CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 30 AVRIL 1974 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

La présente procédure a pour origine un litige portant sur la classification douanière d'un lot d'un produit alcoolisé importé de Belgique en république fédérale d'Allemagne en septembre 1968. Il s'agit d'eau-de-vie distillée à base d'alcool de mélasse qui, lors des analyses, s'est révélé parfaitement neutre et chimiquement pur et qui a par conséquent été classé sous la position tarifaire no 22.09-A-II comme alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o. Antérieurement aux analyses, le produit avait été classé sous la position 22.09-C-V-b comprenant les boissons spiritueuses. Classé sous la position no 22.09-A-II, le produit a été soumis à un droit de douane, alors qu'il en aurait été exempt si sa classification sous la position 22.09-C-V-b avait été maintenue.

L'interprétation de ces positions tarifaires a fait surgir des questions préliminaires plus graves et complexes relatives à l'article 38, paragraphes 1 et 3, du traité CEE et à la valdité d'un règlement du Conseil adopté sur la base de l'article 38, paragraphe 3. Il s'agit du règlement no 7 bis du 18 décembre 1959, mais publié au JO du 30 janvier 1961, par lequel le Conseil, agissant précisément en vertu des pouvoirs qui lui étaient attribués par le paragraphe 3, a ajouté à la liste des produits agricoles qui constituent l'annexe II du traité trois groupes de produits: les sucres, sirops et mélasses aromatisés ou additionnés de colorants, en raison de la possibilité de leur substituer des produits purs analogues; l'alcool éthylique obtenu par la transformation des produits agricoles, du fait du rapport étroit avec l'économie de ces produits qu'il contribue à valoriser; le vinaigre dont le marché ne pourrait être dissocié de celui de l'alcool éthylique ni de celui du vin.

La première question posée par le juge allemand met en doute la validité de ce règlement, eu égard au fait que celui-ci a été oublié après l'expiration du délai que l'article 38 du traité a fixé pour l'exercice du pouvoir d'ajouter d'autres produits à ceux énumérés à l'annexe II, prévu par son paragraphe 3.

La deuxième question, portant sur la possibilité pour le Conseil d'ajouter l'alcool éthylique à la liste de l'annexe II, sans tenir compte de sa teneur en alcool, concerne le contenu matériel de ce même pouvoir. Pour y répondre, il y a donc lieu d'examiner le rapport entre la disposition de l'article 38, paragraphe 1, relative à la définition des produits agricoles et la liste des produits prévus par le paragraphe 3 de cette même norme.

Il est intéressant de noter incidemment que la juridiction financière suprême allemande déférant lesdites questions de validité considère qu'elle n'est pas compétente pour statuer sur la validité d'un règlement du Conseil.

La troisième question, posée seulement pour le cas où l'illégalité du règlement no 7 bis ne serait pas prononcée, est relative au critère de distinction entre les marchandises de la position 22.09-A-II du tarif douanier commun et celles de la position no 22.09-C-V-b.

Le rapport entre la question purement tarifaire et les autres questions de caractère plus général s'explique du fait que l'imposition d'un droit de douane sur le trafic intercommunautaire du produit dont il est question n'est concevable que dans la mesure où ce produit peut être considéré comme produit agricole et où il est en tant que tel soustrait à l'application de l'article 1 de la décision d'accélération du Conseil du 26 juillet 1966; celle-ci avait obligé les États à supprimer définitivement, à partir du 1er juillet 1968, les droits de douane encore existants à l'époque sur les divers produits énumérés à l'annexe II du traité. Ce n'est qu'en vertu de cette exception à l'application du désarmement douanier dans le tarif intercommunautaire que les produits classés sous la position tarifaire no 22.09-A-II du tarif douanier commun ont pu continuer à être soumis en 1968 à des taxes nationales, alors qu'en étaient exclus en tant que produits non agricoles les produits classées sous la position no 22.09-C-V-b de ce même tarif douanier.

