CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 23 JANVIER 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Pour la seconde fois dans le cadre des actions engagées par l'entreprise Granaria contre l'organisme d'intervention néerlandais dans le secteur des produits agricoles, le «Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten», le College van Beroep voor het Bedrijfs-leven (Tribunal administratif pour les activités économiques) a déféré à notre Cour des questions préjudicielles qui accroissent le nombre des problèmes issus de l'application du règlement no 563/76 du Conseil du 15 mars 1976, concernant l'achat obligatoire de lait écrémé en poudre destiné à être employé dans les aliments pour animaux. Vous vous rappellerez que la demande d'interprétation préjudicielle précédente a donné lieu à l'affaire 116/76, laquelle s'est conclue par l'arrêt du 5 juillet 1977 (Recueil 1977, p. 1247), déclarant non valide le règlement précité. A la suite de cet arrêt, l'entreprise Granaria a demandé l'annulation des mesures adoptées par l'organisme d'intervention néerlandais sur la base du règlement en question et à ce que celui-ci soit condamné à réparer le préjudice causé par ces mesures.

Nous tenterons de résumer les nombreuses questions déférées aujourd'hui à la Cour par le tribunal hollandais. Ce dernier désire, en premier lieu, savoir si l'organisme national d'intervention était obligé de respecter le règlement no 563/76 jusqu'à ce que celui-ci fût déclaré non valide et, ensuite, en cas de réponse affirmative, si ce même organisme avait le pouvoir d'exempter Granaria de l'obligation de satisfaire aux conditions établies par ce règlement. Pour le cas où la réponse à la première question serait affirmative et où celle à la deuxième question serait au contraire négative, le juge hollandais demande à la Cour de préciser s'il y a responsabilité directe et exclusive de la Communauté à l'égard des sujets de droit lésés ou s'il y a également responsabilité de l'organisme d'intervention de l'État membre qui a appliqué le règlement (questions 3 et 4) et il invite, en outre, la Cour à se prononcer au sujet de la possibilité d'une action en indemnisation de la part de cet État — au cas où il serait jugé responsable — contre la Communauté (cinquième question). Les deux autres questions, qui sont posées pour le cas où la responsabilité de l'État membre ou de l'organisme qui en dépend serait reconnue, ont trait à la loi applicable (seulement le droit national ou également les principes de l'article 215 du traité CEE?) et à l'interprétation de l'article 215 (quel est le préjudice réparable sur la base de celui-ci?). Le dernier problème que le College van Beroep soulève est celui de savoir si, selon le droit communautaire, les frais de justice doivent être considérés comme constitutifs d'un préjudice dont la partie lésée peut demander la réparation ou comme des frais de procédure sur lesquels il doit être statué selon le droit national.

Dans l'ordonnance de renvoi, le tribunal demandeur a dit estimer que les dispositions attaquées ont effectivement causé à la partie demanderesse un préjudice correspondant à ce qu'elle a indiqué (charges financières, frais d'administration et de personnel, «lucrum cessans» et diminution du chiffre d'affaires; cela outre les frais de procédure). Mais comme à l'origine de ces préjudices se trouve un règlement illicite arrêté par la Communauté et appliqué par l'autorité nationale à la requérante, cette juridiction nationale pense qu'il convient avant tout de résoudre les questions relatives à la responsabilité qui se concrétisent en des problèmes d'interprétation du règlement no 563/76 et de l'article 215 du traité de la CEE.

Avant de procéder à leur examen, il conviendra de rappeler que par l'arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 5, 15 et 40/77, HNL et autres/ Conseil et Commission (Recueil 1978, p. 1209), la Cour a précisé que la non-validité du règlement no 563/76 ne suffit pas pour faire naître la responsabilité contractuelle de la Communauté au sens de l'article 215, alinéa 2, du traité de la CEE et elle a exclu l'existence de cette responsabilité, motif pris de ce qu'en adoptant cette mesure, le Conseil n'a pas méconnu de manière grave et manifeste les limites qui s'imposent à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. La Cour est parvenue à cette décision en considérant les caractéristiques du règlement no 563/76, lequel regardait des catégories très larges d'opérateurs économiques et a eu une faible incidence sur le prix des aliments pour animaux — et, d'une manière plus générale, sur le rendement des entreprises — compte tenu également des fluctuations importantes des prix mondiaux des aliments protéiques au cours de la même période.

2. 

