61985C0356

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 26 février 1987. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Régime fiscal du vin et de la bière. - Affaire 356/85.

Recueil de jurisprudence 1987 page 03299
édition spéciale suédoise page 00147
édition spéciale finnoise page 00147


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . A -*Dans la présente affaire, la Commission demande à la Cour de constater que le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l' article 95 du traité CEE en appliquant un taux de TVA plus élevé aux vins de raisins frais, produits importés, qu' à la bière, qui est un produit de fabrication essentiellement nationale .

2 . La législation belge en cause se compose de l' arrêté royal n°*20, du 20 juillet 1970 ( 1 ), dans la version modifiée par les arrêtés royaux du 25 mars 1977 ( 2 ) et du 16 novembre 1983 ( 3 ), qui ont fixé les taux de la TVA et déterminé la répartition des biens et des services selon ces taux .

3 . Conformément à ces textes, la bière est soumise à un taux de 19 %, tandis qu' un taux de 25 % est applicable à diverses boissons destinées à un usage domestique, parmi lesquelles le vin de raisins frais .

4 . B -*Considérant, à la suite de l' arrêt de la Cour du 12 juillet 1983 dans l' affaire 170/78 ( 4 ), que le vin et la bière sont des produits concurrents dans les préférences des consommateurs, la Commission a attiré l' attention des autorités belges, par lettre du 22 octobre 1983, sur le fait que l' application à la bière d' un taux moins élevé qu' au vin de raisins frais constituerait une infraction aux dispositions de l' article 95, alinéa 2, du traité .

5 . N' ayant obtenu aucune réaction de la part du gouvernement belge, la Commission lui a envoyé, le 20 juin 1984, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle l' invitait à présenter ses observations .

6 . Dans sa réponse, le gouvernement belge a invoqué diverses raisons pour conclure à l' absence de violation de l' article 95, alinéa 2, puisque rien ne permettait de dire que la différence de taux - qui ne reflétait, selon lui, aucune espèce de volonté de favoriser un produit national par rapport à un produit importé - ait eu, dans la pratique, un effet protectionniste .

7 . Les arguments de la Belgique ne lui ayant pas semblé convaincants, la Commission a adressé à cet État un avis motivé dans lequel elle maintenait son accusation de violation de l' article 95, alinéa 2, en l' invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans le délai de un mois .

8 . En l' absence de réponse à l' avis motivé, la Commission a introduit la présente procédure par recours du 15 novembre 1985 .

9 . C -*Les arguments des parties - ainsi que du gouvernement français, qui a été admis à intervenir à l' appui des conclusions de la Commission - se trouvent résumés dans le rapport d' audience .

10 . Il suffit de relever pour le moment que la Commission fondait son argumentation sur la conviction - tirée de la jurisprudence de la Cour - que, dès lors qu' est établie une relation de concurrence entre deux produits, toute différence dans les taux d' imposition appliqués à une même assiette ( en l' occurrence, la valeur ajoutée ) est contraire aux dispositions de l' article 95, alinéa*2 .

11 . Comme, d' après la Commission, la Cour a déjà établi l' existence d' un rapport de concurrence entre le vin et la bière ( 5 ), il n' y aurait besoin de rien d' autre pour conclure que la différence entre les taux appliqués à l' un et à l' autre produit, en Belgique, est contraire aux dispositions de l' article 95, alinéa 2, l' importance de cette différence permettant seulement d' apprécier le degré de gravité de l' infraction .

12 . Pour la Belgique, au contraire, l' application de l' article 95, alinéa 2, suppose, à la différence de l' alinéa 1, que soit satisfaite une condition supplémentaire, à savoir que la différence d' imposition soit susceptible d' exercer un effet protecteur sur les produits nationaux concurrents des produits importés .

13 . Or, en l' espèce, la différence de taux de TVA entre le vin et la bière - qui ne concernerait par ailleurs qu' une partie de la consommation de ces produits - ne serait pas susceptible d' exercer une influence significative sur le prix de vente au détail et, par conséquent, sur les choix des consommateurs .

14 . D -*L' interprétation de l' article 95, alinéa 2, est donc cruciale pour la solution du présent litige .

15 . Cette interprétation implique, en premier lieu, de situer cette disposition dans le cadre global de l' article 95, en tenant compte de la fonction générale de ce dernier et du lien avec la règle énoncée à l' alinéa*1 .

16 . D' autre part, l' article 95 dans son ensemble doit nécessairement être envisagé dans le contexte du chapitre dans lequel il est inséré - et notamment par rapport à l' article 99 -, ainsi qu' en liaison avec les objectifs généraux du traité .

17 . E -*La Cour a déjà précisé ( 6 ) les dispositions de l' article 95, alinéas 1 et 2, "constituent un complément des dispositions relatives à la suppression des droits de douane et des taxes d' effet équivalent", car elles ont pour objectif "d' assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres, dans des conditions normales de concurrence, par l' élimination de toute forme de protection pouvant résulter de l' application d' impositions intérieures discriminatoires à l' égard des produits originaires d' autres États membres ".

18 . Pour résumer, la Cour a souligné que l' article 95 doit "garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés ".

19 . On ne saurait naturellement contester en l' état actuel d' évolution du droit communautaire "la liberté de chaque État membre d' établir un système de taxation différenciée pour certains produits, en fonction de critères objectifs, tels que la nature des matières premières utilisées ou les procédés de production appliqués" ( 7 ).

20 . Mais ces différenciations ne sont compatibles avec le droit communautaire que "si elles poursuivent des objectifs de politique économique compatibles, eux aussi, avec les exigences du traité et du droit dérivé et si leurs modalités sont de nature à éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l' égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de productions nationales concurrentes ".

21 . Autrement dit, "la liberté d' imposition en matière de taxes intérieures, qui doit ainsi être laissée aux États membres, ne saurait justifier des dérogations au principe fondamental de non-discrimination fiscale énoncé à l' article 95, mais elle doit se situer dans le cadre de cette disposition et en respecter les interdictions" ( 8 ). Tel était le cas dans l' affaire 243/84, John Walker, où, dans son arrêt du 4 mars 1986 ( 9 ), la Cour a admis la compatibilité avec l' article 95, alinéa 2, d' un système de taxation différenciée pour certaines boissons non similaires "lorsque, dans chacune des catégories fiscales, figure une partie essentielle de la production nationale des boissons alcooliques ".

