Bruxelles, le 23.4.2024

COM(2024) 176 final

RAPPORT DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS

Mise en œuvre de l’interdiction des pratiques commerciales déloyales pour renforcer la position des agriculteurs et des opérateurs dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire - État d'avancement

{SWD(2024) 106 final}


Table des matières

1.    Introduction    

1.1.    Contexte    

1.2.    Objectif et portée du présent rapport    

2.    Aperçu général de la transposition    

3.    Points d’analyse spécifiques    

3.1.    Champ d’application et taille de l’entreprise (article 1er)    

3.1.1.    Opérateurs de la chaîne d’approvisionnement et relations de fourniture    

3.2.    PCD interdites (article 3)    

3.3.    Mécanismes d’application (articles 4 à 8)    

3.3.1.    Désignation des autorités d’application (article 4)    

3.3.2.    Plaintes et confidentialité (article 5)    

3.3.3.    Pouvoirs des autorités d’application désignées (article 6)    

3.3.4.    Mesures d’application et sanctions (article 6)    

3.3.5.    Application par voies administrative et judiciaire, et règlement extrajudiciaire des litiges        

3.3.6.    Coopération entre les autorités d’application (article 8)    

3.3.7.    Publication du rapport annuel d’activité des autorités d'application (article 10)    

3.4.    Règles nationales plus strictes (article 9)    

3.5.    Importance de l’application transfrontière de la législation    

4.    Évaluation de la directive (article 12)    

5.    Conclusions    



1.Introduction

1.1.Contexte 

Le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 17 avril 2019, la directive (UE) 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire (ci‑après «la directive») 1 .

La directive lie les 27 États membres («EM»). Elle fixe un niveau minimal d’harmonisation en établissant une liste des pratiques commerciales déloyales («PCD») interdites dans les relations entre acheteurs et fournisseurs au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Elle énonce également des règles minimales concernant l’application de ces interdictions et la coopération entre les autorités d'application. Les EM peuvent adopter ou maintenir des règles nationales portant sur d'autres PCD que celles énumérées dans la directive, à condition qu’elles soient compatibles avec les règles relatives au fonctionnement du marché intérieur.

La Commission reconnaît la valeur de la directive sur les PCD en tant qu’instrument stratégique essentiel pour renforcer la position des producteurs primaires dans la chaîne d’approvisionnement. Le présent rapport est l’une des mesures immédiates énumérées dans le document de réflexion adressé au colégislateur le 15 mars 2024 2 afin de répondre aux défis actuels dans le secteur agricole et aux préoccupations soulevées par les agriculteurs. À moyen et à long terme, la Commission propose également d’autres mesures formant un ensemble, notamment la mise en place d'un observatoire des coûts, marges et pratiques commerciales dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire afin de gagner en transparence, des modifications ciblées du règlement portant organisation commune des marchés 3 («OCM»), de nouvelles règles sur le contrôle de l’application transfrontière des règles en matière de PCD et une évaluation de la directive d’ici à 2025.

1.2.Objectif et portée du présent rapport

Le 27 octobre 2021, la Commission a présenté un rapport sur l’état d’avancement de la transposition et de la mise en œuvre de la directive conformément à son article 12, couvrant les 15 EM qui avaient notifié une transposition complète au 31 juillet 2021, ainsi que la France qui avait notifié une transposition partielle 4 .

Le présent rapport contient à présent des informations sur l’état d’avancement de la mise en œuvre dans les 27 EM et donne une vue d’ensemble des choix de transposition effectués par certains EM. Il porte exclusivement sur les dispositions contenues dans les législations nationales pour la transposition de la directive PCD.

Étant donné que le contrôle de conformité — qui consiste à évaluer la compatibilité des mesures nationales de transposition avec les dispositions de la directive 5 — est toujours en cours, le présent rapport ne fournit pas une évaluation définitive des mesures de transposition. En outre, plusieurs législations nationales viennent d’être modifiées et le rapport couvre les modifications apportées aux instruments de transposition notifiés officiellement jusqu’au 1er mars 2024.

