CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 30 NOVEMBRE 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Parmi ces deux affaires, l'une, l'affaire 33-76, que nous appellerons pour la commodité «l'affaire allemande», a été portée devant la Cour par une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 177 du traité CEE, formée par le Bundesverwaltungsgericht, cependant que l'autre, l'affaire 45-76, que nous appellerons «l'affaire néerlandaise», a été portée devant la Cour par un renvoi à titre préjudiciel émanant du College van Beroep voor het Bedrijfsleven. Pour l'essentiel, les deux affaires soulèvent la même question, à savoir: lorsqu'en violation du droit communautaire, un État membre, a, soit à l'importation en provenance d'un autre État membre ou à l'exportation vers un pareil État, exigé d'un négociant une charge pécuniaire qui a un effet équivalant à un droit de douane, cet État peut-il, dans une procédure en recouvrement du montant indûment perçu, engagée devant ses propres juridictions par ce négociant, plaider l'expiration d'un délai fixé par sa propre législation nationale?

Les demanderesses dans l'affaire allemande sont Rewe-Zentralfinanz eG et Rewe-Zentral AG (que nous appellerons collectivement «Rewe») et la défenderesse est la Landwirtschaftskammer (chambre d'agriculture) de la Sarre. La redevance qui est ici en cause est la taxe perçue au titre du contrôle phytosanitaire de pommes importées, que la Cour a examinée dans l'affaire 39-73, Rewe-Zentralfinanz/Landwirtschaftskammer Westfalen-Lippe, Recueil 1973, p. 1039. Vous vous rappellerez, Messieurs, que cette affaire portait sur des importations en provenance d'Italie, effectuées par Rewe en mars 1970.

La présente procédure concerne des importations réalisées par Rewe précédemment, en provenance de France. Pour ces importations, Rewe a été taxée au titre de la redevance en question par des avis qu'elle a reçus de la Landwirtschaftskammer de la Sarre en octobre et en novembre 1968, puis en janvier 1969. Par l'effet combiné des articles 58, 68 à 70 et 79 de la Verwaltungsgerichtsordnung (c'est-à-dire du code allemand sur la procédure devant les juridictions administratives) de pareilles taxations deviennent définitives et acquièrent force obligatoire si, dans un délai d'un mois ou dans certaines circonstances dans un délai d'un an, elles ne sont pas attaquées par la voie d'une «réclamation» adressée à l'autorité dont elles émanent. En l'occurrence, Rewe n'a déposé des réclamations contre lesdites taxations qu'en février 1973, c'est-à-dire bien après l'expiration de chaque délai. Ces réclamations tardives ayant été rejetées par la Landwirtschaftskammer en mars 1973, Rewe a formé un recours devant le Verwaltungsgericht de la Sarre en concluant (1) à l'annulation des avis de taxation en question et des décisions de mars 1973 rejetant ses réclamations et 2) au remboursement des redevances payées par elle conformément à ces avis.

Par un jugement daté du 29 mars 1974, le Verwaltungsgericht a rejeté le recours de Rewe. Celle-ci a alors interjeté appel de ce jugement devant l'Oberverwaltungsgericht de la Sarre qui, par un arrêt date du 7 octobre 1974, a rejeté l'appel. Rewe s'est maintenant pourvue devant le Bundesverwaltungsgericht.

La Landwirtschaftskammer a toujours concédé que la perception des redevances litigieuses avait été illégale. Celles-ci étaient effectivement illégales, mais non pas, comme on l'a allégué, en vertu de l'article 13, paragraphe 2, du traité car cette disposition n'a pas produit d'effet direct durant la période de transition, qui a pris fin le 31 décembre 1969 (voir l'affaire 94-74, IGAV/ENCC, Recueil 1975, p. 713, point 26 des motifs, et l'affaire 87-75, Bresciani/AIDF, Recueil 1976, p. 140, point 14). La perception desdites redevances était illégale en vertu de l'article 13, paragraphe 1, du règlement no 159/66/CEE du Conseil du 25 octobre 1966«portant dispositions complémentaires sur l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes». Dans la mesure où il avait de l'importance, cet article disposait:

«Pour les produits figurant à l'annexe I [qui comprenaient les pommes autres que les pommes à cidre], les droits de douane et taxes d'effet équivalent, ainsi que toute restriction quantitative et mesure d'effet équivalent applicables dans les échanges entre États membres, sont supprimés à partir du 1er janvier 1967» (Jo no 192 du 27 octobre 1966).

