignements et justifications estimés nécessaires. Devant le conseil de la concurrence, l'instruction et la procédure sont pleinement contradictoires, mais les parties sont invitées à répondre aux questions du rapporteur et à lui fournir tous les documents nécessaires à l'établissement des faits. Le fait de s'opposer, de quelque façon que ce soit, à l'exercice des fonctions dont sont chargés les agents enquêteurs et les rapporteurs est puni de peines d'emprisonnement et d'amendes. On considère que le refus de fournir des renseignements verbaux ou écrits devrait être concerné par de telles peines. La procédure de caractère administratif menée en matière de concurrence semble exclure qu'une partie puisse invoquer le droit de ne pas témoigner contre elle-même. Signalons, pour terminer, qu'à l'issue des investigations menées le conseil de la concurrence peut ordonner qu'il soit mis fin à des pratiques anticoncurrentielles et infliger, éventuellement, une sanction pécuniaire.

111.

Après cette revue des droits nationaux, sommairement esquissés, empressons-nous de le dire, il apparaît que le succès de la démarche consistant à en dégager un principe commun dépend de la matière que l'on envisage. S'il s'agissait de rechercher un éventuel principe commun consacré dans la matière pénale classique, l'entreprise ne présenterait pas de difficulté majeure. Dans cette matière, en effet, se dégage de façon indiscutable un principe commun. Chacun des droits nationaux protège, de façon plus ou moins étendue, les personnes qui sont entendues dans une procédure pénale au sens strict. Certes, des différences significatives existent. Certains de ces droits consacrent le droit à ne pas témoigner contre soi à quelque stade de la procédure que ce soit, alors que d'autres n'accordent pas de protection durant l'enquête préliminaire. Certains protègent indistinctement les témoins et les personnes formellement accusées, d'autres ne protègent que les secondes. Mais aucun n'exclut ce droit, dans le cadre de la procédure proprement judiciaire, au profit de la personne formellement accusée.

112.

L'examen des droits nationaux ne semble toutefois pas conduire à une conclusion aussi claire lorsque l'on sort du cadre pénal, au sens strict, pour élargir la perspective aux procédures concernant le droit de la concurrence.

113.

Nous constatons, en effet, que trois États membres, la Grèce, le Luxembourg et la France, excluent la possibilité d'invoquer le droit à ne pas témoigner contre soi-même dans les procédures administratives en matière de concurrence. Le cas de l'Italie peut être rapproché de ces situations si l'on considère l'absence du droit envisagé face aux investigations en matière fiscale, mais on ne peut tout à fait préjuger de la solution qui serait retenue s'il existait un véritable droit de la concurrence dans cet État.

114.

Par ailleurs, certaines situations nationales témoignent d'une relative incertitude. Les conclusions qu'il est possible de tirer de l'examen du droit portugais ou du droit belge de la concurrence sont très largement conjecturales et relèvent plus de l'opinion doctrinale que de la description de solutions du droit positif.

115.

De plus, dans d'autres États, qui distinguent en général les investigations menées par l'administration et le pouvoir de sanction appartenant aux juridictions dans le cadre pénal proprement dit, des difficultés apparaissent sur le plan de l'articulation des deux phases. Ainsi, nous n'avons pu déterminer avec certitude si l'accusation peut, en Irlande, faire état devant la juridiction répressive des informations que l'administration, c'est-à-dire l'Examiner for Restrictive Practices, a pu exiger. Aux Pays-Bas, il semble que le droit de ne pas répondre aux demandes de renseignements de la commission de la concurrence dépendra du point de savoir si l'importance des charges qui pèsent sur une entreprise place cette dernière dans une situation de prévenue potentielle. Cette situation est à rapprocher de celle observée au Danemark, où l'on semble vouloir faire dépendre la possibilité de ne pas fournir les renseignements demandés par l'administration du fait de savoir si la gravité des soupçons pesant sur l'entreprise concernée permet de la considérer comme « inculpée ».

116.

On ne manquera pas d'observer aussi que la législation anglaise n'est pas uniforme, le Restrictive Trade Practices Act de 1976 semblant ne pas admettre le droit à refuser de divulguer des renseignements, alors que les autres lois en matière de concurrence n'y dérogent pas. Il est intéressant de noter que le législateur peut, au Royaume-Uni, déroger au droit à ne pas témoigner contre soi-même.

117.

C'est donc seulement en Espagne et en République fédérale d'Allemagne que nous trouvons une situation dans laquelle tant l'enquête sur des comportements anticoncurrentiels que leur répression sont assorties du droit à ne pas témoigner contre soi-même, réserve faite, en République fédérale, de ia procédure « administrative » à l'égard des personnes morales. Encore faut-il noter qu'il serait difficile d'y voir, dans ce dernier État, pour ce qui concerne les entreprises, l'expression d'un droit fondamental. Nous serions plutôt tenté d'y voir une extension, par la volonté du législateur, de garanties qui n'ont, éventuellement, de caractère fondamental qu'à l'égard des individus.

118.