2.

Au cours de l'audience, le Conseil a excipé de l'incompétence de la Cour à se prononcer sur la validité du règlement no 7 bis du fait que le traité d'adhésion du 22 janvier 1972 et l'Acte relatif aux conditions d'adhésion des nouveaux États membres à la Communauté auraient eu pour effet de conférer également à ce règlement la même valeur juridique que le traité qui a réglé l'adhésion des nouveaux États à la Communauté. Le Conseil a souligné le fait que le règlement no 7 bis a eu pour effet de compléter le traité (ce qui semble indiquer un rappel tacite de l'article 1 du traité d'adhésion selon lequel les nouveaux États membres adhèrent aux traités «tels qu'ils ont été modifiés ou complétés») et que les articles 7 et 8 de l'Acte d'adhésion, relatifs au maintien de la nature juridique des actes de la Communauté, ne concernent pas le règlement en question. Le Conseil s'est référé en outre au protocole no 19 annexé à ce même acte qui prévoit au paragraphe 2 que les mesures nécessaires pour faciliter l'utilisation des céréales communautaires pour la production de boissons spiritueuses obtenues à partir de céréales pourront être prises dans le cadre du règlement d'organisation commune des marchés qui serait adopté dans le secteur des alcools. Par conséquent, s'il était possible d'invalider le règlement no 7 bis, ce protocole perdrait toute signification.

Sans qu'il soit nécessaire de prendre position sur le bien-fondé de la thèse du Conseil relative au changement de valeur juridique des normes contenues dans le règlement considéré, il suffit ici de relever que quel que soit le changement qui pourrait avoir été effectué par l'Acte d'adhésion à cet égard, il n'aurait pu avoir d'effet qu'à partir de l'entrée en vigueur de cet acte; donc, pour la période antérieure, un règlement du Conseil, dont la validité aurait été contestée incidemment, continuerait à être soumis au contrôle de cette Cour sur la base de l'article 177, sans que cette possibilité puisse être considérée en opposition avec l'éventuelle impossibilité de contrôler le régime établi par le règlement parce qu'il serait devenu partie intégrante d'un traité international conclu entre les États membres. Pour la période antérieure à cette hypothétique transformation de la nature des dispositions en question, il resterait toujours la possibilité, en vertu des normes du traité de la CEE, de contrôler si lesdites dispositions réglementaires sont viciées, ce qui aurait pour conséquence leur inapplication aux cas particuliers. Aucun préjudice ne pourrait par conséquent en résulter pour l'organisation commune des marchés dans le secteur des alcools à laquelle paraît se référer la disposition mentionnée du protocole no 19.

Nous considérons par conséquent comme non fondée l'exception d'incompétence soulevée par le Conseil.

3.

Pour répondre à la première question, il y a lieu de définir le pouvoir attribué au Conseil par l'article 38, paragraphe 3, en ce qui concerne les modalités et la procédure pour son exercice.

Dans sa décision de renvoi, le juge allemand observe que le règlement no 7 bis, complétant la liste des produits agricoles, a été publié au Journal officiel des Communautés européennes plus d'un an après l'expiration du délai utile fixé à cet égard par l'article 38, paragraphe 3. Le fait que le règlement prévoit qu'il prendra effet à partir du 31 décembre 1959, c'est-à-dire à partir du dernier jour utile pour l'adoption des mesures complémentaires prévues par la disposition susmentionnée, ne déplace pas les termes du problème; en effet, ce qui est intéressant pour savoir si le pouvoir conféré par l'article 38, paragraphe 3, a été exercé légalement n'est pas la date à partir de laquelle l'acte devait manifester ses effets, mais il est nécessaire à cet effet de vérifier si, au moment où l'acte a été adopté, le Conseil avait encore le pouvoir de l'adopter. Le fait que le règlement en question porte la date du 18 décembre 1959 ne déplacerait en rien les données du problème.