La première question, tout en étant formulée comme s'il s'agissait d'établir l'interprétation correcte du règlement no 563/76, vise en substance un problème de portée générale, soit la question de savoir si les organismes nationaux chargés de l'application des règlements communautaires sont obligés de les respecter jusqu'à ce qu'ils aient été déclarés non valides. Il nous parait évident que la réponse doit être affirmative. Il ne suffirait certes pas d'éprouver des doutes au sujet de la validité d'un acte liant une institution communautaire pour justifier le comportement de l'organe administratif d'un État membre, chargé d'appliquer la législation communautaire, qui voudrait se soustraire unilatéralement aux obligations découlant de l'acte en question. La même remarque est applicable à tout destinataire d'actes communautaires. Ce serait, en effet, aller à l'encontre du principe de la sécurité juridique qui doit être sauvegardé dans le cadre du système communautaire avec le concours des organes de tous les États membres et qui va d'ailleurs de pair avec l'exigence fondamentale de l'interprétation et de l'application uniforme du droit communautaire sur tout le territoire de la Communauté.

La demanderesse au principal estime qu'il faudrait au moins reconnaître à l'administration nationale le pouvoir-devoir de ne pas appliquer la réglementation communautaire illicite dans l'hypothèse de violation patente du traité. Dans le cas d'espèce, il ne serait pas nécessaire de prendre position sur cette thèse, dès lors que dans l'arrêt déjà cité du 25 mai 1978, la Cour a exclu le caractère manifeste de la violation des principes de droit communautaire dont découle la non-validité du règlement en question. Il nous semble toutefois intéressant de rappeler que dans le système des traités, la non-validité d'un acte communautaire ne peut être établie que par le moyen d'une procédure engagée devant la Cour (au titre de l'article 173 ou 177 du traité CEE) et que tout acte est présumé légitime et produit ses effets aussi longtemps que celle-ci ne s'est pas prononcée. En outre, il ne fait aucun doute que le traité ne prévoit aucun cas de non-existence d'actes communautaires. On a parlé en doctrine d'hypothèses marginales de non-existence, mais une violation patente du traité ne saurait certes suffire à les concrétiser, d'autant que tout type de violation du traité et des règles de droit relatives à son application est considéré par l'article 173 dans le cadre des vices justifiant un recours en annulation. Il resterait éventuellement à approfondir des cas du genre de ceux de l'acte arrêté par une institution totalement dépourvue du pouvoir de le faire ou de l'acte qu'il est impossible d'exécuter, mais cela nous éloignerait inutilement du problème dont il s'agit ici.

En ce qui concerne la seconde question, par laquelle il est demandé si un organisme national d'intervention en matière agricole avait le pouvoir d'exempter une entreprise de l'obligation de se conformer aux conditions prescrites par le règlement no 563/76, la réponse doit être négative, comme le reconnaît elle-même l'entreprise intéressée. En fait, aucune disposition du règlement précité ne conférait un pouvoir de dérogation ou d'exemption aux organes nationaux. En l'absence d'une clause de ce genre, toute exemption eût été arbitraire et injustifiée. En outre, l'entreprise demanderesse ne se trouvait pas dans une situation la distinguant de la généralité des entreprises soumises au règlement et, partant, l'exempter de l'observation d'une règle en vigueur, lors même que le règlement aurait attribué aux organes nationaux le pouvoir de le faire, eût été incompatible avec le principe de l'égalité de traitement des administrés qui n'admet l'exemption sous la forme d'une exonération que dans l'hypothèse d'une situation exceptionnelle.

3. 

Par la troisième question, le juge néerlandais demande précisément si l'article 215, alinéa 2, du traité doit être interprété en ce sens qu'ayant adopté un règlement que notre Cour a déclaré ensuite non valide, la Communauté est directement responsable envers celui qui a subi un préjudice par suite de l'application normale de ce règlement par l'organe national compétent.

Nous commencerons par souligner que la jurisprudence de notre Cour (et en particulier l'arrêt déjà cité du 25 mai 1978, HNL) a désormais précisé les conditions nécessaires pour que la Communauté puisse être reconnue responsable des dommages résultant d'un acte normatif non valide. Nous ne croyons pas qu'il convient de les rappeler ici.