La thèse de la Landwirtschaftskammer a toujours consisté à dire que le droit de Rewe à l'annulation des avis de taxation attaqués et au remboursement des redevances perçues en exécution de ces avis était mis en échec par les dispositions de la Verwaltungsgerichtsordnung que nous avons mentionnées. C'est ce point de vue qui a été confirmé par le Verwaltungsgericht, puis par l'Oberverwaltungsgericht. Chacune de ces juridictions a rejeté l'argument de Rewe qui fait au contraire valoir que le droit communautaire lui a conféré un droit à obtenir la restitution des sommes indûment perçues et que ce droit ne saurait être mis en échec par une quelconque disposition de la législation nationale.

Dans son ordonnance de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht déclare estimer lui aussi que l'argument de Rewe doit être rejeté. En tant que juridiction «dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne», il s'est toutefois senti obligé, par le troisième alinéa de l'article 177, de renvoyer l'affaire à cette Cour, en particulier parce que les opinions exprimées par certains auteurs allemands supportent l'argumentation de Rewe.

La première et principale question que le Bundesverwaltungsgericht a adressée à la Cour est formulée comme suit:

«En cas de violation, par l'administration nationale, de l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane (articles 5, 9 et 13, paragraphe 2, du traité CEE), l'opérateur économique intéressé a-t-il, selon le droit communautaire, un droit

a)

à l'annulation ou au retrait de l'acte administratif

b)

et/ou à la restitution de la somme versée,

même lorsque, selon le droit national de la procédure, l'acte administratif est devenu inattaquable pour inobservation des délais?».

Le Bundesverwaltungsgericht ajoute deux questions subsidiaires, qui sont rédigées comme suit:

«2.

En est-il du moins ainsi lorsque la Cour européenne de justice a déjà constaté la violation de l'interdiction prévue par le droit communautaire?

3.

En cas de réponse affirmative quant à l'existence d'un droit à restitution d'après le droit communautaire:

ce droit à paiement peut-il être assorti d'intérêts, et si oui, à partir de quelle date et de quel montant?».

Dans l'affaire néerlandaise, la demanderesse est Cornet BV (que nous appellerons «Cornet») et la défenderesse est le Produktschap voor Siergewassen (organisme public d'organisation des activités économiques dans le secteur des plantes d'ornement). La redevance qui fait l'objet de ce litige est une imposition qui a été perçue, conformément à un règlement du Produktschap datant de 1956, sur les exportations de bulbes et oignons de plantes à fleurs à destination de l'Allemagne. Cette taxe était destinée à financer la promotion publicitaire des bulbes et oignons néerlandais en Allemagne. Il est constant que l'imposition de cette taxe est devenue illégale le 1er juillet 1968, date à laquelle le règlement (CEE) no 234/68 du Conseil du 27 février 1968«portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture» est entré en vigueur. L'article 10, paragraphe 1, de ce règlement dispose, dans la mesure où il a de l'importance:

«Sont interdits dans le commerce intérieur de la Communauté:

la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent;

…» (JO no L 55 du 2 mars 1968).

Nonobstant cette disposition, le Produktschap a, par des avis de taxation qu'il a adressés à Cornet en juillet et en septembre 1969, exigé de celle-ci le paiement d'une redevance pour des exportations qu'elle a effectuées en Allemagne en automne 1968 et au printemps 1969. En vertu de l'article 33 de la Wet administratieve rechtspraak bedrijfsorganisatie (loi néerlandaise sur les recours administratifs en matière d'organisation de l'activité économique — qui est brièvement appelée loi ARBO), le délai pour l'introduction d'un recours contre une pareille décision de taxation est de trente jours. Cornet n'a toutefois pas attaqué les avis litigieux dans ce délai; elle a payé la redevance qui lui était réclamée et ce n'est qu'en 1975 qu'elle a effectué des démarches pour faire reconnaître qu'elle n'était pas redevable d'une pareille taxe. Ces démarches ont abouti au recours qui est actuellement pendant devant le College van Beroep voor het Bedrijfsleven, où le Produktschap a évidemment plaidé que l'article 33 de la loi ARBO faisait obstacle à la demande, cependant que Cornet, pour tenter d'écarter ce moyen de défense, a avancé un argument similaire à celui qui a été avancé par Rewe dans l'affaire allemande.