Une telle mosaïque de solutions nationales se prête-telle à une synthèse? Voici quelques années, votre Cour avait été saisie d'une affaire dans laquelle on invoquait, en tant que principe commun aux droits des États membres, la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client ( 51 ). Deux avocats généraux avaient été amenés à conclure devant vous avant que vous ne rendiez votre arrêt. Le second, Sir Gordon Slynn, avait développé son point de vue suivant une méthode tout à fait intéressante, par rapport au cas qui vous est soumis. Il s'était attaché tout d'abord à mettre en lumière que, malgré les différences inévitables entre les États membres, il s'en dégageait un principe du caractère confidentiel des relations entre un avocat et son client qui, bien qu'il n'ait pas la même étendue dans tous les États membres, devait être qualifié de règle du droit communautaire. Puis, dans une deuxième étape, il s'était efforcé de préciser la manière dont ce principe s'appliquait ainsi que l'étendue de cette application en droit communautaire

« pour aboutir à la solution la meilleure et la plus appropriée à la lumière non seulement de considérations relatives aux pratiques dans les divers États membres, mais aussi des intérêts de la Communauté et de ses institutions, des États membres et des individus qui sont soumis à ses lois » ( 52 ).

119.

C'est dans cette dernière perspective qu'il s'était posé la question de savoir si, au nom de la mise en balance des divers aspects de l'intérêt général, le droit des États membres faisait prévaloir

« les pouvoirs nécessaires pour enquêter sur une prétendue infraction aux règles en matière de concurrence » ( 53 )

sur la protection des relations confidentielles entre un avocat et son client. Sa réponse était la suivante:

« Nous ne connaissons aucune disposition de droit national qui exclurait expressément tout droit à la protection de ces relations confidentielles dans des enquêtes ou procédures en matière de concurrence » ( 54 ).

Il ajoutait, plus loin, qu'il semblait clair

« qu'il n'existe pas de règle universelle, ni même de règle largement admise, disant que la protection des documents confidentiels, telle qu'elle existe, est exclue dans le domaine de la concurrence. Il y a tout au plus un doute dans certains cas; la règle générale est que la protection continue » ( 55 ).

120.

Vous le pressentez déjà, l'application de cette grille d'analyse à la question du droit à ne pas témoigner contre soi-même ne peut aboutir à des résultats allant dans le même sens. En effet, s'il paraît concevable de dégager, de l'examen des droits des États membres, un concept de droit à ne pas témoigner contre soi-même dans un contexte de répression d'infractions, il n'est, en revanche, pas possible de dire qu'aucun État membre n'écarte un tel droit dans les procédures relatives aux infractions en matière de concurrence, ni qu'il y a tout au plus du doute dans certains cas. Trois États membres (la Grèce, la France et le Luxembourg) écartent totalement ce droit, la situation de deux autres (la Belgique et le Portugal) est plutôt douteuse et trois autres encore (le Danemark, l'Irlande et les Pays-Bas) connaissent un système où ce droit est écarté, au cours de l'enquête, au moins aussi longtemps que les soupçons pesant sur la personne questionnée ne dépassent pas une mesure qu'il paraît malaisé de définir.

121.

Dans ces conditions, faudrait-il suggérer, à partir des droits des États membres, une solution médiane, consacrant partiellement le droit à ne pas témoigner contre soi-même dans les procédures de concurrence? Plus précisément, conviendrait-il, en s'inspirant de ce que semblent connaître certains États membres, de dire que le droit communautaire impose de ne pas prendre en considération comme moyens de preuve, dans la suite de la procédure menée à l'encontre d'une entreprise, les renseignements qui ont pu être exigés d'elle au cours de l'enquête? Un tel régime ne serait de quelque intérêt que dans un système où les pouvoirs d'enquête et de répression n'appartiennent pas à un même organe, ce qui n'est pas le cas en droit communautaire. Rappelons, d'ailleurs, que, dans votre arrêt Musique Diffusion du 7 juin 1983, vous avez rejeté un moyen qui tendait à analyser comme illégal le cumul, par la Commission, de « fonctions d'accusation et de décision » ( 56 ). Aussi, il nous semble Žue la consécration, à partir du droit des tats membres, de la solution envisagée ne présenterait pas d'intérêt.

122.

Dans ces conditions, nous estimons que, si l'examen comparé du droit des États membres dégage l'existence d'un principe général permettant de ne pas témoigner contre soi-même, ce même examen fait également apparaître qu'il ne s'agit pas d'un principe d'une telle « intensité » qu'il ne puisse être écarté dans une matière telle que le droit de la concurrence, la législation de plusieurs États membres étant précisément dérogatoire sur ce point. Nous faisons nôtre, à cet égard, l'opinion de Sir Gordon Slynn, qui, dans ses conclusions précitées, indiquait que

« c'est aux États membres et (dans les limites de leurs pouvoirs) à ceux qui établissent la législation communautaire qu'il appartient de décider si le principe général existant doit être modifié ou exclu » ( 57 ).

C'est, d'ailleurs, une opinion semblable qui avait précédemment inspiré M. Warner lorsque, présentant les premières conclusions dans l'affaire de la confidentialité des relations entre l'avocat et son client, il parlait à ce sujet d'un

« droit que les législations des pays civilisés reconnaissent de façon générale, d'un droit qu'il n'est pas facile de dénier, mais non pas d'un droit protégé au point que, dans la Communauté, le Conseil ne puisse jamais légiférer pour y prévoir une exception ou le modifier » ( 58 ).

