61987C0187

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 8 juin 1988. - Land de Sarre et autres contre Ministre de l'Industrie, des P et T et du Tourisme et autres. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Strasbourg - France. - Centrales nucléaires - Avis de la Commission au sens de l'article 37 du traité CEEA. - Affaire 187/87.

Recueil de jurisprudence 1988 page 05013
édition spéciale suédoise page 00643
édition spéciale finnoise page 00663


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire préjudicielle, formée au titre de l' article 150 du traité instituant la Communauté européenne de l' énergie atomique soulève une question importante relative à l' interprétation de l' article 37 du traité . La question s' est posée dans le cadre d' une procédure entamée pour contester la légalité de certains décrets et autorisations émanant du gouvernement français en ce qui concerne un centre de production nucléaire devant être exploité par l' Électricité de France ( ci-après "EDF ") à Cattenom : il s' agit de l' une des installations les plus importantes en Europe occidentale, située près de la Moselle, dans le Nord de la France, à peu de distance du Luxembourg et des frontières allemandes . Les requérantes dans la procédure au principal sont le Land de Sarre, des communes, des administrations municipales, des associations et des particuliers de la région ; les gouvernements du Luxembourg, du Portugal et de l' Irlande sont intervenus à l' appui des parties requérantes dans la procédure au principal .

De longs délais sont nécessaires pour concevoir, obtenir l' approbation et construire une centrale nucléaire de cette taille : en fin de compte quatre tranches consistant chacune en un réacteur à eau pressurisée d' une puissance de 1 300 mégawatts . La construction concerne non seulement les autorités nationales de l' État où la centrale doit être construite mais, lorsque cette dernière se situe à proximité de frontières nationales, également les États voisins et la Communauté dans son ensemble ; le traité donne à la Communauté le pouvoir d' instituer les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs ( article 30 ) et exige en même temps que la Commission soit consultée ou informée par notification en ce qui concerne certaines questions spécifiques .

Dans la présente affaire, après une étude préliminaire de faisabilité et la fourniture de projets à l' administration française, la construction de Cattenom a été déclarée d' utilité publique par un décret français du 11 octobre 1978 . Le 29 novembre 1978, conformément à l' article 41 du traité, des informations relatives au projet d' investissement pour Cattenom ont été communiquées à la Commission . En réponse, dans son point de vue du 6 septembre 1979, la Commission a regretté l' absence d' informations d' intérêt majeur en ce qui concerne les aspects relatifs à la sécurité et elle a exprimé l' espoir que le projet serait développé en étroite collaboration avec les États membres voisins . Entre 1979 et 1982, les autorités françaises ont accordé les permis de construire pour les différentes tranches et, par décrets du 24 juin 1982 et du 29 février 1984, elles ont autorisé la "création" des quatre tranches .

La génération d' énergie nucléaire qui donne à son tour de l' électricité destinée au réseau national, s' accompagne, dès que la réaction nucléaire en chaîne commence, de l' émission de déchets radioactifs sous forme gazeuse, liquide et solide . Le rejet de ces effluents radioactifs constitue un aspect fondamental du fonctionnement de la centrale pour la sécurité des collectivités voisines .

Le 31 juillet 1984, l' EDF a demandé à l' administration française l' autorisation de procéder au rejet des effluents radioactifs liquides et gazeux de chacune des quatre tranches . Le 21 février 1986, les ministres compétents ont adopté deux arrêtés autorisant le rejet des déchets, respectivement gazeux et liquides . Ils fixaient des limites annuelles de radiation : 60 curies au total ( soit 15 curies par tranche ) pour tous les radioéléments autres que le tritium dans les déchets liquides et 4 kilocuries pour le tritium; 90 kilocuries pour les gaz en général des quatre tranches et 3 curies pour les halogènes gazeux et les aérosols . Les arrêtés fixaient de manière détaillée les modalités du traitement et de la décharge de ces déchets, ils prévoyaient le contrôle du niveau de radiation dans l' environnement immédiat et exigeaient une surveillance de 24 heures sur 24 pour vérifier tout incident ou anomalie de fonctionnement pouvant conduire à une augmentation des émissions radioactives et imposaient en outre, pour une telle hypothèse, l' adoption des mesures appropriées ( JORF du 11.3.1986, p . 3724 et 3726 ).

