Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand

du 4 novembre 1965

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Le Landessozialgericht de Berlin, juridiction d'appel en matière sociale, vous demande, sur la base de l'article 177, alinéa 1, b, du traité de Rome, d'interpréter les dispositions de l'article 22 du réglement no 3 sur la sécurité sociale des travailleurs migrants relatives au versement des prestations en nature de l'assurance-maladie aux titulaires de pensions ou de rentes.

Pour comprendre la portée de la question, il est bon de rappeler comment est né le litige qui a entraîné le renvoi. M. Dekker, de nationalité néerlandaise, a obtenu de la Bundesversicherungs-anstalt für Angestellte, institution allemande d'assurance-vieillesse, une pension d'invalidité professionnelle, transformée en pension de vieillesse à compter du 1er janvier 1957. Il a souscrit d'autre part une assurance-maladie volontaire auprès d'une caisse de maladie allemande. En application du paragraphe 381, alinéa 4, de la Reichsversicherungsordnung, l'institution d'assurance-vieillesse lui a versé une contribution au coût de sa cotisation d'assurance-maladie. Mais M. Dekker ayant, en novembre 1958, transféré son domicile aux Pays-Bas et souscrit une assurance-maladie, également volontaire, auprès d'une institution néerlandaise, le versement de cette contribution a été suspendu, au motif que l'institution d'assurance contre la maladie n'avait pas son siège dans la république fédérale d'Allemagne, condition qu'exigerait la Reichsversicherungsordnung.

Sur réclamation de M. Dekker, le Sozialgericht de Berlin lui donna satisfaction en se fondant notamment sur les dispositions de l'article 22 du règlement no 3. En appel, le Landessozialgericht a estimé devoir vous demander si la participation à la cotisation de l'assurance-maladie, prévue au paragraphe 381, alinéa 4, de la loi allemande figurait parmi les «prestations en nature» de l'article 22 qu'une institution allemande d'assurance-pension est tenue de verser au titulaire d'une pension affilié à une institution d'assurance-maladie dans un autre État membre. Bien entendu, pour rester dans les limites de votre compétence, vous devrez, en répondant à la question ainsi posée, vous borner à interpréter les dispositions communautaires, sur lesquelles nos observations pourront être brèves.

Si le chapitre 1 (maladie - maternité) du titre III du règlement applique des règles différentes aux «prestations en espèces» et aux «prestations en nature», nulle part il ne donne de critères de la distinction de ces deux notions. Mais le système général du règlement, les nécessités auxquelles il répond permettent de confirmer ce que l'on pourrait déduire du vocabulaire courant.

La coordination des régimes d'assurance-maladie, objet de ce chapitre, repose sur l'idée que les prestations en espèces sont versées par «l'institution compétente» au sens du règlement (c'est-à-dire celle auprès de laquelle l'assuré est affilié), alors que les prestations en nature sont servies par l'institution du pays où il réside ou se trouve temporairement, quitte pour celle-ci, dans certains cas, à s'en faire rembourser le coût par l'institution compétente.

L'article 22, qui ne concerne que les prestations en nature, applique ce système aux titulaires de pensions ou de rentes, qui peuvent être dues en vertu de la législation de plusieurs États membres, ou au contraire d'un seul. Lorsque le pensionné a droit aux prestations en nature, elles lui sont toujours servies par l'institution du lieu de résidence ou de séjour temporaire (art. 22, par. 1, 2 et 6), mais la charge définitive est supportée par l'institution compétente. Celle-ci se confond avec l'institution du lieu de résidence ou de séjour, lorsque dans ce pays se trouve une des institutions débitrices des pensions ou rentes (art. 22, par. 1 et par. 6, 3e phrase) ; sinon, le paragraphe 3 fixe les conditions suivant lesquelles est déterminée l'institution qui supportera la charge définitive.

