Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 23 octobre 1968 ( 1 )

Sommaire

 

Introduction (exposé des faits, conclusions des parties)

 

Discussion juridique

 

A — Quant à la recevabilité

 

I — Conditions de forme exigées pour la requête

 

1. La désignation d'une personne autorisée à recevoir les significations

 

2. La désignation du requérant

 

3. La désignation de la partie contre laquelle le recours est formé

 

4. Exposé des moyens

 

II — Autres conditions de recevabilité

 

1. L'Ufficio a-t-il le droit d'agir en justice?

 

a) Le gouvernement italien est-il seul habilité à agir en justice?

 

aa) Domaine d'application de l'annexe F

 

bb) Quels sont les rapports existant entre l'annexe F et le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés?

 

2. Le droit d'agir en justice appartient-il à l'Ufficio ou seulement au maire de la commune d'Ispra, ou éventuellement à l'entreprise chargée de percevoir les impôts?

 

3. Observation du délai de recours

 

4. Modification des conclusions

 

III — Résumé

 

B — Quant au fond

 

C — Conclusions

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

L'affaire dans laquelle nous prononçons aujourd'hui nos conclusions porte sur la définition des privilèges et immunités dont jouit la Commission pour son Centre de recherches nucléaires d'Ispra. A cet effet, il importe de connaître les faits suivants.

Le Centre de recherches nucléaires d'Ispra (institué par la Commission comme un établissement du Centre commun de recherches nucléaires, conformément à l'article 8 du traité de l'Euratom) a construit sur le terrain où il exerce ses activités dans la commune d'Ispra un «Club House» ainsi que des installations sportives (courts de tennis, installations balnéaires) à l'usage de ses fonctionnaires, avec des fonds de la Communauté prévus dans le budget de recherches. Le bureau des impôts de consommation de la commune d'Ispra («Ufficio Imposte di Consumo») estime qu'il y a lieu de percevoir un impôt communal de consommation sur les matériaux de construction utilisés à cet effet, conformément à l'article 30 du décret italien no 1175 du 14 septembre 1931. Afin de pouvoir établir l'assiette de l'impôt (la perception de celui-ci appartient à une société privée mandatée à cet effet — l'«appaltatore» — (conformément à l'article 76 du décret no 1175, l'Ufficio Imposte di Consumo a voulu confier à un technicien délégué par la commune en vertu de l'article 47 du décret no 1138 du 30 avril 1936 le soin d'établir la valeur des matériaux de construction utilisés. C'est ce qu'il a communiqué à l'administration du Centre de recherches nucléaires par lettre du 5 octobre 1965, dans laquelle il fixait le jour de la visite au 12 octobre.

Mais l'administration du Centre n'a pas donné son accord. Par une lettre du 8 octobre 1965 (dont copie a été expédiée au ministère italien des affaires étrangères), elle a répondu à l'Ufficio qu'en vertu du protocole sur les privilèges de la Communauté et en vertu de l'annexe F à l'accord entre le gouvernement italien et la Communauté européenne de l'énergie atomique pour l'institution d'un Centre commun de recherches nucléaires, signé à Rome le 22 juillet 1959, les autorités italiennes ne pouvaient intervenir à l'intérieur du Centre sans le consentement de la Commission. L'administration du Centre allait donc saisir la Commission et répondrait ultérieurement à l'Ufficio Imposte di Consumo. C'est ce qu'elle a fait par une lettre du 9 novembre 1965 (dont copie a également été expédiée au ministère italien des affaires étrangères). Aux termes de cette lettre, il apparaissait qu'après avoir demandé l'avis de la Commission, le point de vue de la Communauté était que les matériaux de construction utilisés pour les installations litigieuses étaient exonérés d'impôt. En conséquence, la prétention à pouvoir procéder à leur évaluation n'était pas fondée juridiquement, de sorte qu'il n'était pas possible d'autoriser l'accès aux installations. Au demeurant, selon les dispositions applicables, les locaux de la Communauté ne pouvaient être l'objet d'aucune mesure de contrainte administrative sans une autorisation de la Cour de justice.

L'Ufficio Imposte di Consumo n'a pas voulu en rester là. Il a donc engagé une procédure judiciaire par un mémoire enregistré au greffe le 25 janvier 1968. Dans celui-ci, il demande tout d'abord «que soit levée l'interdiction opposée au technicien délégué par la commune d'Ispra de procéder à l'évaluation des matériaux utilisés pour la construction des installations en question». Les conclusions de la réplique sont formulées en termes différents: le bureau demande que soit annulée la décision de la Commission et qu'il soit fait droit à sa demande visant l'autorisation de procéder à une évaluation.

Par contre, pour toute une série de raisons, la Commission estime que le «recours» (c'est ainsi qu'elle appelle la demande introduite) est irrecevable. C'est en ce sens qu'elle présente ses conclusions à titre principal. A titre subsidiaire, elle demande que soit rejetée la demande de l'Ufficio comme non fondée.

Ces faits, que nous aurons encore l'occasion de préciser au cours de notre exposé, feront maintenant l'objet d'une discussion juridique.

A — Quant à la recevabilité

Il est tout d'abord indispensable d'examiner les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la Commission ainsi que celles qui doivent être relevées d'office. Elles concernent les points suivants.

I — Conditions de forme exigées pour la requête

Conformément à l'article 38 de notre règlement de procédure, la requête doit remplir une série de conditions de forme: elle doit contenir la désignation du requérant et de la partie contre laquelle la requête est formée, un exposé sommaire des moyens invoqués, une élection de domicile et, lorsqu'il s'agit de personnes morales de droit privé, la preuve qu'elles sont régulièrement représentées (le reste ne nous intéresse pas ici). Il est à noter à propos de ces conditions que le greffier a estimé que la désignation de la personne autorisée à recevoir les significations pouvait susciter des objections en l'espèce; la Commission, quant à elle, estime que les autres conditions susvisées ne sont pas remplies. En outre, elle fait valoir l'absence d'un mandat ad litem.