Il semble qu'un pareil argument ait été rejeté par le College dans une affaire jugée par lui précédemment (van Haaster/ Produktschap voor Siergewassen, NJAB 1975, no 149, p. 373 et suiv.), et nous déduisons de son ordonnance de renvoi qu'il l'aurait également rejeté dans la présente si son attention n'avait pas été attirée sur le renvoi à cette Cour opéré par le Bundesverwaltungsgericht dans l'affaire allemande.

La question que le College adresse à la Cour est celle-ci:

«Dans le cas où un justiciable attaque devant le juge national une décision d'un organe national pour incompatibilité avec le droit communautaire, une quelconque disposition ou un quelconque principe du droit communautaire interdit-il de lui opposer l'échéance d'un délai de recours prévu par le droit national, soit dans le sens que le juge ne peut pas déclarer le recours formé par l'intéressé irrecevable pour non-respect d'un pareil délai, soit dans cet autre sens que l'administration ne peut pas invoquer l'échéance d'un pareil délai pour refuser de reconsidérer la décision?»

Nous ne doutons pas, Messieurs, que des dispositions comme celles de l'article 13, paragraphe 1, du règlement no 159/66 et de l'article 10, paragraphe 1, du règlement no 234/68, qui ont supprimé ou interdit des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à partir d'une certaine date, ont privé de validité la législation nationale qui tend à imposer de pareilles taxes après cette date. Nous ne doutons pas non plus que de pareilles dispositions produisent un effet direct dans le système juridique des États membres, en ce sens qu'elles confèrent aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

Nous sommes toutefois d'avis que c'est à la législation nationale de chaque État membre qu'il appartient de déterminer la nature et l'étendue des remèdes disponibles devant les juridictions de cet État pour donner effet à ces droits. Une ample jurisprudence de cette Cour étaye cette opinion. Dès 1960, et notamment dans l'affaire 6-60, Humblet/Belgique, Recueil 1960, p. 1147, la Cour a déclaré que lorsqu'un État membre a exigé d'un fonctionnaire CECA un impôt sur les revenus d'un montant incompatible avec le Protocole sur les privilèges et immunités de cette communauté, c'était à la législation interne de cet État qu'il appartenait de dire si l'intéressé pouvait exiger le remboursement des impôts versés en trop et s'il avait droit à des intérêts compensatoires. Dans l'affaire 28-67, Molkerei-Zentrale Westfalen/ Hauptzollamt Paderborn, Recueil 1968, p. 211 à 219, et dans l'affaire 34-67, Lück/Hauptzollamt Cologne, ibidem, p. 360, la Cour a jugé que c'était à la juridiction compétente de chaque État membre qu'il appartenait de décider, selon les règles de son droit national, quels procédés étaient appropriés pour sauvegarder des droits conférés aux particuliers par l'article 95 du traité CEE. De même dans l'affaire 13-68, Salgoil/Italie, ibidem, p. 662, elle a dit que les droits conférés aux particuliers par l'effet direct, des articles 31 et 32 du traité devaient, pour désigner la juridiction d'un État membre compétente pour assurer leur respect, être qualifiés selon les critères du droit interne. Dans les affaires 120-73, Lorenz/Allemagne, Recueil 1973, p. 1471, 121-73, Markmann/Allemagne, ibidem, p. 1495, et 141-73, Lohrey/Allemagne, ibidem, p. 1527, la Cour a jugé que c'était à l'ordre juridique interne de chaque État membre qu'il appartenait de déterminer le procédé juridique par lequel l'effet direct de la dernière phrase de l'article 93 du traité devait être assuré. Enfin, dans l'affaire 60-75, Russo/AIMA, Recueil 1976, p. 45, elle a déclaré que lorsqu'un producteur individuel a subi un préjudice du fait d'une intervention d'un État membre incompatible avec l'organisation commune des marchés agricoles, les conséquences en ce qui concerne la responsabilité de cet État membre à son égard devaient être déterminées d'après le droit national de cet État.

