CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 17 MAI 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

Dans la présente affaire, M. Lux, fonctionnaire de grade A 5 à la Cour des comptes, a formé un recours contre la décision par laquelle il a été transféré du service juridique au secteur de contrôle «personnel et fonctionnement». Il conclut à ce qu'il plaise à la Cour annuler la décision de la Cour des comptes, du 24 mars 1983, transférant son emploi budgétaire, ainsi que la décision du président, du 14 avril 1983, l'affectant à cet emploi. Il invoque à cet effet cinq moyens, qui peuvent être résumés comme suit:

1.

incompétence de la Cour des comptes pour transférer l'emploi occupé par le requérant, étant donné que cette compétence est uniquement dévolue au président en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination;

2.

insuffisance de motifs des décisions litigieuses, prises respectivement par la Cour des comptes et par le président;

3.

violation des articles 4, 7 et 29 du statut, étant donné qu'en l'espèce la réaffectation d'un fonctionnaire avec son emploi est impossible, parce qu'elle implique une modification substantielle des fonctions;

4.

violation de l'article 7 du statut, parce qu'il y a incompatibilité avec l'«intérêt du service», la nature des fonctions d'un secteur de contrôle ne correspondant pas à la qualification de l'intéressé en tant que juriste;

5.

détournement de pouvoir, parce que la réaffectation est en fait une sanction déguisée, prise en raison du fait que, le 13 octobre 1982, le requérant a formé un autre recours devant la Cour contre la décision par laquelle il a été classé dans le grade A 5, échelon 3, afin d'obtenir un reclassement dans le grade A4, (129 et 274/82).

2. Les faits

Après avoir exercé pendant un certain temps au barreau et dans le notariat, M. Lux était, depuis le 25 juin 1973, fonctionnaire au service juridique de la Commission, où il s'occupait entre autres de travaux juridiques ayant trait aux transports, à l'environnement et à la protection des consommateurs.

Le 1eraoût 1978, il est entré en fonction à la Cour des comptes. Il apparaît de l'avis de vacance (n° CC/A/3/1978) qu'il s'agissait d'une fonction de contrôle, de grade A 6. Ainsi qu'il ressort des pièces, les activités de la Cour des comptes sont de deux ordres, à savoir des tâches administratives, dites horizontales, et des tâches de contrôle, dites verticales. A l'origine, chaque membre de lá Cour des comptes était responsable d'une partie des deux activités.

Or, depuis le 15 janvier 1981, trois membres s'occupent de tâches administratives, ou horizontales, et sept membres s'occupent de tâches de contrôle, ou verticales, chaque tâche relevant d'un secteur déterminé.

Bien que le requérant et la Cour des comptes n'aient pas décrit de la même manière la nature des premières activités exercées par le requérant, il ressort en tout cas du dossier que M. Lux s'est occupé au début tant de tâches horizontales, plus précisément juridiques, que de tâches verticales en matière de contrôle des dépenses du personnel des Communautés. Enfin, à la fin de 1978, il a été clairement affecté à des tâches de contrôle des dépenses du personnel.

Il paraît avoir posé ensuite sa candidature à un certain nombre d'emplois vacants dans la carrière A 5/4, qui ne se rapportaient pas à des activités spécifiquement juridiques, mais concernaient soit les activités de la Cour des comptes en général, soit ses activités en matière de contrôle. Il ne semble pas avoir été admis à ces emplois, au motif qu'il ne pouvait pas justifier du délai requis de 6 ans d'expérience professionnelle dans les secteurs d'activité en cause.

En revanche, sa candidature à un emploi d'administrateur principal (de grade A 5/4) au service juridique a été retenue. Il a occupé cette fonction depuis août 1980, jusqu'à la décision litigieuse du 14 avril 1983, par laquelle il a été transféré au secteur de contrôle «personnel et fonctionnement». Dans le cadre de cette fonction au service juridique, il a donné des avis juridiques dans des domaines très divers et il s'est également occupé de recours introduits contre des décisions de la Cour des comptes devant la Cour de justice. Ce service fait partie du secrétariat de la Cour des comptes. Outre le requérant, il comprenait encore le secrétaire qui, en plus de ses autres fonctions, est conseiller juridique et était à ce titre le supérieur hiérarchique de M. Lux. L'ensemble du secrétariat relève, depuis le 15 janvier 1981, de la responsabilité du président de la Cour des comptes.