Puisqu'en vertu de l'article 191 du traité, les règlements sont publiés dans le Tournai officiel de la Communauté, le juge doute que le règlement no 7 bis ait été validement adopté, parce que la publication devrait avoir pour ces actes un effet constitutif, en ce sens qu'avant sa publication le règlement serait juridiquement inexistant.

Il est toutefois établi qu'au cours du délai prescrit par l'article 38, paragraphe 3, le Conseil avait effectivement décidé par des délibérations régulières à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission d'ajouter tous les produits visés par le règlement no 7 bis à la liste contenue dans l'annexe II. L'adoption de cette décision ressort avant tout du procès-verbal de la XXVIe réunion du Conseil du 18 décembre 1959. En outre, celle-ci a été communiquée peu après à la presse en termes qui ne laissent aucun doute quant à son caractère définitif. La circonstance que cet acte du Conseil ne constitue pas encore un règlement, si l'on considère comme nécessaire pour celui-ci — comme nous le faisons — la publication au Journal officiel des Communautés européennes, n'a pas d'incidence en l'espèce à l'égard du délai fixé par l'article 38, paragraphe 3, du traité. Puisqu'en effet l'article 38, paragraphe 3, ne spécifie pas la forme juridique de l'acte par lequel le Conseil pouvait ajouter des produits à la liste de l'annexe II, on peut considérer comme suffisante à cette fin, indépendamment de sa forme, la prise de position définitive du Conseil au cours dudit délai (en ce qui concerne la détermination des produits à ajouter).

Il y a lieu en effet de distinguer entre le contenu d'un acte, ayant le caractère d'une décision et la forme sous laquelle la décision en question se présente: la délibération ne se confond pas avec la communication, même lorsque celle-ci est nécessaire pour produire des effets à l'égard de ses destinataires, effets qui ne pourront se concevoir que dans le futur. Ce qui devait être fait pendant le délai prévu, c'était prendre la décision par laquelle s'exerçait en l'espèce le pouvoir d'agir du Conseil de ministres. En d'autres termes, c'est le pouvoir de prendre la décision qui devait s'exercer au cours d'un délai maximal déterminé; autre chose est l'effet de l'acte pour lequel, au contraire, est pris en considération non pas un délai maximal ad quem, mais un délai initial a quo. Ces effets, s'ils sont liés à l'instrument du règlement communautaire, ne doivent se réaliser que pour l'avenir, c'est-à-dire après la publication. Le règlement peut donc également être publié après: ses effets ne sont que postérieurs, mais la validité de l'acte dépend du fait que son contenu normatif a été fixé avant l'expiration du délai prévu pour l'exercice des pouvoirs considérés. L'absence de publication de cette décision au Journal officiel au cours du délai en question, si elle peut avoir constitué un obstacle à l'application de la législation agricole communautaire aux produits en question en la retardant jusqu'à la publication, intervenue plus d'un an après, du règlement no 7 bis qui mettait cette «décision» en œuvre, n'empêche pas pour autant que le pouvoir prévu par l'article 38, paragraphe 3, du traité puisse être considéré comme exercé pendant le délai légal.

4.

La deuxième question concerne la notion des «produits de première transformation» qui sont en rapport direct avec les produits du sol, de l'élevage et de la pêcherie. Cette notion revêt une importance déterminante dans la définition des limites de la compétence attribuée au Conseil pour compléter cette liste, selon ce que prévoit l'article 38, paragraphe 3.

