CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,
PRÉSENTÉES LE 13 MARS 1969 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Dans cette affaire que nous examinons aujourd'hui, le requérant est un fonctionnaire entré le 16 juin 1958 au service de la Commission de la Communauté européenne après une activité de cinq ans au ministère belge des affaires africaines. A l'origine, son traitement équivalait à celui d'un grade A 5; à compter du 1er mars 1960, il a été porté au niveau du grade A 4.
Dès le début, le requérant a été affecté à la direction générale VIII qui portait primitivement le nom de «Pays et territoires d'outre-mer» et qui s'appelle actuellement «Aide au développement». Il a été chef du secteur géographique «Afrique Centrale» à la direction «Études de développement»; à partir de 1960, chef du secteur géographique «Algérie, territoires et départements d'outre-mer» et, depuis juin 1963, chef du secteur «Études». Lorsqu'en automne 1965, un service spécialisé «Études de développement» a été créé au sein de la direction indiquée, la Commission l'a nommé chef de cette unité administrative, avec le titre de «chef de service spécialisé». A la suite de la restructuration qui a eu lieu après la fusion des exécutifs, la direction «Études de développement» (qui s'appelle depuis lors «Politique et études de développement») a été transformée. A cette occasion, la division«Études de développement» comportant à sa tête un poste A 3 a été formée avec le service spécialisé «Études de développement». Ce poste a fait l'objet d'un avis de vacance publié dans le «Courrier du personnel» du 13 juin 1968. Simultanément, par une lettre du 12 juin 1968, la direction générale personnel et administration a informé le requérant que la Commission lui avait confié, à compter du 20 juin 1968, le poste d'administrateur principal (grade A 4) dans la division nouvellement créée.
Le requérant n'a cependant pas été d'accord. A son avis, la modification de l'organigramme de la direction «Politique et études de développement» n'avait pour but que de revaloriser le poste qu'il occupait jusque-là pour en faire un poste de chef de division, d'où l'obligation pour la Commission de le classer à un grade supérieur, l'avis de vacance étant inutile. Il a donc adressé à la Commission, le 24 juin 1968, un recours hiérarchique; il y demandait son classement au grade A 3, la modification de son titre, le retrait de l'avis de vacance du 13 juin ainsi que le retrait de la décision d'affectation du 12 juin qui le visait. Subsidiairement, il posait en même temps sa candidature au poste déclaré vacant. Le requérant n'a reçu aucune réponse; cependant il a appris qu'une décision du 17 juillet 1968 avait promu chef de division un autre fonctionnaire A 4 de la direction générale VIII et l'avait affecté au poste qui avait fait l'objet de l'avis de vacance. Il y a vu un rejet implicite de sa demande, lui permettant de saisir la Cour de justice le 7 septembre 1968.
Dans sa requête, il expose une série de conclusions principales qui se rapportent à la décision de rejet implicite et qu'il est possible de résumer ainsi :
1) |
Annuler la décision du 17 juillet 1968, nommant un autre fonctionnaire chef de la division «Études de développement» ; |
2) |
Annuler la décision affectant le requérant à un nouvel emploi; |
3) |
Constater que le requérant doit être classé au grade A 3 avec le titre de «chef de division» et qu'il exerce les fonctions de chef de la division «Études de développement». |
Subsidiairement, le requérant attaque directement la décision du 17 juillet et — pour autant que de besoin — celle du 12 juin et demande en outre de constater qu'il est ou sera promu au grade A 3 et qu'il est ou sera nommé chef de division.
Enfin, dans une autre conclusion subsidiaire, le requérant demande d'ordonner de recommencer la procédure visant à pourvoir le poste A 3 mentionné ci-dessus.
A l'appui de ces conclusions que la Commission estime entièrement non fondées, il a présenté une série de motifs que nous allons maintenant nous efforcer de discuter du point de vue juridique.
Discussion juridique
I — Les conclusions principales
1— La Commission était-elle obligée de reclasser le requérant?