Enfin, nous ajouterons que le 27 avril 1983, M. Lux a introduit, en vertu de l'article 90 du statut, une réclamation contre la décision de réaffectation du 14 avril, réclamation sur laquelle, il ne semble pas avoir été statué, d'après les pièces. Le 28 avril, en même temps que le recours dans la présente affaire, il a introduit devant la Cour une demande de référé tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision de réaffectation, demande que la Cour a rejetée par ordonnance du 20 mai 1983.

3. Appréciation des moyens invoqués

3.1. Le premier moyen

Le requérant soutient que la Cour des comptes n'était pas compétente pour arrêter la décision du 24 mars 1983, par laquelle son emploi a été transféré du secteur «Présidence» au secteur «personnel et fonctionnement». Conformément entre autres aux articles 2 et 7 du statut, une telle décision ne pourrait être prise que par l'autorité investie du pouvoir de nomination, en l'occurrence le président.

D'une manière générale, le requérant est d'avis qu'indépendamment de ses règles internes en matière de compétence, la Cour des comptes ne peut décider de transférer des emplois entre les secteurs que pour autant que ces emplois sont vacants, étant donné que dans le cas contraire cette compétence est dévolue au président en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination.

La Cour des comptes allègue en premier lieu la répartition.interne de ses compétences conformément à son règlement intérieur. En vertu de l'article 7, sous e), de ce règlement intérieur, le président a été désigné comme l'autorité investie du pouvoir de nomination conformément à l'article 2 du statut et, en vertu de l'article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement intérieur, c'est la Cour des comptes comme telle qui répartit les postes entre les différents secteurs.

Voici, à toutes fins utiles, les passages concernés ( 2 ) :

«Article 7: Fonctions du président

Le président de la Cour

...

e)

exerce, à l'égard des fonctionnaires et autres agents de la Cour, les compétences dévolues par le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et par le régime applicable aux autres agents des Communautés à l'autorité investie du pouvoir de nomination;»

...

«Article 13 : Organisation des services

La Cour arrête la structure de ses services. Elle répartit les postes entre les secteurs» ( 3 ).

Selon le dossier, cette compétence de la Cour des comptes en tant que telle, de répartir les emplois budgétaires entre les secteurs, a été confirmée en dernier lieu le 21 janvier 1982. A cette occasion, il a été précisé entre autres que cette répartition a lieu sur proposition du président, qui peut éventuellement se faire assister par un groupe ad hoc de collègues.

Ensuite, la défenderesse soutient que la décision de la Cour des comptes du 24 mars doit être considérée comme une décision générale de transfert d'un emploi budgétaire. L'adoption de la décision, telle qu'elle est intervenue, doit être entendue en ce sens qu'il y a, d'une part, une décision générale relative au transfert de l'emploi budgétaire et, d'autre part, l'affectation du requérant audit emploi transféré sur la base de la décision individuelle du président du 14 avril.

La défenderesse estime que tout cela est conforme au règlement intérieur et au statut.

Le requérant aurait été induit en erreur par le fait que, dans d'autres institutions, l'organisation des services et les décisions individuelles qui s'y rattachent en ce qui concerne les fonctionnaires eux-mêmes relèvent de la compétence des mêmes autorités.

Lors de l'appréciation de ce moyen, nous constatons d'abord qu'en définitive, le requérant et la défenderesse sont d'accord sur le fait qu'il s'agit en réalité d'un transfert du requérant, avec son emploi, du secteur «présidence» au secteur «personnel et fonctionnement».