Il convient en outre de noter que les dispositions nationales qui maintiennent ou introduisent des règles plus strictes que celles prévues par la directive PCD ne sont pas évaluées par la Commission dans le cadre du contrôle de conformité. Ces dispositions peuvent faire l’objet d’une demande d’informations ou d’une étude plus approfondie.

Le présent rapport est accompagné d’un document de travail des services de la Commission («document de travail») qui fournit davantage de précisions, en particulier sur les choix des EM en matière de transposition.

2.Aperçu général de la transposition

En vertu de l’article 13 de la directive, les EM étaient tenus de transposer celle-ci en droit national au plus tard le 1er mai 2021. En décembre 2022, tous les EM avaient notifié une transposition complète à la Commission 6 .

3.Points d’analyse spécifiques

3.1.Champ d’application et taille de l’entreprise (article 1er)

Six EM ont opté pour l’application des mesures de transposition indépendamment de la taille de l’entreprise 7 des fournisseurs ou des acheteurs. Tous les autres EM font référence, dans une certaine mesure, à la taille de l’entreprise mesurée en termes de chiffre d’affaires annuel et considérée comme un indicateur qui renseigne sur le pouvoir de négociation des opérateurs à protéger, ce qui limite le champ d’application de la législation adoptée ou de certaines parties de celle-ci, comme le prévoit la directive.

3.1.1.Opérateurs de la chaîne d’approvisionnement et relations de fourniture

En ce qui concerne la relation entre les fournisseurs et les acheteurs de produits agricoles et alimentaires, une majorité d’EM a déterminé le champ d’application sectoriel et personnel comme le définit la directive 8 .

LV a élargi le champ d’application aux relations entre les fournisseurs et les détaillants (uniquement) de produits non alimentaires. SK a inclus dans ses définitions des termes «acheteur» et «fournisseur» les personnes morales qui ne sont pas des opérateurs commerciaux. ES a opté pour la protection de l’ensemble des opérateurs tout au long de la chaîne (y compris des acheteurs).

3.2.PCD interdites (article 3)

La directive impose aux EM d’interdire une liste de PCD, en les divisant en deux groupes d’interdictions: i) les interdictions per se ou sans condition («liste noire») et ii) les interdictions soumises à conditions («liste grise»), à savoir les pratiques commerciales qui sont interdites à moins qu’elles n’aient été préalablement convenues en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté dans l’accord de fourniture ou dans un accord ultérieur conclu entre le fournisseur et l’acheteur (article 3, paragraphe 2). Chaque pratique est définie de façon précise dans la directive. Les EM peuvent adopter ou maintenir des règles nationales portant sur d'autres PCD que celles énumérées dans la directive, à condition qu’elles soient compatibles avec les règles relatives au fonctionnement du marché intérieur. Tout en se conformant aux exigences prescrites, les EM peuvent en outre:

·utiliser des clauses générales pour élargir la portée des interdictions à des pratiques qui ne sont pas énoncées de façon spécifique dans les listes;

·ajouter d’autres pratiques aux listes;

·étendre la portée des interdictions énoncées ou les rendre plus strictes;

·placer sur «liste noire» des pratiques répertoriées sur la «liste grise» dans la directive.

Des informations détaillées sur les choix de transposition effectués par les EM, comprenant des pratiques diverses, sont disponibles dans le document de travail des services de la Commission. Deux pratiques relevant de la «liste noire» méritent une attention particulière, car elles peuvent, dans certaines limites, faire l’objet d’ajustements dans les EM:

·Délais de paiement: Sur les 27 EM, 16 9 appliquent les dispositions de la directive en établissant une distinction entre les ventes de produits périssables (délai de paiement de 30 jours) et les ventes de produits non périssables (délai de 60 jours), tandis que 11 EM 10 appliquent des délais de paiement plus stricts.

Tous les EM, à l’exception de BE, EE, HU, SE et SK, ont repris la définition des produits périssables de la directive dans leur législation de transposition. FR définit différemment les produits «périssables» et les produits «très périssables». HR et SI ont ajouté à leur législation de transposition une liste de produits périssables, tandis que LT a confié la décision d'approbation d'une telle liste à une institution habilitée par l'administration publique.