Le tribunal administratif de Strasbourg a été saisi le 28 avril 1986 d' un recours contestant la validité de ces arrêtés, tant au titre du droit national que sur la base de l' article 37 du traité dont la violation était invoquée .

Le jour suivant, le gouvernement français a envoyé à la Commission des "données générales" relatives au rejet des déchets radioactifs de Cattenom "conformément à" l' article 37 du traité . Par lettres des 11 juillet et 14 août 1986, le ministre responsable a autorisé le chargement en combustibles et la mise en oeuvre d' essais précritiques à froid et à chaud ( c' est-à-dire les essais effectués avant et après la mise sous pression des différents circuits ).

La Commission a émis son avis (( C(86 ) 1954 final )) le 22 octobre 1986 ( à l' intérieur du délai de six mois prévu à l' article 37 du traité Euratom ). De manière générale, cet avis était favorable; toutefois la Commission y faisait deux recommandations particulières : en premier lieu, la liaison des autorités responsables des États membres voisins au système d' alarme automatique et leur accès automatique et permanent aux données de contrôle, ainsi que, en second lieu, le réexamen de la procédure actuelle, en particulier en ce qui concerne le délai entre le dépôt de l' avis et la mise en service de la centrale nucléaire . Le jour suivant, le 23 octobre 1986, le ministre responsable a écrit au directeur général de l' EDF pour autoriser le début de la génération d' énergie nucléaire dans la première tranche de Cattenom avec une montée en puissance progressive jusqu' à 90 % de la puissance nominale prévue . Le 25 octobre 1986, la première réaction nucléaire en chaîne a débuté dans la première tranche de Cattenom .

Par jugement du 11 juin 1987, le tribunal administratif a déclaré nuls, pour des raisons de droit national, les arrêtés en question pour autant qu' ils visaient les tranches 3 et 4 de la centrale nucléaire; il a par ailleurs suspendu la procédure en ce qui concerne le surplus des conclusions des requérantes ( portant sur les tranches 1 et 2 )

"jusqu' à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question de savoir si l' article 37 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne de l' énergie atomique exige que la Commission des Communautés européennes soit saisie avant que les rejets d' effluents radioactifs par les centres de production nucléaire soient autorisés par les autorités compétentes des États membres, lorsqu' une procédure d' autorisation préalable est instituée, ou avant qu' ils soient effectués par les centres de production nucléaires ".

L' article 37 figure au chapitre III du traité, intitulé "La protection sanitaire", adopté pour donner effet au quatrième point du préambule de ce traité aux termes duquel les États membres ( bien que résolus à créer les conditions de développement d' une puissante industrie nuclaire ) étaient "soucieux d' établir les conditions de sécurité qui écarteront les périls pour la vie et la santé des populations ". Ainsi, l' article 33 imposait aux États membres d' assurer le respect des normes de base fixées par la Commission au titre des articles 30 à 32 . La directive 80/836/Euratom du Conseil, du 15 juillet 1980 ( JO L 246, p . 1 ) ( adoptée au titre des articles 31 et 32 du traité Euratom ), modifie des directives antérieures fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants .

L' article 34 du traité impose aux États membres d' obtenir l' avis de la Commission en ce qui concerne les dispositions supplémentaires de protection sanitaire devant être adoptées lorsque sont prévues des expériences particulièrement dangereuses : lorsque les effets de ces expériences sont susceptibles d' affecter les territoires des autres États membres, il faut obtenir, non seulement l' avis de la Commission, mais son avis conforme . Aux termes des articles 35 et 36, les États membres sont tenus d' établir les installations nécessaires pour effectuer le contrôle permanent du taux de la radioactivité de l' atmosphère, des eaux et du sol, ainsi que le contrôle du respect des normes de base et ils doivent informer la Commission et lui permettre d' accéder à ces installations pour en vérifier le fonctionnement et l' efficacité .