Selon la jurisprudence constante de la Cour, le transfert est admis pour autant qu'il y a équivalence des emplois et que le transfert a eu lieu dans l'intérêt du service, conformément à l'article 7 du statut (entre autres, 33 et 75/79, Kühner, Recueil 1980, p. 1692; 161 et 162/80, Carbognani c.s., Recueil 1981, p. 558; 260/80, Kindermann, Recueil 1981, p. 1338; 125/80, Arning, Recueil 1981, p. 2550). A cet égard, il semble s'agir du transfert du fonctionnaire et de son emploi. Les formalités, que les articles 4 et 29 du statut prescrivent pour le transfert, ne doivent pas être respectées, parce qu'il n'y a pas de vacance d'emploi.

Pour l'appréciation du premier moyen, il nous paraît important de reproduire textuellement les deux décisions. Du reste, le requérant n'a pris connaissance de la première décision de la Cour des comptes du 24 mars qu'après que la Cour eut enjoint à la Cour des comptes de la produire. L'intéressé en a néanmoins été informé verbalement le 24 mars par le secrétaire.

Selon le compte rendu de la réunion de la Cour des comptes du 24 mars 1983, qui a été versé au dossier, la décision se lit comme suit:

«10.3.

Proposition de modification de la répartition des emplois entre les secteurs

[M. le Président]

Conformément à la décision de la Cour concernant la répartition des emplois entre les secteurs, le président soumet deux propositions de modification de la répartition des emplois entre les secteurs «présidence» et «personnel et fonctionnement».

La première modification consiste à transférer un poste d'administrateur principal-juriste du secteur «présidence» vers le secteur «personnel et fonctionnement».

La deuxième modification consiste à transférer un poste d'administrateur du secteur «personnel et fonctionnement» au secteur «présidence».

La Cour adopte ces deux modifications.»

La décision du président, en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination, du 14 avril, est libellée comme suit:

«Le président de la Cour des comptes,

vu le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et notamment son article 7, paragraphe 1 ;

vu le règlement intérieur de la Cour des comptes et notamment son article 7 relatif à l'exercice des pouvoirs dévolus par le statut des fonctionnaires à l'autorité investie du pouvoir de nomination;

vu le procès-verbal de la réunion tenue par la Cour des comptes le jeudi 24 mars 1983 (doc. DEC 37/83 rév. 1) adopté à la réunion du 14 avril 1983, et plus précisément le point 10.3 par lequel la Cour a modifié la répartition des emplois budgétaires entre le secteur «présidence» et le secteur «personnel et fonctionnement»;

considérant qu'en application de cette décision de la Cour, un emploi d'administrateur principal juriste existe au secteur «personnel et fonctionnement»;

considérant que cet emploi est le seul, dans l'organigramme de la Cour («Répartition des postes budgétaires entre les secteurs»), qui corresponde à la spécialité et au niveau de qualification de M. Lux,

décide:

1.

Dans l'intérêt du service, l'affectation de M. Charles Lux (n° personnel 90137) est modifiée comme suit:

Affectation ancienne: secteur présidence

Affectation nouvelle: secteur personnel et fonctionnement.

2.

La présente décision prend effet le 15 avril 1983.

Fait à Luxembourg, le 14 avril 1983.

Pierre Lelong»

Ces deux décisions confirment la description donnée par la Cour des comptes en ce qui concerne la procédure suivie. Tout d'abord, la Cour des comptes en tant que telle a pris une décision relative au transfert de l'emploi. Ensuite, le président a pris la décision individuelle relative à l'affectation du requérant à l'emploi dans le nouveau secteur. A cet égard, nous renvoyons plus précisément au quatrième alinéa de la deuxième décision.

