CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 9 JUIN 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Remarques introductives

1.1. Différences par rapport à certaines affaires antérieures concernant h répartition de contingents tarifaires pour la viande bovine congelée

Les affaires jointes 213, 214 et 215/81, que nous devons examiner aujourd'hui et à propos desquelles le Verwaltungsgerichtshof de Hesse vous a posé diverses questions, ne sont par les premières où il est question de critères nationaux pour la répartition de contingents tarifaires pour la viande bovine congelée. Déjà par trois fois vous avez été invités à répondre à des questions sur cette problématique, à savoir dans les affaires Grosoli I (affaire 131/73, Recueil 1973, p. 1555), Grosoli II (affaire 35/79, Recueil 1980, p. 177) et van Walsum (affaire 124/79, Recueil 1980, p. 813).

Il existe toutefois au moins deux différences fondamentales entre les affaires actuelles et les procédures antérieures relatives aux critères de répartition de contingents tarifaires pour la viande bovine congelée.

Pour commencer, par la première question vous êtes invités à vous prononcer sur le problème, qui n'a pas encore été débattu au principal, de savoir si l'article 3 du règlement d'habilitation en la matière no 2956/79 QO 1979, L 336, p. 3) est bien conforme à des règles supérieures du droit communautaire, en particulier au principe de l'égalité de traitement des opérateurs économiques qui sont établis dans les différents États membres de la Communauté européenne. D'autres aspects d'un principe général d'égalité sont évoqués dans les questions préjudicielles suivantes.

Une deuxième différence, non moins importante, par rapport aux affaires antérieures, réside dans le fait que ces dernières concernaient exclusivement des critères de répartition qui étaient en relation avec certains besoins nationaux justifiant l'importation de la viande bovine congelée en cause. Dans la première affaire Grosoli, il s'agissait de l'admissibilité, que vous avez niée, d'une clause réservant les possibilités d'importation à de la viande bovine congelée destinée à la consommation directe. Dans la deuxième affaire Grosoli, le point spécialement en discussion était celui de l'admissibilité d'une clause réservant une partie du contingent au ministère de la défense, tandis que d'autres bénéficiaires étaient, chacun pour une proportion déterminée, des coopératives communales de consommation, ainsi que des entreprises et des détaillants exerçant des activités commerciales et industrielles. Pour ces trois dernières catégories, la répartition s'effectuait, pour la majeure partie, au prorata de leurs importation en provenance de pays tiers dans le passé. Dans l'affaire van Walsum, enfin, il s'agissait de l'admissibilité d'une clause réservant une partie du contingent à l'industrie transformatrice de viande.

En revanche, dans les affaires qui sont à l'ordre du jour aujourd'hui, une place centrale est occupée par la question de savoir jusqu'à quel point sont également admissibles des critères de répartition qui se réfèrent aux achats effectués par des opérateurs nationaux auprès d'organismes nationaux d'intervention, aux importations en provenance ou aux exportations à destination d'autres États membres, ou aux exportations vers des pays tiers. Le juge de renvoi a exprimé à juste titre dans ses questions que de tels critères de répartition, qui ne se rapportent pas aux besoins nationaux de viande bovine congelée importée de pays tiers, soulèvent des questions relatives au bon fonctionnement du marché commun et de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine qui ne se sont pas posées dans les affaires précédentes soumises à votre appréciation.

1.2. Principes dérivant de votre jurisprudence antérieure

Les différences citées par rapport aux affaires antérieures n'empêchent pas qu'il soit possible de déduire de votre jurisprudence, indiquée il y a un instant, un certain nombre de principes qui ont également de l'importance pour l'appréciation des affaires qui nous occupent maintenant. Spécialement le premier arrêt Grosoli (affaire 131/73) constitue, en l'occurrence, une riche source d'inspiration.

Pour commencer, après un exposé sur le contexte de politique commerciale et d'autres arrière-plans généraux du problème de la répartition de contingents tarifaires (attendus 4 et 5), l'attendu 7 de ce premier arrêt Grosoli établit la prémisse importante selon laquelle, dans le cadre ainsi défini, seules les institutions ont le droit de disposer de l'utilisation du contingent. A cela, la Cour a toutefois ajouté immédiatement «qu'à cet effet, elles (c'est-à-dire les institutions) peuvent soit assurer le bénéfice du contingent à tout utilisateur, soit déterminer elles-mêmes son affectation, soit encore permettre aux États membres d'en faire usage selon le critère de leurs propres intérêts». A cette dernière possibilité est toutefois ajoutée la restriction importante suivant laquelle «le manque d'affectation d'un contingent [doit] être interprété dans le sens de la liberté, pour tous les intéressés, de trouver accès à celui-ci». A l'attendu 8, ce principe est ensuite expliqué en disant «qu'en effet, toute disposition d'un État membre à l'effet d'affecter un contingent communautaire selon ses propres critères risquerait de porter atteinte aux objectifs de politique économique poursuivis par la Communauté ainsi qu'à l'égalité de traitement de tous les ressortissants de celle-ci». Puis le même attendu précise encore que les dispositions administratives nationales sont «destinées à assurer le respect des limites globales du contingent et l'égalité de traitement des bénéficiaires». Enfin, l'attendu 9 ajoute «que le cadre de ce pourvoir de gestion est, par contre, dépassé dès lors qu'un Éut membre introduit des conditions d'utilisation visant à des objectifs de politique économique non prévus dans les dispositions prises par la Communauté».

