CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. G. FEDERICO MANCINI,
PRÉSENTÉES LE 14 SEPTEMBRE 1983 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
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Cette affaire préjudicielle vous amène à interpréter les principes du traité CEE qui régissent la circulation des marchandises. Vous devrez: a) établir si les règles par lesquelles un État membre dispose que certains produits pharmaceutiques, nationaux et importés, ne sont pas remboursables aux assurés par l'organisme d'assurances compétent sont compatibles avec les articles 30 et suivants; et, si vous les jugez incompatibles, b) constater si ces règles peuvent être considérées comme légitimes dans la mesure où elles répondent à des exigences imperatives telles que la protection de la santé ou d'autres intérêts généraux d'importance non négligeable. Les faits. Par arrêté ministériel du 22 juillet 1982, concernant l'assistance pharmaceutique dans le cadre de l'assurance maladie («Besluit farmaceutische hulp ziekenfondsverzekering»), le ministre néerlandais de la santé publique a établi la liste des médicaments et des pansements à la délivrance desquels les assurés affiliés n'ont droit en aucun cas ou n'ont droit que sous certaines conditions déterminées. La société Duphar BV, dont le siège est à Amsterdam, et vingt-deux autres entreprises pharmaceutiques néerlandaises qui s'occupent de l'importation de médicaments ont intenté un recours contre cette réglementation. Elles ont demandé à l'Arrondissementsrechtbank de la Haye de suspendre son entrée en vigueur ou tout au moins celle des règles qui refusent aux assurés la délivrance de certaines préparations; elles se sont réservées de toute façon d'introduire en un second temps une procédure quant au fond et de contester au cours de celle-ci la légalité de la mesure de qua. La procédure contradictoire ayant été engagée entre les sociétés requérantes et l'État néerlandais en la personne du ministre auteur de l'arrêté, le juge saisi a sursis à statuer et a soumis à notre Cour les questions préjudicielles suivantes en application de l'article 177 du traité CEE:
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2. |
Ces questions posent des problèmes de politique du droit et d'interprétation que nous n'hésitons pas à qualifier de fondamentaux. Toutefois, avant de les aborder, nous estimons opportun d'examiner au moins dans ses lignes générales le contexte dans lequel ils se posent: à savoir la législation qui, aux Pays-Bas, régit le secteur de l'assistance pharmaceutique. Outre l'arrêté mentionné de 1982, les sources qui entrent en considération à cette fin sont essentiellement au nombre de deux: la loi du 15 octobre 1964 qui régit l'assurance maladie («Ziekenfondswet») et l'arrêté du 4 janvier 1966 qui réglemente les prestations y afférentes. La première institue l'assurance obligatoire pour les travailleurs salariés et pour les personnes âgées ayant des revenus inférieurs à un certain taux, tandis qu'elle prévoit une assurance «volontaire» pour tous les autres citoyens (travailleurs autonomes ou assimilés) dont le revenu ne dépasse pas un certain niveau. Les assurés ont droit au remboursement des frais médicaux, mais il appartient à l'administration et en particulier au ministre de la santé de définir la nature, le contenu et le montant des prestations qui s'y rapportent; il le fait par décret. Le droit à l'assistance est subordonné au paiement de cotisations dont le montant est proportionné au niveau de la rémunération des titulaires. Les cotisations sont versées à la caisse générale («Algemene Kas») dans le cas des travailleurs salariés et à un fonds d'assurances vieillesse («Fonds Bejaardenverzekering») dans le cas des personnes âgées. La caisse et le fonds, auxquels l'Etat verse annuellement des montants considérables, envoient ces sommes à la caisse maladie qui rembourse les frais médicaux aux assurés. En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par cette loi, le ministre de la santé publique a adopté en 1966 l'arrêté sur les prestations qui est la seconde source dont nous devons tenir compte. A l'article 10, de cette dernière, il s'est attribué un autre pouvoir: celui d'établir