Il nous semble, si nous pouvons nous exprimer ainsi, que ces décisions sont conformes au bon sens. Lorsque le droit communautaire se borne à interdire tel ou tel genre d'acte de la part d'un État membre et à déclarer que les particuliers sont en droit d'invoquer cette interdiction devant leurs juridictions nationales, sans prescrire les remèdes ou procédures dont ils disposent à cet effet, il n'existe réellement pas d'alternative à l'application des remèdes et procédures prescrits par la législation nationale. Les demanderesses ont soutenu que le fait de permettre l'application du droit national dans de pareilles circonstances équivalait à permettre à ce dernier de supplanter le droit communautaire. Nous ne pensons pas que cette description de la situation soit correcte. Nous voyons celle-ci comme un cas dans lequel le droit communautaire et le droit national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain lorsque le premier le quitte, et développant ses conséquences.

Il existe d'autres domaines où une pareille situation est familière. Un exemple en est fourni par l'affaire 35-74, Mutualités Chrétiennes/Rzepa, Recueil 1974, p. 1241, dans laquelle un droit de recouvrement conféré par un règlement communautaire de sécurité sociale a été jugé soumis dans chaque État membre au délai prescrit par le droit interne de cet État. Un autre exemple est donné par l'affaire 26-74, Roquette/Commission, Recueil 1976, p. 677. Dans cette affaire, la Cour a jugé que lorsqu'un négociant a indûment été frappé de prélèvements prévus par des règlements communautaires, la question de savoir si l'intéressé a droit à leur remboursement avec ou sans intérêts devait, en l'absence de toute disposition communautaire sur ce point, être résolue d'après le droit national. D'une certaine manière, cette solution s'impose à plus forte raison dans les présentes affaires, car nous nous trouvons ici en présence, non pas de redevances imposées par le droit communautaire mais de redevances imposées par des législations nationales.

Un grand nombre d'arrêts de cette Cour ont été cités par les représentants des demanderesses. Il ne nous semble toutefois pas qu'une quelconque de ces décisions aille plus loin que l'affirmation des principes connexes de la primauté du droit communautaire et de son effet direct dans des circonstances appropriées. Or, aucun de ces principes n'est à notre avis en cause ici. Un arrêt qui a particulièrement été invoqué est celui qui a été rendu dans l'affaire 166-73, Rheinmühlen Düsseldorf/Einfuhr- und Vorratsstelle fur Getreide und Futtermittel, Recueil 1974, p. 33. Il a été soutenu que cette décision montrait que le droit communautaire était capable de supplanter le droit national de la procédure. Il en est effectivement ainsi, mais le point crucial dans cette affaire est le fait que la disposition du droit national qui était alors en cause a été considérée comme supplantée dans la mesure où elle était incompatible avec une disposition expresse du droit procédural communautaire, à savoir l'article 177. Pour fonder leur argument selon lequel il existe une incompatibilité similaire ici, les défenderesses ont été poussées à dire, ainsi que nous l'avons indiqué, que le droit communautaire ne privait pas seulement de validité la législation nationale imposant les redevances dont elles avaient été frappées, mais qu'il leur conférait lui-même un droit d'agir en restitution de ces redevances, et que ce droit ne pouvait pas être limité par une quelconque disposition du droit national. Pour les raisons que nous avons déjà signalées, nous ne pensons pas qu'un quelconque droit autonome de recours de cette nature ait été conféré aux demanderesses par le droit communautaire: nous pensons que c'était à leurs droits nationaux qu'il incombait de prévoir les remèdes auxquels elles avaient droit en raison de l'absence de validité de la législation fiscale en question. Toutefois, même s'il existait un pareil droit autonome de recours créé par le droit communautaire, le fait reste qu'il n'existe pas de droit procédural communautaire qui régirait l'exercice d'un pareil droit ni, partant, une disposition du droit communautaire avec laquelle le droit national de la procédure pourrait être jugé incompatible. L'aboutissement logique de l'argumentation des défenderesses serait en effet qu'aucun délai du tout ne s'appliquait à leur droit de recours. Cette conclusion serait incompatible avec la tradition commune des systèmes juridiques des États membres, qui consiste à donner effet à la maxime «Interest rei publicae ut sit finis litium», entre autres en assujettissant les droits de recours à des délais (même si ceux-ci, ainsi que la Commission l'a relevé, sont sensiblement divergents), de même qu'avec l'approche générale du droit communautaire, telle qu'elle s'exprime à l'article 173 du traité CEE, à l'article 43 du statut de la Cour et dans de nombreuses autres dispositions. Une reductio ad absurdum de l'argumentation des demanderesses aboutit à cette conclusion qu'une action en restitution des redevances en question, engagée par elles, ne pourrait pas être rejetée par la juridiction nationale compétente pour quelque motif d'ordre procédural que ce soit, pas même, par exemple, pour défaut de poursuite de la procédure.