Parmi ces attendus, un premier point important pour la réponse à donner aux questions qui vous sont posées maintenant nous semble être le fait qu'il en résulte que dans la première affaire Grosoli, votre Cour n'a pas considéré la possibilité d'une répartition nationale d'un contingent communautaire comme incompatible en soi avec le droit communautaire. Cette constatation est importante pour le réponse à la première question qui vous est posée. Il en est de mėme pour le passage de l'arrêt qui parle de la «liberté, pous tous les intéressés, de trouver accès» au contingent à répartir sur le pian national et pour celui qui dit que les dispositions administratives nationales sont destinées entre autres à assurer «l'égalité de traitement des bénéficiaires». Le principe, énoncé à l'attendu 9, selon lequel un État membre ne peut pas introduire des conditions d'utilisation qui visent à des objectifs de politique économique non prévus dans les dispositions prises par la Communauté présente, en revanche, une importance indirecte pour la réponse à donner aux questions relatives à un certain nombre de critères de répartition concrets qui sont appliqués par la république fédérale d'Allemagne.

Dans la deuxième affaire Grosoli (affaire 35/79), entre autres le principe qui exige d'assurer l'égalité de traitement des bénéficiaires a été confirmé à l'attendu 7, mais précisé ensuite dans les attendus suivants. Pour l'appréciation des questions posées actuellement, on notera notamment à cet égard la constatation, figurant à l'attendu 9, selon laquelle «une gestion raisonnable de cette quote-part» (en l'occurrence italienne) «peut, dans les conditions spécifiques du marché de la viande bovine congelée sur le territoire d'un État membre, comporter l'utilité, voire la nécessité, de définir les différentes catégories d'opérateurs intéressés et d'établir d'avance la quantité globale dont chacune de ces catégories pourra se prévaloir». Cela signifie que la répartition globale d'avance de la quote-pan nationale entre différentes catégories d'opérateurs intéressés ne peut pas non plus, en principe, être considérée en soi comme contraire à l'égalité de traitement. Mais l'attendu 10 ajoute immédiatement comme condition qu'un tel système n'est admissible que «pour autant qu'il ne prive pas certains opérateurs intéressés de l'accès à la quote-part attribuée à cet État» et «que les différentes catégories d'opérateurs, de même que les quantités globales auxquelles ces catégories ont accès, ne sont pas fixées de façon arbitraire».

L'attendu 11 du deuxième arrêt Gn comprend encore une précision sup, mentaire de la notion d'«opérateurs interesses » figurant à l'article 3 du règlement d'habilitation qui était en vigueur à l'époque, mais cette notion importante pour la présente procédure, ainsi que votre jurisprudence à son sujet, nous les analyserons séparément plus tard.

L'arrêt van Waisam a de l'importance pour les procédures actuelles, en premier lieu, parce que cet arrêt concernait, comme les affaires à juger maintenant, l'admissibilité d'un quota d'importation pour l'industrie transformatrice de viande. Une différence importante par rapport aux procédures actuelles est toutefois que, dans l'affaire van Walsum, il s'agissait clairement d'industries de transformation important elles-mêmes qui, comme les négociants importateurs, se voyaient attribuer des quotes-parts au prorata de leurs importations en provenance de pays tiers dans le passé. L'arrêt confirme en outre que les critères de répartition nationaux ne peuvent pas exclure certains groupes d'importateurs (non plus par voie de conséquence à terme: attendu 12). Enfin, il est encore important parce que son attendu 14 situe expressément la répartition du contingent «dans le cadre de l'organisation commune du marché de la viande bovine». Un principe identique a du reste été exprimé par vous, entre autres, dans la dernière phrase du sixième attendu de votre premier arrêt Grozoli. De ce fait, l'opinion que le gouvernement fédéral allemand a soutenue dans ses observations écrites sur les affaires qui nous occupent maintenant, à savoir que les deux sujets sont indépendants l'un de l'autre, est déjà condamnée d'avance.

1.3. La notion de «tom les opérateurs intéressés» («alle betrokkenen», «alle betroffene Marktteilnehmer») figurant à l'article 3 du règlement no 2956/79

La quatrième question qui vous est posée concerne un aspect bien déterminé de la notion d'«opérateurs intéressés» utilisée à l'article 3 du règlement du Conseil qui est applicable en l'espèce, puisque le juge de renvoi demande si elle recouvre aussi ceux qui achètent de la viande bovine dans un État membre en vue de la revendre ensuite à l'étranger. Au cours de la procédure écrite et orale, il est toutefois apparu que la notion visée a aussi de l'importance pour la réponse à donner aux trois premières questions posées. C'est pourquoi nous nous proposons de l'examiner d'une manière générale dès maintenant, puis d'intégrer plus tard notre conclusion à ce sujet, pour autant que de besoin, à notre réponse aux questions distinctes qui vous sont posées.

Pour nos considérations générales à ce propos, nous partons de la prémisse qu'à l'attendu 11 du deuxième arrêt Grosoli, la Cour a certes fixé une limite inférieure — formulée du reste en des termes très généraux —, mais pas une limite supérieure de la notion en cause. Elle a en effet jugé important «de constater, à cet égard, que la notion d'‘Opérateurs intéressés’ dont fait état l'article 3 du règlement no 2861/77 a une portée plus large que celle d'‘'importateurs intéressés’ mentionnée dans des règlements antérieurs, par exemple à l'article 3 du règlement no 3167/76 du Conseil, du 21 décembre 1976, portant ouverture du contingent tarifaire communautaire pour la viande bovine congelée pour l'année 1977 (JO L 357, p. 14)». Pour les questions qui étaient posées alors, cette constatation était effectivement suffisante pour justifier entre autres l'attribution de quotas d'importation au ministère de la défense, à des coopératives communales de consommation et au commerce de détail.