que certains produits pharmaceutiques et bandages ne sont pas délivrés aux assurés ou qu'ils ne le sont que sous certaines conditions. C'est précisément en mettant cette règle en application que la mesure qui est à l'origine du présent litige a été adoptée seize ans plus tard. Elle énumère dans des annexes distinctes les produits non remboursables. L'annexe 1 indique les produits pharmaceutiques dont la délivrance est interdite en raison de leur prix: l'annexe 2, les produits pharmaceutiques qui ne peuvent pas être remboursés parce qu'ils ne sont pas vendus en pharmacie; et l'annexe 4, les produits dont le remboursement n'est possible que «s'il peut être admis raisonnablement que la non-délivrance compromettrait de manière intolérable le résultat du traitement et si, et dans la mesure où la délivrance était autorisée au préalable par la caisse de maladie, sur demande faite par l'assuré ou en son nom». |
3. |
Le juge a quo vous demande en premier lieu si la réglementation résultant desdites annexes est ou non compatible avec les articles 30 et 34 du traité. Comme nous le savons, l'article 30 interdit deux ordres de mesures: les «restrictions quantitatives à l'importation» et les «mesures d'effet équivalent». Selon les entreprises demanderesses, les règles dont nous devons nous occuper font partie de la seconde catégorie qui, à votre avis, englobe «toute réglementation commerciale» susceptible «d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire» (arrêt du 11.7.1974, affaire 8/74, Dassonville, Recueil 1974, p. 837). Dans cette vaste définition, l'élément saillant consiste, croyons-nous, en l'importance que l'on attribue à l'effet de la mesure sur les courants commerciaux entre Etats membres. En d'autres termes, il suffit qu'il existe un rapport de causalité entre une mesure nationale concernant certains produits et le volume des importations qui s'y rapportent pour que la première tombe sous l'interdiction de l'article 30. Après avoir admis l'exactitude de cette remarque, il faut en premier lieu se demander si les règles litigieuses ont un impact appréciable sur l'importation des produits pharmaceutiques aux Pays-Bas. Notre réponse est affirmative et elle nous est suggérée à la fois par des raisonnements logiques et par des relevés empiriques. En ce qui concerne les premiers, il nous a été dit qu'aux Pays-Bas le commerce des médicaments est alimenté de manière prépondérante (80 %) par des produits étrangers : le marché néerlandais est donc un marché sur lequel il n'existe pas de règle susceptible d'avoir une incidence sur les choix des consommateurs, qui ne se reflète pas finalement sur le volume des importations. D'autre part, sur le plan de la quantité comme sur celui de la qualité, l'aptitude des règles en question à influencer le public ne pourrait pas être plus élevée. La part des consommations qui pèse sur la caisse maladie correspond, en effet, à 70 % du total; et puis il nous semble évident que, placé devant l'alternative entre médicaments remboursables et médicaments à charge, l'assuré moyen (mais aussi le médecin moyen) choisit la première; ou du moins la choisit dans les nombreux cas où les deux produits possèdent la même efficacité thérapeutique. Les données empiriques auxquelles nous avons fait allusion sont contenues dans des graphiques produits par la société Duphar. Ils représentent la courbe des ventes de certains médicaments importés après l'entrée en vigueur de l'arrêté de 1982 et confirment avec une grande clarté que les règles de ce dernier constituent un obstacle réel au commerce intracommunautaire. Une grande partie des produits pharmaceutiques énumérés dans les trois annexes à l'arrêté — et surtout ceux qui sont distribués dans des magasins autres que les pharmacies (annexe 2) — ont en effet perdu des acheteurs. Le gouvernement néerlandais en est conscient; pour livrer bataille, il a donc choisi un terrain d'un autre genre. Les mesures de l'arrêté de 1982 — affirme sa défense — ne sont pas des mesures d'effet équivalent parce qu'elles se limitent à exprimer des décisions prises par l'État en sa qualité de consommateur. Le particulier est libre de choisir les produits qui lui conviennent le mieux par le prix et la qualité: pourquoi l'État ne devrait-il pas être également libre lorsqu'il intervient sur le marché en tant qu'acheteur? En effet, il est évident que dans ces aspects essentiels sa position est semblable à celle du particulier. La caisse maladie est un organisme public; l'État la finance, au moins en partie, et il en réglemente le fonctionnement et la politique de dépense en vue de l'intérêt général. Disons tout de suite que nous trouvons cette thèse suggestive mais qu'elle nous semble également constituer un prétexte. Il nous paraît avant tout arbitraire d'assimiler l'Etat et le particulier, surtout si l'on considère que les décisions du premier prennent corps dans des mesures d'autorité et ont une influence considérable sur les courants commerciaux. Ajoutons que, du côté des citoyens, aucune faculté authentique d'autodétermination ne correspond à cet énorme pouvoir. Dire qu'ils sont libres d'acheter les médicaments non remboursables est hypocrite; comme nous l'avons observé plus haut, la vérité est qu'ils ne les achètent pas ou qu'ils en achètent dans une moindre mesure et que, étant donné le caractère particulier du marché néerlandais, cette contraction des consommations ne peut pas ne pas avoir d'effet sur les importations. Les deux termes de l'équation qui nous est soumise sont donc erronés; elle ne pourra donc pas dissimuler l'effet équivalant à une restriction quantitative que produisent les règles en question. |
4. |
Mais le gouvernement des Pays-Bas a une autre carte beaucoup plus forte dans sa main: après avoir admis — relève-t-il — l'incompatibilité desdites normes avec l'article 30, on devra néanmoins reconnaître leur nature légitime conformément à l'article 36. En effet, il est évident qu'il existe des motifs de protection de la santé pour les justifier; en outre, étant applicables aux produits nationaux et aux produits importés, elles satisfont à la condition de la non-discrimination à laquelle cet article subordonne l'effet de la cause justificative. Que dire de ces arguments? Le second est incontestable. Celui qui se fonde sur la protection de la santé est problématique, mais il repose sur des données et des chiffres qu'il serait absurde de négliger. La défense du gouvernement néerlandais a rapporté qu'en 1981, c'est-à-dire l'année précédant la publication du décret controversé, les citoyens couverts par les assurances obligatoires et volontaires étaient plus de 9 millions et demi; que les cotisations versées à la caisse générale ont été égales à 8200 millions de florins; que les frais des remboursements des produits pharmaceutiques se sont élevés à 8900 millions. Le solde négatif a été en somme de 700 millions auxquels se sont ajoutés les déficits mineurs, mais néanmoins importants du Fonds Bejaardenverzekering et de l'assurance volontaire. En 1982, semble-t-il, ce déficit a augmenté d'environ 200 millions; et puisque la crise qui frappe la Communauté ne semble pas régresser, il y a lieu de craindre qu'il devienne structurel avec des risques évidents pour le fonctionnement d'un service essentiel à la collectivité et, en particulier, aux couches sociales les plus défavorisées. Dans une situation de ce genre, il nous semble impossible de ne pas reconnaître aux Etats membres un pouvoir d'intervention et, au moins in apicibus, de ne pas étendre à leurs mesures la sauvegarde de l'article 36. Nous savons bien que cette thèse est susceptible d'objections: mais, après avoir admis le sérieux des inquiétudes qui les motivent, aucune d'entre-elles ne nous semble assez forte pour mettre en doute le résultat auquel nous croyons devoir parvenir. Ainsi, en est-il de l'objection que je qualifierai du «but indirect». Les règles néerlandaises, dit-on, n'ont qu'un rapport médiat avec la protection de la santé; destinées comme elles sont à assainir les budgets des organismes d'assurances, leur élément que l'on place au premier plan — et qui compte le plus pour leur qualification juridique — est le but de politique économique auquel elles concourent. Assurément: les choses se présentent plus ou moins en ces termes. Toutefois, la conséquence que l'on en tire n'est pas impérative. L'article 36 considère comme causes de justification certains motifs ou buts précis