En réalité, le juge demandeur ne s'intéresse pas à ce que soient de nouveau précisés les principes élaborés par la jurisprudence de la Cour au sujet de la responsabilité de la Communauté du chef des dommages subis par des tiers en raison de l'adoption d'actes normatifs illégaux. Ce qui l'intéresse, c'est plutôt que soit établi si une violation du genre de celle constatée par la Cour dans les arrêts du 5 juillet 1977 dans les affaires 114/76, Bela-Mühle, 116/76, Granaria, et 119-120/76, Ölmühle-Becher (Recueil 1977, p. 1211, 1247 et 1269), au regard du règlement déjà cité du Conseil, peut engager, outre la responsabilité de la Communauté, celle des États dont les organes ont appliqué les règles communautaires non valides. Cela peut se déduire de la quatrième question, laquelle se révèle être étroitement liée à la précédente en ce qu'elle présuppose la reconnaissance de la responsabilité directe et principale de la Communauté et se limite à envisager une éventuelle coresponsabilité «in solidum» ou «pro quota» à charge de l'État.

A cet égard, il conviendra surtout de souligner que les conditions de la responsabilité propre de la Communauté et de l'éventuelle coresponsabilité de l'État membre ne coïncident pas. La Communauté, en effet, peut être jugée responsable pour avoir adopté un acte normatif de politique économique contraire à des principes déterminés de droit communautaire; et c'est ce comportement de sa part qui donne naissance à l'obligation d'indemniser les personnes lésées, prévue par l'article 215, alinéa 2 — pourvu naturellement que les conditions précisées, en dernier lieu, dans l'arrêt déjà cité du 25 mai 1978, HNL, soient remplies —. En ce qui concerne l'État membre, en revanche, on nous demande s'il peut être considéré comme coresponsable pour avoir appliqué l'acte normatif communautaire contraire à ces principes qui a été ensuite déclaré non valide par la Cour. Le comportement est différent et il échappe certainement à la règle de l'article 215, alinéa 2, laquelle vise uniquement les dommages causés par l'institution communautaire ou par les agents de la Communauté dans l'exercice de leurs fonctions.

Cela nous amène à une deuxième constatation, importante: il n'existe pas de règle communautaire sur la responsabilité extracontractuelle des États membres. Or, il est parfaitement concevable qu'un État membre soit appelé à réparer les dommages subis par des particuliers du fait de son acte extracontractuel illicite, lequel consiste en la violation de normes communautaires ou en est la conséquence; mais la responsabilité devra être établie par le juge national «dans le cadre des dispositions du droit interne relatives à la responsabilité de l'État» (lors même que l'existence d'une violation du droit communautaire devrait, évidemment, être établie en considération de celui-ci). La Cour l'a affirmé clairement dans l'arrêt du 22 janvier 1976 dans l'affaire 60/75, Russo-AIMA (Recueil 1976, p. 45 et suiv.); (voir motifs, 9e attendu). C'est donc dans le cadre du droit national de chaque État qu'il faudra déterminer si l'État est tenu de réparer les dommages provoqués par son inobservation des normes communautaires; mais — soulignons-le — par une inobservation qui lui soit imputable. L'hypothèse est toute différente de celle du cas de l'espèce.

En réalité il n'y a aucune violation du droit communautaire par un État membre en l'espèce; et, de ce fait, il n'y a pas lieu de supposer qu'il y a responsabilité de la part de l'État membre. Nous avons déjà dit qu'au regard du droit communautaire, l'acte obligatoire de portée générale, affecté d'un vice pouvant entraîner son annulation (notamment la violation du traité ou des règles de droit relatives à son application) produit ses effets à l'égard de ses destinataires jusqu'à ce qu'il ait été déclaré non valide par la Cour. Ce qui revient à dire qu'un règlement illicite reste obligatoire en dépit de son illégalité jusqu'au moment que nous avons indiqué. Il ne saurait donc y avoir illégalité commise par l'État membre — ou par l'organisme qui en dépend — dans l'hypothèse de mesures d'application de règles communautaires en vigueur.

Dans les considérations qui précèdent nous avons envisagé les règlements communautaires non seulement illégaux mais aussi, par hypothèse, susceptibles d'engager la responsabilité de la Communauté. Il est évident qu'elles s'appliquent aussi, à plus forte raison, aux cas, tel celui de l'espèce, dans lesquels le règlement illicite et non valide ne présente pas de caractéristiques susceptibles de rendre la Communauté responsable des dommages provoqués.

En définitive, il y a plus d'une raison de rejeter l'hypothèse d'une responsabilité «in solidum» ou «pro quota», dans les rapports avec la responsabilité communautaire, à charge de l'État membre qui a appliqué le règlement déclaré ultérieurement non valide. Il y a la diversité des comportements de la Communauté et de l'État membre que l'on voudrait considérer comme des conditions de responsabilité; il y a la diversité des ordres juridiques réglant respectivement la responsabilité extracontractuelle communautaire et celle de l'État; il y a enfin et surtout la circonstance que l'État membre n'a commis aucun acte illicite en appliquant un règlement en vigueur, fût-il entaché d'incompatibilité avec des règles communautaires de rang plus élevé.