Pour répondre aux questions qui vous sont déférées maintenant, une tentative de précision supplémentaire nous semble toutefois nécessaire. D'une pan, il nous parait important de noter à cet égard l'objectif de politique commerciale, consistant à assurer le maintien de certains courants commerciaux avec des pays tiers (premier considérant du règlement du Conseil no 2956/79, qui est applicable en l'espèce). En deuxième lieu, il faut se reporter, selon nous, au deuxième considérant de ce règlement qui déclare «qu'il y a lieu de garantir, notamment, l'accès égal et continu de tous les opérateurs intéressés de la Communauté audit contingent». Enfin, il y a le passage du même considérant qui précise «que cette répartition ( 2 ) doit être effectuée au prorata des besoins des États membres, calculés, d'une part, d'après les données statistiques relatives aux importations en provenance des pays tiers durant une période de référence représentative et, d'autre part, d'après les perspectives économiques pour l'année contingentaire envisagée». En réponse à une de nos questions à l'audience, l'agent de la Commission a déclaré que du moins la Commission songeait en particulier, pour ce qui est de ces perspectives économiques, à la quantité totale de viande bovine que les divers États membres devraient importer de pays de la Communauté et de pays tiers. L'expression générale: «au prorata des besoins des États membres», qui est utilisée dans le passage cité, ne permet du reste pas, à notre avis, d'en déduire un autre objectif.

Les demandeurs dans l'instance au principal ont prétendu en résumé, durant la procédure, que, d'après les buts cités du règlement, on avait sans doute pensé spécialement, entre autres, aux commerçants qui ont été touchés par la disparition des courants commerciaux traditionnels à la suite de l'organisation commune des marchés. En faveur de cette thèse plaiderait d'ailleurs le mot «betroffen» précédent, dans le texte allemand de l'article 3 du règlement, le mot «Marktteilnehmer». A l'appui de cette opinion, il est encore possible de faire valoir que d'après les passages cités, les importations traditionnelles dans le passé de viande bovine (congelée) en provenance de pays tiers représentent le premier critère pour la répartition du contingent tarifaire entre les États membres et que, suivant les affaires Grosoli I et van Walsum, ainsi que d'après les affaires actuelles, un pareil critère est aussi le paramètre de loin le plus important pour la répartition des contingents nationaux, en tout cas en république fédérale d'Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. Enfin, ceux qui ont importé historiquement de pays tiers auront sans doute acquis effectivement une expérience particulière et précieuse en matière d'achat de viande bovine dans ces pays, qui peuvent par excellence garantir la continuité dans ce commerce, comme les demandeurs au principal l'ont expliqué.

Les arguments des demandeurs dans l'instance au principal ont effectivement, à notre avis, un grand poids, qu'il n'est pas possible de négliger. En particulier, nous pensons, en disant cela, aux arguments qu'ils ont tirés du texte de l'article 3 et de l'arrière-plan général de politique commerciale du règlement. Mais il ne sera pas non plus possible d'ignorer tout simplement le deuxième critère pour la répartition du contingent tarifaire entre les États membres. Ne fût-ce qu'en raison des quantités accrues à importer dans certains États membres, il faudra aussi créer de la place pour de nouveaux venus sur le marché d'importation. En outre, tant l'arrêt Grosoli II que l'arrêt van Walsum montrent qu'il est impossible de limiter même la notion d'importateurs traditionnels à celle de commerçants importateurs. Dans l'arrêt Grosoli II, le ministère italien de la défense et aussi, tant dans l'affaire Grosoli II que dans l'affaire van Walsum, l'industrie transformatrice de viande se sont avérés faire partie des importateurs traditionnels. Enfin, nous pouvons suivre la Commission lorsqu'elle attire l'attention sur le risque d'une monopolisation ou d'une sclérose des canaux d'importation, dans le cas où ceux-ci seraient réservés totalement, ou pour une part trop importante, aux commerçants importateurs traditionnels. La Commission va toutefois nettement trop loin dans ses affirmations lorsqu'elle assimile sans plus la notion d'«opérateur intéressé», utilisée à l'article 3 du règlement, à celle d'«opérateur économique». En dehors du fait que l'équivalent de ce dernier terme ne figure pas comme tel dans le texte néerlandais, toutes les versions citées comportent une qualification complémentaire de la notion. Les personnes concernées doivent être «betroffen» ou il doit s'agir d'«opérateurs intéressés» ou il doit s'agir de «betrokkenen». Dans le système du règlement, cette qualification complémentaire peut difficilement signifier autre chose que «concernés ou intéressés directement à l'importation de viande bovine congelée provenant de pays tiers». De votre arrêt Grosoli II non plus nous ne pouvons pas déduire que vous ayez voulu affirmé alors que tous les opérateurs économiques peuvent être considérés comme «intéressés». Vous avez déclaré seulement, à nos yeux, que cette notion ne visait plus exclusivement les importateurs au sens du règlement initial. Une plus grande précision de la notion n'était du reste pas nécessaire à l'époque, pour répondre aux questions qui vous étaient posées dans cette affaire. Maintenant, elle l'est. Comme nous le montrerons tout à l'heure, cette conclusion provisoire est encore étayée par l'obligation, que vous n'avez cessé de souligner dans votre jurisprudence, de tenir compte du principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés dans la Communauté.

Compte tenu de vos arrêts antérieurs, ainsi que de la nécessité de prendre également en considération de nouveaux besoins d'importation, nous pensons dès lors pouvoir définir provisoirement la notion d'«opérateurs intéressés», figurant à l'article 3 du règlement du Conseil no 2956/79, comme visant «toutes les entreprises qui ont ou qui acquièrent un intérêt direct, à prendre en considération lors de l'application du principe de l'égalité de traitement, à l'importation de viande bovine congelée provenant de pays tiers».

1.4. Articulation de la suite de nos conclusions

Nous n'estimons pas être en mesure de mieux résumer les faits pertinents et la procédure écrite que l'a fait le rapport d'audience. Au paragraphe 2 de nos conclusions, nous reprendrons donc sans plus ce résumé.