Pour motiver sa demande principale qu'à son avis la décision du 17 juillet 1968 a rejetée, le requérant invoque le principe de la correspondance nécessaire entre classement et. fonctions, que votre jurisprudence a maintes fois reconnu en se référant à l'annexe I au statut des fonctionnaires en liaison avec la description des fonctions établie conformément à l'article 5 du statut. Il indique qu'en 1965 il a existé à la direction «Études de développement», une division«Études de développement» et une division en voie de formation «Politique de développement». A la fin de 1965, l'unité administrative «Politique de développement» a été transformée en une véritable division, tandis que, faute d'un poste A 3, l'unité administrative «Études de développement» demeurait sans chef de division. Elle a été appelée «service spécialisé» et le requérant a été chargé de la diriger en qualité de fonctionnaire de grade A 4. Mais en vérité, le requérant aurait exercé les fonctions de chef de division, surtout à l'égard du personnel qui lui était subordonné. Lorsque la Commission a pu disposer d'un second poste A 3 pour la direction «Politique et études de développement» et transformer le service spécialisé «Études de développement» en une division, son devoir aurait été de laisser le requérant dans le poste revalorisé, auquel ne se rattachaient pas de nouvelles fonctions et de corriger simplement son classement.
Cette argumentation, il faut en convenir, est certainement impressionnante. Mais, bien entendu, nous ne pouvons pas nous contenter d'une première impression. Examinons donc les faits d'une manière plus détaillée.
La question qui se pose tout d'abord est de savoir s'il n'existe pas réellement une différence entre division et service spécialisé, si donc les «chefs de division» et les «chefs de service spécialisé» exercent des fonctions équivalentes et doivent par conséquent être classés de la même manière. La réponse à cette question n'offre aucune difficulté. En réalité, il est parfaitement concevable et évident qu'entre les «unités administratives» nommées «division» et «service spécialisé» dont la pratique de la Commission connaît bien des exemples, il existe d'importantes différences objectives quant au personnel, à l'importance et à l'ampleur des tâches (ainsi que le dit une réponse à une question parlementaire) et que, par conséquent, les seules raisons budgétaires ne sont pas déterminantes pour la distinction. Pour juger de ces différences, conformément à la description des fonctions du 29 juillet 1963 la Commission, en vertu de son pouvoir d'organisation, dispose d'une marge d'appréciation qui échappe au contrôle judiciaire, à moins que des indices évidents ne révèlent une erreur d'appréciation (nous renvoyons à ce sujet à l'arrêt de la Cour de justice du 24 février 1965 ( 2 ). Il ne paraît pas que le requérant demande ce contrôle et fasse valoir qu'il aurait dû déjà être classé en A 3 en qualité de chef d'un service spécialisé. A tout le moins, il faudrait dire que sa référence à l'exercice de certains pouvoirs hiérarchiques envers le personnel subordonné, pour la notation et l'examen de demandes de congé ne serait pas suffisante, car ces pouvoirs ne fournissent pas plus d'éléments décisifs sur le niveau d'une activité que le fait que le chef d'un service spécialisé soit immédiatement subordonné à un directeur. La Cour l'a décidé de manière concluante dans les arrêts du 7 avril ( 3 ) et du 16 juin ( 4 ).
En outre, il serait surprenant que le requérant ne se soit pas défendu plus tôt contre le classement de son service et n'ait pas demandé une amélioration de sa position dans la grille. Il ne l'a sans doute pas fait parce que, dans le cas contraire, il aurait dû faire remarquer en même temps que sa nomination au poste de chef de service spécialisé en 1966 serait intervenue au mépris des dispositions relatives aux promotions et serait donc illégale. Mais s'il n'a pas fait valoir antérieurement une demande de classement, c'est surtout parce qu'il savait très bien que «l'autorité investie du pouvoir de nomination n'était pas obligée de lui attribuer un grade autre que celui qui correspond… à l'emploi auquel elle l'a formellement affecté» (comme le dit un arrêt du 17 décembre 1964 ( 5 ).
En réalité le problème posé dans notre cas découle d'un autre point de vue. Il se rattache au fait qu'en 1968, le service spécialisé «Études de développement» a été transformé en une division. C'est cet acte d'organisation sur lequel le requérant fonde sa demande de classement en prétendant qu'il s'est agi d'une simple revalorisation de son emploi.