Le point de vue, défendu à ce sujet par la Cour des comptes, ne peut toutefois pas nous convaincre. En l'espèce, la décision relative au transfert de l'emploi, qui a été occupé, doit en fait être considérée comme une décision individuelle. La Cour des comptes n'ignorait pas qu'il s'agissait en l'occurrence du seul emploi d'administrateur principal au service juridique dont, par ailleurs, seul le secrétaire faisait encore partie, lequel emploi a été occupé par le requérant. C'est ce que le représentant de la Cour des Comptes a confirmé au cours de la procédure orale. Il est indéniable que le retrait d'un emploi à un fonctionnaire, qui occupait celui-ci, le concerne individuellement. Un tel retrait a la même importance que l'affectation d'un fonctionnaire à un emploi. Il est évidemment essentiel que le fonctionnaire puisse partir de l'idée que le retrait de l'emploi qu'il occupe a, lui aussi, seulement lieu selon les règles du statut. Nous renvoyons à cet égard à l'article 41 du statut, relatif à la mise «en disponibilité». Dans l'économie du statut, une telle décision individuelle ne peut être prise que par l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Du reste, les motifs de la décision du président du 14 avril, plus précisément le quatrième alinéa, pourraient indiquer qu'il existe un emploi vacant («... un emploi existe dans le secteur ...»), auquel il est ensuite pourvu par l'affectation du requérant. Dans ce cas, il faudrait accomplir les formalités des articles 4 et 29 du statut. En tout état de cause, étant donné que les deux parties considèrent d'un commun accord qu'il y a en fait réaffectation, et qu'il n'apparaît pas qu'un emploi est devenu vacant, nous ne nous pencherons pas plus avant sur cet aspect de l'affaire.

La Cour des comptes a-t-elle outrepassé les limites de sa compétence et la décision relative au transfert du poste budgétaire, du 24 mars, est-elle de ce fait invalide? A notre avis, pour répondre à cette question, il faut se demander si la procédure suivie a enfreint certaines garanties que le statut prévoit en faveur des fonctionnaires. La répartition interne des compétences de la Cour des comptes ne peut évidemment pas affecter les obligations dérivant du statut. A cet égard, nous pensons plus précisément aux exigences de l'article 25, qui veut que toute décision individuelle soit motivée et communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé.

Pour apprécier la validité, il convient donc, selon nous, d'examiner en même temps les premier et deuxième moyens.

3.2. Le deuxième moyen relatif à l'insuffisance de motifs

Tout d'abord, il apparaît clairement de la deuxième décision que les motifs de celle-ci concernent uniquement la nouvelle affectation du requérant, tandis qu'elle constate seulement comme un fait le transfert antérieur de l'emploi, sans motiver ce fait. La question qui se pose est de savoir si, ce faisant, les exigences de motivation, énoncées par la Cour en cas de nouvelle affectation, sont néanmoins remplies.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'obligation de motiver une décision de réaffectation doit être considérée à la lumière du rapport entre l'étendue du pouvoir dont les institutions jouissent en matière d'organisation du service et le caractère marginal des désavantages que la nouvelle affectation peut comporter pour le fonctionnaire (entre autres, 33 et 75/79, Kühner, Recueil 1980, p. 1692; 125/80, Arning, Recueil 1981, p. 2550). Selon la Cour, il ne suffit plus de se référer uniquement à l'intérêt du service, comme nous le déduisons entre autres de l'affaire citée en dernier lieu, Arning, 12eattendu. Selon la jurisprudence constante de la Cour, il faut tenir compte non seulement du document, par lequel la décision a été communiquée, mais aussi du contexte et des circonstances dans lesquelles la décision a été prise et communiquée à l'intéressé.

Comme nous l'avons déjà dit, les motifs de la décision du 14 avril concernent uniquement la nouvelle affectation, tandis que le transfert de l'emploi, qui est indiqué comme motif unique de la nouvelle affectation, n'est absolument pas motivé. L'intérêt du service n'est pas mentionné dans les motifs, mais seulement dans le texte de la décision même, et il n'est absolument pas expliqué.

La question qui se pose est de savoir si cette insuffisance de motifs peut être compensée en tenant compte du contexte dans lequel la décision a été arrêtée.

A cet égard, la première décision du 24 mars a manifestement eu une influence décisive. Or, le contenu de cette décision n'a jamais été communiqué en tant que tel au requérant, mais, ainsi qu'il a été dit, seulement en réponse à une question de la Cour.

Ensuite, il apparaît que cette première décision n'indique pas non plus un quelconque motif pour le transfert de l'emploi. En revanche, il est établi que, le 24 mars, sur la demande du président, le secrétaire de la Cour des comptes a informé verbalement le requérant de la décision.