Les demanderesses ont aussi invoqué deux fameuses décisions rendues par des juridictions nationales, et notamment l'arrêt de la Cour de cassation belge dans l'affaire Etat belge/SA. Fromagerie Franco-Suisse Le Ski (J. T. 1971, p. 460), et l'arrêt de la Cour de cassation de France dans l'affaire Administration des douanes/Société Cafés Jacques Vabre (D. 1975, J. 497). Chacun de ces deux arrêts a bien sûr affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit national, même lorsque ce dernier procède d'une loi postérieure en date au traité, et chacun d'eux a reconnu l'effet direct du droit communautaire, mais il ne nous semble pas que, dans l'une ou l'autre de ces affaires, la question qui se pose ici ait jamais été abordée. Dans l'affaire française, il a de fait été admis que la demande de la défenderesse en cassation devait être limitée à la restitution des sommes payées durant la période correspondant au délai prescrit par la loi française. Dans l'affaire belge, la demande de restitution se fondait expressément sur l'article 1235 du Code civil belge, la principale question étant celle de savoir si une loi postérieure pouvait abroger les droits conférés par cet article à la défenderesse en cassation. Il est évident que, lorsque nous disons que, dans des circonstances comme celles de ces affaires, les remèdes et procédures qui doivent être invoqués sont ceux qui sont prescrits par la législation nationale, nous n'entendons pas par là que le pouvoir législatif d'un Etat membre peut spécifiquement priver des remèdes que leur accorde une pareille législation, les personnes qui ont été victimes d'une violation par cet État du droit communautaire.

En conclusion, Messieurs, nous estimons que vous devriez donner à la première question qui a été soumise à la Cour par le Bundesverwaltungsgericht, de même qu'à la seule question qui lui a été adressée par le College van Beroep voor het Bedrijfsleven, une réponse négative.

Dans cette optique, la troisième question posée par le Bundesverwaltungsgericht devient sans objet. Nous devons toutefois traiter brièvement de la seconde.

A notre avis, les droits des particuliers à obtenir le remboursement des taxes dont ils ont été frappés en violation du droit communautaire ne sauraient dépendre de l'existence, ou de l'absence d'une décision de cette Cour (qu'il s'agisse d'une décision rendue au titre de l'article 169 ou de l'article 170 ou de l'article 177 du traité) sur les taxes particulières en question. Une décision de cette Cour dit le droit; elle ne le crée pas. Le gouvernement italien vous a instamment, Messieurs, priés de dire, par analogie à l'affaire 43-75, Defrenne/Sabena, Recueil 1976, p. 455, que l'effet direct des dispositions du droit communautaire qui interdisent la perception de taxes d'effet équivalant à des droits de douane ne saurait être invoqué dans aucun cas d'espèce, tant que les taxes en question dans cette espèce n'ont pas été qualifiées comme tombant sous le coup de l'interdiction, soit par une directive de la Commission, soit par une décision de cette Cour. Nous espérons être absous de tout manque de courtoisie à l'égard du gouvernement italien ou de son conseil, si nous nous abstenons d'analyser dans le détail l'argumentation qui a été développée en son nom sur cette partie de l'affaire. Vous la connaissez bien, Messieurs. Nous pensons pouvoir nous borner à dire qu'à notre avis, l'affaire Defrenne était différente. La raison pour laquelle la Cour a alors limité l'effet rétroactif de son arrêt était que d'innombrables personnes de la Communauté, en particulier des employeurs privés, avaient été induites en erreur sur leurs obligations par le comportement des institutions communautaires et des gouvernements des États membres. Il y avait un bon motif de craindre qu'une réouverture de leurs transactions passées conduirait sur une vaste échelle à des difficultés financières et même à des faillites. La situation dans ces affaires-ci, qui ne concernent que la restitution par des États membres de taxes qu'ils n'auraient jamais dû percevoir, n'est pas comparable.


( 1 ) Traduit de l'anglais.