Si l'on réfléchit à la question de savoir si une rectification du classement peut être justifiée de cette manière, il ne paraît sans doute pas possible d'objecter, comme le fait la Commission, que cela n'aurait été possible qu'après l'entrée en vigueur du nouveau statut des fonctionnaires et dans le cadre de la titularisation. La jurisprudence, en tout cas, ( 6 ) ne contient pas de semblables restrictions, bien qu'elles pourraient se justifier par le motif que, sans elles, les dispositions relatives à la promotion, qui doivent protéger d'autres fonctionnaires, pourraient être facilement tournées au moyen d'une valorisation d'emplois. De même la référence de la Commission à la nécessité d'organiser ses services, à la suite de la fusion des exécutifs et en conformité avec un nouveau tableau des effectifs ne semble pas apporter d'éléments décisifs pour permettre de juger les prétentions du requérant. En effet, cette réorganisation n'a eu manifestement aucune influence sur la direction générale VIII qui était et est demeurée exclusivement compétente pour les matières relevant du traité C.E.E.
Ce sont plutôt d'autres considérations qui détermineront la solution de notre cas. D'une part, comme cela a été souligné au cours de la procédure, il n'est pas possible d'exclure que la transformation en division du service spécialisé «Études de développement» découle de l'intention de la Commission d'accorder à l'avenir à cette unité administrative une importance politique accrue et des fonctions d'une plus grande portée. Le fait que la transformation ait été effectuée malgré la diminution simultanée du nombre total des postes A 3 mis à la disposition de la Commission plaide en faveur de cette thèse. D'autre part il n'est pas possible de dire que la modification de l'unité administrative «Études de développement» se soit bornée à revaloriser un seul emploi. Dans l'organigramme qui nous est présenté, nous relevons qu'un poste a été ajouté à cette unité administrative, ce qui signifie une transformation considérable de son organisation. Son infrastructure personnelle, fût-elle demeurée inchangée, l'accroissement du nombre de ses postes A qui confie en plus au chef de service la surveillance d'un fonctionnaire de grade A 4, ne permettent pas de parler d'une simple revalorisation du poste de chef de service.
Ainsi la condition déterminante pour la demande du requérant fait-elle défaut. Nous devons reconnaître que la Commission a refusé à bon droit de lui donner automatiquement le poste nouvellement créé et qu'il n'est pas possible de critiquer le fait qu'elle ait mis le poste au concours conformément à l'article 29 du statut des fonctionnaires.
2— La situation juridique du requérant a-t-elle été affectée?
En second lieu, le requérant fait valoir que la Commission a porté préjudice à sa position juridique d'une manière illicite en l'affectant au poste d'administrateur principal dans la division «Études de développement» nouvellement créée.
En effet, il est indéniable que le requérant a subi certains désavantages du fait de la décision susmentionnée, surtout en ce qui concerne sa position hiérarchique. Alors que précédemment il dépendait directement d'un directeur, il voit maintenant un chef de division devenir son supérieur et alors qu'antérieurement il possédait une certaine compétence à l'égard du personnel du service, dont la composition n'a pas changé, ces compétences sont maintenant exercées par le chef de division.
Toutefois, cela ne signifie pas encore qu'il s'agisse de la lésion d'un droit que la Cour de justice puisse sanctionner. Comme nous l'avons vu, la direction «Politique et études de développement» a connu une restructuration, une réorganisation, c'est-à-dire une opération pour laquelle l'administration dispose, selon la jurisprudence de la Cour, d'un pouvoir discrétionnaire et dans l'exercice duquel elle doit s'inspirer en premier lieu des nécessités du service. A cet égard, il était parfaitement possible de porter atteinte aux positions des fonctionnaires employés dans l'unité administrative en question, en modifiant leur compétence et l'importance de leurs fonctions, car aucun fonctionnaire n'a droit en pareil cas au maintien de son poste et des chances de carrière qui y sont attachées. Le critère décisif est donc de savoir si, à cette occasion, il est porté atteinte au statut d'un fonctionnaire. Ce n'est pas le cas lorsque celui-ci s'est vu attribuer une activité (c'est-à-dire un emploi) correspondant à son grade, car le statut, aux articles 5 et 7, ne lui accorde que ce droit.
Mais le requérant s'est vu attribuer le poste d'administrateur principal, c'est-à-dire une activité qui, selon la description des emplois de la Commission, équivaut à celle de chef d'un service spécialisé et il n'a pas démontré qu'en réalité des tâches d'un niveau inférieur lui avaient été confiées; il n'est donc pas possible de parler d'un préjudice porté à sa position juridique ni d'une rétrogradation. Par conséquent, il ne peut être question d'annuler la décision du 12 juin 1968.