123.

Dans la présente espèce, l'exception au principe a été précisément prévue par le règlement n° 17, le Conseil ayant entendu, dans les conditions que nous avons précédemment rappelées, ne pas permettre aux entreprises de se prévaloir d'un droit à ne pas témoigner contre soi-même au cours de l'enquête. Il nous paraît important de préciser que, en contrôlant, dans les conditions que nous avons évoquées plus haut, la nécessité des renseignements demandés, votre Cour a la possibilité de veiller à ce que la Commission n'abuse pas manifestement de ses pouvoirs en prolongeant artificiellement la phase de l'enquête.

124.

Nous ajouterons, s'il était nécessaire, que, en écartant, pour le besoin des enquêtes destinées à rechercher des infractions aux règles de concurrence communautaires, le principe général, commun aux États membres, permettant de ne pas témoigner contre soi-même, le Conseil ne nous paraît pas avoir excédé ses pouvoirs, compte tenu de l'intérêt général que présente, pour la Communauté économique européenne, le respect desdites règles et de ce que ce principe général est d'application dès la communication des griefs.

125.

Par conséquent, les décisions litigieuses ne peuvent, selon nous, être considérées comme ayant violé ce principe général, puisqu'elles ont été prises dans un cadre où son application est écartée par le règlement n° 17.

126.

A défaut d'avoir trouvé, dans le droit des États membres, un principe commun d'une intensité suffisante pour que les décisions attaquées soient regardées comme l'ayant méconnu, peut-on le trouver dans le pacte international précité des Nations unies? Ce pacte indique, à son article 14, paragraphe 3, que « toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:

...

g)

à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ».

127.

Il ne semble pas que votre Cour ait déjà mentionné cet instrument parmi ceux dont elle s'inspire pour déterminer les droits fondamentaux applicables au droit communautaire, mais il est vrai que vous n'avez jamais fait état, à cet égard, d'une liste limitative d'instruments internationaux. Nous ne savons si la circonstance, invoquée par la Commission, que la Grèce n'aurait pas ratifié ce pacte international serait de nature à vous empêcher d'en tenir compte. En réalité, cela ne devrait pas avoir de caractère déterminant dans la mesure où il paraît résulter de façon évidente de son préambule que le pacte ne concerne que les individus — personnes humaines, et non des personnes morales, comme les entreprises. Mentionnons, d'ailleurs, qu'aucun élément relatif aux travaux préparatoires, à la doctrine ou à la jurisprudence n'a été évoqué, à l'appui de la thèse selon laquelle la disposition précisément envisagée pourrait être entendue comme s'appliquant à des entreprises dans des procédures administratives en matière de concurrence. Dès lors, il ne nous paraît même pas nécessaire de discuter du point de savoir si la notion d'infraction pénale, au sens de l'article 14, paragraphe 3, sous g), doit, comme nous le pensons, être interprétée strictement par votre Cour ou si la référence à la situation de « personne accusée » ne serait éventuellement pertinente, dans le droit de la concurrence communautaire, qu'à partir de la communication des griefs.

128.

Compte tenu de ces considérations, vous n'aurez peut-être pas à accorder une attention soutenue à l'irrecevabilité invoquée par la Commission à propos du fait que CdF Chimie ne s'est formellement référée à la violation du pacte que dans son mémoire en réplique. Selon la Commission, il s'agirait d'un moyen nouveau et, comme tel, irrecevable, par application de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure. Il est exact que CdF Chimie n'a invoqué cette violation dans aucun des deux mémoires qu'elle a déposés avant l'expiration du délai de recours. Ce moyen de sa requête doit donc être écarté comme irrecevable, ce qui, si vous partagez notre analyse, sera sans grande conséquence sur ses chances de succès.

129.

La méconnaissance, par les décisions litigieuses, d'un droit à ne pas témoigner contre soi-même n'apparaissant ni comme une violation d'un principe commun aux droits des États membres ni comme une violation du pacte international, peut-on cependant la considérer comme illégale en tant qu'elle violerait la convention européenne des droits de l'homme? Les requérantes estiment qu'il y a eu, en l'espèce, une telle violation, en particulier de l'article 6 de la convention.

130.

Solvay invoque plus particulièrement les paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la convention, c'est-à-dire le droit à un procès équitable et la présomption d'innocence, alors que CdF Chimie se réfère plus précisément au paragraphe 3 de cet article, relatif aux droits de l'accusé.

131.

Les deux requérantes développent leur argumentation en indiquant, en substance, que la répression, même formellement administrative, d'infractions aux règles de concurrence donne lieu à l'application des dispositions de l'article 6 prévoyant des garanties en matière pénale. Elles invoquent, à cet égard, l'arrêt rendu le 21 février 1984 par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Öztürk ( 59 ). Les requérantes ajoutent que les dispositions de l'article 6 s'appliquent aussi bien aux personnes physiques qu'aux personnes morales, ainsi que cela aurait été reconnu tant par votre Cour que par celle de Strasbourg.

132.