qui doivent se trouver à la base des mesures internes. Il ne dit cependant pas que, pour remplir leur fonction d'exemptions, ces buts doivent être poursuivis de manière directe; et il ne dit pas non plus que si une mesure a plusieurs buts dont un seul apparaît comme cause justificative, cette mesure doit être considérée comme injustifiée. Lui faire dire tout cela équivaut à réduire, sans fondement logique ou textuel, sa portée qui est, purement et simplement de légitimer les mesures nationales visant à protéger la santé ou les autres valeurs fondamentales dont il est question dans cet article. Mais — réplique-t-on l'interprétation ainsi offerte est une interprétation extensive que l'article 36 ne permet pas. En effet, vous avez plusieurs fois souligné la nature «exceptionnelle» de cette règle par rapport au principe de la libre circulation des marchandises et vous avez ajouté qu'il faut en tenir compte lorsque l'on doit l'interpréter (voir arrêts du 25.1.1977, affaire 46/76, Bauhuis/Pays-Bas, Recueil 1977, p. 5, et du 12.10.1978, affaire 13/78, Eggers, Recueil 1978, p. 1935). Nous pourrions répondre que pour une règle exceptionnelle c'est l'interprétation par analogie et non pas l'interprétation extensive qui est intolérable, cette dernière servant uniquement à identifier la volonté du législateur lorsque le texte est ambigu ou polyvalent. Toutefois, nous ne le faisons pas, parce que nous ne pensons pas que notre interprétation soit extensive. En réalité — qu'il nous soit permis de nous répéter — elle part d'une appréciation linéaire et, nous en sommes persuadés, fidèle à la lettre de notre disposition. Quand il fait allusion aux «raisons» d'une certaine réglementation nationale, l'article 36 entend évidemment se référer aux raisons de fond — comme la protection de la santé — qui inspirent cette réglementation. Le fait, qu'à côté d'elles, il en existe d'autres, sans importance pour le même article, ne compte pas; de même, il importe peu que des raisons importantes inspirent la réglementation litigieuse de manière raisonnablement médiate, plutôt qu'immédiate ou directe. Pour que la cause justificative agisse, elles doivent posséder une seule caractéristique: avoir pesé dans une mesure déterminante sur les choix du législateur national. Aucun interprète sérieux ne peut douter que tel est le cas des mesures néerlandaises, bien qu'elles visent manifestement à servir une politique de «rigueur». |
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Une troisième objection à notre lecture de l'article 36 pourrait s'appuyer sur les arrêts De Peijper (20.5.1976, affaire 104/75, Recueil 1976, p. 613, surtout les attendus 16/18) et Denkavit Futtermittel (8.11.1979, affaire 251/78, Recueil 1979, p. 3369, surtout l'attendu 23). En effet, dans ces arrêts vous avez affirmé que notre disposition «ne peut pas être invoquée pour justifier des réglementations ou pratiques, même utiles mais dont les éléments restrictifs s'expliquent essentiellement par le souci de réduire la charge administrative ou les dépenses publiques, sauf si, à défaut de celles-ci ... cette charge ou ces dépenses dépassaient manifestement les limites de ce qui peut être raisonnablement exigé». A première vue — nous le reconnaissons — ces remarques semblent effectivement apllicables aux mesures de l'arrêté de 1982; mais cette impression disparaît dès que l'on analyse de près les contextes dans lesquels elles ont été émises. Dans l'affaire De Peijper, les règles litigieuses autorisaient les producteurs de produits pharmaceutiques et leurs concessionnaires exclusifs à refuser aux autorités de contrôle la documentation concernant les produits pharmaceutiques importés ou vendus et, par cela même, à monopoliser en fait leur importation et leur vente; dans l'affaire Denkavit, elles prévoyaient des contrôles sanitaires à l'importation et permettaient à l'autorité d'y déroger cas par cas. En somme, dans l'un comme dans l'autre litige, il était question de pratiques discriminatoires et, sous cet aspect, restrictives, mais également fondamentalement libératrices (permission de refuser des documents, dérogations). S'il en est ainsi, il ne nous semble certainement pas correct de tirer des arrêts respectifs des