En définitive, il reste donc que les conclusions principales ne peuvent avoir aucune chance de succès.
II — Les conclusions subsidiaires
Partant de l'hypothèse exacte — comme nous l'avons constaté — qu'après la transformation du service spécialisé «Études de développement» en une division, le requérant ne possède aucun droit au poste nouvellement créé de chef de division et que ce poste a été pourvu conformément à l'article 29 du statut des fonctionnaires, le requérant fait valoir les arguments suivants :
1— Le déroulement incorrect de la procédure de nomination
A ce propos nous avons entendu dire au cours du procès que la Commission a affecté, donc promu, un autre fonctionnaire A 4 de la direction générale VIII au poste de chef de la division «Études de développement». Selon l'article 45 du statut une telle promotion exige l'appréciation des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont fait l'objet. Le requérant doute cependant qu'avant de prendre la décision de promotion, la Commission ait recueilli des informations suffisantes, sûres et telles que l'on puisse parler d'éléments d'appréciation comparables. Il estime en tout cas qu'elle n'a pas procédé à l'examen comparatif nécessaire du dossier individuel, des rapports annuels et de la personnalité des concurrents.
La Commission nous a fourni tous les détails sur le déroulement de la procédure de promotion. Selon ses déclarations, 10 candidatures sur formulaires administratifs ont été présentés pour le poste vacant et ont été adressées aux membres de la Commission après un examen de la direction générale administration. En outre, les membres de la Commission auraient eu à leur disposition les rapports annuels concernant les candidats et leurs dossiers personnels. La décision aurait été prise après examen des rapports, sur la base d'une proposition du chef de la direction générale VIII et après les explications que deux membres de la Commission auraient données sur les différents candidats. C'est en effet ce qui ressort aussi du texte du procès-verbal de la réunion de la Commission du 17 juillet 1968.
Notre conviction est que cela devrait répondre aux conditions auxquelles la procédure de promotion est soumise selon l'article 45 du statut et la jurisprudence que la Cour a élaborée à ce sujet. Certes, on peut douter que tous les membres de la Commission aient eu réellement connaissance de tous les éléments qui étaient nécessaires pour fonder leur décision, car le procès-verbal susmentionné dit seulement qu'ils ont disposé des rapports et des dossiers personnels. Mais, comme d'autre part, il a été dit que deux commissaires avaient fourni oralement les informations nécessaires sur les différents candidats, l'hypothèse que les informations données ont été complètes et correctes apparaît défendable tant qu'il n'y aura pas d'indices contraires. Étant donné cette situation, il ne nous semble notamment pas nécessaire d'entreprendre des recherches, comme le requérant le demande, sur le contenu des informations communiquées pour être tout à fait certains qu'elles ne contenaient pas d'erreurs, de même il ne nous paraît pas nécessaire d'insister sur la production du dossier du fonctionnaire promu, comme le demande le requérant, afin de constater s'il contient un curriculum vitae détaillé. Pour apprécier la requête, il suffit de constater que le dossier du requérant contient un curriculum vitae très détaillé, ce qui donne la garantie que les commissaires ont eu connaissance de tous les éléments intéressants relatifs à sa personne.
Par conséquent, il manque effectivement des éléments pour annuler la décision de promotion du 17 juillet 1968 en raison de l'insuffisance de l'examen comparatif des candidats.
2— Le détournement du pouvoir
En deuxième lieu, le requérant fait valoir à l'appui de ses conclusions subsidiaires que l'attribution du poste de chef de la division «Études de développement» à un autre fonctionnaire constitue un détournement de pouvoir. Pour justifier ce grief, il énumère une série d'indices. Il fait état de son activité professionnelle antérieure, de ses titres universitaires, du fait qu'il a dirigé depuis trois ans déjà l'unité administrative «Études de développement» que, d'après les appréciations toujours meilleures de ses supérieurs, il possède toutes les capacités nécessaires à cet effet du fait, enfin, qu'il est plus âgé et plus ancien dans le service (dans le grade 4 et à la direction générale VIII). Il déclare en outre que la nomination de l'autre fonctionnaire a été décidée avant la déclaration de vacance du poste, donc que cette déclaration et le choix n'ont été faits que pour la forme.