Cette argumentation impose une première observation, celle que la convention européenne des droits de l'homme ne consacre pas de façon formelle, expresse, le droit à ne pas témoigner contre soi-même en matière pénale. Il faut ajouter une seconde observation, suivant laquelle aucun arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme ni même aucune décision de la commission européenne des droits de l'homme n'ont consacré l'existence de ce droit au titre d'une disposition quelconque de la convention. Solvay a invoqué une décision de la commission précitée qui, statuant sur la recevabilité d'un grief relatif à une violation de l'article 6, paragraphes 1 et 2, résultant d'une obligation de s'accuser soi-même, aurait rejeté ce grief parce que la personne concernée n'avait, en fait, jamais été obligée de faire une déclaration ni poursuivie. Une telle décision de rejet du grief au stade de la recevabilité n'a aucun caractère probant.

133.

Dans une décision du 6 octobre 1988, la commission européenne des droits de l'homme, statuant sur la recevabilité d'une plainte d'un sieur Funke contre la France, a indiqué qu'elle estimait que cette requête posait des problèmes complexes, notamment quant au point de savoir si l'obligation qui a été faite au requérant par l'administration des douanes « de mettre à la disposition de l'autorité poursuivante des documents pouvant servir à l'accuser » était « compatible avec les garanties d'un procès équitable et de la présomption d'innocence ». Elle a ajouté que la complexité de ces problèmes ne permettait pas de déclarer manifestement mal fondée cette partie de la requête ( 60 ). La décision que rendra sur le fond la commission précitée sera sûrement très intéressante quant au problème qui nous préoccupe ici. Mais, dans l'état actuel de la jurisprudence des instances mises en place par la convention, l'opinion selon laquelle l'article 6 de ce texte consacre, en l'un ou l'autre de ses paragraphes, le droit de ne pas témoigner contre soi-même a encore un caractère exclusivement doctrinal.

134.

A supposer, cependant, que l'article 6 consacre effectivement ce droit, devrait-on considérer qu'il s'impose dans le cadre des enquêtes menées, pour rechercher des infractions aux règles de concurrence, par un organisme administratif également détenteur de pouvoirs de sanction? Disons, d'emblée, qu'une telle interrogation ne pourrait être formulée par rapport au paragraphe 1 de l'article 6. Rappelons-le, cette disposition précise un certain nombre des conditions d'un procès équitable devant un, « tribunal indépendant et impartial ». Or, il nous semble résulter clairement de vos arrêts Fedetab du 29 octobre 1980 ( 61 ) et Musique Diffusion ( 62 ) que votre Cour considère l'article 6, paragraphe 1, comme ne s'appliquant pas aux procédures menées par la Commission dans la matière du droit de la concurrence communautaire. Dans ses conclusions au sujet de la dernière affaire citée, Sir Gordon Slynn vous avait d'ailleurs indiqué que, si les droits fondamentaux reconnus par la convention sont

« reconnus depuis longtemps comme faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, qui doivent indubitablement être respectés, mutatis mutandis, dans les affaires de concurrence comme dans les autres »,

il n'en résultait toutefois pas

« que les fonctions de la Commission, lorsqu'elle enquête sur de telles allégations dans des affaires de concurrence, ... soient soumises aux dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne. La procédure devant la Commission dans de telles affaires n'est pas judiciaire, mais administrative » ( 63 ).

Votre arrêt Musique Diffusion, rappelant l'arrêt Fedetab, a indiqué sans équivoque que

« la Commission ne saurait être qualifiée de ‘tribunal’ au sens de l'article 6 de la convention » ( 64 ).

135.

Ce n'est donc qu'à propos des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 qu'il conviendrait d'examiner si les garanties qu'ils comportent doivent « mutatis mutandis » s'appliquer dans des cas tels que ceux qui vous sont soumis.

136.

Cela revient à se demander si la présomption d'innocence, consacrée au paragraphe 2, et les droits de l'accusé, consacrés au paragraphe 3, comportant, par hypothèse, le droit de ne pas témoigner contre soi-même, s'appliquent au profit d'une entreprise concernée par une enquête de la Commission en matière de concurrence. Peut-on, en effet, considérer, dans un tel cadre, l'entreprise comme « personne accusée d'une infraction »? C'est le problème de l'application des garanties prévues aux paragraphes 2 et 3 à des procédures de sanctions administratives qui est posé ici. Il est vrai que l'arrêt Öztürk, précité, a semblé retenir une conception assez large de la notion de « personne accusée d'une infraction ». Dans cette décision, la Cour européenne des droits de l'homme a noté que relevaient « en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s'exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d'habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes » ( 65 ). Elle a également indiqué que « le caractère général de la norme et le but, à la fois préventif et répressif, de la sanction (suffisaient) à établir, au regard de l'article 6 de la convention, la nature pénale de l'infraction litigieuse » ( 66 ), bien qu'il s'agisse en l'espèce d'une contravention administrative.

137.

Cependant, il ne nous apparaît pas d'une implacable évidence qu'il faille donner à l'arrêt Öztürk une portée telle que la notion d'« accusé d'une infraction » au sens de la convention s'étendrait aux entreprises au sujet desquelles une procédure administrative tend à déterminer si elles ont, ou non, commis une infraction aux règles de concurrence. Cet arrêt examinait, en effet, la matière des contraventions qui, en République fédérale d'Allemagne, avait relevé du droit pénal classique avant d'être « transférée » à l'administration, sous réserve de la possibilité donnée à la personne sanctionnée de former un recours juridictionnel. Le plaignant avait été sanctionné pour contravention à la circulation routière. Or, nous tenons à le souligner, la Cour de Strasbourg a expressément relevé, dans les motifs de sa décision, qu'un manquement du genre de celui du plaignant continuait à ressortir du droit pénal dans une large majorité des États contractants.