22 . Quant à la relation entre l' article 95 et l' article 99, la Cour a également déjà relevé la différence entre les objectifs de ces deux dispositions . Tout en constatant que les divergences existant entre les diverses législations nationales "constituent un obstacle à la libre circulation des marchandises et au développement des échanges entre les États membres", elle considère cependant que la mise en oeuvre du programme d' harmonisation prévu par l' article 99 ne constitue en rien un préalable à l' application de l' article 95, qui "établit une exigence fondamentale, directement liée à l' interdiction, entre les États membres, des droits de douane et taxes d' effet équivalent, en ce qu' il vise à l' élimination, dès avant toute harmonisation, de toute pratique fiscale nationale susceptible d' établir des discriminations à charge de produits importés ou d' assurer une protection à certaines productions nationales ". Partant, la Cour a jugé que les articles 95 et 99 poursuivent des objectifs distincts, "la première de ces dispositions ayant pour objet d' éliminer dans l' immédiat les pratiques fiscales discriminatoires ou protectrices, alors que la seconde a pour objet d' atténuer les obstacles aux échanges résultant des disparités entre les systèmes fiscaux nationaux, même lorsque ceux-ci sont appliqués de manière non discriminatoire" ( 10 ).

23 . Confirmant cette différence, la Cour a, par ailleurs, précisé que l' alinéa 2 de l' article 95 établit lui aussi une interdiction "complète, juridiquement parfaite et, en conséquence, susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables" ( 11 ).

24 . F -*Il convient néanmoins, en interprétant chacun des préceptes de l' article 95 à la lumière de la fonction et des objectifs généraux que la Cour attribue à cette disposition, de faire une distinction nette entre la règle de l' alinéa 1 et celle de l' alinéa*2 .

25 . L' alinéa 1 s' applique aux produits similaires, c' est-à-dire, d' après la définition de la Cour ( 12 ), à ceux qui "présentent au regard des consommateurs des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins ". La Cour a ainsi consacré une interprétation large de la notion de similitude, d' après laquelle celle-ci doit être appréciée "en fonction d' un critère non pas d' identité rigoureuse, mais d' analogie et de comparabilité dans l' utilisation" ( 13 ).

26 . Quant à ces produits, le régime établi consiste à interdire de frapper, directement ou indirectement, les produits des autres États membres d' impositions intérieures, de quelque nature qu' elles soient, supérieures à celles qui frappent, directement ou indirectement, les produits nationaux . En somme, est interdite "toute disposition fiscale dont l' effet serait d' imposer plus lourdement les produits importés que les produits nationaux, par quelque mécanisme que ce soit" ( 14 ).

27 . Pour sa part, l' article 95, alinéa 2, "s' applique au traitement fiscal de produits qui, sans répondre au critère de similitude énoncé à l' alinéa 1 du même article, se trouvent néanmoins en concurrence, soit partielle, soit potentielle, avec certaines productions du pays d' importation" ( 15 ).

28 . Pour ces derniers, la disposition citée interdit à tout État membre d' appliquer aux produits des autres États membres des impositions intérieures de nature à protéger indirectement d' autres productions .

29 . Autrement dit, l' article 95, alinéa 2, s' applique aux produits qui, sans être similaires aux produits importés, sont susceptibles d' être protégés indirectement par des impositions différenciées, car ils se trouvent en concurrence avec ces produits "en raison d' une ou de plusieurs utilisations économiques" ( arrêt Fink-Frucht, précité, Rec . 1968, p.*343 ).

30 . A ce propos, la Cour a tenu à souligner que, "même à défaut de toute concurrence directe avec un produit national, une telle protection existerait s' il était établi que le produit importé supporte une charge fiscale particulière en raison de son état de fabrication ou de commercialisation, ou de toute autre circonstance économique, de manière à protéger certaines activités distinctes de celles qui ont servi à la fabrication du produit importé" ( arrêt Fink-Frucht, Rec . 1968, p.*343 ).

31 . Ainsi qu' on peut le lire dans le même arrêt Fink-Frucht ( Rec . 1968, p.*343 ), "alors que l' article 95, alinéa 1, n' interdit une taxe que dans la mesure où celle-ci dépasse un niveau de référence bien déterminé, l' interdiction établie par l' alinéa 2 est basée sur l' effet protecteur des taxes visées, à l' exclusion d' un terme précis de référence ".

32 . Dans le cas de l' alinéa 1, le terme de référence est, bien entendu, constitué par le niveau d' imposition qui frappe directement ou indirectement les produits nationaux similaires; ce niveau étant établi, l' application de cette disposition résultera d' une simple opération arithmétique de "comparaison des charges fiscales, que ce soit en fonction du taux, des conditions d' assiette ou d' autres modalités d' application" ( 16 ).

33 . "L' interdiction s' applique dès lors qu' un mécanisme d' imposition est de nature à frapper plus lourdement le produit importé que le produit national" ( arrêt du 27 février 1980, Commission/Royaume-Uni, précité, Rec . p.*433, point 9 des motifs ).

34 . Dans le cas de l' alinéa 2, "compte tenu de la difficulté d' établir des comparaisons suffisamment précises entre les produits en cause", le critère d' appréciation est nécessairement "un critère plus global", à savoir le caractère protectionniste d' un système d' impositions intérieures ( 17 ). Il faut dès lors pouvoir affirmer qu' une imposition déterminée "est susceptible de produire l' effet susvisé" ( arrêt Fink-Frucht, Rec . p.*343 ) avant de la considérer comme incompatible avec le traité .

35 . Une distinction nette entre produits similaires et produits concurrents aux fins de l' application de l' un ou de l' autre alinéa de l' article 95 ne devient superflue que lorsque, comme la Cour l' a constaté dans l' arrêt du 15 mars 1983 à propos du régime fiscal des eaux-de-vie italiennes ( 18 ), il est fait usage d' un "critère d' imposition majorée, telle l' appellation d' origine ou de provenance qui, par définition, ne saurait, en aucun cas, être applicable aux produits nationaux similaires ou se trouvant, avec les produits importés des autres États membres, dans le rapport de concurrence décrit ci-dessus . Un tel régime a pour effet d' exclure d' avance les produits nationaux du régime de taxation le plus lourd, puisqu' ils ne réuniront jamais les conditions de cette imposition majorée ...".