Deux précisions nous paraissent toutefois opportunes (même si elles sont sans influence sur les réponses à donner au juge national). En premier lieu, il se peut que les États membres jouissent d'un certain pouvoir discrétionnaire aux fins de l'application d'un règlement, cela surtout lorsque celle-ci requiert l'adoption de dispositions nationales complémentaires ou de normes d'organisation. L'usage de ce pouvoir discrétionnaire peut conduire un État à prendre certaines mesures que soient contraires au droit communautaire, fût-ce même parce qu'elles en font une application erronée. Il est évident qu'il ne suffirait plus en ce cas d'affirmer que ces mesures ont donné exécution à un règlement communautaire pour considérer que l'État est dégagé de toute responsabilité. Dans la mesure où les actes d'exécution adoptés par l'État donnent lieu à des violations du droit communautaire imputables à certains choix qu'il a opéré, il peut être appelé à en répondre. La solution concrète de ce problème de responsabilité dépendra ensuite non seulement de la constatation de la violation de la règle communautaire, mais également du fait que soient remplies les conditions requises par le droit national pour que la responsabilité de l'État soit engagée.

En second lieu, même les mesures que l'État membre est obligé de prendre en vertu d'un règlement ne peuvent être considérées comme étant d'«application» qu'aussi longtemps que le règlement est en vigueur et doit, partant, être exécuté. Quand un règlement est déclaré non valide, il cesse de produire effet. Par conséquent, l'État membre qui maintiendrait, après ce moment, les mesures prises pour appliquer le règlement en question, aurait un comportement qui ne serait plus justifiable sous l'angle de son obligation de respecter les actes communautaires en vigueur.

4. 

Par la cinquième question, le juge néerlandais a demandé si l'État membre (ou l'organisme dépendant de celui-ci) jugé responsable pour tout ou partie du préjudice découlant de l'application du règlement peut se retourner en indemnisation contre la Communauté. Nous avons vu qu'il faut exclure toute responsabilité de la part de l'État du fait d'avoir appliqué une réglementation communautaire non valide, en raison du caractère licite et même obligatoire de ce comportement. Par conséquent, il n'y a pas lieu de répondre à cette question. En réalité, une telle action en indemnisation n'est concevable que dans les rapports entre celui qui est obligé «à titre subsidiaire» — ou «in solidum» — et celui qui est obligé à titre principal; aucun rapport de ce genre n'existe dans le cas de l'espèse.

La sixième question est également liée à l'hypothèse d'une responsabilité de la part de l'organisme national d'intervention; le juge du fond s'est interrogé sur les normes qui peuvent régir cette responsabilité et il hésite entre l'article 215 du traité CEE et le droit interne néerlandais. Une fois rejetée l'hypothèse précitée, nous pouvons passer outre à la question. De toute manière, nous avons déjà eu l'occasion de souligner que lorsqu'un État membre viole des règles de droit communautaire, sa responsabilité extracontractuelle éventuelle à l'égard des particuliers dépend du droit interne; sur le plan du droit communautaire, il s'agira seulement d'établir l'existence et les caractéristiques de la violation.

Il devient ainsi superflu d'examiner la septième question, qui est posée uniquement pour le cas où la responsabilité prétendue de l'organe national d'intervention devrait être appréciée au regard de l'article 215 du traité CEE.

Enfin, en ce qui concerne la huitième question, il nous paraît nécessaire de ne pas perdre de vue les circonstances qui ont amené le juge du fond à la formuler. Dans l'affaire pendante devant celui-ci — laquelle a principalement pour objet de déterminer si l'organisme d'intervention néerlandais est éventuellement responsable du fait qu'il a donné exécution au règlement no 563/76 — la partie demanderesse, qui est aussi la partie lésée, demande entre autres le remboursement d'une somme importante au titre des frais judiciaires qu'elle a exposés dans les diverses procédures qu'elle a engagées pour s'opposer à l'application du règlement précité. Le tribunal néerlandais demande, en substance, s'il résulte des principes ou des dispositions du traité CEE que les frais de justice peuvent figurer parmi les dommages indemnisables ou s'il faut statuer sur la base des règles nationales en matière de frais de procédure. Il serait simple de répondre qu'aucun principe ou disposition du traité de la CEE ne règle le problème. Mais il est peut-être opportun d'ajouter que la question peut avoir un sens si on la lie à la condition d'un procès engagé devant une juridiction nationale et dans le cadre duquel il est question de la responsabilité de l'État (ou d'un organe dépendant de celui-ci) envers les particuliers qui ont subi un préjudice par suite d'une violation du droit communautaire. Dans le cadre d'un tel procès, les divers aspects de la responsabilité doivent être appréciés, nous l'avons déjà dit, selon le droit interne et, parmi ces aspects, figure la détermination des catégories de dommages donnant lieu à indemnisation. Il nous semble que c'est en ces termes qu'il peut être répondu à la huitième question déférée à la Cour par le tribunal néerlandais.