138.

Nous n'avons pas voulu vous infliger une extension de la comparaison des droits nationaux de la concurrence à l'ensemble des États parties à la convention européenne des droits de l'homme, mais il nous paraît au moins douteux que l'on puisse, a priori, affirmer que les infractions en la matière y ressortissent en général du droit pénal « classique ». Il n'est pas besoin de vous rappeler le tableau déjà pour le moins contrasté du droit des États membres de notre Communauté. Dans ces États, le droit de la concurrence est largement administratif, et cela, dirons-nous, de façon « originaire », en ce sens que la matière en cause n'y était pas pénale à l'origine. Aussi, il ne nous paraît nullement certain que la Cour de Strasbourg tiendrait, à propos des infractions aux règles de concurrence, le même raisonnement que dans l'affaire Öztürk.

139.

Enfin, et surtout, nous ne pouvons manquer de vous rappeler que, selon votre jurisprudence, l'existence, dans le droit communautaire, de droits fondamentaux tirés de la convention européenne des droits de l'homme ne s'analyse pas comme l'application pure et simple des dispositions de ce texte tel qu'interprété par les organes de Strasbourg. Dans votre arrêt Nold du 14 mai 1974 ( 67 ), confirmé par votre arrêt Hauer du 13 décembre 1979 ( 68 ), vous avez indiqué que, pour l'exercice de votre mission consistant à assurer la sauvegarde des droits fondamentaux qui font partie intégrante du droit communautaire,

« les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire » ( 69 ).

Les commentateurs les plus autorisés de votre jurisprudence soulignent, d'ailleurs, que votre position, à l'égard de la convention européenne des droits de l'homme, consiste le plus souvent « à ne l'utiliser que comme une simple référence », même si vous allez « aussi loin qu'il (est) possible sur cette voie » et que, ce faisant, vous développez, « directement ou indirectement, (votre) propre jurisprudence interprétative de la convention » ( 70 ).

140.

Votre Cour pourrait donc retenir, à propos de dispositions de la convention, une interprétation qui ne coïnciderait pas exactement avec celle donnée par les organes de Strasbourg, et notamment par la Cour des droits de l'homme. Elle n'est pas liée, en ce sens qu'elle n'a pas à reprendre systématiquement en compte, au titre des droits fondamentaux du droit communautaire, la teneur des interprétations de la convention émanant de ces organes. Il nous semble qu'a fortiori votre Cour est d'autant moins liée, dans la présente espèce, qu'aucune interprétation autorisée de la convention n'a été donnée dont il résulterait que la matière des infractions administratives au droit de la concurrence donnerait lieu à l'application des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 ou que ces dispositions consacreraient, dans une telle matière, le droit à ne pas témoigner contre soi-même.

141.

Aussi, nous estimons que la portée que vous devez attribuer à l'article 6, paragraphes 2 et 3, de la convention, dans le cadre du présent litige, doit beaucoup plus s'attacher à tenir compte des positions que vous avez déjà adoptées, à propos de l'application de droits fondamentaux dans le droit communautaire de la concurrence, qu'à extrapoler à partir de la position arrêtée par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Öztürk.

142.

Or, les positions adoptées par votre Cour nous paraissent très claires. Vous avez, dans votre arrêt Hoffmann-La Roche, précité, indiqué que

« le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé, même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif» ( 71 ).

Ensuite, vous avez, dans votre arrêt National Panasonic, distingué, au sein des procédures menées par la Commission en matière de concurrence, la phase d'enquête qui permet à la Commission de

« recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée » ( 72 )

et la phase débutant par la communication des griefs qui marque l'ouverture d'une procédure au sens du règlement n° 99/63. Cette dernière phase ne débute que si la Commission estime que les éléments d'appréciation réunis au cours de l'enquête le justifient. Vous avez précisé que la « différence substantielle » ( 73 ) entre les décisions prises au cours de l'enquête et celles prises, à l'issue d'une procédure proprement dite expliquait que le règlement n° 17 n'ait pas garanti les droits de la défense à un même degré au cours de l'une et l'autre phase. Concrètement, pour ce qui concerne le droit de ne pas répondre à des questions, rappelons que, si le règlement n° 17 l'écarté avant l'ouverture de la procédure, il est en revanche considéré comme s'appliquant à partir de cette ouverture. L'entreprise a alors le droit d'être entendue, mais n'a plus aucune obligation de fournir des renseignements.

143.