Si nous nous attardons un instant sur ces questions préliminaires, fastidieuses mais néanmoins indispensables, nous devons tout d'abord laisser de côté la question de savoir si nous nous trouvons effectivement en présence d'un recours ou d'une autre mesure saisissant la Cour; en effet, l'objet du litige étant ce qu'il est, on peut estimer que dans tous les cas les dispositions des articles 37 et 38 de notre règlement de procédure relatives à l'introduction d'une procédure judiciaire sont applicables, tout au moins par analogie. Voyons donc plus en détail de quoi il s'agit.

1. La désignation d'une personne autorisée à recevoir les significations

La «requête» elle-même — pour en rester provisoirement à cette qualification — contient élection de domicile au lieu où la Cour a son siège. Étant donné que cela n'est pas possible, comme le fait ressortir clairement le texte de l'article 38, paragraphe 2, du règlement de procédure (comme on le sait, celui-ci exige la désignation d'une personne autorisée à recevoir les significations et la déclaration qu'elle y a consenti), le greffier, conformément à l'article 38, paragraphe 7, du règlement de procédure, a fixé à l'Ufficio un délai expirant le 9 février 1968 pour désigner une personne habilitée à recevoir les significations. A la suite de quoi, le secrétaire de l'Ordre luxembourgeois des avocats a été désigné en cette qualité, mais seulement par télégramme, parvenu à la Cour le 22 février.

Nous nous trouvons ainsi devant la question de savoir si cette circonstance oblige à déclarer le recours irrecevable, conformément à l'article 38, paragraphe 7, du règlement de procédure. Nous ne le croyons pas.

En effet, on peut estimer que la désignation tardive d'une personne autorisée à recevoir les significations n'entraîne pas l'irrecevabilité de la requête, tout au moins lorsque la procédure n'a pas été retardée de ce fait. Or, c'est ce qui s'est produit en l'espèce, le mémoire en défense, pour la signification duquel l'élection de domicile est nécessaire, n'ayant dû être introduit que le 20 mars. D'ailleurs, il convient également de tenir compte du fait que le délai fixé par le greffier était extrêmement court et que la désignation d'une personne habilitée à recevoir les significations n'est pas une formalité courante pour les demandeurs de tous les États membres.

2. La désignation du requérant

En ce qui concerne la désignation du requérant, comme la Commission le souligne à bon droit, son identification correcte sur la base de la requête pouvait effectivement présenter certaines difficultés. S'il est vrai que la requête est signée par le directeur de l'«Ufficio Imposte di Consumo di Ispra», néanmoins, à côté de cette signature est apposé un cachet portant la mention «Ufficio Imposte Consumo Ispra, srl, D.O.R.I.C.A. Novara», ce qui pourrait être une référence à la société à laquelle la commune d'Ispra a concédé la perception des impôts communaux de consommation.

Toutefois, le contenu global de la requête devrait permettre une identification suffisante du requérant. C'est ainsi que, d'après la requête, l'Ufficio s'est adressé à l'administration du Centre. Plus loin, il est question d'une lettre du Centre de recherches du 9 novembre 1965 adressée au requérant. Il s'agit là d'une lettre qui était effectivement adressée à l'Ufficio. Enfin, il est dit dans les motifs que l'Ufficio est convaincu, etc.

Il est donc bien établi (ce qui, au demeurant, est encore expressément souligné dans la réplique) que c'est l'Ufficio Imposte di Consumo di Ispra, c'est-à-dire un organe de la commune, qui a intenté le procès. En outre, il est clair que l'Ufficio a agi en son nom propre et non au nom de la personne morale de droit privé chargée de percevoir les impôts et avec laquelle le directeur de l'Ufficio Imposte di Consumo semble entretenir également des rapports de droit privé. Ainsi, les objections de la Commission à propos de l'article 38, paragraphe 5, du règlement de procédure, c'est-à-dire de la nécessité de prouver que la personne morale de droit privé est régulièrement représentée, apparaissent également sans valeur (comme on le sait, cette preuve est fournie par les statuts de la société, un extrait du registre de commerce et un mandat ad litem, alors qu'autrement, suivant la pratique adoptée par la Cour, en raison du silence du règlement de procédure, la production d'un mandat ad litem n'est pas indispensable).

3. La désignation de la partie contre laquelle le recours est formé

La requête ne désigne pas expressément la partie contre laquelle le recours est formé.

Au contraire, elle commence par désigner l'objet du litige en parlant du refus opposé par l'administration du Centre de laisser procéder à l'évaluation des matériaux utilisés pour la construction des installations qui nous intéressent, et dans les motifs elle rappelle que l'administration du Centre invoque à tort les privilèges dont bénéficie la Communauté.

Or, ici aussi, il semble hors de doute, d'après le contenu global de la requête, que c'est en réalité la Commission, et c'est bien à elle qu'a été signifiée la requête, qui doit être considérée comme la partie adverse et non pas le Centre de recherches nucléaires, qui n'a pas la capacité d'être partie en justice. En effet, la requête renvoie à une lettre de l'administration du Centre du 8 octobre 1965, où il est question de la nécessité d'obtenir une autorisation de la Commission pour accéder aux installations du Centre de recherches, ainsi qu'à une autre lettre de l'administration du Centre d'où il ressort clairement que la Commission ayant été saisie, c'est elle qui estime que la demande du requérant n'est pas fondée.