L' article 38 impose à la Commission d' adresser des recommandations aux États membres en ce qui concerne le taux de radioactivité de l' atmosphère, des eaux et du sol et l' habilite, en cas d' urgence, à arrêter une directive par laquelle elle enjoint à l' État membre de prendre, dans le délai qu' elle détermine, "toutes les mesures nécessaires pour éviter un dépassement des normes de base et pour assurer le respect des réglementations ". Si un État ne se conforme pas à la directive de la Commission, celle-ci ou tout État membre intéressé peut saisir "immédiatement" la Cour de justice .

Il est évident que les effets de la construction d' une centrale nucléaire ne peuvent pas être examinés simplement dans le contexte d' un État membre ou d' un territoire national . Lorsqu' un centre de production est construit près d' une frontière, les intérêts des États voisins sont aussi importants que ceux de l' État dans lequel la centrale est construite .

C' est ce que la Commission n' a jamais perdu de vue . Dès 1976, la Commission a présenté formellement une proposition de règlement du Conseil concernant l' instauration d' une procédure de consultation communautaire pour les centrales électriques susceptibles d' affecter le territoire d' un autre État membre ( JO 1977, C 31, p . 3 ). Cette proposition de règlement, fondée sur l' article 235 du traité CEE et l' article 203 du traité Euratom, fait référence ( sixième considérant ) au fait qu' "une consultation sur le plan communautaire n' existe que pour les projets de rejet d' effluents radioactifs susceptibles d' entraîner une contamination radioactive des eaux, du sol ou de l' espace aérien d' un autre État membre" et cette proposition imposerait notamment à un État membre, lorsqu' une consultation communautaire est demandée, de fournir des données permettant d' évaluer les effets vraisemblables sur l' environnement et les risques potentiels "au plus tard au moment où les autorités nationales compétentes sont saisies de la demande de permis de construction ou d' extension de la centrale" ( article 3, paragraphe 2 ). Toutefois, le Conseil n' a toujours pas adopté cette proposition de règlement .

Plus récemment, la directive 85/337/CEE, du 27 juin 1985 ( JO 1985, L 175, p . 40 ), qui prendra plein effet le 3 juillet 1988, prévoit une évaluation détaillée des effets sur l' environnement de certains projets . Pour les centrales de production nucléaire, cette évaluation est obligatoire pour les États membres .

La Commission a pris deux mesures spécifiques en ce qui concerne l' article 37 du traité CEE . La recommandation de la Commission, du 16 novembre 1960 ( JO du 21.12.1960, p . 1893, ci-après "recommandation de 1960 "), définissant la notion d' effluents radioactifs ( point 1 ) ainsi que les activités susceptibles de les engendrer ( point 3 ), a précisé la nature des données générales qui doivent être communiquées à la Commission ( annexe I ) et recommandé la communication des projets de rejet des effluents radioactifs à la Commission six mois au moins avant la date prévue pour l' exécution du rejet ( point 6 ).

Il n' était pas certain que ce délai soit suffisant et, le 20 novembre 1980, le Parlement européen a adopté une résolution sur l' implantation de centrales nucléaires dans les régions frontalières ( JO 1980, C 327, p . 34 ). Il appelait la Commission à presser les États membres de respecter pleinement les articles 37 et 41 du traité Euratom et d' agir dans des délais suffisamment larges pour que la procédure prévue soit opérante . Il soulignait le rôle primordial de la Commission pour assurer l' application correcte de ces articles du traité .