En ce qui concerne les observations formulées au cours de la procédure écrite, nous nous permettons de renvoyer ici au résumé qui en est donné dans le rapport d'audience. Nous noterons toutefois que surtout la Commission a fourni à l'audience, en réponse à des questions posées par vous et par nousmême, des indications complémentaires et des précisions importantes concernant son point de vue, qui n'ont naturellement pas pu être incorporées au rapport d'audience. Pour autant que nécessaire, nous reviendrons encore, dans la suite de notre exposé, sur certaines observations écrites ou orales.

Dans les paragraphes suivants de nos conclusions, nous examinerons d'abord séparément les diverses questions qui vous sont posées. Nous terminerons nos conclusions par quelques remarques générales.

2. Les faits et la procédure écrite

A la suite d'un engagement pris dans le cadre du GATT, la Communauté ouvre chaque année un contingent tarifaire pour la viande bovine congelée de la sous-position 02.01 A II b) du TDC. Pour 1980, ce contingent, qui est soumis à un droit de 20 % mais est exempté de tout prélèvement, a été fixé par le règlement no 2956/79 à 50000 tonnes. Le règlement attribue à chaque État membre une quote-part du contingent. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, «les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour garantir à tous les opérateurs intéressés établis sur leur territoire le libre accès aux quotes-parts qui leur sont attribuées».

En république fédérale d'Allemagne, l'accès au contingent était réservé presque entièrement, jusqu'en 1979, aux seuls importateurs habituels de viande bovine de pays tiers. Le règlement du ministre fédéral allemand des finances du 19 décembre 1979, concernant les principes de répartition de la quote-part allemande du contingent tarifaire communautaire pour 1980 («Verordnung über die Grundsätze für die Verteilung der deutschen Quote des Gemeinscnaftszollkontingents 1980», Bundesanzeiger no 241, p. 2), a instauré un nouveau système de répartition.

En vertu de l'article 2 de ce règlement, 75 % de la quote-part sont répartis entre les importateurs au prorata des quantités importées par eux en république fédérale d'Allemagne de 1977 à 1979, étant entendu que, sur cette fraction, 85 % sont réservés aux importateura de viande bovine en provenance de pays tiers, et 15 % aux opérateurs ayant effectué des importations en provenance d'États membres de la Communauté. Une autre fraction de 15 % de la quote-part allemande est répartie en fonction des exportations vers des pays tiers et vers des États membres de la CEE, les années de référence étant également 1977 à 1979. Enfin, la dernière fraction de 10 % est répartie sur la base des achats de viande bovine effectués auprès de l'organisme d'intervention allemand, le «Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung » (ci-après dénommé le «BALM»). Le BALM est également chargé de la répartition, laquelle s'effectue au moyen de certificats contingentaires («Zollkontingentscheine»).

Comme le prix de la viande bovine est beaucoup plus élevé dans la Communauté que dans les principaux pays tiers d'outremer, la vente de viande bovine congelée provenant du contingent est très avantageuse, de sorte que la participation au contingent permet aux négociants de réaliser des bénéfices élevés.

Les entreprises Will, Trawako et Gedelfi importent habituellement, en république fédérale d'Allemagne, de la viande bovine congelée provenant de pays tiers. En 1980, à la suite de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur la répartition du contingent, elles se sont vu attribuer une partie de la quote-part allemande inférieure à celles qu'elles avaient obtenues les années précédentes. Estimant que le règlement du ministère fédéral allemand des finances du 19 décembre 1979, qui était à l'origine de cette réduction, était contraire au droit communautaire, les trois entreprises ont engagé une action devant le Verwaltungsgericht de Francfort-sur-le-Main, en réclamant de l'autorité allemande l'octroi de certificats contingentaires pour une quantité supérieure à celle qui leur avait été accordée. Ces demandes ont été rejetées en première instance, mais le Verwaltungsgerichtshof de Hesse, saisi en degré d'appel, a demandé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par trois ordonnances datées du 25 juin 1981, de se prononcer sur les questions préjudicielles suivantes:

«1.

L'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2956/79 du Conseil, du 20 décembre 1979, portant ouverture, répartition et mode de gestion d'un contingent tarifaire communautaire pour la viande bovine congelée de la sous-position 02.01 A II b) du tarif douanier commun (année 1980) (JO L 336 du 29.12.1979, p. 3) doit-il être interprété en ce sens qu'il supprime l'égalité de traitement des opérateurs installés dans les différents États membres des Communautés européennes, dans la mesure où il s'agit de la répartition, par les différents États membres, des quotes-parts respectives du contingent tarifaire communautaire de 1980 pour la viande bovine congelée?

2.

L'article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148 du 28.6.1968, p. 24) doit-il être interprété en ce sens que l'égalité générale de traitement de toutes les personnes qui achètent des marchandises aux offices nationaux d'intervention doit être garantie jusqu'à la liquidation de chaque opération? Ou bien cette disposition permet-elle d'accorder après coup aux acheteurs de marchandises d'intervention dans un État membre particulier, par une participation à un contingent tarifaire communautaire, des avantages que ces acheteurs n'obtiennent pas dans un autre État membre?

3.

S'agissant notamment d'une aide octroyée sur des fonds d'État, est-il compatible avec le règlement (CEE) no 2956/79 qu'une attribution provenant du contingent tarifaire communautaire de 1980 pour la viande bovine congelée soit accordée aux importateurs allemands qui ont importé de la viande bovine d'États membres des Communautés européennes, et aux exportateurs allemands, en particulier à ceux qui ont exporté de la viande bovine dans des États membres des Communautés européennes?

4.

L'‘Opérateur intéressé’au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2956/79 est-il également celui qui achète de la viande bovine dans un État membre et qui la vend ensuite à l'étranger?»