36 . Dans son arrêt du 11 juillet 1985 dans l' affaire 278/83, Commission/Italie ( 19 ), relative aux taux de TVA applicables aux vins mousseux de la production nationale et aux vins importés ( principalement le champagne ), la Cour a conclu de la même façon, sans qu' il fût nécessaire d' examiner s' il s' agissait de l' alinéa 1 ou de l' alinéa 2, à l' existence d' "une violation patente de la règle de non-discrimination fiscale de l' article 95", puisqu' il était manifeste que "la définition donnée, par la législation italienne, de la catégorie de vins mousseux soumis au taux d' imposition le plus élevé est conçue de manière à frapper exclusivement des produits importés et vise à protéger les productions nationales correspondantes en leur accordant des taux d' imposition sensiblement moins élevés ".

37 . Mais ce sont là, à notre avis, des cas exceptionnels, bien caractérisés par l' intention de discriminer et par le caractère manifeste des effets discriminatoires .

38 . G -*La première question au regard de l' application de l' article 95, alinéa 2, est donc de déterminer si un produit national et un produit importé sont ou non en situation de concurrence, eu égard à leurs possibilités respectives d' utilisation économique et au degré de substitution existant entre eux par rapport à la satisfaction de besoins identiques .

39 . Comme nous l' avons déjà vu, la Cour de justice considère ( 20 ) que la concurrence peut être simplement "partielle" ou "potentielle ".

40 . Pour déterminer l' existence d' un rapport de concurrence, la Cour précise ( 21 ) qu' "il y a lieu d' envisager non seulement l' état actuel du marché, mais encore les possibilités d' évolution dans le contexte de la libre circulation des marchandises à l' échelle communautaire et les virtualités nouvelles de substitution entre produits que l' intensification des échanges peut révéler, de manière à mettre en valeur pleinement les complémentarités entre les économies des États membres, conformément aux objectifs fixés par l' article 2 du traité ".

41 . Le rapport de concurrence entre les produits doit ensuite être apprécié dans une perspective dynamique, en prenant en compte les nouvelles possibilités de substitution apportées par les échanges intracommunautaires, ainsi que l' évolution des goûts des consommateurs .

42 . C' est pour cela que la Cour a souligné, dans l' arrêt du 12 juillet 1983 ( Commission/Royaume-Uni, Rec . p.*2287, point 8 des motifs ), précité, que, "pour apprécier le degré de substitution possible, on ne saurait se limiter aux habitudes de consommation existant dans un État membre ou dans une région déterminée . En effet, ces habitudes, essentiellement variables dans le temps et dans l' espace, ne sauraient être considérées comme une donnée immuable; il ne faut pas, dès lors, que la politique fiscale d' un État membre serve à cristalliser des habitudes de consommation données en vue de stabiliser un avantage acquis par les industries nationales qui s' attachent à les satisfaire ".

43 . H -*Le rapport de concurrence entre deux produits étant établi, il reste, cependant, une deuxième question à résoudre .

44 . L' article 95, alinéa 2, interdit les pratiques fiscales qui sont "de nature à protéger indirectement" la production de l' État membre importateur .

45 . Eu égard à la différence entre les dispositions des alinéas 1 et 2 de cet article, cette condition signifie, dans le fond, qu' il faut apprécier si l' écart entre les impositions appliquées aux produits concurrents est de nature à protéger indirectement le produit national ( 22 ).

46 . Il convient toutefois de souligner, à l' instar de la Cour ( 23 ), que "la disposition citée s' attache à la 'nature' du système fiscal en cause, de manière qu' on ne saurait exiger, dans chaque cas, que soit apportée la preuve statistique d' un effet protecteur . Pour l' application de l' article 95, alinéa 2, il suffit qu' il soit établi qu' un mécanisme fiscal déterminé, compte tenu de ses caractéristiques propres, est susceptible d' entraîner l' effet protecteur visé par le traité . Sans méconnaître donc l' importance des éléments d' appréciation qu' il est possible de tirer de données statistiques permettant de mesurer l' effet d' un dispositif fiscal déterminé, on ne saurait exiger de la Commission de fournir des indications chiffrées sur la consistance concrète de l' effet protecteur du système fiscal critiqué ".

47 . Eu égard à la jurisprudence indiquée ci-dessus, le problème de savoir si la différence de taux d' imposition doit produire un effet de protection sensible ou d' une certaine amplitude perd son caractère autonome . Autrement dit, cela ne nous paraît pas constituer, pour l' application du mécanisme de l' article 95, alinéa 2, une condition supplémentaire telle que seraient automatiquement exclues les différences "mineures" d' imposition .

48 . Ce qui importe, c' est que la différence de traitement fiscal entre produits nationaux et produits importés concurrents soit susceptible d' entraîner un effet protecteur au sens où l' entend la Cour .

49 . Selon nous, l' amplitude plus ou moins grande de l' écart entre les taux sera, avec les autres données pertinentes - relatives au domaine d' utilisation des produits concernés, à leur composition et à leur rapport avec les habitudes de consommation, aux différences de prix, à l' évolution des consommations et des importations, etc . -, l' un des éléments d' appréciation qui permettront de déterminer dans chaque cas si un système fiscal est ou non de nature à entraîner un effet protecteur de la production nationale .

50 . Cela signifie que - à l' opposé de l' alinéa*1 - l' alinéa 2 de l' article 95 n' exige pas, comme l' avocat général M . VerLoren van Themaat l' a fait observer, que les taux d' imposition des produits nationaux et des produits importés soient rigoureusement identiques ( 24 ).

51 . La Cour a d' ailleurs déjà dit dans son arrêt Fink-Frucht, relatif à une demande de décision préjudicielle présentée par le Finanzgericht de Munich, que "le traité n' interdit pas au juge national de décider, le cas échéant, du niveau au-dessous duquel la taxe en question cesserait de produire l' effet de protection condamné" par l' article 95, alinéa*2 .

52 . Quoi qu' il en soit, quant à l' alinéa 1, la Cour a déjà précisé expressis verbis ( 25 ) que le critère d' appréciation "consiste dans la comparaison des charges fiscales, que ce soit en fonction du taux, des conditions d' assiette ou d' autres modalités d' application ".