En conséquence, il est clair (et cela des avant la réplique, qui le souligne en termes exprès) que la demande de révocation du refus a été formulée compte tenu du refus opposé par la Commission. Ainsi la nécessité d'interpréter la requête, à l'exemple des affaires 27-63 et 28-64, dans un sens qui n'avait pas été voulu en premier lieu, disparaît, elle aussi.

4. Exposé des moyens

Enfin, il y a lieu ici de dire encore quelques mots sur l'exposé des moyens qui, selon la Commission, est, lui aussi, insuffisant.

Or, ici non plus, nous ne pouvons partager son opinion. Il ressort clairement de la procédure antérieure qu'à l'appui de son point de vue, la Commission elle-même s'est limitée à invoquer l'immunité fiscale dont elle jouit en vertu de différentes dispositions sur les privilèges de la Communauté. Les arguments juridiques que le requérant expose dans la requête sont orientés en conséquence, c'est-à-dire qu'il procède à une interprétation des dispositions applicables, compte tenu des problèmes particuliers relatifs à sa prétention. Or, nous estimons qu'il est possible de voir là une motivation suffisante de son recours.

Ainsi, il apparaît qu'aucun des points examinés jusqu'à présent ne justifie le rejet du recours pour irrecevabilité.

II — Autres conditions de recevabilité

Toutefois, l'examen des questions de recevabilité n'est pas pour autant terminé. Bien plus, nous devons encore examiner les objections soulevées par la Commission visant la qualité de l'Ufficio à agir en justice, l'observation du délai de recours et la modification des conclusions.

1. L'Ufficio a-t-il le droit d'agir en justice?

C'est avec cette question qu'apparaissent les difficultés propres au cas d'espèce. Cette question se subdivise en plusieurs points, dont le premier nous commande d'examiner si, comme le pense la Commission, l'objet du litige peut seulement être discuté entre elle et le gouvernement italien et non des administrations italiennes subordonnées.

a) Le gouvernement italien est-il seul habilité à agir en justice?

Rappelons encore une fois de quoi il s'agit: en substance, il s'agit de l'inviolabilité des bâtiments et installations du Centre de recherches nucléaires (c'est-à-dire d'un établissement de la Commission), telle qu'elle a été garantie par le protocole [sur les privilèges et immunités de la Communauté européenne de l'énergie atomique et telle qu'elle est garantie (ce protocole ayant été abrogé par l'article 28 du traité instituant un Conseil et une Commission commune des Communautés européennes) par un nouveau protocole annexé à ce traité, ainsi que par l'annexe F à l'accord signé le 22 juillet 1959 entre la Commission et le gouvernement italien. Suivant l'opinion générale (confirmée par les dispositions expresses des articles 2, 3 et 16 de l'annexe F), l'inviolabilité signifie que l'accès aux installations protégées, en vue de procéder à des mesures de caractère administratif, n'est possible qu'avec le consentement de la Commission ( 2 ). Comme nous le savons, ce consentement a été expressément refusé. Ce dernier élément peut avoir de l'importance pour la qualification juridique du procès (nous y reviendrons). Pour le moment, cet aspect de la question ne nous intéresse pas. Ce qui nous importe au contraire, c'est le raisonnement de la Commission. Elle déclare que le refus de donner son consentement se base sur l'annexe F à l'accord conclu avec le gouvernement italien. A son avis, une telle application des dispositions relatives aux privilèges peut constituer un usage abusif. Mais l'annexe F contient à cet effet des dispositions particulières. D'une part, l'article 35 prévoit que, pour empêcher un usage abusif des dispositions de l'accord, des visites de constatation peuvent être effectuées à la demande du gouvernement italien. D'autre part, l'article 37 stipule que, si le gouvernement italien estime qu'il y a eu abus dans l'application de l'accord, les parties contractantes (c'est-à-dire la Commission et le gouvernement italien) se consultent. Enfin, l'article 40 (se référant tacitement à l'article 153 du traité d'Euratom) prévoit que la Cour de justice des Communautés européennes est seule compétente pour statuer sur tout litige relatif à l'exécution et à l'interprétation de l'accord pouvant surgir entre le gouvernement et la Commission. Selon celle-ci, il faut conclure de l'ensemble de ces dispositions que l'intention des parties contractantes était que tout litige sur l'interprétation et l'application de l'accord soit précédé par une procédure de consultation, c'est-à-dire une sorte de procédure de conciliation pouvant rendre superflue une procédure judiciaire. A son avis, il était en outre dans l'intention des parties contractantes de réserver la procédure de consultation sur le plan national au gouvernement italien (peut-être en vertu de l'idée qu'en tant que signataire de l'accord, il connaissait la volonté des parties contractantes mieux que des administrations subordonnées ne pouvaient le faire, peut-être aussi pour assurer une interprétation uniforme dès le stade de la consultation, et épargner à la Commission un grand nombre de discussions). Enfin, toujours selon la Commission, la volonté manifeste des parties contractantes était de concentrer aussi entre les mains du gouvernement, sur le plan national, la controverse judiciaire, après l'échec de la tentative de conciliation.

En fait, il n'est pas possible de nier qu'il s'agit là d'une interprétation cohérente et judicieuse de l'annexe F. Mais pour qui l'admet, il est impossible de ne pas constater en l'espèce certains problèmes de recevabilité du fait que les consultations nécessaires n'ont pas eu lieu et du fait que le recours a été intenté par une administration communale.

Toutefois, ce serait aller trop vite en besogne que de vouloir déjà conclure à l'irrecevabilité du recours.