arguments pour frapper des règles qui, comme dans notre affaire, ont un effet uniquement et intégralement restrictif. Admettons en tout cas que cet argument ne soit pas assez convaincant. Il resterait tout de même vrai que dans l'affaire De Peijper et dans l'affaire Denkavit, il s'agissait d'établir si certaines règles internes visant à épargner des frais ou à simplifier des procédures étaient légitimes parce qu'elles s'inséraient dans un système de contrôles sanitaires; tandis que l'affaire Duphar a pour objet de faire constater si l'article 36 justifie certaines règles internes qui, en suivant une voie obligée comme l'assainissement de la caisse maladie, visent à garantir le fonctionnement de l'assistance sanitaire et par conséquent à protéger la santé. Ajoutons que, dans l'affaire Duphar, les buts de la règle — réduction du déficit et protection de la santé — sont d'égale importance; que, même, le premier est peut-être plus voyant mais sert en réalité d'instrument au second. Cela dit, comment ne pas reconnaître la différence irréductible qui existe entre les deux situations et donc l'impossibilité d'étendre à la nôtre le jugement que vous avez porté sur l'autre? Un dernier argument en faveur de la thèse que nous vous proposons peut être tiré du critère d'interprétation de «l'effet utile». Dans différents arrêts, mais surtout dans celui du 29 novembre 1956, affaire 8/55, Fédération charbonnière de Belgique (Recueil 1956, p. 291), la Cour a jugé «que les normes établies par un traité international ... impliquent les normes sans lesquelles les premières n'auraient pas de sens ou ne permettraient pas une application raisonnable et utile». Appliquons ce principe dans le cas d'espèce. On ne pourra pas nier que lire l'article 36 de manière à ne pas reconnaître aux Etats un pouvoir d'intervention visant à améliorer l'assistance sanitaire équivaut à rendre dans une large mesure «non utile» l'exemption que constitue «la protection de la santé»: cela avec des effets désastreux — ajouterons-nous — s'il est vrai qu'il n'existe pas d'État dans lequel ce service public ne couvre pas une grande partie des citoyens et, comme nous l'avons dit, ne soit pas essentiel pour les plus défavorisés d'entre-eux. D'autre part, une interprétation de notre disposition qui admettrait l'importance de ce bien que constitue la «santé» mais interposerait des obstacles trop nombreux à sa protection serait manifestement contradictoire et, qui pis est, constituerait une mystification. |
6. |
Nous avons donc constaté que les mesures néerlandaises répondent à l'exigence de protéger la santé des personnes. Mais cela ne met pas fin à nos développements. En effet, les entreprises demanderesses dans l'affaire principale nous demandent si on aurait pas pu parvenir à ce résultat avec des moyens moins dangereux pour le commerce intracommunautaire; autrement dit, si, tout en pouvant se rattacher à l'article 36, les moyens employés aux Pays-Bas sont conformes au principe de proportionnalité. Cette question se fonde sur une jurisprudence solide (voir, entre autres, les arrêts du 20.3.1976, affaire De Peijper, déjà citée; du 5.10.1977, affaire 5/77, Tedeschi/Denkavit, Recueil 1977, p. 1555; du 12.7.1979, affaire 153/78, Commission/République fédérale d'Allemagne, Recueil 1979, p. 2555; du 8.11.1979, affaire Denkavit Futtermittel, déjà citée) et elle est donc certainement légitime. Toutefois, nous ne croyons pas que l'on puisse lui donner la réponse définitive que les demanderesses désirent. En effet, il suffit de rappeler que le présent litige est parvenu à votre connaissance par la voie de l'article 177; et que cela vous empêche d'examiner la réglementation nationale au-delà des limites dans lesquelles la question du juge de renvoi le rend nécessaire. En somme, il appartient à ce dernier d'établir si la réglementation interne respecte le principe de proportionnalité (voir arrêt Denkavit Futtermittel, déjà cité, et arrêt du 16.12.1980, affaire 27/80, Fietje, Recueil 1980, p. 3839). Cela étant clarifié, il est permis — à notre avis — d'indiquer quelques lignes directrices qui aident le juge à résoudre le problème dans un cas comme le nôtre. En faveur des mesures néerlandaises, il y a leur efficacité