Dans la motivation de ces ordonnances, le Verwaltungsgerichtshof de Hesse explique pourquoi il demande une interprétation du droit communautaire.

Il estime cette interprétation nécessaire afin de savoir:

a)

si le règlement no 2956/79 lui-même valide, dès lors que ses dispositions (notamment l'article 3, paragraphe 1) semblent entrer en conflit avec des règles de droit communautaire de rang supérieur;

b)

si le système national de répartition de la quote-part du contingent unfaire attribuée à la République fédérale est conforme au droit communautaire, dans la mesure où il donne accès au contingent à plusieurs catégories d'opérateurs économiques qui n'étaient pas pris en considération dans la réglementation antérieure.

Les ordonnances de renvoi ont été enregistrées au greffe de la Cour le 20 juillet 1981.

Eu égard à la connexité des questions et à l'identité matérielle des faits sousjacents aux litiges, la Cour a décidé, par ordonnance du 16 décembre 1981, de joindre les trois affaires aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

Sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, la Cour a décidé d'ouvrir la procédure orale sans instruction préalable. Elle a toutefois invité l'entreprise Gedelfi et la Commission à répondre, à l'audience, à un certain nombre de questions ainsi qu'à fournir des précisions sur certains points. Pour autant que de besoin, nous reviendrons sur ces éléments, comme dit, lors de l'examen des diverses questions.

3. Première question

Rappelons d'abord que la première des questions qui vous sont posées est libellée comme suit:

L'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2956/79 du Conseil, du 20 décembre 1979, portant ouverture, répartition et mode de gestion d'un contingent tarifaire communautaire pour la viande bovine congelée de la sous-position 02.01 A II b) du tarif douanier commun (année 1980) (JO L 336 du 29.12.1979, p. 3) doit-il être interprété en ce sens qu'il supprime l'égalité de traitement des opérateurs installés dans les différents États membres des Communautés européennes, dans la mesure où il s'agit de la réparation, par les différents États membres, des quotes-parts respectives du contingent tarifaire communautaire de 1980 pour la viande bovine congelée?

Le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne a prétendu dans ses observations écrites, sans avoir tout à fait tort, que cette question concerne en réalité la validité dudit article 3. La motivation de l'ordonnance de renvoi contient effectivement une phrase qui va dans cette direction. Néanmoins, ni le texte ni l'orientation de la question n'obligent, à notre avis, de l'interpréter ainsi.

En soi, la question pourrait sans plus, pour les motifs que nous indiquerons dans un instant, recevoir une réponse négative. Dans la perspective des questions suivantes, une certaine précision complémentaire nous semble toutefois souhaitable. A propos des divers aspects de la question qui ont été discutés durant la procédure écrite et orale, nous voudrions soutenir le point de vue suivant.

Comme vous l'avez déjà expliqué dans votre premier arrêt Grosoli, la délégation de la répartition concrète du contingent communautaire aux États membres ne doit pas être considérée en soi comme contraire au droit communautaire, pour autant qu'en l'absence de règles détaillées des institutions communautaires sur la destination, tous les intéressés y ont librement accès (attendu 7). Comme la Commission l'a déclaré pertinemment dans ses observations écrites, la répartition du contingent communautaire entre les États membres sur la base du principe de l'égalité de traitement devra certes s'effectuer en application de critères objectifs identiques pour tous les États membres, mais ce point n'est pas à l'ordre du jour de la présente procédure.

Le deuxième arrêt Grosoli confirme, comme nous l'avons déjà dit, que le principe du libre accès de tous les intéressés implique un principe d'égalité de traitement de tous les bénéficiaires (attendu 7). De plus, le même arrêt précise que le fait de réserver certaines quantités à certaines catégories d'intéressés n'est pas non plus contraire en soi au principe de l'égalité de traitement, pour autant que le contingent n'est pas rendu inaccessible à certains intéressés (attendus 9 et 10).

De l'ensemble des questions qui vous sont posées dans les affaires actuelles, il apparaît qu'il est nécessaire maintenant de préciser davantage ce principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés. Dans le cadre de la premiere question, il semble important de préciser notamment à cet égard que l'application, par les États membres, de l'article 3, paragraphe 1, du règlement doit respecter les règles des articles 7, 30, 34, 40, paragraphe 3 et 52 du traité CEE en tant qu'il s'agit des dispositions les plus pertinentes pour ce qui est du principe de l'égalité de traitement. C'est du reste ainsi que nous avons compris la réponse que la Commission a donnée, au cours de la procédure orale, aux questions que la Cour lui avait posées à l'avance. Une précision de ce point nous paraît importante, en premier lieu, parce qu'en réponse à une autre question la Commission a signalé que lés importations en provenance de pays tiers effectuées par des transitaires établis dans d'autres États membres étaient comptées, lors de la répartition du contingent entre les États membres, parmi celles du pays de destination. Les transitaires belges, danois, français ou néerlandais doivent donc pouvoir faire valoir des droits à une quote-part en république fédérale d'Allemagne lorsqu'en vertu de l'article 52 du traité CEE ils ont créé dans ce pays une agence, une succursale ou une filiale. Inversément, en application de l'article 34 du traité CEE, la république fédérale d'Allemagne ou tout autre État membre ne pourra pas refuser une quote-part aux intéressés pour le seul motif qu'une entreprise établie dans ce pays veut utiliser le quota d'importation pour exporter vers un autre État membre. Sur la question toute différente de savoir si l'exporution comme telle constitue un critère d'attribution admissible, nous reviendrons séparément dans un instant.