En effet, il n'est pas facile de voir si l'annexe F s'applique également aux installations actuellement en litige et, en outre, il faut se demander quels sont les rapports existant entre l'annexe F et le protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté, lequel ignore manifestement l'obligation de procéder à des consultations et ne réserve pas expressément aux gouvernements et aux institutions de la Communauté les litiges portant sur son interprétation. Voyons donc quelles sont les considérations auxquelles on aboutit, en examinant ces points.

aa) Domaine d'application de l'annexe F

L'article 1 de l'annexe F prévoit expressément que l'inviolabilité… s'applique au Centre «tel qu'il est défini, individualisé et clôturé, comme indiqué dans les tables, descriptions, plans et documents figurant à l'annexe I qui fait partie intégrante du présent accord». S'il est vrai que le requérant n'a pas invoqué cette disposition, elle devait toutefois s'imposer lors de l'étude du dossier, car elle pouvait donner à penser que les signataires de l'accord avaient entendu délimiter géographiquement le domaine d'application de l'annexe F, ce qu'autorisait notamment le renvoi à des plans et descriptions. C'est la raison pour laquelle, dans une ordonnance du 11 juillet 1968, la Cour a demandé à la Commission où en était l'exécution de cette disposition, c'est-à-dire l'établissement de descriptions, plans, etc. Nous avons appris par la suite que ces descriptions et plans n'avaient jamais été établis. Dans ces conditions, on doit se demander ce qui en résulte pour le cas d'espèce.

A notre avis, il n'est certes pas possible de contester purement et simplement l'applicabilité de l'annexe F, aussi longtemps que la délimitation géographique de son domaine d'application fait défaut. En effet, un an après la signature de l'accord, l'Italie a adopté une loi de ratification (no 906 du 1er août 1960), qui a procédé à la réception en droit italien de l'accord, lequel a été depuis lors, semble-t-il, régulièrement appliqué. Il faut également refuser avec la Commission de considérer comme décisive, par voie d'interprétation, la délimitation géographique de l'ancien Centre de recherches italien : en effet, cette délimitation existait déjà avant la signature de l'accord (celui-ci aurait donc pu s'y référer expressément si telle avait été l'intention des signataires) et, en outre, il semble bien établi que certains établissements techniques essentiels du Centre de recherches, auxquels s'applique certainement l'accord, sont situés en dehors de cette délimitation primitive.

C'est la raison pour laquelle la seule interprétation raisonnable est d'admettre qu'en l'absence de délimitation géographique, les critères fonctionnels devraient être déterminants pour l'application de l'annexe F. En d'autres termes, l'annexe F s'applique à toutes les installations du Centre de recherches qui contribuent à son «fonctionnement». Mais [alors on ne peut pas exclure a priori son application aux installations actuellement contestées.

Il n'est pas nécessaire pour le moment d'en dire davantage sur cette question; nous y reviendrons en détail lors de l'examen au fond qui porte effectivement sur la question de savoir ce qu'il faut entendre par «fonctionnement», pour interpréter les privilèges fiscaux.

bb) Quels sont les rapports existant entre l'annexe F et le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés?

Examinons plutôt l'autre question, celle de savoir quels sont les rapports entre l'annexe F et le protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté (peu importe d'ailleurs, étant donné que le contenu reste le même, qu'il s'agisse de l'ancien protocole du traité d'Euratom ou du protocole commun actuellement en vigueur).

Nous croyons qu'il est facile de trouver une réponse à cette question. A notre avis, ces rapports devraient être qualifiés de la même manière que ceux existant entre la «Convention on the privileges and immunities of the United Nations» du 13 février 1946 et le «Headquarters agreement», qui a été conclu entre l'O.N.U. et les États-Unis le 26 juin 1947, ou ceux existant entre l'accord sur les privilèges octroyés aux organisations spécifiques des Nations unies et l'accord conclu entre la FAO et l'Italie en 1951; en d'autres termes, les accords spécifiques conclus avec les États dans lesquels les organisations ont leur siège doivent être respectivement considérés comme des «leges speciales» qui, en cas de doute, sont prioritaires ( 3 ). L'examen du protocole commun fournit également des arguments valables en faveur de cette thèse. Non seulement il saute aux yeux que ce protocole est relativement peu détaillé, c'est-à-dire énonce surtout des principes qui demandent à être précisés. Mais encore, en différents endroits, il renvoie plus ou moins clairement à des dispositions complémentaires; il s'agit, par exemple, de l'article 3, aux termes duquel les gouvernements des États membres prennent «les dispositions appropriées», ou, ce qui est encore plus significatif, de l'article 19 (anciennement article 18) selon lequel : «Pour l'application du présent protocole, les institutions de la Communauté agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés». Dans ces conditions, il semblerait que soit justifiée l'adoption non seulement de dispositions complémentaires concernant le fond, mais encore de dispositions concernant la procédure, et ce d'autant plus que le protocole sur les privilèges et immunités ne prévoit nulle part en termes exprès le droit pour les autorités ou les personnes privées de saisir la Cour (si on fait abstraction de la demande d'autorisation mentionnée à l'article 1 pour les mesures de contrainte administrative, ce qui ne semblerait toutefois pas entrer en ligne de compte en l'espèce, car il ne s'agit pas de ce genre de mesures).

Il ressortirait donc de tout cela qu en raison des dispositions de l'annexe F (les dispositions prévoyant des consultations n'ont pas été observées, le gouvernement italien n'a pas agi), le recours intenté par l'Ufficio devrait être considéré comme irrecevable.

