Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 10 novembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement - Défaut d'exécution d'arrêts de la Cour. - Affaires jointes 227, 228, 229 et 230/85.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00001
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Le 2 février 1982, se prononçant sur les recours formés par la Commission des Communautés européennes dans les affaires 68/81, 69/81, 70/81 et 71/81 ( Rec . p.*153, 163, 169 et 175 ), la Cour a constaté que le royaume de Belgique n' avait pas adopté dans les délais prescrits les dispositions nécessaires pour transposer les directives suivantes du Conseil : 78/176, du 20 février 1978, relative aux déchets provenant de l' industrie du dioxyde de titane ( JO L*54, p.*19 ); 75/442, du 15 juillet 1975, relative aux déchets ( JO L*194, p.*39 ); 75/439, du 16 juin 1975, concernant l' élimination des huiles usagées ( JO L*194, p.*23 ); 76/403, du 6 avril 1976, concernant l' élimination des polychlorobiphényles et polychloroterphényles ( JO L*108, p.*41 ). L' État défendeur a donc manqué aux obligations que le traité lui impose .
Par quatre recours introduits le 23 juillet 1985 et joints par la Cour en une affaire unique par ordonnance du 9 octobre 1985, la même institution vous demande à présent de constater que la Belgique n' a pas donné exécution aux arrêts précités, violant ainsi l' obligation énoncée à l' article 171 du traité .
2 . Le gouvernement de Bruxelles ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés par la Commission . Mais, comme il l' a déjà fait dans les affaires 68/81, 69/81, 70/81 et 71/81, il les impute aux obstacles d' ordre constitutionnel qu' a comportés l' entrée en vigueur de la loi du 8 août 1980 . Comme on le sait, par cette importante réforme, les régions en lesquelles la Belgique est divisée se sont vu transférer à titre exclusif de nombreuses compétences dont celles sur lesquelles les quatre directives ont une incidence . Il appartenait donc aux autorités territoriales en question d' exécuter les obligations créées par ces actes, et les organes législatifs respectifs ne l' ont pas encore fait .
L' argument ainsi résumé n' a pas de valeur . Comme la Cour l' a déjà affirmé dans les arrêts de 1982, les circonstances invoquées par le gouvernement belge relèvent des "dispositions, pratiques ou situations" internes dont la jurisprudence constante de la Cour exclut fondamentalement l' aptitude à "justifier l' inobservation des obligations" qui découlent des directives communautaires ( en dernier lieu, arrêt du 12 février 1987 rendu dans l' affaire 69/86, Commission/Italie, Rec . p.*773, point 7 des motifs ). Ajoutons qu' en ce qui concerne la directive 78/176, ces circonstances ne sont en tout état de cause pas pertinentes . En effet, dans le domaine régi par cette source de droit, l' État belge conserve une compétence législative propre : malgré cela, il reconnaît lui-même que les mesures nécessaires pour la mettre en oeuvre n' ont pas été complètement arrêtées .
Nous pourrions nous en tenir là . Toutefois, l' affaire comporte un aspect délicat sur lequel il nous paraît utile d' attirer votre attention . Le gouvernement de Bruxelles nous a rappelé à l' audience que - à la différence des ordres juridiques italien ( article 6 du décret du président de la République n°*616 du 24 juillet 1977 ) et espagnol ( article 155 de la Constitution ) - la législation belge ne confère pas à l' État le pouvoir de contraindre les régions à mettre en oeuvre la législation communautaire ou de se substituer à elles pour procéder directement à la mise en oeuvre dans le cas d' un retard persistant de leur part .
Or, le retard dont il est fait grief à la Belgique atteint désormais près de dix ans et cela nous conduit à formuler une double observation . En premier lieu, il convient de rappeler que les obligations imposées aux pays membres par l' article 189, paragraphe 3, du traité CEE ( atteindre le résultat prévu par la directive dans les délais qu' elle a fixés ) et par l' article 5, paragraphe 1 ( prendre les mesures propres à assurer l' exécution des obligations résultant des actes communautaires ), s' imposent indistinctement à toutes les autorités de l' État, y compris les autorités juridictionnelles ( arrêts rendus le 10 avril 1984 dans l' affaire 14/83, Van Colson et Kamann, Rec . p.*1891, point 26 des motifs, et le 15 mai 1986 dans l' affaire 222/84, Johnston, Rec . p.*1651, points 51 à 53 des motifs ). Il est donc évident que ces obligations s' imposent également aux régions lorsque, comme c' est le cas en l' espèce, elles sont investies des pouvoirs correspondants .
En second lieu, il faut relever que, aux termes de l' article 5, paragraphe 2, du traité CEE, les États doivent s' abstenir d' introduire dans leur ordre juridique "toutes mesures ( et donc - notons le - également une loi de rang constitutionnel ) susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du *... traité ". Cela signifie, en termes encore plus explicites, que les États sont tenus "de ne pas porter préjudice par leur législation nationale à l' application pleine et uniforme du droit communautaire et à l' effet des actes d' exécution de celui-ci" et, par conséquent, "de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures *... susceptibles d' éliminer l' effet utile ( de ces ) règles" ( arrêt rendu le 10 janvier 1985 dans l' affaire 229/83, Leclerc/"Au blé vert", Rec . p.*1, point 14 des motifs ).
3 . Cela dit, il ne nous reste qu' à conclure à ce qu' il soit fait droit aux recours formés par la Commission des Communautés européennes . Nous proposons donc à la Cour de constater qu' en n' obtempérant pas aux arrêts rendus par la Cour le 2 février 1982 dans les affaires 68/81, 69/81, 70/81 et 71/81, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 171 du traité*CEE .
En application de l' article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, il y a lieu de condamner la partie défenderesse aux dépens .
(*) Traduit de l' italien .