La seule conséquence inhérente au système est que, sous réserve d'une utilisation éventuelle de l'article 52, des entreprises non établies en république fédérale d'Allemagne n'entrent pas en ligne de compte en république fédérale d'Allemagne pour obtenir une quote-part, puisque, suivant les critères de la répartition du contingent entre les États membres et compte tenu du principe de l'égalité de traitement, cette attribution est réservée à d'autres États membres.

Enfin, en vertu de l'article 30 du traité CEE, un État membre ne pourra pas appliquer des critères de répartition qui restreignent indirectement l'importation de viande bovine d'autres États membres. Cette constatation est également importante pour la réponse à donner à la deuxième question qui vous est posée.

Sur la base de ces considérations et compte tenu de nos observations générales antérieures sur la notion d'opérateur économique, nous vous proposons de répondre à la première question comme suit:

«Lors de l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2956/79 du Conseil, du 20 décembre 1979, les règles générales du traité CEE relatives à l'égalité de traitement des opérateurs économiques, en particulier celles de ses articles 7, 30, 34, 40, paragraphe 3, et 52, doivent être respectées à l'égard de toutes les entreprises qui ont un intérêt direct à l'importation de viande bovine congelée de pays tiers dans l'État membre en cause et qui sont établies dans cet État membre conformément à l'article 52. En vertu du principe de l'égalité de traitement de tous les ressortissants de la Communauté, qui a été élaboré dans la jurisprudence constante sur la répartition des contingents tarifaires, il n'est pas non plus permis d'appliquer des critères de répartition qui, de par leur nature, ont pour conséquence d'avantager les propres ressortissants d'un État membre par rapport à ceux d'autres États membres dans le marché commun.»

4. Deuxième question

Par sa deuxième question, le juge de renvoi voudrait savoir, en résumé, si l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 805/68 (JO 1968, L 148) permet d'accorder après coup aux acheteurs de marchandises d'intervention dans un État membre déterminé, par une participation à un contingent tarifaire communautaire, des avantages que ces acheteurs n'obtiennent pas dans un autre État membre.

Rappelons d'abord que la disposition du règlement visée est libellée comme suit: « L'écoulement des produits achetés par les organismes d'intervention conformément aux dispositions des articles 5 et 6 a lieu dans des conditions telles que toute perturbation du marché soit évitée et que l'égalité d'accès aux marchandises ainsi que l'égalité de traitement des acheteurs soient assurées».

C'est en rapport avec cette question que le gouvernement fédéral allemand a exposé son point de vue, dont nous avons déjà dit dans nos remarques introductives qu'il était contraire à votre jurisprudence, selon lequel la répartition de contingents tarifaires devait être vue indépendamment de l'organisation de marché.

Il nous semble évident que lorsqu'un État membre applique un critère de répartition comme celui qui est en cause ici, en s'écartant de la pratique dans d'autres Etats membres, cette application est contraire à l'article susvisé, ainsi qu'au principe général de l'égalité de traitement que nous avons déduit de votre jurisprudence antérieure dans la deuxième phrase de notre conclusion sur la première question. Pour les achats auprès des organismes d'intervention nationaux, les propres ressortissants sont en effet favorisés alors par rapport à ceux d'autres États membres. Lorsque tous les États membres n'appliquent pas un critère de répartition identique, cet avantage n'est pas non plus compensé par des avantages correspondants dont les ressortissants d'autres États membres bénéficieraient pour les achats auprès des organismes d'intervention de ces États membres. Enfin, la Commission a observé pertinemment qu'un pareil critère favorise les achats par les propres ressortissants auprès de l'organisme d'intervention national, par rapport aux achats effectués par ces propres ressortissants auprès des organismes d'intervention d'autres États membres. Nous avons déjà remarqué précédemment que cela constitue aussi une violation de l'article 30 du traité CEE.

Nous ne pouvons pas partager l'opinion de la Commission, selon laquelle l'inégalité de traitement qui résulte d'un pareil critère est inhérente au système. Au cours de la procédure, nul n'a contredit que le présent critère a été introduit spécialement dans l'intérêt de l'industrie transformatrice de viande, même s'il n'est pas limité à ce secteur. Sous ce rapport, il n'est pas sans importance de constater que, d'après le septième considérant du règlement no 805/68, des mesures spéciales en ce qui concerne l'importation de viande bovine congelée provenant de pays tiers ont particulièrement été jugées souhaitables dans l'intérêt de l'industrie de transformation. Les affaires Grosoli II et van Walsum ont toutefois montré qu'il est parfaitement possible de réaliser cet objectif en attribuant à l'industrie de transformation des contingents qui sont directement fonction de leurs importations en provenance de pays tiers au cours d'une période de référence, déterminée dans le passé. Dans la mesure où l'industrie de transformation n'a pas importé directement dans le passé, elle pourrait en outre, en rapport avec les critères de répartition du contingent entre les États membres que la Commission a cités au cours de la procédure orale, se voir attribuer une quote-part équitable du contingent en fonction de ses besoins estimatifs de viande congelée importée de pays tiers, comme cela s'est également produit, d'après les faits de l'affaire Grosoli II, en Italie.

C'est pourquoi la deuxième question appelle à notre avis la réponse suivante:

«Il est contraire à l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO 1968, L 148), que ceux qui achètent auprès des organismes d'intervention d'un État membre déterminé obtiennent après coup, par une participation à un contingent tarifaire communautaire, des avantages que de pareils acheteurs n'obtiennent pas dans un autre État membre, et cela, même dans l'hypothèse où les acheteurs du propre État membre bénéficieraient également de cet avantage en cas d'achat auprès des organismes d'intervention d'autres États membres.»