53 . Il nous semble de même que, pour l' alinéa 2, il importe d' apprécier les charges fiscales, et pas seulement les taux; en l' occurrence, la question n' a aucune importance, car seule la différence entre les taux applicables est en cause .

54 . Mais l' appréciation de la charge fiscale doit présentement être faite eu égard à son incidence sur les relations de concurrence entre les produits, en ce sens qu' il y a lieu d' évaluer son éventuel effet protecteur de la production nationale .

55 . Ainsi que l' avocat général M . Gerhard Reischl l' a souligné dans ses conclusions de 1980 dans l' affaire 170/78 ( 26 ), cet effet protectionniste "n' existe toutefois pas automatiquement lorsque le produit importé est taxé plus lourdement que celui qui peut lui être substitué, puisque, en raison des différences de coûts et de prix présentées par des produits de substitution, une imposition supérieure ne se répercute pas toujours sur le marché ".

56 . Autrement dit, en exigeant l' égalité de traitement, le traité établit pratiquement pour les produits similaires une présomption juris et de jure de l' existence d' une discrimination dès lors que les charges fiscales sont différentes; quant aux produits concurrents, il est nécessaire de démontrer que la différence d' imposition est susceptible de ( est "de nature à ") protéger indirectement les productions internes ( 27 ).

57 . I -*Voyons comment appliquer ces conclusions au cas présent .

58 . En premier lieu, en ce qui concerne le rapport de concurrence entre les deux produits en cause, le vin et la bière .

59 . L' arrêt interlocutoire du 27 février 1980 dans l' affaire 170/78, Commission/Royaume-Uni, a considéré, au point 14 des motifs ( considérations reprises par la suite dans l' arrêt final du 12 juillet 1983 ), que, "dans une certaine mesure, les deux boissons en cause sont capables de remplir des besoins identiques, de manière qu' on doit admettre un certain degré de substitution entre elles ". Et la Cour a ajouté, comme nous l' avons déjà vu, que l' appréciation du degré de substitution doit prendre en compte les possibilités d' évolution des habitudes de consommation dans la perspective d' un marché unique communautaire .

60 . Cependant, la Cour a reconnu qu' il existe entre les deux boissons des "différences importantes *... du point de vue des procédés de fabrication et des propriétés naturelles", qui entraînent des "structures de prix si profondément différentes qu' en dépit du rapport de concurrence entre les produits finis des comparaisons du point de vue fiscal apparaissent particulièrement difficiles" ( point 15 des motifs ).

61 . A la suite des mesures d' instruction supplémentaires auxquelles elle avait jugé nécessaire de faire procéder, la Cour a fini par conclure, dans son arrêt final du 12 juillet 1983, que, "compte tenu des grandes différences de qualité et, partant, de prix qui existent entre les vins, la relation de concurrence déterminante entre la bière, boisson populaire et largement consommée, et le vin doit être établie avec les vins les plus accessibles au grand public, qui sont, en général, les plus légers et les moins chers; c' est donc sur cette base qu' il convient de faire des comparaisons fiscales en fonction du degré alcoolique des deux boissons ou du prix des deux produits en question" ( point 12 des motifs ).

62 . La Cour a ainsi accepté la pertinence des observations du gouvernement italien - partie intervenante à cette procédure -, selon lequel il n' était "pas approprié d' établir une comparaison entre la bière et les vins d' une teneur alcoolique moyenne ou, à plus forte raison, élevée ". Selon le gouvernement italien, les vins qui se trouvent réellement dans un rapport de concurrence avec la bière sont, très précisément, "les vins les plus légers, d' un degré alcoolique proche de 9°, c' est-à-dire les vins les plus courants et les moins chers", et ce sont donc ces derniers qui devraient être choisis comme terme de comparaison pour mesurer l' incidence de la taxe ( point 11 des motifs ).

63 . Dans quelle mesure ces considérations s' appliquent-elles à l' appréciation du rapport de concurrence entre le vin et la bière dans le cas sub judice?

64 . Il faut relever que le système fiscal qui nous préoccupe ici est le système belge, et non pas le système britannique .

65 . Toutefois, la traversée de la Manche ne modifie pas en soi, substantiellement, tous les usages populaires : il semble, en effet, qu' à l' instar des Anglais les Belges sont de traditionnels consommateurs de bière . Selon le gouvernement belge, la consommation de bière fait partie intégrante des us et coutumes de la population belge, même si l' on a pu constater, ces dernières années, que la bière cède un peu de terrain au vin et aux alcools .

66 . Il est pourtant admis - et les deux parties le reconnaissent dans la présente affaire - qu' il existe, en principe, une relation de concurrence entre le vin et la bière .

67 . Mais, pour bien définir cette relation de concurrence, il faut, à ce qu' il nous semble, partir du principe qu' on ne peut comparer que ce qui est comparable .

68 . Or, la procédure n' a pas seulement montré que la liste des vins importés et consommés en Belgique est variée et bien fournie; elle a également confirmé la richesse du pays en bières de types et de prix les plus divers .

69 . En ce qui concerne les bières, la Commission a relevé qu' environ 300 types différents de bières sont produites dans le pays . Certaines d' entre elles sont vendues à plus de 100 BFR le litre et peuvent être classées parmi les bières de luxe .

70 . Il ne semble pas correct de comparer ces bières avec les vins courants et bon marché, avec lesquels la relation de concurrence n' est pas évidente : leur prix est, en effet, très différent, mais les méthodes de fabrication, la qualité gastronomique, les goûts qu' elles satisfont, les occasions lors desquelles elles sont bues et les catégories de consommateurs qu' elles touchent ne le sont pas moins .

71 . Il peut déjà sembler plus logique d' établir un parallèle entre ces bières "de luxe" et les grands vins de qualité, également situés en haut de l' échelle et qui sont, eux aussi, consommés en des occasions spéciales par des connaisseurs doués à la fois d' un grand pouvoir d' achat et d' un goût raffiné .

72 . Mais, même là, nous hésiterions à affirmer que, pour cette catégorie de consommateurs, un excellent vin d' un grand millésime et une belle bière de fabrication artisanale apparaissent comme pouvant normalement se substituer l' un à l' autre .