Si l'on part de l'idée qu'il ne peut y avoir deux définitions distinctes des produits agricoles, mais une seule résultant du concept défini au paragraphe 1er et de l'énumération contenue dans l'annexe II qui en détermine le cadre in concreto, et si, par conséquent, tous les produits énumérés à la liste de l'annexe II doivent être considérés comme répondant à la définition du paragraphe 1, ou si on part de l'idée que tout au moins la liste des produits figurant à l'annexe II d'après l'énumération faite par les auteurs mêmes du traité fournit des éléments susceptibles de préciser le contenu et la portée de la notion à laquelle se réfère la disposition du paragraphe 1, il faut alors admettre, lors de l'examen des produits énumérés dans l'annexe II, que la définition des produits agricoles énoncée par le paragraphe 1 est très large. On peut en effet noter que l'annexe II contient des marchandises qui, outre qu'elles ne sont pas des produits du sol, de l'élevage et de la pêcherie, ne pourraient pas non plus être considérées comme des produits de première transformation si on se fonde à cet égard sur une notion rigide.

Indiquons à titre d'exemple les amidons, les fécules, le gluten, les graisses hydrogénées ou raffinées, la margarine, les simili-saindoux; les préparations de viande, de poissons, de plantes et de fruits; les aliments préparés pour animaux. Il s'agit de produits qui, bien qu'étant obtenus à partir d'un produit agricole, requièrent pour leur fabrication des procédés plus ou moins complexes qui, en général, ne se limitent pas à une opération unique. Si, par conséquent, le concept de produits auquel se réfère l'article 38, paragraphe 1, doit être interprété à la lumière de la liste des produits insérés à l'annexe II, il est nécessaire de retenir une notion large de «produits de première transformation», avec cette conséquence qu'il ne sera pas difficile d'y faire entrer également celui dont il est question en l'espèce.

Le doute du juge allemand est simplement dû au fait qu'en ajoutant l'alcool éthylique à la liste de l'annexe II le Conseil n'a pas tenu compte de sa teneur en alcool, considérant donc l'alcool en question comme un produit de première transformation, même lorsque le produit de la distillation a été dilué par addition d'eau.

Au contraire, les deux gouvernements intervenants contestent absolument la possibilité pour le Conseil, agissant en vertu de l'article 38, paragraphe 3, d'ajouter l'alcool à la liste en cause.

Ceux-ci ont soutenu que la disposition de l'article 38, paragraphe 3, ne devrait être mise en relation qu'avec la disposition du paragraphe 1, et avec la notion de produits agricoles qui y est exprimée, considérée en soi, sans qu'il soit permis d'interpréter la notion «produit de première transformation» en prenant exemple sur l'énumération des produits faite par les auteurs du traité à l'annexe II; car ces derniers, à la différence du Conseil, n'étaient pas obligés de rester dans les limites de la notion établie par le paragraphe 1.

Les intervenants défendent une interprétation rigide de la notion de «première transformation» qu'ils identifient à une seule opération d'un processus productif à partir d'une matière première agricole. Ainsi, par exemple, dans le cas de l'alcool dérivé des céréales, le représentant du gouvernement britannique considère deux opérations distinctes — la fermentation de la matière première agricole et la distillation — avec cette conséquence que le produit ainsi obtenu serait le résultat d'une seconde transformation; le représentant du gouvernement irlandais, quant à lui, distingue encore deux autres opérations préliminaires, celles du mélange de céréales de différentes sortes et ensuite leur fermentation, ce qui supprimerait le nécessaire «rapport direct» de l'alcool avec la matière première agricole, amenant à considérer celui-ci comme un produit de quatrième transformation!

Le bon anatomiste, lorsqu'il analyse les détails, a soin de les replacer dans l'ensemble qu'ils servent à composer et dans lequel ils revêtent leur véritable signification. Nous avons l'impression que, procédant à un examen minutieux du processus de fabrication de l'alcool, les défenseurs des intervenants ont perdu de vue le caractère unitaire de ce même processus et qu'ils sont parvenus à des résultats dont l'arbitraire a même été mis en évidence par le requérant irlandais, avec le morcellement d'un processus productif unique auquel il est parvenu grâce à l'application cohérente de la méthode qui est également à la base de la thèse britannique.