Il ne ressort pas du dossier que la modification des emplois, dont il s'agit ici, a fait l'objet d'une quelconque discussion avec le requérant avant l'adoption de la première décision, ni d'un véritable entretien après l'adoption de cette décision.

Le requérant prétend certes qu'avant l'adoption de la décision, le secrétaire lui a dit qu'en raison du recours, qu'il avait formé précédemment devant la Cour, et d'un avis, qui avait déplu au président, celui-ci envisageait d'exclure le requérant du secteur «présidence» et de le transférer dans un autre secteur.

D'une part, le secrétaire a contesté au cours de la procédure orale que le président aurait menacé de transférer le requérant pour les raisons indiquées plus haut, mais, d'autre part, sa déclaration montre que le président lui avait bien fait part de sa préoccupation du fait que son unique collaborateur au service juridique en dehors du secrétaire avait formé un recours devant la Cour. A cette occasion, il aurait aussi fait état de la pratique consistant à transférer un fonctionnaire, qui aurait bien existé à cet égard dans d'autres institutions. Il a ajouté que, sur la demande du président, il avait informé le requérant des préoccupations du président à ce sujet.

Eu égard au contexte de la décision, que nous venons d'évoquer, les motifs doivent, selon nous, être exhaustifs et le fonctionnaire ne peut pas être tenu dans l'ignorance des motifs réels qui ont conduit l'administration à adopter sa décision.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'obligation de motiver une décision a pour but de permettre à l'intéressé d'apprécier si cette décision est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité et, d'autre part, de permettre l'appréciation juridictionnelle (entre autres, 176/82, Nebe, du 14.7.1983, Recueil 1983, p. 2475).

Nous estimons que c'est seulement au stade de la procédure devant la Cour que la Cour des comptes a indiqué les motifs de sa décision, eu égard aussi au fait qu'il n'a pas été statué sur la réclamation du requérant au titre de l'article 90 du statut. Le secteur «personnel et fonctionnement», qui s'occupe du contrôle des dépenses du personnel et doit dès lors fonder ses analyses sur le statut et la jurisprudence y relative, avait, pour cette raison, besoin d'un fonctionnaire juriste, ainsi qu'il est dit dans les motifs qui ont été invoqués rétrospectivement. C'est seulement au cours de la procédure orale que le représentant de la Cour des comptes a déclaré en outre que l'ancien membre de la Cour des comptes, responsable pour ce secteur, avait adressé une demande en ce sens au président pour les raisons précitées. Le dossier ne comporte aucune trace, pour le surplus, en ce qui concerne cette demande.

Or, nous pensons qu'une insuffisance de motifs au moment de l'adoption de la décision ne saurait être régularisée par la suite au cours de la procédure devant la Cour, comme il a aussi été dit dans l'affaire 195/80, Michel, Recueil 1981, p. 2872.

Eu égard à l'obscurité du contexte dans lequel la décision a été arrêtée, nous estimons que les motifs sont effectivement insuffisants. Cela tient à la façon de procéder incorrecte de la Cour des comptes, qui a fait que la prise de décision a été décomposée en deux décisions distinctes, émanant de deux instances différentes, la première décision n'étant pas motivée et la deuxième étant basée notamment sur la première, sans qu'elle n'indique de motifs en ce qui concerne le transfert de l'emploi, qui est un élément essentiel de la nouvelle affectation, en vue de laquelle il a été décidé. A notre avis, ce vice essentiel ne peut pas être couvert par le contexte dans lequel la décision a été arrêtée. En l'espèce, c'est même le contraire qui se produit.