73 . Les préférences dans ce domaine sont généralement si exclusives que toute "mixture" peut paraître sacrilège .

74 . Ce qui fait un bon vin, c' est la composition de la terre, son exposition au soleil, le régime des pluies, le choix des cépages et la méthode de fabrication .

75 . Dans chaque vin, l' arôme, la couleur, la saveur et le corps distinguent un millésime de l' autre .

76 . Pour chaque bouteille, il convient de prendre garde à la température, à la lumière, à la position, au bouchon ...

77 . Quant aux bières, les conditions de leur excellence et la façon dont elles se combinent sont bien différentes .

78 . Nous n' excluons pas pour autant que, dans certains pays et par suite d' habitudes particulières de consommation, cet ensemble de produits puisse entrer en relation de concurrence .

79 . En tout état de cause, ainsi que les deux parties l' ont finalement suggéré, il est préférable de laisser ces qualités en dehors du débat .

80 . Le gouvernement belge relève que les bières "de luxe" sont fabriquées selon des méthodes artisanales et en quantités très réduites : l' une des marques serait même fabriquée par trois personnes seulement ( un médecin, un ingénieur et un architecte ), qui consacrent à cette activité une partie de leurs loisirs . Ces bières ne sont pas facilement accessibles au grand public, puisqu' elles ne sont vendues que dans des établissements très spécialisés .

81 . Les chiffres fournis par la Belgique indiquent que les bières les plus chères représentent moins de 16 % de la production totale belge, en incluant dans ce groupe certaines quantités peu importantes de bières spéciales pour la fabrication desquelles on utilise également des fruits; 84 % de la production serait donc constituée des variétés "pils" ainsi que de bières de table .

82 . D' autre part, la Commission suggère de faire "abstraction des grands crus et des millésimes exceptionnels, qui ne représentent qu' une fraction réduite des achats ".

83 . La Belgique a confirmé ce point en indiquant que - conformément aux chiffres fournis par une entreprise considérée comme représentative - les ventes de vins d' un prix supérieur à 1*000 BFR ne représentent pas plus de 2,8 % de la valeur totale des ventes ( ce pourcentage étant de 27 % pour les vins d' un prix supérieur à 200*BFR ).

84 . Cette façon de procéder semble d' ailleurs, comme le gouvernement belge le suggère, être dans la ligne du raisonnement suivi par la Cour dans l' arrêt du 12 juillet 1983, Commission/Royaume-Uni, précité, où elle a adopté comme base de comparaison des vins "dont plusieurs variétés sont représentées par des quantités significatives sur le marché britannique ".

85 . Dans ces circonstances, il ne paraît naturellement pas correct d' exclure l' une de ces catégories pour garder l' autre : il s' agit, dans les deux cas, de types spéciaux de chaque produit et, en dernière analyse, de produits différenciés par la qualité et par l' utilité, qu' il serait irrationnel de comparer avec des produits courants de grande consommation et, à plus forte raison, avec des produits de qualité médiocre .

86 . En ce qui concerne les autres vins et les autres bières, la Belgique suggère que la comparaison se fasse essentiellement entre les "bières courantes" et les "vins courants", qui, selon elle, seraient ceux dont les prix se situent entre 80 et 200 BFR par litre et qui représentent 57,17 % de la valeur totale des ventes, d' après l' échantillonnage retenu .

87 . Quant aux vins d' un prix inférieur à 80 BFR par litre, ils représentent, selon les données fournies par le gouvernement belge, 15,59 % des ventes, alors que les vins d' un prix inférieur à 60 BFR en représentent 2,28 % et que les 13,31 % restants sont des vins qui coûtent entre 60 et 80*BFR .

88 . Ces vins d' un prix inférieur à 80 BFR ( parmi lesquels se comptent, paraît-il, les vins vendus en sac en plastique de 5 litres et les vins réservés à un usage culinaire ) devraient plutôt, selon le gouvernement belge, être comparés à la bière de table ( à partir de 17 BFR le litre ) ou avec les bières "pils" vendues sous la marque des distributeurs ( par exemple, "carapils" à 21,5 BFR le litre ), et non pas avec les bières de grande consommation ni, a fortiori, avec les bières de haut de gamme . Il en serait par ailleurs de même pour le vin à 61 BFR, qui ne constituerait pas, contrairement à ce que prétend la Commission, le vin le plus courant : il s' agirait plutôt, selon la Belgique, d' un des vins les moins chers qu' il soit possible de trouver dans les magasins et il représenterait une proportion aussi faible de la consommation que celle des vins d' un prix supérieur à 1*000*BFR .

89 . Il nous semble raisonnable de penser que le rapport de concurrence le plus intense s' établit entre les vins et les bières dont la consommation est la plus courante et qui représentent la portion la plus importante du marché .

90 . C' est là que l' on trouvera sans doute l' essentiel des "vins légers de raisins frais", de consommation courante .

91 . Nous ne croyons pourtant pas - et la Belgique elle-même le reconnaît - que tout rapport de concurrence soit exclu dans la partie inférieure de la gamme de produits . Mais il y est sans doute plus ténu et plus confus, compte tenu, en particulier, de la diversité des utilisations possibles ( comme boisson ou pour faire la cuisine ) et des différences de présentation et d' emballage ( par exemple, l' utilisation de sacs en plastique de 5 litres ).

92 . J -*Ayant établi l' existence d' un rapport de concurrence entre le vin et la bière, nous allons analyser si la deuxième condition de l' article 95, alinéa 2, se trouve vérifiée . Il s' agit maintenant de savoir si la différence d' imposition est ou non susceptible d' entraîner un effet protectionniste en faveur de la bière nationale .

93 . A cette fin, il convient d' analyser les autres éléments d' appréciation qui ont été mis en lumière par la procédure .

94 . Le fait qu' il s' agit, en l' occurrence, d' un impôt ad valorem simplifie l' analyse par rapport à la situation qui a été débattue dans l' affaire Commission/Royaume-Uni . En l' espèce, l' écart entre les impositions résulte simplement de l' application de taux différents au prix de chacun des produits en cause .

95 . Ce fait ne nous dispense néanmoins pas - quoi qu' en pense la Commission - de l' examen de l' effet protecteur de ce système d' imposition .

96 . Le point de départ pour cet examen réside naturellement dans la différence de taux .