Or, comme nous nous trouvons ici en présence de questions complexes, dont la réponse peut, certes, donner lieu à contestation, nous n'interromprons pas ici notre examen, mais nous nous demanderons encore à titre subsidiaire quelle serait la voie à suivre si l'annexe F ne faisait pas obstacle à la recevabilité.

2. Le droit d'agir en justice appartient-il à l'Ufficio ou seulement au maire de la commune d'Ispra, ou éventuellement à l'entreprise chargée de percevoir les impôts?

La question se pose dès lors de savoir si, en fait, l'Ufficio représenté par son directeur a le droit de saisir la Cour et d'entamer une procédure indépendante. Comme vous le savez, la Commission estime que l'Ufficio n'a pas ce pouvoir, que le droit d'agir en justice appartient soit au maire en tant que représentant de la personne morale qu'est la «commune», et cela suivant une résolution du conseil municipal et avec l'autorisation du Consiglio provinciale, soit (lorsque les impôts sont perçus par un «appaltatore») à l'entreprise mandatée à cet effet (éventualité, il est vrai, que nous pouvons maintenant écarter, puisque la réplique déclare expressément que le directeur de l'Ufficio n'agit pas en tant que représentant de l'«appaltatore»).

Il s'agit là d'un problème complexe de droit national, difficile à résoudre pour qui ne connaît ni le droit communal ni le droit fiscal italien. Toutefois, si nous voulons résoudre ce problème, nous devrions nous garder d'entrer dans les détails de la querelle qui oppose les auteurs nationaux, contrairement à ce que suggère la Commission, et nous demander surtout (comme le fait le juge national lorsqu'il applique du droit étranger sur la base du droit international privé ( 4 ) s'il existe en Italie une jurisprudence fixe, afin de nous y rallier. De cette façon, la solution du problème actuel ne semble pas être excessivement difficile.

En effet, depuis un arrêt rendu en 1958 par les chambres réunies de la Cour de Cassation italienne, il a été constamment admis dans la jurisprudence de cette instance suprême que l'Ufficio Imposte di Consumo de la commune, représenté par son directeur, peut (bien que facultativement à côté de l'«appaltatore») être défendeur dans un procès qui a pour objet une injonction fiscale émise par lui, donc également, semble-t-il, lorsque le procès a pour objet l'existence de la dette fiscale ou une exonération d'impôt (voir les arrêts rendus par la Cour de Cassation italienne les 9 mars 1957 et 6 mai 1959). On peut déjà en conclure qu'il faut de même admettre la capacité pour l'Ufficio Imposte di Consumo d'être partie en justice lorsque celui-ci intervient en qualité de demandeur, c'est-à-dire lorsqu'il intente un procès dans l'exercice des pouvoirs que lui confère la loi (article 313 du décret 1138 du 30 avril 1936) en vue d'établir, de calculer et de percevoir les impôts. C'est en ce sens en effet qu'a été rendu un arrêt de la Cour de Cassation le 8 mars 1960 : s'il est vrai que celui-ci affirme, d'une part, que l'«appaltatore» peut poursuivre en justice un contribuable lorsqu'il s'agit de calculer le montant imposable et de percevoir l'impôt, il est dit d'autre part dans les motifs que le droit d'agir en justice, lorsqu'il s'agit de calculer le montant imposable et de percevoir l'impôt, appartient également au directeur de l'Ufficio. Étant donné cette jurisprudence claire et constante, nous n'avons certainement aucune raison d'entrer dans le détail des nuances qui séparent des doctrines divergentes (telles qu'elles sont exposées dans deux commentaires d'arrêt produits par la Commission) ; ces doctrines affirment que l'Ufficio Imposte di Consumo est seulement un organe de la commune et, partant, n'est pas une personne morale et n'est pas titulaire du droit de percevoir l'impôt; elles font en outre dépendre la capacité d'agir en justice de la question de savoir si le litige porte sur l'existence de ce droit de percevoir l'impôt (ce qui, en effet, comme nous le verrons, ne peut pas être exclu en l'espèce, vu les objections de la Commission). Nous devrions au contraire partir de l'idée que l'Ufficio est habilité à agir en justice en la personne de son directeur.

En outre, il faudrait encore rappeler que nos règles de procédure n'exigent pas de preuve particulière attestant que le directeur de l'Ufficio peut représenter celui-ci en justice. Mais si cette preuve était nécessaire, on pourrait admettre qu'elle a été apportée: en effet, nous possédons une attestation du maire d'Ispra et une licence établie par la commune, d'où il ressort que la requête a été signée par un fonctionnaire de l'Ufficio Imposte di Consumo de la commune d'Ispra et que celui-ci est habilité à calculer le montant imposable et à percevoir l'impôt.

3. Observation du délai de recours

Toujours dans le cadre des considérations subsidiaires sur la recevabilité, il faut encore examiner si le recours est irrecevable du fait que les délais impartis pour saisir la Cour n'ont pas été respectés. C'est, semble-t-il, l'opinion de la Commission, lorsqu'elle a en vue la demande de levée de la mesure ou d'annulation présentée par le requérant et considère que celle-ci a pour base juridique l'article 146 du traité d'Euratom (c'est-à-dire la règle générale pour les recours en annulation).

Toutefois, cette opinion suscite des objections sérieuses. Nous avons déjà indiqué quel est l'objet du Litige: il s'agit de l'inviolabilité des installations du Centre et de la nécessité d'obtenir le consentement de la Commission pour enfreindre cette inviolabilité, c'est-à-dire d'une «mesure» qui relève des dispositions sur les privilèges et immunités. Or, il ne nous semble pas juste d'assimiler cet acte à une décision au sens de l'article 146 et, en cas de refus, d'exiger que le recours soit introduit dans les délais prévus à cet article.