3.3. Conclusion en ce qui concerne les premier et deuxième moyens

Sur la base de ce qui précède, nous concluons comme suit en ce qui concerne les deux premiers moyens :

a)

La décision de transférer l'emploi a en l'espèce un caractère individuel, étant donné que cet emploi était exercé par le requérant. Eu égard à l'économie du statut, elle aurait dès lors dû être prise par l'autorité investie du pouvoir de nomination. En outre, elle doit satisfaire aux exigences de l'article 25 en ce qui concerne l'obligation de communication par écrit et sans délai, ainsi que l'obligation de motivation.

b)

La décision individuelle d'affectation du 14 avril n'est, elle non plus, nullement motivée en ce qui concerne le transfert de l'emploi, qui est indiqué comme motif unique, mais qui n'est en fait pas un motif, mais le pendant de la même décision, non motivée, de transfert du fonctionnaire avec son emploi. A notre avis, ce vice n'est pas couvert par un renvoi aux circonstances concrètes dans lesquelles la décision a été prise. Il n'est pas non plus couvert par la constatation, figurant dans la décision elle-même et qui n'est pas expliquée concrètement, selon laquelle l'affectation du requérant est modifiée dans l'intérêt du service.

Eu égard à ce qui précède, nous vous proposons dès lors d'annuler les deux décisions.

Toutefois, pour être complet, nous examinerons également les autres moyens invoqués par le requérant.

3.4.

Par son troisième moyen, le requérant allègue qu'il il y a violation des articles 4, 7 et 29, parce qu'il n'est pas possible de parler d'une réaffectation d'un fonctionnaire en cas de modification substantielle de l'emploi, comme c'est le cas en l'espèce.

A cet égard, le requérant renvoie à la définition des tâches dans l'avis de vacance pour la fonction qu'il exerce au service juridique. Il estime que le transfert d'une fonction juridique à un secteur de contrôle n'est pas possible, étant donné qu'il impliquerait une modification substantielle de l'emploi.

Ce moyen n'est absolument pas étayé par la jurisprudence de la Cour. Selon la Cour, la réaffectation du fonctionnaire avec son emploi est possible pour autant qu'elle a lieu dans l'intérêt du service et garantit l'équivalence des fonctions. Ce dernier point se réfère à l'exigence de l'article 7, à savoir à la correspondance entre le grade et l'emploi, et non aux tâches que l'emploi comporte en tant que tel.

Il est établi que le nouvel emploi correspond, lui aussi, au grade A 5/4 de l'intéressé. Ce dernier doit dès lors succomber en ce moyen.

3.5.

Le requérant ne peut pas non plus obtenir gain de cause par son quatrième moyen, dans lequel il fait valoir que, eu égard à sa formation juridique, le service juridique correspond mieux à ses qualifications qu'un secteur de contrôle.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, lors de l'organisation de leurs services, les institutions sont libres d'organiser ces derniers en fonction des missions qui leur sont confiées et d'affecter en vue de celles-ci le personnel qui se trouve à leur disposition (entre autres, 161 et 162/80, Carbognani c.s., Recueil 1981, p. 558, 28e attendu).

Il est également apparu du dossier qu'entre la fin du mois d'octobre 1978 et sa nomination au service juridique, le requérant a été affecté au même secteur de contrôle que celui auquel il a été transféré maintenant. Les connaissances qu'il y a acquises sont encore mentionnées expressément dans son rapport de notation pour la période du 1erjanvier 1980 au 31 décembre 1981. On ne peut donc pas soutenir qu'il ne pourrait pas accomplir correctement les tâches d'un service de contrôle.

3.6.

Par son cinquième moyen, le requérant invoque un détournement de pouvoir en ce sens que sa réaffectation constituerait en fait une sanction disciplinaire déguisée, prise en raison du fait qu'il a formé un recours devant la Cour ayant pour objet une demande de reclassement. La défenderesse conteste la thèse du requérant, en attirant une fois de plus l'attention sur le fait que la décision a été prise parce que le secteur de contrôle concerné avait besoin d'un juriste. C'est ce que le supérieur hiérarchique actuel du requérant a encore expliqué au cours de la procédure orale, en soulignant qu'il disposait bien d'un expert-comptable, mais non d'un juriste.

Selon la jurisprudence de la Cour, il peut y avoir détournement de pouvoir «... si (la décision) apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées» (18 et 35/65, Gutmann, Recueil 1966, p. 150).