97 . Celle-ci est actuellement de six points en pourcentage, puisque le vin est assujetti à un taux de 25 %, contre 19 % seulement pour la bière .

98 . Le gouvernement belge précise, par ailleurs, que la différence de taux affecte seulement le vin et la bière vendus dans le commerce de détail, puisque dans le secteur Horeca ( hôtellerie, restaurants, cafés ) s' applique un taux uniforme de*17 %.

99 . Pour analyser l' effet protecteur, il ne nous semble toutefois pas juste de prétendre - comme le fait la Belgique - que, sur le plan macro-économique, l' écart entre les taux ne serait que de quatre points . En effet, le fait que la différence de taux porte seulement sur la consommation domestique n' empêche pas que, dans ce cadre, elle soit de six points .

100 . Il faut reconnaître cependant que cette circonstance limite l' étendue de l' éventuel effet protecteur ou, autrement dit, que cet effet ne s' étend pas à tout le marché du vin et de la bière, mais seulement à une partie de celui-ci .

101 . Comme les prix respectifs du vin et de la bière sont différents ( même dans la zone où la concurrence entre les deux produits est la plus évidente, c' est-à-dire en excluant les vins et les bières "de luxe "), il est indispensable de considérer ces différences de prix pour apprécier l' influence que la différence d' imposition est susceptible d' avoir sur le marché .

102 . Or, sur ce point, le gouvernement belge précise qu' en moyenne le prix de un litre de vin ordinaire, toutes taxes comprises, se situe aux alentours de 125 BFR ( soit 87,5 BFR pour une bouteille de 0,70 litre ), alors que, pour un litre de bière, le prix correspondant est de 29,75 BFR ( 178,5 BFR pour un bac de 24 bouteilles de 25 centilitres ). Après déduction de la TVA, ces montants sont respectivement de 100 et de 25*BFR .

103 . Autrement dit, si nous prenons comme référence un vin et une bière de prix et qualités moyens et de consommation courante, nous constatons que le prix du vin hors TVA est quatre fois plus élevé que celui de la bière ( il est 4,2 fois plus élevé si nous incluons la TVA ).

104 . Ce sont des chiffres que la Commission ne consteste point .

105 . Or, si la structure d' imposition des deux boissons était uniformisée, les prix seraient sans doute, comme le dit le gouvernement belge, ceux qui suivent .

106 . Avec un taux de 19 %:

- 119 BFR par litre de vin,

- 29,75 BFR par litre de bière .

107 . Avec un taux de 25 %:

- 125 BFR par litre de vin,

- 31,25 BFR par litre de bière .

108 . En somme, l' uniformisation du taux à 25 % réduirait seulement de 1,5 BFR la différence de prix ( qui serait ainsi ramenée de 95,25 à 93,75 BFR ); un taux uniforme de 19 % la réduirait de 6 BFR ( la différence passerait de 95,25 à 89,25*BFR ).

109 . Dans les deux cas, la différence n' est pas très grande . Elle est cependant moins importante avec un taux de 25 %, et le gouvernement belge n' a pas manqué de signaler que, pour des raisons budgétaires, une égalisation éventuelle se ferait plus vraisemblablement vers le haut que vers le bas .

110 . Si, au lieu de produits d' un prix moyen, nous faisions la comparaison entre les produits les moins chers ( par rapport auxquels il y a lieu de penser que, pour des raisons intrinsèques, le rapport de concurrence est moins fort ), nous constaterions que la relation de prix entre le vin et la bière ne se modifie pas substantiellement et qu' elle est de l' ordre de 3 à 1 ou de 4 à 1, compte tenu de l' existence de bières à 17 BFR le litre ( bière de table ) et à 21,5 BFR le litre (" carapils "), ainsi que de vins entre 60 et 80 BFR le litre .

111 . Autrement dit, s' il est vrai que la différence de prix entre ces deux boissons - qui correspond naturellement à une différence de caractéristiques et de coûts de production - est en soi un facteur susceptible d' atténuer le rapport de concurrence entre elles, elle constitue également un élément à prendre en compte pour apprécier l' effet de distorsion que l' écart entre les taux exerce sur les choix des consommateurs .

112 . Il ne nous semble pas nécessaire d' entrer à cet effet dans le débat - nécessairement conjectural à défaut d' éléments précis - sur les différences quantitatives entre la consommation de vin et celle de bière . Au reste, ainsi que la Belgique prend soin de le démontrer dans sa duplique, il ne nous semble pas que la prise en considération de ce facteur soit susceptible de modifier substantiellement la conclusion qui découle de la différence de prix à l' unité .

113 . Or, celle-ci, conjuguée avec la différence de six points dans les taux applicables, ne contribue pas de façon décisive à démontrer que le système d' imposition en cause serait susceptible d' entraîner un effet protecteur . Quoi qu' il en soit, les conclusions que l' on peut tirer d' une relation de prix de ce genre sont très différentes de celles qui seraient tirées d' une comparaison de produits concurrents aux prix équivalents . Cependant, s' il y avait d' autres éléments concluants en ce sens, nous pourrions éventuellement être amenés à reconnaître que la nature protectionniste du système va au-delà des apparences qui résultent de la prise en considération de l' écart entre les taux et de la différence de prix .

114 . Tel n' est cependant pas le cas . D' une part, l' évolution des deux produits révèle que la consommation moyenne de vin est passée de 14,9 litres par habitant en 1976 à 16,7 litres en 1977 ( année de l' introduction du taux de 25 %), puis à 20,2 litres en 1982 et 1983, et que, parallèlement, la consommation de bière a baissé de 137,6 litres par habitant en 1976 à 125 litres en 1978 et 1981 et à 128 litres en 1983 .

115 . Les conclusions que la lecture de ces chiffres semble permettre doivent être prises avec beaucoup de précautions, car la différence entre les taux d' imposition est loin d' être le seul fait susceptible d' exercer une influence sur l' évolution de la consommation .

116 . Ce que l' on peut dire, c' est que le passage de 14 à 25 % du taux applicable aux vins n' a pas eu pour effet d' entraver, à moyen terme, la progression de la consommation de vin par habitant . Il est certain que cette consommation est restée pratiquement stationnaire et qu' elle a même connu un léger recul entre 1977 et 1978; mais l' augmentation du taux avait été de onze points ( de 14 à 25 %, soit une poussée de 78,6 % par rapport au taux de base ).