5. Troisième question

Par sa troisième question, le juge de renvoi demande s'il est compatible avec le règlement (CEE) no 2956/79, et spécialement s'il s'agit d'une aide octroyée sur des fonds d'État, que des importateurs allemands qui ont imponé de la viande bovine d'États membres des Communautés européennes, ainsi que des exportateurs allemands, en particulier ceux qui ont exporté de la viande bovine dans des États membres des Communautés européennes, se voient attribuer une quote-part du contingent tarifaire communautaire de 1980 pour la viande bovine congelée.

A propos de cette question, nous noterons d'abord qu'elle n'est pas assez abstraite et qu'elle n'est pas non plus, en outre, formulée d'une manière tout à fait correcte, dans la mesure où l'article 92 du traité CEE — si tant est que le règlement en cause ici ne s'en écarte pas davantage, conformément à l'article 42 du traité CEE, que les règles générales en la matière dans le cadre de la politique agricole commune ( 3 )— ne déclare pas seulement incompatibles avec le marché commun les aides «accordées... au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit». L'article 92 interdit aussi d'autres aides des États, et il serait parfaitement possible de soutenir qu'un octroi autonome par un État membre d'avantages appréciables en argent, qui ne sont pas accordés au moyen de ressources de cet État, tombe également sous le coup de l'article 92. D'une part, on peut songer sous ce rapport à des baisses de tarif prescrites par un État membre, au profit de certaines entreprises ou de certains produits, par exemple à des sociétés d'électricité ou à des entreprises de transport particulières (sans compensation des coûts de la mesure). D'autre part, on peut cependant penser à une utilisation autonome d'avantages accordés, comme en l'espèce, au moyen de ressources de la Communauté. Dans la mesure où, à l'occasion de l'attribution de moyens provenant de fonds communautaires comme le Fonds social ou le Fonds régional, ou de moyens de la Banque européenne d'investissement, les États membres disposent d'une certaine liberté d'affectation, on peut également penser à ces cas. Enfin, il serait possible de tirer de la pratique juridique des arguments étayant la thèse que la Communauté elle-même, lorsqu'elle accorde à certaines entreprises des avantages appréciables en argent, est liée par l'article 92 du traité CEE. Nous n'estimons pas nécessaire d'approfondir ces questions ici, puisque celle qui vous est posée sur le caractère d'aides illicites des avantages accordés en l'espèce constitue seulement, telle qu'elle est formulée, un aspect spécifique du problème plus général qui est soulevé. Nous nous bornerons à observer encore à ce propos que notamment au sujet de la problématique se rapportant à la notion d'«aides accordées par les États», qui a surtout de l'importance en l'espèce, nous n'avons pu trouver ni une pratique juridique claire, ni des opinions doctrinales franches, et que la réponse à cette sous-question spécifique qui a été proposée par la Commission nous parait aussi peu satisfaisante que celles qui ont été proposées par le gouvernement fédéral allemand et par les demandeurs au principal.

Une réponse à cette question spécifique nous semble superflue, en particulier parce que nous pensons que les critères faisant l'objet de ce litige sont manifestement en contradiction avec le principe de l'égalité de traitement de tous les ressortissants de la Communauté, que nous avons déduit de votre jurisprudence antérieure dans la deuxième phrase de notre réponse à la première question.

En premier lieu, les importateurs et les exportateurs qui sont en cause ici ne peuvent pas être considérés, à notre avis, comme des «opérateurs intéressés» à l'importation de viande bovine congelée provenant de pays tiers au sens de l'article 3 du règlement litigieux.

Même si vous vouliez passer outre à cette objection, il nous semble toutefois évident que les présents critères sont contraires aux principes de base du règlement en question.

Le deuxième considérant de ce règlement indique, comme nous l'avons déjà dit, que la répartition du contingent communautaire entre les États membres doit s'effectuer au prorata des besoins des États membres en viande bovine congelée importée de pays tiers. Il nous parait clair que les critères de répartition internes doivent également, dans ces conditions, se référer à ces besoins et que notamment l'exigence de l'égalité de traitement de tous les intéressés dans la Communauté, que votre Cour a établie à diverses reprises, présuppose un contrôle au regard de ces besoins. Il n'est effectivement pas clair sur quelle base des critères objectifs et identiques pour tous les intéressés, en vue d'une répartition globale du contingent, pourraient sinon être déterminés. Ensuite, il nous parait évident que l'application des critères en question enfreint le principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés au contingent communautaire dans le marché commun, lorsque ces critères ne sont pas appliqués par tous les États membres. Les importateurs allemands de viande bovine provenant d'autres États membres obtiennent alors manifestement des avantages concurrentiels, appréciables en argent, par rapport à ceux qui exportent en Allemagne à partir d'autres États membres. Les exportateurs allemands de viande bovine provenant de la Communauté, exportant vers des pays tiers ou vers d'autres États membres, obtiennent également, par le biais des avantages financiers d'une participation au contingent tarifaire que la Commission aussi juge importants, un avantage manifeste du point de vue de leur position concurrentielle par rapport aux exportateurs d'autres États membres. Sous cet angle, il est utile de rappeler que, notamment dans les échanges interétatiques, la Commission considère que toute aide à l'exportation, même si son impact sur les échanges interétatiques est minime, représente une distorsion de concurrence incompatible avec le marché commun.

C'est pourquoi nous vous proposons de répondre à la troisième question comme suit:

«Il est incompatible avec le règlement (CEE) no 2956/79, notamment avec le principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés dans le marché commun lors de la réparation du contingent tarifaire, qu'un État membre accorde une quote-part du contingent tarifaire communautaire de 1980 pour la viande bovine congelée aux importateurs établis dans cet État membre, qui ont importé de la viande bovine d'autres États membres, et aux exportateurs établis dans cet État membre, qui ont exporté de la viande bovine vers d'autres États membres ou vers des pays tiers.»