certaine. Tout en admettant comme acquis qu'il est indispensable de réduire les frais des organismes d'assurances, nous ne connaissons pas, du moins là où l'assistance est garantie indirectement, de moyens plus valables d'y procéder que celui précisément d'exclure le remboursement des produits pharmaceutiques dont le coût semble trop élevé par rapport à leur effet thérapeutique. On pourrait — il est vrai — répliquer qu'il existe des moyens moins périlleux pour la libre circulation des marchandises: par exemple, agir sur les ressources plutôt que sur les dépenses des organismes en augmentant la charge contributive. Mais, disons-le franchement, il est douteux — et même hautement improbable — que dans la situation économique actuelle de l'Europe, ces propositions ou des propositions semblables puissent recevoir un accueil quelconque. Il n'y a donc pas d'alternatives praticables ou s'il en existe, elles sont difficilement perceptibles. En revanche, un problème de limites se pose: limites, entendons-nous, dans lesquelles l'exemption que constitue la santé doit jouer pour que la règle de la proportionnalité puisse être considérée comme observée. En effet, nous ne nous dissimulons pas que l'équilibre sur lequel reposent les systèmes tels que celui des Pays-Bas est fragile. Nous avons longuement analysé la pluralité de buts qui les caractérise. Abstraitement, elle n'empêche pas de justifier les règles qui s'y rapportent conformément à l'article 36. Concrètement, le risque que ledit article soit invoqué pour légitimer une simple politique de «rigueur» ou des mesures ayant des buts protectionnistes et de toute façon incompatibles avec le fonctionnement d'un marché commun est grave. Le tout est donc de voir si le choix des produits pharmaceutiques dont on interdit le remboursement s'effectue sur la base de critères objectifs (prix moins élevé, effet thérapeutique non supérieur à celui de médicaments moins coûteux, etc.), facilement reconnaissables et susceptibles de contrôle sur demande des opérateurs intéressés. |
7. |
Une dernière question interne au sujet que nous avons abordé jusqu'ici avant de passer à d'autres problèmes. Évidemment n'étant pas persuadé que le bouclier de l'article 36 suffise à protéger ses règles, le gouvernement néerlandais émet à titre subsidiaire — mais avec le soutien des gouvernements intervenus et de la Commission — une autre théorie. Ces règles, dit-il, pourraient être considérées comme légitimes à la lumière de l'article 30 dans la mesure où elles satisfont une exigence impérative que vous êtes appelés à reconnaître: précisément l'assainissement financier de l'assistance publique. Nous ne sommes pas d'accord et cela non seulement parce que nous estimons que, même tempéré par le principe de proportionnalité, l'article 36 est tout à fait suffisant. Le fait d'ajouter une nouvelle exigence impérative à celles que vous avez déjà identifiées (loyauté dans les opérations commerciales, protection des consommateurs, efficacité des contrôles fiscaux, etc.) nous semble extrêmement dangereux: dangereux, surtout, étant donné qu'il est impossible, ou mieux, irrationnel de la contenir dans les limites qui nous sont aujourd'hui proposées. Une fois que l'on a admis que des restrictions quantitatives ou des mesures d'effet équivalent sont licites si elles sont motivées par la nécessité de réduire les dépenses et lorsque l'on a renoncé à fonder leur licéité sur l'exemption que constitue la «protection de la santé», affirmer que les coupes doivent avoir pour objet les dépenses de la caisse maladie a bien peu de sens. Pourquoi elles et non point les autres? Pourquoi pas tous les chapitres de la dépense sociale ou publique qui ont une incidence négative sur la balance des paiements? L'article 30 est le plus important des piliers sur lesquels repose l'édifice communautaire. La «rule of reason» l'a — comment dire? — astiqué et peut-être ça et là usé. Une solution comme celle qui nous est proposée l'effriterait et finirait à la longue par l'abattre. Repousser énergiquement cette solution est un devoir auquel la Cour ne peut pas se soustraire. |
8. |