Ainsi qu'il a déjà été dit, selon l'article 7 du statut, en tant qu'il a de l'importance pour le présent moyen, l'affectation d'un fonctionnaire peut être modifiée dans l'intérêt du service. C'est ce que la Cour des comptes a précisé au cours de la procédure devant la Cour, dans le sens indiqué plus haut, en ce qui concerne la réaffectation du requérant.

Or, à notre avis, un certain nombre de faits et de circonstances conduisent à se demander si le transfert a été commandé uniquement par l'intérêt du secteur concerné ou s'il a également été influencé par le fait qu'un recours a été formé devant la Cour.

En ce qui concerne ce doute, nous attirons l'attention sur ce qui suit. Il faut toutefois signaler d'abord que l'appréciation de ce moyen est évidemment rendue très difficile par l'insuffisance des motifs, ainsi qu'il a été dit plus haut.

Aucun document préalable ne fait apparaître une quelconque nécessité objective d'agrandir le secteur concerné en recrutant un juriste qualifié. Ainsi que nous l'avons déjà exposé, c'est seulement au cours de la procédure orale qu'il a été dit que l'ancien membre responsable de ce secteur avait introduit une demande en ce sens auprès du président. Aucune autre explication n'a toutefois été donnée à cet égard et la demande n'a pas non plus été déposée.

En réponse à une question de l'avocat du requérant, le supérieur hiérarchique du requérant a déclaré qu'il ignorait que le président avait été saisi d'une demande en ce sens, étant donné qu'il ne travaillait dans ce secteur que depuis janvier 1983 et que la réaffectation du requérant n'avait été décidée que peu de temps après. Considérée a posteriori, une telle demande lui a néanmoins paru logique.

Ensuite, nous signalerons une fois de plus à ce propos que, comme il l'a confirmé au cours de la procédure orale, le secrétaire avait informé le requérant des préoccupations du président en rapport avec le recours formé par le requérant. Par ailleurs, la Cour des comptes indique dans la «réponse complémentaire» que le requérant n'était plus à même d'effectuer certaines tâches au service juridique en raison de ce recours.

En revanche, nous ne sommes pas convaincu que les arguments avancés par le requérant soient effectivement l'indice d'un possible détournement de pouvoir.

Nous ne pouvons pas nous rallier à la thèse selon laquelle il aurait été mis dans une impasse. Somme toute, il a posé jadis sa candidature à un certain nombre d'emplois comportant des tâches de contrôle, en faisant en outre état de l'expérience qu'il avait acquise dans ce domaine dans le cadre de son premier emploi à la Cour des comptes. Selon ce que le secrétaire a déclaré au cours de la procédure orale, une remarque en ce sens a du reste été insérée, sur sa demande expresse, dans son rapport de notation. Ensuite, nous estimons aussi que la Cour des comptes a soutenu de manière convaincante que, compte tenu de l'expérience qu'il a acquise en matière de contrôle dans ses fonctions antérieures et dans ses fonctions actuelles, les possibilités de carrière du requérant sont plus grandes dans un des sept secteurs de contrôle que dans les secteurs à caractère administratif et juridique, qui sont beaucoup plus restreints. Il est difficile d'apprécier l'argument relatif aux tâches prétendument insuffisantes que comportent ces nouvelles fonctions. Les deux parties ont examiné cette question de manière approfondie et elles ne s'opposent pas en ce qui concerne les tâches confiées au requérant. Depuis mai 1983, il s'agit à cet égard plus précisément de quatre études portant sur «les allocations pour enfants à charge, les grades ad personam, le personnel non statutaire d'Ispra et un inventaire des catégories de personnel de la Communauté». Toutefois, les parties apprécient de façon diamétralement opposée la charge que ces tâches représentent. La minutie, avec laquelle le requérant décrit la durée de ces travaux, est étonnante. Or, nous ne pensons pas que la Cour puisse se prononcer sur ce point, dès lors qu'il n'apparaît pas clairement qu'il n'y a pas eu de travail. En outre, il nous semble que le requérant s'attache surtout à la qualification de celui-ci. Dans son esprit, il doit effectuer le même genre de travail, de nature juridique et sans caractère de contrôle, qu'au service juridique. C'est apparemment d'après ce critère qu'il a apprécié ses tâches.