Il semblerait au contraire plus justifié de parler ici d'une demande en constatation, de considérer que le recours porte sur l'interprétation des dispositions sur les privilèges et immunités et de qualifier l'arrêt rendu dans le cadre de ce recours comme un arrêt en interprétation ou en constatation. Le fait qu'il s'agit d'une question de statut, c'est-à-dire d'un rapport permanent, milite en ce sens. De même, le fait que le protocole sur les privilèges et immunités (comme également l'annexe F de l'accord spécifique signé avec le gouvernement italien et même l'ancien protocole de la Communauté européenne du charbon et de l'acier avec sa clause d'interprétation contenue à l'article 16) ne prévoit pas de délai pour l'introduction d'un recours. Surtout, l'interprétation large que la Cour a donnée dans un cas analogue, où il s'agissait de faire valoir des demandes de dommages-intérêts sur la base de l'article 43 du statut de la C.E.E., milite dans le même sens. Comme nous le savons, en dépit du texte de cette disposition, la Cour n'a pas admis la thèse selon laquelle, en cas de rejet des demandes, le recours devait être formé dans le délai prévu à l'article 173 (qui correspond à celui que prévoit l'article 146 du traité d'Euratom) et a déclaré que seul le délai de prescription était déterminant. Si cela vaut pour les prétentions visant à une prestation importante, nous ne devrions pas nous montrer plus sévères pour les demandes en constatation et en interprétation basées sur les dispositions relatives aux privilèges et immunités.

C'est la raison pour laquelle nous ne conclurions pas à l'irrecevabilité, du fait que le recours a été introduit deux années après qu'ait été communiquée la décision de refus de la Commission (toujours à condition de pouvoir admettre le droit pour les autorités nationales de saisir la Cour, ce qui est défendable, abstraction faite des objections résultant de l'annexe F, si par voie d'analogie, on applique la disposition du protocole sur les privilèges et immunités, en vertu de laquelle quiconque peut demander à la Cour l'autorisation de procéder à des mesures de contrainte administrative à l'égard des installations communautaires) .

4. Modification des conclusions

Enfin, il convient de faire encore une brève remarque sur l'évolution des conclusions au cours de la procédure. Dans l'exposé des faits, nous avons déjà souligné qu'à l'origine, le recours visait seulement à la levée de la décision de refus et que c'est seulement dans la réplique que la conclusion visant à l'annulation de la décision de la Commission s'accompagnait d'une demande d'autorisation de procéder à des mesures de contrainte administrative. La Commission se demande s'il ne s'agit pas de l'introduction de demandes nouvelles, irrecevables conformément à l'article 42 du règlement de procédure, parce qu'introduites tardivement, et si, en admettant qu'elles soient recevables, on ne devrait pas pour le moins (par analogie avec l'article 83 du règlement de procédure) faire grief au requérant de ce que la demande d'autorisation de procéder à des mesures de contrainte administrative n'a pas été présentée par un mémoire séparé, étant donné qu'elle était destinée à introduire une procédure particulière distincte de la procédure judiciaire.

Nous pensons toutefois que, par ces remarques, la Commission tend vers un formalisme exagéré. A notre avis, ce qui importe pour le requérant est, dès le début, absolument clair: il s'agit pour lui d'accéder à certaines installations du Centre afin d'être en mesure de calculer le montant de l'impôt.

C'est là aussi sa prétention unique, restée inchangée jusqu'à aujourd'hui; seule la forme juridique a été modifiée. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela, étant donné qu'il s'agit d'une prétention qui, pour nous aussi, est nouvelle et à l'égard de laquelle, surtout en ce qui concerne sa qualification juridique dans le système du traité, il faut par conséquent faire preuve de la plus grande tolérance. Si donc la requête parle d'une levée du refus de la Commission, en soulignant expressément qu'il ne s'agit pas d'une demande d'autorisation en vue de procéder à des mesures de contrainte administrative, conformément à l'article 1 du protocole sur les privilèges et immunités, alors qu'il est question dans la réplique d'une annulation de la décision de la Commission et, en même temps, d'une demande d'autorisation de procéder à des mesures de contrainte administrative, tout cela devrait seulement aboutir à un essai d'interprétation raisonnable, comme la Cour s'est déjà efforcée de le faire pour d'autres demandes, et non pas à des conclusions défavorables pour le requérant; en d'autres termes, nous ne devrions ni constater un élargissement irrecevable de la demande, ni partir de l'idée qu'il est nécessaire d'intenter deux procédures distinctes, c'est-à-dire que nous ne devrions pas opter pour un formalisme analogue à celui de l'article 83 du règlement de procédure, que beaucoup, du reste, n'estiment pas justifié.

III — Résumé

Sur le volumineux chapitre de la recevabilité nous résumons notre opinion comme suit: la demande de l'Ufficio visant à obtenir la constatation que la Commission invoque à tort l'inviolabilité des installations du Centre doit être considérée comme irrecevable, motif pris de ce que l'annexe F à l'accord spécifique signé avec le gouvernement italien, qui importe en premier lieu et qui s'applique au cas d'espèce, prévoit que tout litige portant sur l'application de cet accord doit être précédé d'une consultation entre la Commission et le gouvernement italien et que seules ces parties peuvent saisir la Cour.

Au cas où cette opinion ne serait pas suivie, il n'existe aucune objection à l'encontre de la recevabilité du recours, étant donné que les autres objections soulevées par la Commission ne sont pas pertinentes.

Compte tenu de cette dernière constatation, nous continuerons notre examen subsidiaire de l'affaire et nous examinerons encore le bien-fondé du recours.