Par la première question, le juge a quo désire également savoir si la réglementation qu'on lui demande de ne pas appliquer est conforme à l'article 34 du traité. En effet, selon les entreprises demanderesses, il existe une contradiction au moins virtuelle entre les deux sources. En réduisant massivement les ventes des produits nationaux non remboursables, affirment-elles, l'arrêté du 22 juillet 1982 a une répercussion sur la structure même de la production. Il est donc vraisemblable que cette dernière doive être réorganisée, que la production s'interrompe et que les exportations se contractent jusqu'à disparaître. Cette thèse ne nous convainc pas. Elle considère comme pratiquement prévue la survenance de faits qui en réalité ne sont que des hypothèses ou des craintes. En somme, nous ne voyons pas cette relation — indirecte si l'on veut, mais tout de même rationnelle et reconnaissable — entre mesure interne et effet d'obstacle aux exportations qui constitue la condition essentielle pour que s'applique l'interdiction de l'article 34. |
9. |
La seconde question vise à établir si certaines dispositions du droit communautaire dérivé interdisent aux Etats membres d'adopter dans le secteur de l'assistance pharmaceutique des règles semblables à celles des Pays-Bas. Les sources en question sont les directives 65/65 du 26 janvier 1965 (JO no 22 du 9.2.1965, p. 369 et suiv.) concernant le rapprochement des législations relatives aux spécialités pharmaceutiques, et 75/319 du 20 mai 1975 (JO L 147 du 9.6.1975, p. 13 et suiv.) qui a le même objet. A la vérité, le juge a quo demande à titre préliminaire que la Cour statue sur leurs effets. Mais un jugement de ce genre serait superflu parce qu'il est certain que lesdites sources n'ont pas d'incidence sur la compétence des États dans le sens envisagé par la question. En effet, pour ce qui est de la directive 65/65, les règles sur lesquelles le juge de renvoi attire votre attention sont celles des articles 5, 11, 12 et 21. Elles concernent sous différents aspects les contrôles auxquels les États peuvent soumettre les produits pharmaceutiques avant d'en autoriser la mise dans le commerce: une matière, par conséquent, tout à fait étrangère à l'arrêté de 1982 qui interdit, certes, le remboursement de certains médicaments, mais qui n'a aucune incidence sur leur commercialisation. Disons la même chose de la directive 75/319. Elle aussi (et en particulier les articles invoqués par le juge a quo) ne fait que réglementer les contrôles auxquels est subordonnée la mise de médicaments dans le circuit commercial. |
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Par la troisième et dernière question, l'Arrondissementrechtbank de La Haye désire savoir si une réglementation comme celle qui est à l'origine du présent litige est compatible avec les articles 3 f), 85 et 86 du traité. Ici aussi, le juge néerlandais vous demande de dire si vous estimez que ces dispositions ont un effet direct ou indirect; et ici également, nous ne croyons pas utile que vous approfondissiez le problème tant il est évident que vous devez donner à cette question une réponse négative sur le fond. En effet, les articles 85 et 86 se réfèrent aux accords entre entreprises qui compromettent le commerce entre les États membres; il n'est donc pas possible de les invoquer en appréciant des règles qui portent préjudice à ce commerce pour des raisons qui n'ont aucun rapport avec ces accords: L'article 3 f) se limite à envisager, parmi les moyens d'action communautaires, «l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun». Nous ne voyons pas comment cette orientation programmatique peut être compromise par des règles qui, comme les nôtres, ont un champ d'application bien limité et qui, de plus, trouvent leur justification dans un intérêt fondamental des États. |
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Pour toutes les considérations développées jusqu'ici, nous vous suggérons de répondre de la manière suivante aux questions formulées par l'Arrondissementsrechtbank de La Haye par ordonnance du 16 septembre 1982, dans l'affaire introduite par la société à responsabilité limitée Duphar et par 22 autres entreprises pharmaceutiques néerlandaises contre le Royaume des Pays-Bas:
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( 1 ) Traduit de l'italien.