Par la suite, la recommandation de la Commission 82/181/Euratom, du 3 février 1982 ( JO 1982, L 83, p . 15, ci-après "recommandation de 1982 "), a remplacé la recommandation de 1960 en lui substituant des listes plus détaillées . Aux termes du cinquième considérant de cette recommandation,

"les projets de rejet d' effluents radioactifs provenant de réacteurs nucléaires et d' usines de retraitement de combustible irradié nécessitent une attention particulière dans le cadre de l' article 37 dès avant le début de la construction ".

Le point 3 recommande que, "pour les projets se rapportant à la première ou à la deuxième catégorie" ( auxquels appartient le projet "Cattenom "), "les parties appropriées des 'données générales' ... soient communiquées à la Commission autant que possible un an, mais au moins six mois, avant la date prévue pour le début du rejet d' effluents radioactifs" ( c' est nous qui soulignons ).

Le point 7 recommande que,

"toute modification d' un projet de rejet d' effluents radioactifs, déjà soumis à la Commission pour avis, soit communiquée à celle-ci avant l' octroi de l' autorisation si cette modification peut entraîner une augmentation sensible de l' effet des rejets sur l' exposition de la population ".

Après cet exposé, nous en venons à la question précise qui a été posée : l' article 37 exige-t-il que la Commission soit saisie : a ) avant l' autorisation du rejet des effluents radioactifs lorsqu' une procédure d' autorisation préalable est instituée, ou b ) avant que ces rejets soient effectués, c' est-à-dire avant qu' ils commencent?

Ainsi, la question porte sur le point de savoir s' il faut procéder à la notification ( plutôt que sur celui de savoir s' il faut avoir reçu l' avis de la Commission ) avant l' autorisation ou avant le début du rejet . La formulation de la juridiction nationale est justifiée par les termes de l' article 37 qui ne dispose pas expressément que l' avis doit avoir été reçu avant une quelconque démarche supplémentaire ( que ce soit l' autorisation ou le début de l' activité de rejet ).

Il nous semble toutefois à tout le moins que, malgré la lettre de l' article, son esprit consiste forcément à exiger que l' avis ait été reçu, après consultation des experts, avant le début des opérations de rejet . Une autre interprétation de cet article pourrait priver toute la procédure de son efficacité et le rejet pourrait commencer immédiatement après la communication des données .

En dehors de cela, il nous semble que les termes de l' article eux-mêmes ne permettent pas de trancher entre les deux possibilités invoquées : notification avant l' autorisation ou avant le rejet effectif . L' article ne comporte aucune indication expresse dans un sens ni dans l' autre et il existe des arguments dans les deux directions .

Ainsi, on a dit, d' une part, que, si l' on avait voulu que l' avis soit obtenu avant l' autorisation, il était facile de le préciser dans l' article . A nos yeux, cet argument n' a pas grande valeur, pour ne pas dire aucune . On aurait pu tout aussi bien spécifier "avant de procéder au rejet" si telle était l' intention .

On nous a dit ensuite que, aussi bien dans la recommandation de 1960 que dans celle de 1982, la Commission a recommandé que les projets lui soient communiqués un certain temps avant "la date prévue pour l' exécution du rejet" ou "avant la date prévue pour le début du rejet d' effluents radioactifs ". Le point 3 de la recommandation ne prévoit pas que les données soient communiquées avant l' autorisation du projet . D' un autre côté, au point 4, en ce qui concerne les projets se rapportant à la première catégorie, les "données générales" préliminaires énumérées à l' annexe 2 doivent être communiquées à la Commission avant que les autorités compétentes ne délivrent l' autorisation de construire . C' est pourquoi, poursuit-on, la date clé doit être le début du rejet des déchets .

