CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MARCO DARMON
présentées le 6 juin 1985
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. |
Par le présent renvoi préjudiciel, le tribunal du travail de Bruxelles soulève une question en tout point identique à celle qui constitue l'objet du recours en annulation présenté par Heinrich Maag et sur lequel nous venons de conclure (affaire 43/84). La question qui vous est renvoyée est en effet la suivante : « Les articles 1 et 3 du ‘régime applicable aux autres agents des Communautés européennes’ sont-ils applicables, pour la durée de leurs engagements, aux interprètes engagés par la Commission des Communautés européennes, lorsque, à ces engagements, portant sur un ou plusieurs jours, est appliqué le règlement de la Commission concernant les interprètes de conférence indépendants (freelance) du 8 octobre 1974, et que les montants payés à ces interprètes sont qualifiés de ‘rétributions, indemnités et frais payables aux interprètes de conférence freelance’? » Comme l'a justement rappelé la juridiction belge, votre Cour est seule compétente, conformément aux dispositions de l'article 179 du traité CEE, pour déterminer, comme vous l'avez précisé à propos de l'article 152 CEEA en tout point identique au précédent, « l'origine du rapport de travail entre la Communauté et les fonctionnaires ou agents autres que locaux » ou entre la Communauté et tout requérant qui revendique ces qualités (65/74, Porrini, Rec. 1975, p. 319, points 13 et 15). Précisément, N. Cantisani, engagé de façon répétée depuis novembre 1975 par la Commission en qualité d'interprète indépendant de conférence, s'est prévalu devant la juridiction belge de l'application des règles du RAA pour renverser la présomption fiscale selon laquelle, en droit belge, toute personne exerçant une activité professionnelle, susceptible de produire des revenus au sens des articles 20, 1o, 2°, b ou c, ou 30 du code belge des impôts sur les revenus, doit, sauf preuve contraire apportée par elle, être considérée comme un travailleur indépendant. |
2. |
Au soutien de sa démonstration, N. Cantisani a présenté des observations qui reprennent pour l'essentiel les moyens que nous avons déjà estimés devoir être rejetés en examinant le recours en annulation de H. Maag. En raison de l'identité du droit applicable tant dans la présente instance que dans l'affaire 43/84 (réglementation de la Commission du 8 octobre 1974 et accord entre l'AIIC et la Commission du 26 avril 1979), nous nous bornerons à relever les arguments présentés par le requérant au principal qui seraient propres à la présente espèce. Celui-ci a invoqué les articles 14 et 15 de la réglementation de 1974, en tant qu'ils confirmeraient le caractère réglementaire des conditions générales imposées par la Commission aux interprètes indépendants. En effet, il y est fait mention de la notion d'« intérêt du service », qui imposerait aux freelance certaines contraintes quant à leurs déplacements depuis leur domicile professionnel jusqu'à leur lieu d'affectation. Il a, par ailleurs, cru pouvoir tirer des conclusions prononcées par M. l'avocat général G. Reischl, sous votre arrêt 17/78, Deshormes (Rec. 1979, p. 189), une confirmation implicite du caractère exhaustif du RAA, dans la mesure où, ayant notamment à qualifier au regard de ce régime la nature exacte d'un contrat d'expert, M. Reischl n'aurait envisagé d'autres possibilités que celles prévues par le RAA. Enfin, il a estimé pouvoir déduire des dispositions combinées des articles 3 et 52 du RAA que la limite d'un an ne s'appliquerait pas à tous les contrats d'auxiliaires, mais uniquement au cas des agents auxiliaires engagés à titre intérimaire (article 3, sous b), du RAA). |
3. |
Ces arguments ne nous conduisent pas à modifier l'analyse de la nature du lien contractuel unissant la Commission aux interprètes indépendants, tel que nous l'avons exposée dans les conclusions que nous venons de prononcer. Les dispositions relatives à l'« intérêt du service » sont en vérité à rattacher à l'identité nécessaire des conditions de travail qui doit caractériser les prestations des freelance et celles des interprètes permanents de la Communauté. L'argument tiré par le requérant des conclusions prononcées dans l'arrêt Deshormes nous paraît d'autant moins pertinent qu'au vu des circonstances de l'espèce, Mme Deshormes avait exercé de facto des « tâches permanentes définies de service public communautaire » (point 46) et cela depuis son engagement par contrat d'expert. A un titre ou à un autre, l'intéressée entrait donc nécessairement dans le cadre prévu par le RAA. Enfin, en ce qui concerne la possibilité de déroger au délai fixé par l'article 52 du RAA, il y a lieu de relever que l'application de l'hypothèse visée par l'article 3, sous b), du RAA repose sur une situation qui n'est pas celle de l'espèce et qui ouvre une possibilité à caractère exceptionnel. On ne saurait donc en tirer une règle générale consistant à appliquer aux freelance, au-delà du délai maximal d'un an, les dispositions du RAA relatives aux agents auxiliaires. |
4. |
Compte tenu de ces considérations et de celles développées dans nos conclusions sous l'affaire H. Maag, nous vous proposons, en réponse à la question renvoyée par le tribunal du travail de Bruxelles, de dire pour droit que : « Les contrats conclus par la Commission en vue d'engager des interprètes indépendants de conférence (freelance) ne trouvent pas leur source dans les règles applicables à la conclusion des contrats d'agents temporaire ou auxiliaire du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes. » |