6. Quatrième question

Par sa quatrième question, le Verwaltungsgerichtshof de Hesse voudrait savoir si la notion d'«opérateurs intéressés» au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2956/79, vise également celui qui achète dans un État membre et vend ensuite à l'étranger.

Pour ce qui est de cette question, il découle déjà des réponses que nous avons proposées aux première et troisième questions qu'elle appelle, à notre avis, une réponse négative. L'application du critère visé dans la quatrième question a également pour effet de fausser les relations concurrentielles par rapport aux exportateurs établis dans d'autres États membres, qui exportent à l'étranger, et de porter ainsi atteinte au principe de l'égalité de traitement. En ce qui concerne la notion d'«opérateurs intéressés» («betroffener Marktteilnehmer»), qui est citée expressément dans cette question, nous nous bornerons à renvoyer à l'analyse que nous en avons déjà faite dans nos remarques introductives. Nous pouvons du reste nous rallier pour l'essentiel, sur ce point, aux observations écrites qui ont été présentées par la firme Will et résumées dans le rapport d'audience, à l'endroit de l'examen de la quatrième question.

La distinction entre les principes pour la répartition du contingent tarifaire et ceux de l'organisation du marché, que le gouvernement fédéral allemand a défendue également en rapport avec la quatrième question, est contraire à notre avis, comme nous l'avons déjà dit, à votre jurisprudence antérieure en la matière. Le gouvernement fédéral allemand avait besoin de cet argument en l'espèce parce que lui aussi admet que l'application uniforme des restitutions à l'exportation est mise en péril par ce critère. Cette atteinte portée à l'application uniforme des restitutions à l'exportation de viande bovine ne peut donc pas être acceptée, sur la base de votre jurisprudence antérieure, comme une justification de l'atteinte portée au principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés dans le marché commun.

Finalement, la Commission a reconnu, durant la procédure orale, avoir omis de tenir compte, dans ses observations écrites sur la quatrième question, des avantages concurrentiels que les exportateurs allemands peuvent obtenir, par suite du critère en question, par rapport à leurs concurrents d'autres États membres. De mėme, elle a admis à l'audience qu'il est douteux qu'un exportateur de viande bovine puisse effectivement étre considéré, comme tel, comme un opérateur intéressé à l'importation de viande bovine congelée de pays tiers.

Nous suggérons dès lors de répondre à la quatrième question comme suit:

«Il résulte déjà de la réponse donnée à la première et à la troisième question que la quatrième doit recevoir une réponse négative. En particulier, des exportateurs de viande bovine communautaire ne peuvent pas être considérés, comme tels, comme des ‘opérateurs intéressés’ à l'importation de viande bovine congelée de pays tiers au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 2956/79.»

7. Remarques finales

Les réponses que nous proposons amènent à se demander s'il ne suffirait pas, finalement, de répondre à la première question. Les réponses proposées à toutes les questions suivantes découlent en effet logiquement de celle que nous proposons pour la première, qui est formulée en des termes très généraux. Néanmoins, nous ne vous recommanderons pas de donner une pareille réponse globale aux quatre questions qui vous sont posées. Il nous semble que l'effet utile de vos réponses sera servi par une réponse expresse et motivée à chacune d'elles isolément.

En ce qui concerne les conséquences pratiques des réponses que nous proposons, nous observerons encore, pour terminer, ce qui suit.

La possibilité d'une répartition globale à l'avance pour certaines catégories importantes d'opérateurs intéressés à l'importation de viande bovine congelée de pays tiers, nos réponses la laissent, comme telle, intacte. Elle a d'ailleurs été admise expressément dans vos arrêts Grosoli II et van Walsum, à condition que pour aucun intéressé l'accès au contingent soit rendu impossible. Les affaires actuelles exigent toutefois que les critères de répartition, en prenant comme paramètres objectifs et comparables pour tous les intéressés les besoins, soient précisés davantage que ce n'était nécessaire dans les affaires qui vous ont été soumises précédemment. En particulier, l'analyse des questions qui vous sont posées montre que l'octroi des avantages en cause aux propres ressortissants, sur la base de transactions qui n'ont pas de rapport direct avec les besoins de viande bovine congelée importée, peut manifestement conduire à des perturbations du marché au détriment des ressortissants d'autres États membres.

Les réponses que nous proposons laissent également intacte la possibilité, que la Commission a pertinemment jugée souhaitable, de l'octroi de quote-parts aux nouveaux venus sur le marché d'importation. A cet égard, diverses techniques sont possibles, qui respectent le principe de l'égalité de traitement.

Enfin, nos observations sur la première question impliquent un certain soutien au souhait, exprimé par la Commission, de pouvoir disposer elle aussi, à côté des États membres, d'un contingent propre limité, à répartir suivant des critères entièrement communautaires. En particulier, un contingent communautaire destiné aux transitaires dans les différents États membres pourrait diminuer les limitalions qui, par suite de l'article 3 du règlement no 2956/79, se rattachent actuellement pour eux, malgré l'article 52 du traité CEE, à l'obtention de quotas dans les différents États membres vers lesquels ils veulent exporter de la viande bovine congelée importée de pays tiers. Il est en effet apparu que les importations par le commerce de transit sont comptées, lors de la répartition globale du contingent communautaire entre les États membres, parmi celles du pays de destination.


( 1 ) Traduit du neerlandais.

( 2 ) C'est-à-dire, d'après le contexte, la reparution du contingent unfaire communautaire entre les États membres. Comme nous le montrerons plus tard, l'idée de base de ce passage, à savoir que la répartition doit être opérée en fonction des besoins (de viande bovine congelée importée de pays tiers), semble toutefois avoir aussi de l'importance pour la répartition ultérieure par les États membres.

( 3 ) Voir notamment a ce suiet le règlement no 26/62. tel qu'il ete modifie par le reglement no 49/62.