5. 

Avant de conclure, nous croyons devoir faire quelques commentaires au sujet de la proposition de la Commission qui tend à étendre la censure de la Cour à tout le problème des effets de la déclaration de non-validité du règlement 563/76. En invoquant l'application par analogie de l'article 174, alinéa 2, du traité de la CEE — lequel, on le sait, autorise la Cour, dans le cadre d'une procédure en annulation au titre de l'article 173, à préciser, là où elle le juge nécessaire, quels effets d'un règlement annulé doivent être considérés comme définitifs — la Commission a invité la Cour à saisir l'occasion de la présente procédure préjudicielle pour décider que sur la base des principes généraux de l'ordre juridique communautaire, les demandes en restitution présentées par les acquéreurs directs de lait écrémé en poudre ne sont pas recevables, à l'exception des cas dans lesquels ces acquéreurs sont en mesure de démontrer que les montants payés sur la base du règlement déclaré non valide n'ont pas été répercutés sur les acquéreurs en aval.

Pour accéder à la demande de la Commission, il conviendrait de faire front à de délicats problèmes d'interprétation du traité et, en particulier à celui des rapports entre l'article 177 (et peut-être aussi l'article 215), d'un côté, et l'article 174, alinéa 2, de l'autre.

L'application par analogie de cette disposition de l'article 174 dans la procédure préjudicielle impliquerait, de la part de la Cour, la délimitation d'office (indépendamment donc d'une demande de la juridiction nationale) des effets de la déclaration à titre préjudiciel de non-validité d'un règlement.

En tout état de cause, cette applicabilité par analogie pourrait éventuellement être considérée si la validité du règlement faisait l'objet de la demande à titre préjudiciel. Mais la présente procédure, nous l'avons vu, a un tout autre objet. Ajoutons qu'il ne nous semble pas opportun d'aller au-delà du cadre tracé par les questions de la juridiction nationale pour s'occuper d'un problème aussi important, dès lors que les parties au procès principal et les autres intéressés qui auraient été en droit d'intervenir, n'ont pas eu la possibilité d'exprimer leur point de vue à ce sujet. Dans ces circonstances on peut ainsi considérer qu'il y a un véritable empêchement formel à l'examen de la question soulevée par la Commission.

6. 

Pour les raisons qui précèdent, nous conclurons en proposant à la Cour que celle-ci réponde aux questions qui lui sont déférées à titre préjudiciel par ordonnance du 31 mars 1978 du College van Beroep voor het Bedrijfsleven en déclarant ce qui suit:

1.

Aussi longtemps que le règlement no 563/76 du Conseil n'a pas été déclaré non valide par la Cour, les organismes nationaux chargés de l'appliquer étaient tenus de refuser la délivrance du certificat «protéines» à ceux qui ne remplissaient pas les conditions prescrites à cet effet par ledit règlement.

2.

En l'absence de clauses dérogatoires spécifiques, que le règlement en fait ne contenait pas, les autorités nationales ne pouvaient consentir aucune exemption des conditions établies par ce règlement.

3.

L'article 215, alinéa 2, du traité CEE règle la responsabilité extracontractuelle de la Communauté du chef de dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, tandis que la responsabilité extracontractuelle des États membres envers les particuliers pour les actes qui leur sont imputables, est réglée par le droit national, lors même que le préjudice serait la conséquence de la violation d'une règle communautaire par un organe de l'État.

4.

En appliquant un règlement communautaire jusqu'à la déclaration de la non-validité de celui-ci par la Cour, un État membre ne commet pas une violation du traité et, partant, ne peut être jugé responsable envers les particuliers lésés, ni solidairement avec la Communauté, ni même «pro quota».

5.

Dans le cadre d'un jugement national ayant pour objet d'établir la responsabilité de l'État envers des particuliers du chef de dommages consécutifs à la violation d'une règle communautaire, la qualification comme dommages réparables des frais judiciaires supportés par les particuliers dans le cadre de procès précédents doit se faire sur la base du droit national.


( 1 ) Traduit de l'italien.