En réalité, ce qui apparaît à la suite de la macération ou de la fermentation des céréales n'est pas un produit de seconde ou troisième transformation, c'est simplement une matière, normalement inutilisable en tant que telle, qui constitue seulement un point de passage pour parvenir au véritable produit transformé auquel ces opérations tendent, à savoir l'alcool.

La notion de première transformation est sans doute difficile à définir. Elle appartient au nombre des notions dont tout ordre juridique se sert, notamment pour laisser au pouvoir exécutif une certaine liberté convenant aux différentes situations de fait, lorsqu'il s'agit de définir des critères de différenciation dans un domaine économique qui n'est pas marqué par des délimitations précises. Nous voyons également dans les différents droits nationaux que lorsque l'on fait référence à l'activité agricole pour en distinguer le régime des autres types de processus productif, le législateur élargit toujours son champ de vision au-delà du cadre strict des produits obtenus lors de la première phase de leur récolte, pour y inclure également les transformations et les activités destinées à la présentation commerciale du produit, qui sont traditionnellement liées à l'activité même du producteur, selon le critère de l'activité agricole normale.

Dans notre cas, tenant certainement compte aussi des critères de différenciation traditionnels de l'agriculture par rapport aux autres activités productives, le législateur communautaire s'est référé au critère de «première transformation» qui laisse, répétons-le, une certaine latitude à l'interprète. Mais c'est là une définition qui ne concerne pas l'appréciation concrète pour une application directe par les intéressés; il faut une spécification, une précision soit dans ce même traité à l'annexe II, soit de la part du Conseil dans le délai de 2 ans prévu par le 3e paragraphe de l'article 38. Quel est ce pouvoir reconnu au Conseil? Il a certainement un caractère déclaratif d'application du critère, mais pour voir quel est le critère déterminé précisément par le paragraphe 1er, il s'avère nécessaire d'en interpréter le contenu.

Les États intervenants — comme nous l'avons vu — font une nette distinction entre les pouvoirs d'application déjà exercés à l'occasion de l'adoption de l'annexe II, et les pouvoirs conférés pour compléter les listes par un acte d'application du Conseil, au cours des deux ans. Cette distinction est exacte. Mais il n'est pas juste de s'en tenir à celle-ci, même si elle est claire. C'est une règle d'interprétation fondamentale qu'un acte d'application immédiate de la norme fait contextuellement par l'auteur qui a formulé le principe, est doté d'une signification de première importance pour l'interprétation. Celle-ci en tant qu'acte rationnel, est fondée sur un critère essentiel de cohérence selon lequel la recherche du sens d'un acte peut être menée également en partant de l'observation du comportement concomitant adopté par l'auteur de l'acte en question. Si les auteurs du traité ont affirmé simultanément une règle et fixé certaines de ses applications, ces dernières nous disent également quel est le système voulu par les auteurs du traité. Par conséquent, le critère de souplesse que révèlent les listes de l'annexe II permet également de déterminer le cadre à l'intérieur duquel le Conseil était autorisé à combler les inévitables lacunes que les premières applications du traité auraient mises en évidence.

En ce sens, il apparaît certain que la notion de «première transformation» ne doit pas être identifiée purement et simplement ni au premier changement de forme que subit un produit de base, ni avec un quelconque changement chimique qui altère les caractéristiques originaires de ce produit. Autrement on devrait exclure des produits typiquement agricoles (comme p. ex. l'huile d'olive qui nécessite pour l'obtenir le broyage des olives, le pressage de la pulpe, le filtrage et d'autres opérations éventuelles destinées à en corriger la saveur; ou le fromage, parce que le lait pour devenir du fromage doit subir diverses opérations de mutations), ce qui, sur le simple plan abstrait de la définition des produits agricoles soutenue par les gouvernements intervenants, ne paraît pas satisfaisant. Resteraient a fortiori exclus du nombre des produits agricoles et avec des effets qui ne se limiteraient pas au seul plan théorique, les sucres, les sirops et mélasses aromatisés et additionnés de colorants que le règlement no 7 bis, pour satisfaire à d'évidentes exigences de fonctionnement de l'organisation commune du marché du sucre, a inclus dans l'annexe II en raison de la possibilité de leur substituer les produits correspondants à l'état pur. Puisque les sucres, les sirops et mélasses sont déjà des produits de tranformation, il suffirait de recourir au simple expédient de l'addition d'un aromate ou d'un colorant pour soustraire ces produits du nombre des produits agricoles, selon l'interprétation de l'article 38, paragraphe 1, qui nous est proposée, ce qui pourrait créer une série de difficultés dans le fonctionnement du régime relatif au marché des sucres.