Les positions de votre Cour nous semblent autoriser à considérer que, suivant votre conception de l'équilibre entre les droits de la défense et les pouvoirs de la Commission, la situation où une entreprise ne peut refuser de témoigner contre elle-même qu'après que la Commission lui a communiqué des griefs d'infraction aux règles de concurrence n'entraîne pas de violation de la présomption d'innocence ou des droits de l'accusé, au sens de l'article 6, paragraphes 2 et 3, de la convention européenne des droits de l'homme, pour autant que ces dispositions soient pertinentes dans la matière en cause. Or, cette situation est bien celle prévue par le droit communautaire. Il nous paraît, en effet, tout à fait compatible avec les dispositions en question de la convention, qui s'appliquent, nous l'avons dit, à une personne « accusée », d'estimer qu'une entreprise concernée par une action de la Commission dans le cadre du règlement n° 17 ne serait susceptible d'être regardée comme « accusée », au sens de la convention, que lorsque les griefs lui ont été communiqués. Avant cette communication, elle ne serait pas une « accusée », et les paragraphes 2 et 3 précités ne s'appliqueraient pas à ce stade. Une telle manière de voir nous semble, au demeurant, parfaitement conciliable avec la définition générale de l'« accusation », au sens de l'article 6, consacrée par la Cour de Strasbourg et rappelée dans l'arrêt Öztürk: « la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale » ( 74 ).

144.

Dans ces conditions, nous estimons que les décisions litigieuses n'ont pas violé la convention européenne des droits de l'homme pour autant qu'elle consacrerait un droit à ne pas témoigner contre soi-même.

145.

Votre Cour aura noté que nous n'avons pas consacré de développements au point de savoir si les dispositions invoquées par les requérantes étaient applicables aux personnes morales. Nous avons estimé, en effet, que ce point ne faisait pas vraiment problème ici. Dans son arrêt Agosi du 24 octobre 1986 ( 75 ), la Cour européenne des droits de l'homme a rejeté au fond une plainte d'une société allemande fondée notamment sur l'article 6, paragraphe 2, de la convention. De votre côté, vous avez, dans votre arrêt Acciaieria di Brescia, précité, fait état du principe de l'inviolabilité du domicile, s'agissant pourtant d'une entreprise sidérurgique. Or, ce principe est repris à l'article 8 de la convention. A propos de cette dernière disposition, vous avez, dans votre arrêt National Panasonic, examiné au fond un grief relatif à sa violation, au détriment d'une entreprise, par une décision de vérification au titre de l'article 14 du règlement n° 17. Malgré la formule dubitative de ce même arrêt, où vous évoquez l'article 8 « pour autant qu'il s'applique à des personnes morales », il nous semble que la tendance de votre jurisprudence est de ne pas exclure la prise en compte des dispositions de la convention à l'égard des entreprises en droit de la concurrence pour le seul motif qu'elles seraient des personnes morales.

146.

La question du droit à témoigner contre soi-même nous conduit à une dernière observation, inspirée par des arguments développés au cours de l'audience. Il semble que, lors de celle-ci, les représentants des requérantes aient précisé leur conception du droit à ne pas témoigner contre soi-même en ce sens qu'il ne s'agirait pas d'un droit inconditionnel. Ce droit, nous a-t-on dit, pourrait être invoqué lorsque la Commission demande des renseignements sans révéler les indices qu'elle détient déjà. Autrement dit, pour obliger les entreprises à répondre, la Commission ne devrait les questionner que sur la base d'indices qu'elle leur révélerait. Cette façon d'aborder le problème, nouvelle par rapport aux écritures, laisse perplexe. Le droit à ne pas témoigner contre soi-même, auquel les requêtes se sont référées, est, lorsqu'il est appliqué, inconditionnel. La version tempérée qu'on vous a proposée à l'audience n'a plus grand-chose à voir avec un tel droit.

147.

En réalité, la conception explicitée par les requérantes à l'audience, en réponse à des questions, tend à nouveau, pourrionsnous dire, à faire anticiper la communication des griefs, qui voit la Commission donner connaissance aux entreprises des éléments de preuve justifiant les griefs. Nous comprenons bien l'intérêt que cela représenterait pour les entreprises, mais cela nous semble exclu par le régime du règlement n° 17, qui n'oblige la Commission à révéler ses indices qu'après l'enquête. Nous ne discernons pas en quoi ce régime porterait atteinte à l'article 6, paragraphes 2 et 3, de la convention européenne, à supposer qu'il s'agisse de dispositions pertinentes. Si tout accusé a droit à « être informé, dans le plus court délai ..., de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui » ( 76 ), un acte d'enquête tel qu'une demande de renseignements n'est pas une accusation. Celle-ci, dans le cadre du règlement n° 17, est la communication des griefs, qui voit précisément la Commission révéler ce qui lui a permis de les formuler.

148.

Aussi, nous ne voyons pas en quoi le fait, pour la Commission, de demander des renseignements à une entreprise, sans révéler les indices déjà détenus, constituerait une violation d'un principe quelconque de la convention, puisque l'entreprise n'est pas encore formellement « accusée ».

149.

Au terme de toute cette série de développements, nous estimons que les décisions litigieuses n'ont illégalement méconnu aucun droit à ne pas témoigner.

VI — Quant à la présomption d'innocence et aux droits d'accusé de CdF Chimie

150.