117 . Au cours de la même période ( de 1977 à 1978 ), la consommation moyenne de bière par habitant a chuté .

118 . Il faut toutefois se dire que, en 1978 précisément, le taux de TVA applicable à la bière est passé de 14 à 16 %. De nouvelles augmentations ont eu lieu en 1981 ( à 17 %) et en 1983 ( à 19 %). Or, chaque fois que le taux applicable à la bière a augmenté, on a constaté que la consommation par habitant chutait pour retrouver son niveau antérieur les années suivantes ( notamment en 1979 et 1980, où elle est passée respectivement à 126 et 131 litres, ainsi qu' en 1982, où elle a atteint 133 litres ).

119 . Ce fait semble vérifier un phénomène connu des économistes : l' effet sur la consommation d' une variation des prix relatifs par suite de modifications de la charge fiscale résulte non pas tant de l' existence d' un taux d' imposition élevé que de son augmentation ponctuelle à un moment déterminé . Une fois que cette dernière est entrée en vigueur, les consommateurs tendent - selon leurs habitudes de consommation et si l' augmentation n' a pas été brutale ou si le nouveau taux n' est pas prohibitif - à s' habituer au nouveau prix et à absorber au fur et à mesure l' impact de la modification de l' impôt .

120 . Il n' est donc pas hasardeux de penser que l' effet principal de distorsion de la concurrence se serait produit en 1977-1978 après la grande augmentation du taux applicable au vin - qui s' est détaché, à cette occasion, de celui appliqué à la bière -, si celle-ci n' avait été tempérée par les effets qui ont probablement découlé de l' augmentation presque simultanée du taux sur la bière .

121 . La conclusion que l' on peut en tirer est qu' aujourd' hui il n' est pas évident ( à l' opposé de ce que l' on pouvait certainement dire il y a dix ans ) que le système belge de TVA soit de nature à porter atteinte à la concurrence entre le vin et la bière, en faveur de cette dernière .

122 . L' effet sur la concurrence d' une augmentation du prix de l' un des produits par suite de l' élévation de son taux d' imposition sans augmentation équivalente du taux applicable à l' autre produit dépend de l' élasticité croisée de la demande des deux produits, laquelle dépend pour sa part ( et si nous supposons constants les revenus des consommateurs et les autres prix ), en particulier, du plus ou moins grand degré de substitution possible entre ces produits .

123 . En l' absence d' éléments directs d' information sur la valeur de cette élasticité, ce que l' on peut dire, c' est que les séries présentées par la Belgique ne sont pas de nature à démontrer de façon concluante l' existence d' une forte élasticité croisée de la demande pour le vin et la bière dans ce pays .

124 . Il est certain que, le taux pour chacun des deux produits ayant varié dans une mesure différente, il est finalement resté entre eux une différence qui fait maintenant l' objet du litige . On peut dire que la persistance de cette différence est susceptible d' empêcher une évolution normale des habitudes de consommation en Belgique, laquelle évolution pourrait, dans un marché ouvert, se faire en faveur du bien importé .

125 . Il faut cependant tenir compte du fait que la différence de taux - qui a atteint jusqu' à onze points - est allée en se réduisant, d' abord à neuf puis à huit et, plus tard, à six points par suite de l' augmentation du taux de la bière pendant que le taux appliqué au vin restait constant . A supposer que cette évolution ait comporté un effet dissuasif sur la consommation, il eût sans doute été plus sensible sur la bière que sur le vin .

126 . Nous ne croyons donc pas qu' en l' occurrence la différence d' imposition soit susceptible de convertir le vin en un produit de luxe, d' autant moins qu' il échappe à l' application de la surtaxe additionnelle de 8 %, qui fait peser sur certains produits considérés comme étant de luxe un taux de TVA de*33 %.

127 . Il faut finalement tenir compte du fait que, pour ces raisons et parce que les modifications des taux ont, en général, été introduites par la Belgique dans le contexte de réformes plus vastes du système des taux de TVA - qui ont, selon le gouvernement belge, pris en compte des préoccupations budgétaires et de type social -, l' existence d' une intention protectionniste ne paraît pas aussi évidente que si ces modifications avaient été introduites ponctuellement .

128 . K -*Le cas du Royaume-Uni dans l' affaire 170/78, précitée, était différent et il n' est pas étonnant que la décision de la Cour ait, à l' époque, été différente de celle que nous proposons ci-après . Relevons donc les principales différences :

129 . - le vin supportait par rapport à la bière une surcharge fiscale qui, selon le critère de comparaison utilisé, oscillait entre 58 ou 77, voire 286 % d' après le gouvernement italien ( conformément au critère de l' incidence de l' imposition sur les prix hors taxes ), 100 % ( selon le critère du degré alcoolique ) et 400 % ( en tenant compte du volume des deux boissons );

130 . - la surtaxation du vin au Royaume-Uni a été considérée par la Cour comme étant de nature à "imprimer au vin le caractère d' un produit de luxe qui, en raison de la charge fiscale qu' il supporte, ne peut guère constituer, aux yeux du consommateur, une alternative réelle par rapport à la boisson typique de la production nationale";

131 . - la comparaison avec le volume des ventes de vin sur d' autres marchés, en particulier le Benelux, montrait - du moins selon la Commission - que la commercialisation de ce produit avait été entravée au Royaume-Uni par le système fiscal litigieux;

132 . - contrairement à ce qui se passait avant l' adhésion du Royaume-Uni à la CEE ( le vin avait bénéficié pendant longtemps d' un certain avantage fiscal et les deux produits se trouvaient à un niveau de taxation plus ou moins identique au moment de l' adhésion ), l' imposition applicable au vin a été graduellement augmentée dans une mesure supérieure aux augmentations qui pesaient sur la bière . Ainsi, entre le 1er janvier 1973 et le moment de l' introduction du recours, les taxes sur le vin avaient augmenté de 102 %, contre 59 % seulement pour la bière;

133 . - l' introduction et l' augmentation de la taxe sur le vin au Royaume-Uni sont intervenues pour compenser l' élimination des droits de douane applicables au moment de l' adhésion, lesquels avaient d' ailleurs été augmentés avant le 1er janvier 1976, date de la création de la nouvelle taxe spécifique .