Ces exemples confirment, tant sur le plan conceptuel que sur le plan pratique, l'inacceptabilité de l'interprétation soutenue par les gouvernements intervenants. Par conséquent, si l'existence de diverses opérations de transformation et l'intervention de modifications externes et structurelles d'une matière première ne peuvent empêcher à elles seules que le résultat d'un processus productif ait le caractère d'un produit de première transformation, nous devrons rechercher d'autres critères pour circonscrire la notion examinée, en nous reportant à la ratio de la norme qui contient cette notion.

Si les marchandises résultant de la transformation des produits agricoles auxquels s'applique le régime agricole communautaire sont expressément limitées par l'article 38, paragraphe 1, à celles de première transformation qui sont en rapport direct avec les matières premières agricoles, cela indique sans aucun doute la volonté des auteurs du traité de limiter le cadre des produits qui peuvent être soumis à la législation spécifique agricole: il n'y a certainement pas lieu de revenir à la conception des physiocrates! Par conséquent doivent être exclus en principe les produits de transformation qui requièrent un processus productif qui, par son coût de production, est tel qu'il porte le prix des matières premières agricoles de base à un niveau tout à fait marginal. Comme en effet, la doctrine l'a observé (Olmi, Commentaire du traité CEE de MM. Quadri — Monaco — Trabucchi, Vol. I, p. 244), dans ces hypothèses le niveau et les oscillations de ce prix n'auraient pas une incidence décisive sur le coût de production et il n'y aurait donc pas lieu de discriminer ces produits par rapport aux autres produits industriels.

Par ailleurs, si ceci est la ratio de la limitation posée par les auteurs du traité à l'admission au régime agricole des produits de transformation, on doit également admettre que les produits pour lesquels le coût de la matière première reste un facteur important du prix, devraient en principe pouvoir bénéficier du régime agricole; et cela d'autant plus lorsqu'il s'agit de produits transformés qui constituent une forme importante de valorisation de la matière première agricole comme c'est par exemple le cas du pain par rapport au froment. En effet, comme l'observe l'auteur cité «la dépendance de la matière première agricole étend au coût de production du produit transformé les caractéristiques d'instabilité et d'imprévisibilité des prix agricoles, ce qui rend nécessaire des mesures de stabilisation à la frontière et à l'intérieur du marché. En outre, si la matière première agricole fait l'objet d'une organisation du marché qui maintient le prix élevé alors que le produit transformé fait l'objet d'un régime libéral, l'industrie de transformation ne supportera pas la concurrence d'industries des autres pays qui utilisent les matières premières agricoles à bas prix; et, en second lieu, la crise de l'industrie de transformation s'étendra à la production même de la matière première agricole qu'elle valorise.»

Si le critère du coût peut être un critère de grande importance, (et il ne pourrait pas ne pas l'être en matière de classification économique) il ne sera cependant pas le seul, et nous aurons à côté de celui-ci à considérer aussi comme déterminant un autre critère consistant dans le fait que le produit agricole transformé constitue un moyen normal de présentation économiquement valable du produit en question, de sorte qu'il revêt une importance essentielle pour sa commercialisation, même si le coût de la transformation devait prévaloir dans le prix de vente de la production agricole entendue au sens stricte.