B — Quant au fond

Au fond, il s'agit de savoir si la Commission a eu raison de refuser au délégué de la commune d'Ispra l'accès à certaines installations du Centre. Comme cet accès était demandé afin de procéder à leur évaluation pour le calcul de l'impôt, et comme l'unique raison invoquée pour justifier l'attitude de la Commission est l'exonération fiscale dont bénéficie le Centre, il faut donc examiner si les privilèges fiscaux dont bénéficie la Communauté s'appliquent aux installations dont il s'agit ici.

Selon une juste opinion, les dispositions qui entrent en ligne de compte sont notamment l'annexe F à l'accord signé avec le gouvernement italien, dont l'article 7, paragraphe 3, version française, est rédigé en ces termes : «Pour l'installation et le fonctionnement du Centre, la Communauté jouit de l'exonération des impôts communaux de consommation». Comme il est incontestable qu'il s'agissait de percevoir un impôt communal de consommation, notre devoir d'interprétation consiste à définir ce que signifient les termes «installation» et «fonctionnement» selon l'article en question.

L'opinion du requérant à ce sujet est claire: à son avis, il peut seulement s'agir des installations industrielles du Centre qui sont destinées à une activité de recherche et qui constituent sa raison d'être. Seules les installations qui sont indispensables à son fonctionnement peuvent bénéficier de l'exonération fiscale.

Toutefois, nous nous demandons avec la Commission si cette opinion rigoureuse est défendable. Plusieurs considérations s'imposent ici.

Tout d'abord, il faut constater que l'article 7, paragraphe 3, de l'annexe F ne contient aucune formule imposant l'interprétation du requérant: par exemple, des termes, où il serait question d'installations indispensables aux buts et objectifs des travaux du Centre de recherches ou des termes analogues (en effet, on pourrait se demander si des installations à des fins sociales entrent, elles aussi, dans cette définition). Au lieu de cela, il est purement et simplement question d'«installation» et de «fonctionnement» du Centre, ce qui, compte tenu de certains termes utilisés dans le préambule («faciliter») et à l'article 36 («bon fonctionnement»), justifie sans plus l'idée qu'il faut entendre par là tout ce qui contribue de façon sensible à l'amélioration du fonctionnement du Centre.

En outre, il est surprenant que certaines dispositions de l'annexe F parlent tout d'abord de façon très générale du «Centre» en tant que bénéficiaire des exonérations pour ensuite faire une exception uniquement en ce qui concerne l'usage privé (voir, par exemple, les articles 6, 8 et 10). On pourrait en conclure que la conception dont s'inspire l'annexe F est telle qu'il faille englober dans le Centre toutes les installations à l'exception de celles purement privées, et qu'en conséquence l'application des dispositions sur les privilèges et immunités dépend en premier lieu de la confrontation et de la définition des termes «usage privé» et «usage officiel»; cette conclusion est également corroborée par certains termes contenus dans le protocole sur les privilèges et immunités, dont l'article 3, qui parle de l'«usage officiel». Or, cette manière de voir mettrait en fait l'accent sur un critère considérablement plus élastique que celui proposé par le requérant, le critère d'«usage officiel», et elle justifierait sans plus une interprétation plus large que celle du requérant (ce qui, toutefois, n'a rien à faire avec une analogie qui serait inadmissible).

En effet, il semble être admis que les installations balnéaires litigieuses ainsi que le club-house sont des installations officielles. Elles sont administrées comme une partie des services sociaux par une division spéciale dans le cadre des services de la Commission. Les fonds pour leur construction ont été prévus dans le budget de recherches, arrêté par le Conseil de ministres (chapitre IX «Foyers et cercles de personnel»), c'est-à-dire un chapitre qui n'exige pas, comme le pense le requérant, la limitation des dépenses à des titres autres que l'acquisition de biens meubles et immeubles. En outre, l'utilisation des fonds a été contrôlée par la Commission de contrôle et le Conseil en a été informé.

On ne peut pas dire non plus qu'en autorisant une telle politique, le Conseil se soit montré extrêmement progressiste. A vrai dire, cette politique reste entièrement dans les limites de ce qu'il faut considérer comme normal, étant donné l'évolution sociale actuelle, tout au moins en ce qui concerne les grandes entreprises; depuis très longtemps déjà, on a reconnu qu'il n'était pas possible de se passer d'installations sociales destinées à l'éducation, l'activité culturelle, le sport et le délassement et que de telles installations contribuaient considérablement à l'amélioration du climat et des résultats de l'entreprise. Comme la Commission le souligne à juste titre, il en est ainsi a fortiori pour un Centre de recherches qui se trouve éloigné des grands centres culturels et dans lequel il importe de mettre en contact des fonctionnaires appartenant à six pays différents, en vue d'une collaboration efficace. C'est précisément pour cette raison que, dans l'exposé des motifs du budget, le Conseil a qualifié d'«indispensables» les installations sociales en question.

Mais si, après tout ce qui précède, il semble justifié, pour interpréter les dispositions sur les privilèges et immunités, de mettre l'accent sur les deux notions opposées d'«usage privé» et d'«usage officiel» et de s'attacher à la question de savoir quelles sont les installations qui contribuent à une amélioration sensible du «fonctionnement», c'est-à-dire de mettre l'accent sur le principe du «caractère fonctionnel» ( 5 ), les installations sociales du Centre de recherches nucléaires doivent être considérées comme des installations au sens de l'article 7, paragraphe 3, de l'annexe F, d'où il s'ensuit également que l'exonération des impôts communaux de consommation leur est applicable.