Au sujet de ce grief, nous voudrions dire tout d'abord qu'en effet il paraît compréhensible, lorsque l'on revalorise une unité administrative, de confier la direction du nouveau service à celui qui l'a déjà assumée avec succès, ce qui est exact pour le requérant d'après les diverses appréciations de ses supérieurs. (Nous renvoyons à ce sujet aux rapports qui font ressortir que le requérant est apte à remplacer le chef de division, ou à diriger des unités administratives importantes.) Comme les parties l'ont exposé au cours des débats, telle est manifestement la pratique administrative dans des cas analogues. Cependant soulignons tout de suite qu'il n'existe aucun droit à l'adoption de ces mesures; elles sont prises, au contraire, en vertu d'un pouvoir d'appréciation de l'autorité investie du pouvoir de nomination, dont l'exercice dépend essentiellement des capacités des différents candidats. En outre, la personnalité, la conduite dans le service et d'autres éléments renfermant des jugements de valeur interviennent. Comme vous l'avez déjà maintes fois relevé dans votre jurisprudence, nous ne pouvons pas procéder nous-mêmes à ces appréciations, c'est-à-dire répondre à la question de savoir qui était le meilleur candidat, parce que la Cour n'a pas la possibilité de se mettre à la place de l'administration. Tout au plus serait-il possible de constater en examinant les éléments d'une décision qu'il s'agit manifestement d'une appréciation inexacte. En l'espèce, cependant, il ne peut certainement pas s'agir de cela. En effet, à l'instigation du requérant, la Commission nous a présenté une série de rapports sur le candidat désigné. Leur lecture donne l'impression qu'il s'agit d'un excellent fonctionnaire qui était du reste entré dans les services de la Commission avant le requérant et qui, après une activité de plusieurs années en qualité d'assistant du chef de la direction générale VIII, est sans doute aussi apte que le requérant à diriger la division «Études de développement» nouvellement créée. Ainsi, en ce qui concerne les aspects traités jusqu'ici, il n'y a donc réellement pas lieu de parler d'un détournement de pouvoir.
En revanche, notre attitude pourrait être différente lorsque le requérant affirme que la nomination de cet autre fonctionnaire avait été décidée avant la déclaration de vacance. Le chef de la direction générale VIII et le membre de la Commission qui a fait le rapport devant celle-ci sur les candidatures auraient fait des promesses en ce sens. Le fait que le requérant ait déjà été mentionné en tant que chef de la division «Études de développement» dans un document de travail du 7 février 1968, destiné aux chefs de cabinet, justifierait en tout cas cette conclusion. D'autres cas nous auraient permis d'apprendre que la Commission suit en général les propositions des chefs de cabinet. Enfin, la hâte avec laquelle le nouveau poste a été pourvu plaiderait en faveur de l'hypothèse du requérant, car cela a été fait sans que la Commission ait répondu au préalable à la réclamation du requérant relative à son classement.
Lorsque l'on considère ces arguments de plus près, il apparaît cependant qu'ils n'apportent pas d'éléments utiles pour la cause du requérant.
Il y a tout d'abord la promesse de nomination dont l'agent de la Commission a dit au cours de la procédure qu'il n'en a pas connaissance et que son existence doit donc être contestée; certes, on pourrait avoir l'impression que le chef de la direction générale VIII a fait de pareilles déclarations. On pourrait le déduire du document de travail déjà mentionné du 7 février 1968, dans lequel l'organisation future de la Commission a été préparée sur la base de propositions des directions générales relatives aux postes à pourvoir. Toutefois, la Commission indique à juste titre que le nom du candidat promu ultérieurement a également été cité à propos d'un autre emploi et qu'il ne peut s'agir en tout cas que d'une possibilité que le directeur général a fait entrevoir, cela d'une part parce que, à l'époque, le budget de l'année 1968 n'étant pas encore établi, le nombre de postes que le Conseil devait approuver n'était pas encore connu et, d'autre part, parce que le directeur général ne possède pas une compétence de décision en pareil cas. En outre, le requérant a seulement allégué des promesses d'un membre de la Commission, sans citer d'indices qui devraient donner lieu à une plus vaste instruction. En dernière analyse, ces promesses elles-mêmes seraient, à vrai dire, sans importance, parce qu'elles ne peuvent pas lier l'autorité investie du pouvoir de nomination, compétente pour les fonctionnaires de la catégorie A, c'est-à-dire l'ensemble des membres de la Commission, qui étaient en tout cas tenus de statuer après avoir apprécié tous les éléments qui leur étaient soumis. Enfin, le fait que le poste ait été pourvu relativement vite ne donne pas lieu non plus à une critique fondée. Certes, on peut estimer avec le comité central du personnel et l'administration de la Commission qu'une mise au concours des postes vacants dans l'été 1968 est difficilement conciliable avec la nécessité d'examiner les réclamations de fonctionnaires auxquels d'autres postes ont été affectés à la suite de la restructuration. Nous n'y verrions pourtant pas un détournement de pouvoir, d'une part, parce que, selon les indications de la Commission, telle a été la procédure dans toute une série de cas (c'est-à-dire lorsque sept autres postes de chef de division ont été pourvus) et, d'autre part, parce qu'en l'espèce, jusqu'au 17 juillet 1968 (jour de la nomination du chef de la division «Études de développement»), la Commission disposait du temps suffisant pour examiner la réclamation du requérant du 24 juin 1968. Faute d'indices suffisants, le grief de détournement de pouvoir doit donc être rejeté comme non fondé.