Ces considérations font comprendre pourquoi les auteurs du traité ont fait preuve de largesse en inscrivant les produits de transformation sur la liste de l'annexe II. Des considérations analogues devraient nous inciter à admettre la notion large de «produits de première transformation» qui apparaît ainsi, en adoptant comme critère limitatif pour la définition du pouvoir du Conseil dont il est question à l'article 38, paragraphe 3, non pas la plus ou moins grande complexité des opérations nécessaires pour obtenir le produit de transformation, mais plutôt l'incidence du coût de la matière première agricole sur le prix du produit transformé ou l'importance de celui-ci en vue de la commercialisation du produit agricole de base. Dans ces hypothèses, lorsque le coût en question reste le facteur dominant du produit transformé ou lorsque, de quelque façon, le produit transformé joue un rôle économiquement important pour permettre la vente du produit de base, la fonction et les objectifs poursuivis par l'organisation des marchés agricoles autorisent à inscrire la marchandise considérée sur un prolongement de l'annexe II, conformément à l'article 38, paragraphe 3.

Sur la base de ce critère, on devrait pouvoir parvenir à une conclusion identique même si l'on devait se refuser — quod non — à ce que la liste des produits inscrits par les auteurs du traité en annexe Il puisse servir à préciser la portée de la notion des produits agricoles de l'article 38, paragraphe 1.

Dans cette perspective, même en admettant que le Conseil n'aurait pas pu ajouter à la liste de l'annexe II tous les produits transformés, dans la même mesure et avec la même largesse que celles dont ont pu faire preuve les auteurs du traité, il semblerait cependant difficile de refuser la possibilité pour le Conseil d'y admettre certains produits, pour la seule raison que leur transformation a requis plus d'une seule phase d'élaboration, alors que leur insertion dans l'annexe II répond aux nécessités réelles de la politique agricole commune, à la poursuite des objectifs du traité et alors qu'elle est conforme à ce qui ressort des éléments de l'annexe II. Même en partant d'une notion restrictive du produit agricole au sens de l'article 38, paragraphe 1, il ne serait pas raisonnable de se fonder uniquement sur une exégèse rigide et littérale de la norme en vue d'exclure pour le Conseil de tenir compte des conceptions traditionnelles de l'activité agricole et de donner de l'importance au critère du caractère prédominant du coût de la matière première agricole sur le prix du produit transformé indiqué ci-dessus, ou au critère de la présentation sur le marché sous une forme économiquement utile, et donc de tenir compte des exigences objectives qui en résultent, en fonction de la protection voulue par les auteurs mêmes du traité pour les produits agricoles de base.

Si l'on admet le pouvoir du Conseil d'ajouter l'alcool à la liste de l'annexe II, il ne faudra pas refuser l'alcool dont la teneur originaire a été réduite par simple dilution aqueuse, dès lors que cette addition ne modifie pas la nature et les propriétés chimiques de l'alcool, ni l'origine agricole du produit.

5.

La troisième question posée par le Bundesfinanzhof concerne la classification douanière d'une marchandise que l'importateur avait définie comme «eau-de-vie distillée à base d'alcool de mélasse, aromatisée», et que le bureau de douane avait considérée dans un premier temps comme boisson spiritueuse et classée dès lors sous la position no 22.09-C-V-b du TDC, alors que par la suite cette marchandise s'étant révélée d'après des analyses comme parfaitement neutre et dépourvue de toute adjonction de substances aromatiques, elle a été définie comme alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o et classée en tant que telle sous la position tarifaire 22.09-A-II.

Le TDC en vigueur à l'époque du dédouanement des marchandises en question, intervenu en septembre 1961, comprend sous la position tarifaire no 22.09-C-V-b des «autres boissons spiritueuses». La position tarifaire no 22.09 vise l'alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o; l'eau-de-vie, les liqueurs et autres boissons spiritueuses, préparations alcooliques composées (dites extraits concentrés) pour la fabrication des boissons. Sous la lettre A, cette position tarifaire vise en particulier l'alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o.