Nous devons, maintenant, examiner le quatrième moyen, ou troisième moyen subsidiaire, de CdF Chimie. Celle-ci a invoqué la violation du traité et des droits fondamentaux notamment contenus dans la convention européenne, en ce que la Commission n'aurait respecté ni sa présomption d'innocence ni ses droits d'accusé. On note que ce sont à nouveau les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 de la convention qui sont invoqués, mais plus à propos du droit spécifique à ne pas témoigner contre soi-même. Il nous semble que nous avons déjà répondu en grande partie, dans le cours de ces conclusions, à de tels arguments et que nous pourrons nous permettre d'être bref.

151.

En réalité, CdF Chimie met à nouveau en cause le fait que, tout en lui demandant des renseignements, la Commission lui a indiqué qu'elle détenait des indices de sa participation à une infraction, ce qui porterait atteinte à sa présomption d'innocence. Elle estime, en fait, que, dès lors qu'il existe une conviction de participation à une infraction, l'entreprise concernée doit bénéficier des droits de l'accusé, ce qui signifie qu'elle peut refuser de participer à l'accusation contre elle-même. Nous dirons simplement que l'importance des renseignements demandés au moyen de la décision litigieuse fait apparaître que, si la Commission nourrissait des soupçons sur la base d'indices, elle n'avait pas encore de conviction définitive quant à la culpabilité de CdF Chimie ou quant à la délimitation précise des faits qu'elle pouvait lui reprocher. C'est d'ailleurs ce qui nous a conduit à considérer que les renseignements demandés étaient nécessaires. La présomption d'innocence de CdF Chimie ne nous semble donc pas avoir été atteinte en la circonstance.

152.

Quant aux droits liés à la situation d'accusé, nous nous bornerons à rappeler que, pour autant que la situation des entreprises, dans le droit de la concurrence communautaire, relève du champ d'application de l'article 6, paragraphe 3, de la convention, une entreprise ne pourrait être considérée comme accusée qu'à partir du moment où la Commission lui communique des griefs. Les décisions demandant des renseignements, antérieures à une éventuelle communication des griefs, ne s'adressent pas à une entreprise « accusée ».

153.

Aussi, nous considérons que le moyen est dépourvu de fondement.

VII — Quant à un renversement de la charge de la preuve

154.

Au stade de l'examen des requêtes où nous sommes parvenu, les réponses que nous avons proposé de donner à un certain nombre d'arguments ou de moyens ont pour conséquence, pensons-nous, de retirer toute portée à un dernier argument. Nous faisons allusion à l'allégation de renversement de la charge de la preuve qui figure comme troisième branche du deuxième moyen, ou du premier moyen subsidiaire, de Solvay, et comme deuxième argument du troisième moyen, ou du deuxième moyen subsidiaire, de CdF Chimie. Dès lors que la Commission a effectivement demandé aux deux firmes des renseignements qui avaient un caractère nécessaire, pour établir l'existence d'infractions à leur encontre, et qu'elle pouvait le faire sans méconnaître illégalement un prétendu droit à ne pas témoigner contre soi-même, il nous semble que l'affirmation selon laquelle la Commission aurait, par ses décisions, renversé la charge de la preuve se trouve nécessairement privée de tout fondement. Pour être plus précis, sur ce point, à l'égard de la requête de CdF Chimie, qui décompose sa critique en faisant état d'un détournement de pouvoir et d'un détournement de procédure, il y a lieu de dire que la Commission a utilisé le pouvoir que lui donne le droit communautaire de demander des renseignements « nécessaires » pour obtenir des renseignements effectivement reconnus comme tels et qu'elle ne l'a donc pas détourné, et d'ajouter que, n'ayant pas effectué une communication des griefs déguisée, elle n'a pas détourné de procédure en s'abstenant d'assurer les garanties prévues pour une telle communication.

VIII — Observations finales et propositions

155.

Au moment d'inscrire le point final de ces conclusions, nous voudrions livrer une réflexion à votre Cour. L'article 11 est, diton volontiers, un procédé permettant une collaboration entre les entreprises et la Commission dans le cadre des enquêtes relatives à la concurrence. Si les deux requêtes qui vous ont été soumises dans la présente affaire devaient être considérées comme représentatives de l'état d'esprit général des entreprises face aux investigations de la Commission, on pourrait se demander s'il n'y a pas quelque ingénuité à vouloir parler encore de collaboration, ou de coopération, entre les entreprises et la Commission dans les procédures de concurrence. Il est vrai que, sur un plan abstrait, le point de vue selon lequel les rapports entre la Commission et une entreprise soupçonnée d'infraction aux règles communautaires de concurrence devraient être conçus par référence à la procédure pénale, plus précisément de type anglo-saxon, peut être intellectuellement soutenu. On passerait, alors, d'une logique de collaboration au moins partielle à une logique de confrontation. Cependant, il nous semble aussi que, dans un tel cadre, la préservation d'un minimum d'effectivité du rôle de la Commission et, partant, du droit de la concurrence communautaire supposerait alors une très large utilisation, par cette institution, d'un pouvoir de perquisition. Cela veut dire que, si, pour une raison ou une autre, la Commission se trouvait privée du droit de demander des renseignements, ou de les demander utilement, il lui serait nécessaire de recourir presque systématiquement à des mesures plus coercitives. Les entreprises considéreraient-elles qu'il y aurait, dans ces conditions, amélioration par rapport à la situation actuelle? Nous posons la question.

156.