La raison d'être de cette distinction entre le service et la charge des prestations en nature est évidente. Il faut que l'intéressé puisse recevoir ces prestations là où il se trouve, dès qu'elles sont nécessitées par son état, c'est-à-dire dès que le risque maladie s'est réalisé. On supprime ainsi les obstacles qui pourraient naître du fait d'un séjour — au sens le plus large — dans un pays autre que celui où se trouve l'institution compétente, quitte à reporter sur cette dernière la charge des prestations, après que le service en a été assuré. Cela paraît bien confirmer que, comme les vocables employés semblent l'indiquer, les «prestations en nature» sont constituées par l'ensemble des soins, y compris l'hospitalisation et l'administration de médicaments, auxquels a droit un assuré en cas de maladie ou de maternité, tandis que les «prestations en espèces» correspondent aux versements qui compensent les pertes de salaires dues à une immobilisation éventuelle.

Mais, comme le dit la Commission dans son mémoire, «ce serait faire violence à la nature des choses que d'assimiler des cotisations, versements ou autres contributions destinés à construire l'assurance elle-même, à des dépenses qui sont faites pour faire face au risque prévu par l'assurance au moment où il se réalise». En d'autres termes, les prestations au titre d'un régime d'assurance, ce sont les dédommagements de toute nature qui sont donnés à l'assuré lorsque le risque couvert par cette assurance est réalisé. On ne peut y ranger les dépenses engagées pour faire naître — voire pour maintenir — le droit à l'assurance, avant toute survenance du risque, ou indépendamment de la réalisation de celui-ci, qui seule entraînera le service des prestations.

Il en résulte d'abord que les contributions du type de celles versées en vertu du paragraphe 381, alinéa 4, de la loi allemande ne peuvent être considérées comme des «prestations en nature» de l'article 22. Nous ne pouvons que renvoyer sur ce point aux observations de la Commission qui montrent à quelles contradictions on aboutirait si on voulait les regarder comme telles.

Il faut aller plus loin. Nous pensons que ces contributions, dans la mesure où elles sont une participation à la cotisation de l'assurance-maladie, ne peuvent être des prestations de cette même assurance. Il y a antinomie entre la notion de cotisation et celle de prestation; la première, lorsqu'elle est exigée, conditionne la naissance du droit, la seconde suppose que le droit est né.

Ce que l'on peut se demander en revanche — mais on est alors entièrement en dehors de la question posée par le juge allemand — c'est si le versement à un titulaire de pension ou de rente d'une contribution à sa cotisation de l'assurance-maladie ne constitue pas une prestation de l'assurance-vieillesse. Lorsqu'il est prévu par une législation de sécurité sociale, il peut s'analyser en effet en un avantage supplémentaire en faveur des bénéficiaires de pensions ou de rentes. Et l'on notera ici que, d'après l'article 10 du règlement no 3, les pensions ou rentes et allocations au décès acquises en vertu des législations de l'un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d'un État membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice.

Faut-il étendre ce maintien des droits acquis, dont la portée est précisée et restreinte par le paragraphe 2 du même article, au delà de la rente proprement dite, aux avantages accessoires de celle-ci? C'est une question délicate que vous ne pouvez trancher parce qu'elle ne vous a pas été posée. De même qu'il ne vous appartient pas d'apprécier si le maintien de cette contribution à la cotisation de l'assurance-maladie, au cas où l'intéressé change de résidence et s'assure dans un autre État membre, peut résulter de la seule législation allemande. Vous ne pouvez aujourd'hui qu'interpréter l'article 22 du règlement, dans les limites de la question posée par le Landessozialgericht.

Nous concluons à ce qu'il lui soit répondu dans les termes suivants: les prestations en nature visées à l'article 22 du règlement no 3 ne comprennent pas les versements par lesquels une institution débitrice de pensions contribue au coût de la cotisation d'assurance-maladie contractée par ses pensionnés.

Nous concluons en outre à ce qu'il soit statué par le Landessozialgericht de Berlin sur les frais de la présente instance.