134 . Aucune de ces circonstances ne se vérifie dans une mesure comparable dans la présente affaire ou ( c' est le cas de celle qui est visée au troisième tiret ) n' est même alléguée comme preuve d' un effet protectionniste .

135 . Il n' y a pas lieu pour la Commission de fournir la "preuve statistique d' un effet protecteur", c' est-à-dire du fait que le système fiscal en cause discrimine effectivement un produit importé en faveur de son concurrent national .

136 . Il suffit, comme nous l' avons vu, que soit démontré que ce système d' imposition est, de par sa nature, susceptible de protéger la production nationale; cette démonstration n' a, selon nous, pas été faite en ce qui concerne le système belge d' application de taux de TVA différents au vin et à la bière .

137 . L -*Qu' il soit précisé que la conclusion à laquelle nous sommes parvenu ne préjuge en rien de l' éventuelle reconnaissance de l' intérêt qu' il y a d' harmoniser les taux d' imposition du vin et de la bière dans les différents États membres, au titre de l' article 99 du traité et conformément à la proposition qui a été faite en ce sens par la Commission .

138 . Mais cette décision ne peut être prise que par les États membres au sein de l' institution compétente et, en l' état actuel des choses, la liberté fiscale de ces États dans le cadre du traité ne s' en trouve pas invalidée .

139 . M -*Eu égard à ce qui précède, nous considérons qu' il n' a pas été établi qu' en appliquant au vin, produit importé, un taux de TVA supérieur à celui appliqué à la bière, produit national, la législation belge sur la TVA est susceptible de protéger indirectement ce dernier produit .

140 . Dans ces conditions, il n' apparaît pas que le royaume de Belgique ait violé l' article 95, alinéa 2, du traité et, partant, nous vous proposons de rejeter le recours en condamnant la Commission aux dépens .

( 5 ) Arrêt du 12 juillet 1983 dans l' affaire 170/78, Commission/Royaume-Uni, Rec . p.*2265, 2288 .

( 6 ) Arrêts du 27 février 1980, Régime fiscal des eaux-de-vie, affaire 168/78, Commission/France, Rec . p.*347, 359, affaire 169/78, Commission/Italie, Rec . p.*385, 399, et affaire 171/78, Commission/Danemark, Rec . p.*447, 462; arrêt du 15 juillet 1982 dans l' affaire 216/81, Cogis/Amministrazione delle finanze dello Stato, Rec . p.*2701, 2712; arrêt du 4 mars 1986 dans l' affaire 106/84, Commission/Danemark, Rec . p.*833, 867, point 10 des motifs .

( 7 ) Arrêt du 27 mai 1981 dans les affaires jointes 142 et 143/80, Administration des finances de l' État/Essevi et Salengo, Rec . p.*1413, 1434; voir, également, les arrêts du 14 janvier 1981 dans l' affaire 140/79, Chemial Farmaceutici/DAF, Rec . p.*1, 14, et dans l' affaire 46/80, Vinal/Orbat, Rec . p.*77, 93; arrêt du 15 mars 1983 dans l' affaire 319/81, Commission/Italie, Rec . p.*601, 620 .

( 8 ) Commission/Italie, précité, Rec . 1983, p.*620 et 621 .

( 9 ) Affaire 243/84, Rec . 1986, p.*875, 877 .

( 10 ) Arrêt du 27 février 1980 dans l' affaire 171/78, Commission/Danemark, précité, Rec . p.*447, point*20 des motifs .

( 11 ) Arrêt du 4 avril 1968 dans l' affaire 27/67, Fink-Frucht, Rec . p.*327, 341 et 342 .

( 12 ) Arrêt du 17 février 1976 dans l' affaire 45/75, Rewe/Hauptzollamt Landau, Rec . p.*181, 194, point 12 des motifs; voir, également, les arrêts précités du 27 février 1980 ainsi que le point 12 des motifs dans l' arrêt du 4 mars 1986 dans l' affaire 106/84, précité .

( 13 ) Arrêt du 4 mars 1986 dans l' affaire 106/84, précité, point 12 des motifs .

( 14 ) Arrêt du 4 mars 1986 dans l' affaire 106/84, précité, point 10 des motifs .

( 15 ) Arrêt interlocutoire du 27 février 1980 dans l' affaire 170/78, Commission/Royaume-Uni, Rec . p.*417, 432; arrêt du 12 juillet 1983 dans la même affaire, Rec . p.*2265, 2286 .

( 16 ) Arrêt du 27 février 1980 dans l' affaire 171/78, Commission/Danemark, précité, Rec . p.*463, point*7 des motifs .

( 17 ) Commission/Danemark, précitée, point 7 des motifs; Commission/Royaume-Uni, précitée, point 9 des motifs .

( 18 ) Commission/Italie, précitée, affaire 319/81, Rec . p.*621 .

( 19 ) Affaire 278/83, Rec . p.*2503, 2509 .

( 20 ) Arrêt du 27 février 1980, Commission/Royaume-Uni, précité, Rec . p.*432, point*5 des motifs .

( 21 ) Commission/Royaume-Uni, précitée, Rec . 1980, point 6 des motifs; Commission/Royaume-Uni, précitée, Rec . 1983, point*7 des motifs .

( 22 ) Voir l' arrêt, précité, du 27 février 1980, Commission/Royaume-Uni, Rec . p.*433, point 9*des motifs .

( 23 ) Voir l' arrêt précité, point 10 des motifs .

( 24 ) Voir les conclusions dans l' affaire 106/84 et dans l' affire 243/84, Rec . 1986, p.*834 . Les conclusions de l' avocat général M . Gerhard Reischl dans l' affaire 170/78, précitée, Commission/Royaume-Uni ( Rec . 1980, p.*439, 441 ), vont dans le même sens .

( 25 ) Arrêt du 27 février 1980 dans l' affaire 171/78, Commission/Danemark, précité, point 7 des motifs .

( 26 ) Commission/Royaume-Uni, précitée, Rec . 1980, p . 441 .

( 27 ) Dans le même sens, voir les conclusions de l' avocat général M.*Reischl dans l' affaire 170/78, Commission/Royaume-Uni, précitée, Rec . 1980, p.*441, et Rec . 1983, p.*2299 .