3— L'absence de motifs
Par un troisième grief qui, du reste, a été présenté pour la première fois dans la réplique, le requérant fait enfin valoir que la Commission n'a donné aucun motif en faveur de la décision attaquée. Comme il se fonde ici sur la jurisprudence constante selon laquelle les décisions de promotion n'ont pas à être motivées, le sens qu'il entend donner à sa critique n'est pas que la décision manque d'une motivation formelle, il estime plutôt qu'en prenant la décision la Commission a omis de préciser ses motifs dans le procès-verbal de la réunion et a ainsi rendu le contrôle judiciaire impossible.
Si l'on affirme que le grief est recevable compte tenu du fait que la Commission n'a présenté des extraits du procès-verbal de la réunion que dans son mémoire en défense, il y a tout de même lieu de faire remarquer ceci à propos de son contenu: nous avons déclaré à plusieurs reprises que l'autorité investie du pouvoir de nomination prend les décisions de promotion après l'examen d'un grand nombre d'aspects et après toutes sortes de jugements de valeur. L'examen de l'aptitude à un poste déterminé constitue, notamment, une opération complexe à laquelle la Cour de justice ne peut pas procéder elle-même et dont elle ne peut pas, par conséquent, contrôler les détails. Mais puisqu'il en est ainsi, il n'est pas raisonnable d'exiger de l'autorité investie du pouvoir de nomination qu'elle en rende compte en détail dans le procès-verbal de réunion ou au cours de la procédure devant la Cour. L'absence dans le procès-verbal de réunion de la Commission d'une analyse approfondie des mérites des candidats à la promotion ne justifie donc pas la constatation que la décision prise n'a pas de motifs. Une telle constatation ne se justifierait que si le requérant avait démontré qu'il est impossible d'apercevoir des raisons objectives en faveur de la décision attaquée. Le requérant n'a pourtant pas tenté de le faire. D'après les éléments de la décision qui sont parvenus à notre connaissance, cette tentative aurait d'ailleurs difficilement pu être couronnée de succès. Nous en restons donc à la conclusion que la décision attaquée peut être maintenue.
III — Résumé
Sans que nous estimions nécessaire de procéder à une instruction plus poussée, nous voudrions formuler les conclusions suivantes :
La requête doit être entièrement rejetée comme non fondée, en ce qui concerne tant les conclusions principales relatives au classement du requérant et à son affectation à un autre poste que les conclusions subsisdiaires, relatives à la décision de promotion du 17 juillet 1968.
En conséquence, le requérant doit supporter ses dépens, conformément aux articles 69 et 70 du règlement de procédure.
( 1 ) Traduit de l'allemand.
( 2 ) Affaire 10-64, Recueil, XI-5-1965, p. 7.
( 3 ) Affaire 28-64, Recueil, XI-1965, p. 307.
( 4 ) Affaire 48-64 et 1-65, Recueil, XI-1965, p. 465.
( 5 ) Affaire 102-63, Recueil, X-1964, p. 1346.
( 6 ) Voir les arrêts du 8 juillet 1965, affaire 49-64, Recueil, XI-1965, p. 661, et du 14 juillet 1965, affaire 46-64, Recueil, XI-1965, p. 999.