Ce point de vue est inexact et doit être mis en relation avec le troisième moyen. Le requérant doit être conscient du fait qu'il est censé effectuer des activités juridiques dans le cadre du secteur de contrôle «personnel et fonctionnement». L'argument relatif à la nomination d'un autre fonctionnaire au service juridique n'étaye pas non plus, en tant que tel, l'argument soutenu par le requérant, mais fait certainement aussi apparaître le souci de la continuité des services.

Eu égard à tout ce qui précède, nous pensons qu'on peut effectivement se poser des questions quant au motif réel du transfert. Nous ne nions pas par là que le secteur «personnel et fonctionnement» a besoin d'un juriste qualifié. Toutefois, même dans le cas où le transfert serait effectivement justifié en partie, voire en premier lieu, par l'introduction d'un recours devant la Cour, cette circonstance n'aurait pas encore, à notre avis, été constitutive d'un détournement de pouvoir en ce sens que la Cour des comptes aurait ainsi poursuivi un but autre que «l'intérêt du service» visé à l'article 7.

Il est possible que des raisons objectives d'intérêt du service aboutiraient dans ce cas à un transfert, eu égard au fait que le requérant traitait aussi des réclamations au titre de l'article 90 du statut et des affaires concernant ses collègues devant la Cour. Une décision de transfert, qui est prise pour ces raisons, doit cependant être arrêtée selon une procédure très précise: une telle décision ne pourrait être prise que sur la base d'une enquête objective. Enfin, un membre du service juridique doit aussi être en mesure de défendre ses droits. A cet égard, nous signalerons la remarque faite au cours de la procédure orale par la Cour des comptes, à savoir que d'autres juristes du secrétariat, qui ne font pas partie du service juridique, remplissent aussi des tâches de nature juridique. Aussi longtemps que le recours du requérant était pendant devant la Cour, d'autres réclamations au titre du statut pouvaient dès lors peut-être être traitées par d'autres juristes.

Nous déduisons de ce qui précède qu'en dépit des doutes que nous éprouvons, il n'est pas prouvé à suffisance de droit que l'autorité investie du pouvoir de nomination a poursuivi un but autre qu'un but légitime (23/76, Pellegrini, Recueil 1976, p. 1807).

Pour terminer notre examen de ce cinquième moyen, nous nous demandons si cette affaire, à l'instar de nombreuses autres affaires relatives à un transfert, n'aurait pas pu être évitée par une meilleure information, donnée aussi à titre préalable par l'administration au fonctionnaire concerné.

Dans votre arrêt dans l'affaire 125/80, Arning, vous avez dit que s'il est vrai qu'il n'existe aucune obligation à cet égard, un tel comportement de l'administration serait conforme à la bonne foi et à la confiance mutuelles entre les fonctionnaires et l'administration. Vous avez ajouté qu'une telle pratique serait également susceptible de prévenir des litiges. Une telle ligne de conduite n'a pas été suivie dans la présente affaire, ce qu'il faut déplorer d'autant plus qu'il s'agissait seulement de la réaffectation d'un seul fonctionnaire.

4. Conclusion

Pour conclure, nous vous proposons d'annuler la décision de la Cour des comptes du 24 mars portant transfert de l'emploi du requérant du secteur «présidence» au secteur «personnel et fonctionnement» pour incompétence et inobservation des prescriptions de l'article 25 du statut, et d'annuler la décision du président du 14 avril portant affectation à l'emploi transféré pour insuffisance de motifs. En conséquence, il conviendrait de condamner la Cour des comptes aux dépens.


( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) Extrait du «Règlement intérieur de la Cour des comptes des Communautés européennes», arrêté lors de la réunion de la Cour du 21.5.1981.

( 3 ) A notre avis, le texte néerlandais de cette dernière phrase, qui se lit comme suit: «... zij verdeelt de functionarissen over de diverse sectoren», est une traduction inexacte du texte français. Dans les présentes conclusions, nous sommes parti du texte français.