Un certain nombre de considérations complémentaires sont de nature à renforcer l'exactitude de cette constatation. Ce serait tout d'abord le fait que d'autres États membres ont usé généreusement des exonérations fiscales à l'égard d'installations sociales appartenant à d'autres établissements du Centre commun de recherches, circonstance dont l'importance ne doit pas être sous-estimée, compte tenu du principe de l'uniformité communautaire. La Commission nous en a fourni la preuve en ce qui concerne la République fédérale où des subventions de la Commission à la «Gesellschaft fur Kernforschung», versées à titre de contrepartie pour l'utilisation du restaurant par les fonctionnaires d'Euratom, ainsi que la location des courts de tennis pour le personnel d'Euratom ont été exonérées de l'impôt. Il en est de même aux Pays-Bas pour la construction d'un «Guest-House» et l'aménagement d'installations sportives ainsi, naturellement, qu'en Belgique où nombre d'opérations destinées à des installations sociales des Communauté sont bénéficié de l'exonération fiscale. Ensuite, le fait que le gouvernement italien ne s'est pas prononcé en l'espèce, bien qu'il ait été informé par le Centre et bien qu'il lui eût appartenu aux termes de l'annexe F de faire valoir d'éventuels usages abusifs des dispositions sur les privilèges et immunités, nous semble devoir retenir l'attention. Enfin, il faut tenir compte d'un principe qui tient habituellement une place importante lors de l'interprétation d'accords de cette nature, c'est que les États membres d'une organisation internationale doivent être traités d'une manière égale sur le plan financier. L'application de ce principe doit empêcher que l'État du siège ne se fasse en quelque sorte rembourser une partie de sa contribution en soumettant à l'impôt les installations communes, peu importe en l'occurrence dans quelle caisse publique est versé l'impôt ( 6 ). En fait, il ressort de tout cela que la Commission a raison de prétendre à l'exonération fiscale prévue par l'annexe F pour les installations sociales du Centre de recherches nucléaires et qu'en conséquence la demande de la commune d'Ispra en vue d'obtenir l'autorisation de pénétrer dans ces installations pour y procéder à l'évaluation du montant imposable n'est pas fondée.

Nous devrions tirer la même conclusion si nous nous fondions uniquement sur l'article 3 du protocole commun sur les privilèges et immunités aux termes duquel, comme on le sait, les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs, et aux termes duquel les gouvernements des États membres prennent les dispositions appropriées en vue de la remise ou du remboursement du montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers lorsque les Communautés effectuent pour leur usage officiel des achats importants. C'est tout au moins là l'opinion d'autres États membres qui n'ont signé aucun accord particulier relativement au siège, comme nous l'avons précédemment montré.

Toutefois, nous pourrions encore nous demander, et nous soulevons cette question afin d'être exhaustif, si la demande du requérant ne pourrait pas avoir gain de cause si elle se fondait sur un autre motif. A cet égard, la réplique contient un certain nombre d'indices, dans la mesure où elle déclare que l'Ufficio Imposte di Consumo a voulu établir si effectivement les matériaux de construction litigieux avaient été utilisés pour la construction d'installations sociales ou si, c'est ce qu'il convient d'ajouter, ces matériaux avaient été utilisés à des fins privées, c'est-à-dire d'une manière qui n'entre pas en ligne de compte pour l'exonération fiscale et pour laquelle il n'est donc pas possible d'invoquer les dispositions relatives à l'inviolabilité. Toutefois, nous considérerons ces indices comme étant seulement invoqués a posteriori. En effet, il ressort clairement du texte de la première lettre adressée à l'administration du Centre, et aussi du contenu de la requête, que pour l'Ufficio Imposte di Consumo il était hors de doute dès le début que les matériaux litigieux avaient été utilisés dans le but indiqué par la Commission et qu'il s'agissait seulement de procéder à leur évaluation et non, par contre, au contrôle de leur utilisation. Au demeurant, il n'existe pas le moindre indice révélant de la part de l'Ufficio des soupçons justifiés. Il est donc juste de laisser de côté ces dernières remarques qui ne figurent dans la réplique qu'à titre accessoire.

En ce qui concerne le bien-fondé du recours, nous ne pourrions donc à aucun point de vue parvenir à une conclusion positive.

C — Conclusions

Nous résumons nos conclusions comme suit :

Le recours intenté par l'Ufficio di Consumo d'Ispra visant à faire constater que la Commission est tenue d'autoriser le technicien délégué par la commune d'Ispra à pénétrer dans les installations à caractère social du Centre, en vue de procéder à l'évaluation du montant imposable, doit être rejeté comme irrecevable, compte tenu des dispositions de l'annexe F à l'accord signé entre la Communauté et le gouvernement italien.

Les demandes du requérant sont de toute façon dépourvues de fondement.

En conséquence, le requérant devra supporter les dépens.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Cf. Egger, «Die Vorrechte und Befreiungen zugunsten internationaler Organisationen und ihrer Funktionäre», p. 79, 108, 190; Cahier, «Étude des accords de siège conclus entre les organisations internationales et les États où elles résident», p. 249, 250.

( 3 ) Cf. Egger, op. cit. p. 134, 146.

( 4 ) Cf. Palandt-Lauterbach, «Kommentar zum BGB», 21e édition, Vorbemerkung 17 vor EGBGB 7

( 5 ) Cf. Schroer, «Zur Gewährung von Befreiungen an internationale Einrichtungen», Jahrbuch fit internationales Recht, 12, p. 218.

( 6 ) Cf. Egger, op. cit., p. 109; Cahier, op. cit., p. 222 et s. ; Schroer, op. cit., p. 217, 219, 222.