Alors qu'aucun droit de douane interne ne pouvait être appliqué aux marchandises comprises dans la position tarifaire 22.09-C-V-b, parce qu'elles entrent dans le champ d'application du TDC, les marchandises de la position no 22.09-A-II ayant été insérées par le règlement no 7 bis dans la liste de l'annexe II du traité CEE ont été comme telles exclues du domaine d'application du règlement no 950/68 CEE qui a institué le TDC. Pour celles-ci, en tant que produits agricoles, les tarifs nationaux continuaient à s'appliquer et il était donc admissible de maintenir les taxes nationales sur les importations des autres États membres. C'est pourquoi un droit de 110,35 DM/hl a été appliqué aux produits en cause.

Il y a lieu de préciser tout de suite, afin d'éviter certaines confusions sur le plan des concepts et des méthodes, confusions qui semblent être apparues au cours des phases antérieures de la procédure devant les autorités nationales, que, pour l'interprétation du TDC, il n'y a pas lieu de se fonder sur des notions ou situations de droit interne ni sur des pratiques commerciales propres à un État déterminé. Par conséquent, la distinction entre la notion de boissons spiritueuses de la position tarifaire 22.09-C-V-b et la notion, d'alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o visé par la position tarifaire doit être faite exclusivement dans le cadre du système communautaire, puisqu'il s'agit de notions qui doivent avoir une signification uniforme dans toute la Communauté.

Il résulte des explications fournies par la Commission dans cette procédure et des références qu'elle a faites à la Nomenclature de Bruxelles et à ses Notes explicatives, que la distinction entre les deux types de produits mentionnés ci-dessus ne se fonde pas sur l'utilisation effective à laquelle chacun d'eux est destiné, mais sur les propriétés objectives de chacun de ces produits. Cela est conforme à un critère déjà admis par la jurisprudence de la Cour et répondant à la nécessité de garantir la sécurité du droit et de simplifier l'activité administrative (cf., p. ex. l'arrêt 36-71, Henck, Recueil, 1972, p. 187). Il ressort, en particulier aussi des exemples de boissons spiritueuses cités pour illustrer la signification de la sous-position 22.09-C-V, qu'il s'agit de boissons qui se distinguent l'une de l'autre par leur goût particulier ou par leur odeur, grâce en général à l'addition de composants pendant la distillation. Tels sont, pour l'essentiel, les éléments qui distinguent les produits de cette sous-position tarifaire de l'alcool dénaturé ou neutre, dans la mesure où il est dépourvu d'éléments aromatiques particuliers qui peuvent le caractériser et donc essentiellement dépourvu de goût et d'odeur, et appartient à la sousposition 22.09-A, indépendamment du fait qu'il est rendu propre à la consommation humaine par dilution aqueuse.

Nous proposons de répondre en ce sens aux questions du Bundesfinanzhof:

1)

le fait que le règlement du Conseil no 7 bis du 18 décembre 1959 a été publié au Journal officiel des Communautés européennes après l'expiration du délai fixé par l'article 38 du traité CEE ne met pas en cause la validité de l'acte dès lors qu'il apparaît que son adoption a été décidée dans les délais;

2)

le Conseil, dans l'exercice du pouvoir qui lui est conféré par l'article 38, paragraphe 3, du traité CEE, a pu valablement ajouter l'alcool éthylique à la liste en question de l'annexe II de ce même traité sans avoir à tenir compte de sa teneur en alcool;

3)

les marchandises comprises dans la position 22.09-A-II du TDC sont des produits qui se définissent essentiellement d'après leur composition chimique de base et comme telles se différencient de celles de la position tarifaire 22.09-C-V-b qui, par suite d'une transformation ultérieure, acquièrent des caractéristiques individuelles, moyennant l'addition d'une saveur ou d'un parfum déterminé.


( 1 ) Traduit de l'Italien.