Cet argument textuel a plus de poids que le premier, mais il convient de noter que, aux termes du point 7 de la recommandation de 1982, toute modification d' un projet de rejet pouvant entraîner une augmentation sensible de l' effet des rejets sur l' exposition de la population doit être notifiée avant l' autorisation . Malgré l' accent mis en ce cas sur le risque accru, il nous semble curieux que la recommandation n' ait pas prévu une période antérieure à l' autorisation dans les deux cas, car un plan original non modifié peut présenter des risques de la même importance . En fait, cela est curieux, sauf si l' intention de base a été que le "rejet" visé au point 3 soit un rejet tenant compte de l' avis de la Commission . Qui plus est, il ne nous semble pas possible de dire que les données générales préliminaires visées au point 4, qui doivent être soumises avant autorisation, sont suffisantes pour permettre à la Commission de se faire une idée adéquate des projets de rejet des effluents, de telle sorte que des notifications ultérieures ne soient pas nécessaires avant l' autorisation . L' annexe 2 montre à l' évidence que les données sont à la fois très préliminaires et très générales . A nos yeux, l' existence de cette disposition n' affecte pas la question déférée à la Cour .

La Commission a apparemment choisi la période de six mois comme délai minimal pour la notification en raison de la disposition de l' article 37 selon laquelle elle dispose de six mois pour émettre son avis . En d' autres termes, sa recommandation était en ce sens que le rejet ne devait pas commencer avant qu' elle ait donné son avis . Selon nous, cela revient à relier deux périodes différentes qui répondent à des objectifs différents : d' une part, la fourniture de l' avis de la Commission et, d' autre part, la prise en considération de cet avis, assortie de la mise en oeuvre de toutes les modifications éventuellement proposées dans l' intérêt notamment des États voisins ainsi que de la Communauté dans son ensemble .

En toute hypothèse, quel que soit le poids du point de vue de la Commission en ce qui concerne la façon dont le traité doit être appliqué, il ne nous semble pas que les déclarations figurant dans les recommandations puissent régir l' interprétation correcte de l' article du traité .

On a fait fond ensuite sur l' article 38 pour justifier l' interprétation plus restrictive de l' article 37 ( selon laquelle il suffit de fournir les données avant le début des opérations de rejet ). Nous admettons l' argument selon lequel, si la Commission sait que des mesures de rejet enfreignant les normes de base ou les réglementations pertinentes sont mises en oeuvre ou sur le point de l' être, elle peut adopter une directive au titre de l' article 38 et, si nécessaire, saisir la Cour de justice . Une telle situation pourrait constituer "un cas d' urgence" au sens de l' article 38 . A notre avis, toutefois, cela ne constitue pas une réponse concluante à l' encontre d' une interprétation plus extensive de l' article 37 . Le but de l' article 37 est de chercher à éviter la survenance de situations d' urgence comportant peut-être de grands risques pour les collectivités voisines . Avec sa vue d' ensemble des développements dans la Communauté, la Commission, assistée par l' opinion du groupe d' experts, est en mesure de donner des orientations de manière à prévenir les cas d' urgence, ce qui est différent du fait de traiter ces cas, au titre de l' article 38, lorsqu' ils surviennent .

Les parties adverses mettent très fortement l' accent sur les termes "tout projet" de l' article 37 . Elles font valoir qu' un "projet" n' est en fait rien d' autre qu' une proposition et que, une fois autorisée, une proposition cesse d' être un "projet ": si des mesures définitives de mise en oeuvre ont été adoptées, il ne s' agit plus d' un projet . En ce qui nous concerne, cet argument ne nous persuade pas . Nous ne sommes pas convaincu que, dans le langage courant, un projet une fois approuvé cesse d' être un projet . Pour utiliser le vocabulaire des administrations en matière de planification, un "projet urbain", même après son adoption, peut légitimement continuer à être qualifié de projet .

En fin de compte, il nous semble que, en l' absence d' indications claires et expresses, il faut se demander quels sont l' objectif et le but fondamentaux de la procédure prévue à l' article 37 . A notre avis, la réponse est sans aucun doute que c' est de fournir à la Commission, après consultation de ses experts et à la lumière de son expérience de la Communauté et de sa connaissance en matière de construction de centrales nucléaires, existantes ou en projet, une réelle possibilité de commenter les projets qui lui ont été soumis et de faire des propositions concernant en premier lieu la santé et la sécurité des personnes qui peuvent être affectées par le rejet des effluents radioactifs, mais également en gardant à l' esprit leur effet sur l' environnement .