En définitive, nous concluons:

au rejet des requêtes;

à la condamnation des requérantes aux dépens.


( *1 ) Langue originate: le français.

( 1 ) Premier reglement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 13 du 21.2.1962, p. 204).

( 2 ) Procédure IV/31.866 — PEBD.

( 3 ) Procédure IV/31.865 — PVC.

( 4 ) Décision 89/191/CEE (JO L 74 du 17.3.1989, p. 21) et décision 89/190/CEE (ibidem, p. 1).

( 5 ) Décision attaquée concernant CdF Chimie SA, p. 2.

( 6 ) Décision attaquée concernant Solvay, p. 2.

( 7 ) 136/79, Rec. 1980, p. 2033, point 5.

( 8 ) 48/69, Rec. 1972, p. 619, point 140.

( 9 ) 6/72, Continental Can, arrêt du 21 février 1973, Rec. p. 215, point 15.

( 10 ) 32, 36 à 82/78, BMW, arrêt du 12 juillet 1979, Rec. p. 2435, point 24.

( 11 ) 8/56, Rec. 1957, p. 179, 190.

( 12 ) 48/69, précité, point 43.

( 13 ) 6/72, précité, point 10.

( 14 ) Règlement du 25 juillet 1963 relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 127 du 20.8.1963, p. 2268).

( 15 ) Règlement n° 17, article 3, paragraphe 1.

( 16 ) Ibidem, article 15, paragraphe 2.

( 17 ) 85/76, Rec. 1979, p. 461, point 11.

( 18 ) 136/79, prédit, point 21.

( 19 ) 85/76, précité, point 10.

( 20 ) P. 242, Bruylant Éditeur, Bruxelles 1987.

( 21 ) Decision du 9 novembre 1987, p. 1, paragraphe 2.

( 22 ) Ibidem, paragraphe 3.

( 23 ) 136/79, précité, point 26.

( 24 ) 136/79, précité, point 21.

( 25 ) Annexe de la décision, rubrique I, question 5.

( 26 ) 155/79, Rec. 1982, p. 1575, point 16.

( 27 ) 136/79, National Panasonic, prečite, p. 2066.

( 28 ) 136/79, précité, point 15.

( 29 ) 31/59, Rec. 1960, p. 151, 172.

( 30 ) Ibidem, p. 173.

( 31 ) Article 11, paragraphe 1.

( 32 ) Article 14, paragraphe 1.

( 33 ) 136/79, précité, point 13.

( 34 ) 155/79, précité, point 7.

( 35 ) Les ententes et les positions dominantes dans le droit de la CEE. Commentaire des articles Si à 90 du traité CEE et de leurs textes d'application, éd. Jupiter, éd. de Navarre, Pans, 1977, p. 494-495.

( 36 ) 31/59, précité, p. 173.

( 37 ) 5 a 11 et 13 à 15/62, Acciaierie San Michele e.a./Haute Autorité, arrêt du 14 décembre 1962, Rec. p. 859, 883.

( 38 ) Ibidem, p. 885.

( 39 ) Ibidem.

( 40 ) 136/79, National Panasonic, précité, point 30.

( 41 ) Op. cit., p. 493, voir références note 35.

( 42 ) 136/79, précité, point 21.

( 43 ) 136/79, précité, p. 2066.

( 44 ) Doc. 57 du 7 septembre 1961, Parlement européen.

( 45 ) Ibidem, p. 30.

( 46 ) Ibidem.

( 47 ) JO du 15.11.1961, p. 1406/61.

( 48 ) 155/79, précité, p. 1621.

( 49 ) Ibidem.

( 50 ) Op. cit., p. 38 et 287-293, réf. supra note 20.

( 51 ) 155/79, précité.

( 52 ) Ibidem, p. 1654.

( 53 ) Ibidem, p. 1656.

( 54 ) Ibidem.

( 55 ) Ibidem, p. 1658.

( 56 ) 100 à 103/80, Rec. 1983, p. 1825, points 6 à 11.

( 57 ) 155/79, précité, p. 1650.

( 58 ) Ibidem, p. 1636.

( 59 ) Publications de la Cour européenne du droits de l'homme, série A, vol. 73.

( 60 ) Requite n° 10828/84.

( 61 ) 209 i 215 et 218/78, Rec. 1980, p. 3125.

( 62 ) 100 à 103/80, précité.

( 63 ) 100 i 103/80, précité, p. 1920.

( 64 ) 100 i 103/80, précité, point 7.

( 65 ) Arrêt précité, voir note 59, p. 20, point 53.

( 66 ) Ibidem.

( 67 ) 4/73, Rec. 1974, p. 491.

( 68 ) 44/79, Rec. 1979, p. 3727.

( 69 ) 4/73, point 13, et 44/79, point 15.

( 70 ) Boulouis, J., et Chevallier, R.-M.: Grinds arria de U CJCE 4e édition, 1987, tome 1, p. 105-106.

( 71 ) 85/76, précité, point 9.

( 72 ) 136/79, précité, point 21.

( 73 ) Ibidem.

( 74 ) Arrêt précité, p. 21, point 55.

( 75 ) Publications de la Cour européenne des droits de l'homme, série A, vol. 108.

( 76 ) Article 6, paragraphe 3, sous a), de la convention.