La réponse ne saurait être influencée par le fait que la Commission ne peut émettre qu' un avis, dont l' article 161 du traité stipule qu' il n' a pas de force obligatoire, ni qu' au contraire l' article 34 impose l' avis conforme de la Commission au lieu de son simple avis lorsque les effets d' expériences particulièrement dangereuses sont susceptibles d' affecter les territoires d' autres États membres . Il nous semble inconcevable, dans un domaine où les conséquences potentielles sont si graves, qu' un État membre n' accorde pas à l' avis de la Commission l' attention la plus complète et la plus soigneuse même si, en fin de compte, il décidait de ne pas s' y ranger totalement . Selon nous, c' est une obligation qui lui incombe . D' ailleurs, nous avons cru comprendre que le représentant de la France, tout en réservant un droit de s' écarter de l' avis, avait admis comme on pouvait s' y attendre que, tant en application de l' article 192 du traité Euratom qu' au titre de ses obligations générales en tant qu' État membre de la Communauté, la France s' acquitterait de ses obligations et accorderait la plus grande attention à l' avis de la Commission avant de poursuivre .

A notre avis, l' interprétation par laquelle l' objectif et le but de l' article 37 sont atteints de la manière la plus utile et la plus satisfaisante est celle selon laquelle l' avis de la Commission doit obligatoirement être obtenu et pris en considération avant que le projet de rejet des effluents radioactifs soit finalement autorisé . Le représentant de la France a souligné que, dans cette sorte de domaine, ni la Commission ni les États membres ne sont infaillibles : il en est d' autant plus nécessaire et utile, à notre avis, que l' avis de la Commission soit pris en considération avant l' autorisation car, après l' autorisation : a ) il est tout à fait possible que ceux qui ont donné l' autorisation se retranchent dans leur position et b ) ceux à qui l' autorisation a été accordée peuvent avoir acquis des droits alors que d' autres auraient perdu tout droit de contester l' autorisation, en raison des délais survenus . C' est ce qu' il faut éviter dans un domaine qui connaît de tels risques potentiels : l' avis doit être connu et pris en considération avant l' adoption de la mesure législative ou administrative finale en ce qui concerne le rejet des effluents radioactifs .

Il y a, nous semble-t-il, une certaine force dans l' affirmation selon laquelle l' autorisation doit survenir après que la Commission a émis son avis, le terme "autorisation" désignant le dernier acte qui peut être contesté devant une juridiction nationale . Le fait de ne pas accorder l' autorisation avant l' avis de la Commission est susceptible également de donner à la Commission un délai plus réaliste pour apprécier les mesures au titre de l' article 38 et, si nécessaire, pour saisir la Cour .

Nous ne sommes pas convaincu par l' argument selon lequel, si l' on exigeait que les données générales soient notifiées avant autorisation, elles pourraient être si générales que leur valeur en serait limitée . Le rejet des déchets constitue une partie essentielle de la conception d' une centrale nucléaire et les données relatives au rejet des déchets sont vraisemblablement disponibles en temps utile pour que les procédures envisagées soient complètement mises en oeuvre - surtout si l' on tient compte des conditions de délai dans la présente affaire et de la démonstration, faite par la Commission, du fait que, entre le premier projet et la première réaction nucléaire en chaîne, une période de huit ans n' est pas rare .

Nous n' admettons pas non plus l' argument selon lequel, du fait que certains États membres peuvent adopter des procédures différentes en matière d' autorisation du rejet des effluents radioactifs, le résultat est discriminatoire . Quelle que soit la forme prise par l' autorisation - que ce soit un élément de l' autorisation générale de construire une centrale nucléaire ou, comme en l' espèce, une question séparée ( et l' obligation d' obtenir une autorisation sous quelque forme que ce soit semble virtuellement inévitable ) - il faut obtenir l' avis de la Commission et le prendre en considération avant d' accorder l' autorisation définitive .

En examinant ces questions nous n' avons pas tenu compte des circonstances particulières de la présente espèce . L' interprétation de l' article 37 ne saurait être affectée par le fait que, dans le cas qui nous occupe, l' avis de la Commission était largement favorable . Il convient toutefois de remarquer, post hoc :

1 ) qu' en l' absence d' une règle claire la pratique des États membres a varié : sur vingt notifications adressées à la Commission au titre de l' article 37, six ont été faites moins de six mois avant que la centrale soit reliée au réseau électrique national, neuf l' ont été entre six mois et un an avant l' entrée en service et cinq plus d' un an à l' avance,

2 ) qu' en l' espèce aucune raison réelle n' a été donnée pour expliquer pourquoi il n' était pas possible de notifier dans les douze mois plutôt que dans les six mois précédant le début des opérations de rejet,

3 ) que, bien que le dernier permis de construire ait été accordé le 31 mars 1982, c' est-à-dire après que la recommandation de 1982 soit devenue effective, il ne semble pas que la France ait notifié des "données générales" préliminaires à la Commission, conformément au point 4 de la recommandation, avant d' accorder ce dernier permis de construire,

4 ) qu' il y a eu désaccord entre ce qui était considéré comme des taux acceptables de rejet des déchets radioactifs liquides de Cattenom : le décret autorisant le rejet a fixé une limite de 15 curies par tranche pour tous les éléments radioactifs autres que le tritium; la convention du 12 mars 1986 entre la France et le Luxembourg ne prévoyait pas plus de 3 curies par tranche et, dans la décision de la Commission de la Moselle du 27 mars 1986, la France s' est engagée à ne pas dépasser ce taux; le groupe d' experts, dans son rapport, a estimé que ces limites plus élevées étaient acceptables mais a "pris note avec satisfaction" de la limite inférieure adoptée dans la convention et dans la décision de la Commission de la Moselle : l' arrêté autorisant le rejet n' a pourtant pas été modifié .

Ces facteurs nous semblent indiquer à quel point il est nécessaire de disposer d' une règle claire et ferme devant être suivie au titre de l' article 37 .

Les principes de l' "effet utile" ( admis en droit communautaire - voir l' affaire 9/70, Grad/Finanzamt Traunstein, Rec . 1970, p . 825, 837, point 5; affaire 22/70, Commission/Conseil, Rec . 1971, p . 263, 274 et 275, points 15 et 28, p . 280, point 72, et p . 281, point 77; affaire 804/79, Commission/Royaume-Uni, Rec . 1981, p . 1045, 1074, point 23 ) ainsi que le principe de solidarité communautaire ( voir les affaires jointes 6 et 11/69, Commission/France, Rec . 1969, p . 523, 540, point 16, et l' affaire 39/72, Commission/Italie, Rec . 1973, p . 101, 116, point 25 ) nous semblent exiger, dans un souci de protection de la santé, de sécurité, d' efficacité et de protection de l' environnement, sans pour autant affecter indûment les procédures nationales, une réponse à la question déférée selon les orientations suivantes :

"L' article 37 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne de l' énergie atomique exige que la notification soit faite à la Commission et que l' avis de cette dernière soit émis et pris en considération, avant que les autorités compétentes des États membres autorisent le rejet, par une installation nucléaire, des effluents radioactifs ."

C' est à la juridiction nationale qu' il appartient de se prononcer sur les dépens des parties à la procédure principale . Les frais exposés par la Commission et par les gouvernements irlandais, luxembourgeois et portugais, qui ont présenté des observations dans le cadre de la présente procédure, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement .

(*) Traduit de l' anglais .