·Annulation à brève échéance de commandes: Tous les EM incluent le délai de 30 jours comme norme minimale pour notifier l’annulation, à l’exception de EE, HU et SK. Six EM prévoient la possibilité de fixer des délais inférieurs à 30 jours pour des secteurs spécifiques dans des cas dûment justifiés (par exemple, les produits hautement périssables) 11 .

3.3.Mécanismes d’application (articles 4 à 8)

3.3.1.Désignation des autorités d’application (article 4)

Les 27 EM ont désigné chacun une ou plusieurs autorités (ci-après les «autorités d'application») pour faire respecter au niveau national les interdictions prévues à l’article 3. Les coordonnées et les sites internet de ces autorités sont recensés sur un site dédié 12 .

Tous les EM ont opté pour des autorités administratives et la plupart d’entre eux ont choisi de leur confier les principaux pouvoirs d’application: onze EM les ont attribués à une autorité de concurrence 13 ; six à une autorité du marché alimentaire 14 ; cinq à leur ministère de l’agriculture 15 ; deux à une autorité chargée de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans le secteur agroalimentaire 16 ; deux à un organisme gouvernemental au sein du ministère de l’économie et des finances 17 ; et un à une autorité de protection des consommateurs et des marchés 18 . Plusieurs d’entre eux ont conféré à une juridiction certains des pouvoirs d’application régis par la directive 19 .

Trois EM (EL, LT 20 et RO) ont désigné deux autorités, la seconde étant l’autorité de concurrence.

3.3.2.Plaintes et confidentialité (article 5)

En vertu de tous les instruments de transposition notifiés à la Commission, non seulement les fournisseurs individuels, mais aussi les organisations de producteurs ou d’autres organisations de fournisseurs et les associations de ces organisations ont le droit de déposer une plainte auprès de l’autorité d’application désignée.

La grande majorité des instruments de transposition des EM prévoient des moyens de préserver la confidentialité de l’identité du plaignant, étant donné que la divulgation de cette information pourrait être préjudiciable à ses intérêts ou à ceux de ses membres ou de ses fournisseurs 21 . Ces garanties doivent normalement être adoptées à la demande du fournisseur 22 ; toutefois, certaines mesures nationales de transposition permettent également à l’autorité d’application de prendre l’initiative à cet égard 23 . Dans la plupart des cas, il est demandé au plaignant de préciser toute information qu’il souhaite garder confidentielle 24 . En revanche, en vertu du droit polonais, l’identité et les informations concernant le plaignant, dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, sont toujours confidentielles, à moins que le plaignant n’en autorise la divulgation par écrit. En Espagne, la loi prévoit la protection de l’identité du plaignant également au cours de la procédure judiciaire. Dans certains EM, les instruments de transposition prévoient la possibilité d’interrompre la procédure si la poursuite de celle-ci devait entraîner la divulgation d’informations confidentielles 25 . En LT, l’autorité d’application a le pouvoir de rejeter une demande de confidentialité si les informations spécifiques ont une valeur probante pour établir l’infraction. Cependant, la législation lituanienne traite spécifiquement la question des plaintes anonymes.

3.3.3.Pouvoirs des autorités d’application désignées (article 6)

La plupart des EM confèrent aux autorités d'application désignées les pouvoirs prescrits par l’article 6, à savoir:

·le pouvoir d’ouvrir et de mener des enquêtes, et de réaliser des inspections 26 ;

·le pouvoir de prendre des décisions à la suite d’une infraction aux interdictions énoncées à l’article 3 27 ;

·le pouvoir d’enjoindre à l’acheteur de mettre fin à la pratique commerciale interdite 28 ;

·le pouvoir d’infliger des amendes et d’autres sanctions aussi efficaces 29 et de prendre des mesures provisoires visant l’auteur de l’infraction, ou d’engager une procédure dans ce but, conformément aux règles et procédures nationales 30 ; et

·le pouvoir de publier les décisions prises 31 .

Dans neuf EM, l’autorité d’application a également le pouvoir de valider les engagements que prendra l’auteur de l’infraction 32 , ou de formuler des avertissements 33 ou des recommandations en cas d’infraction 34 .

3.3.4.Mesures d’application et sanctions (article 6)

Les mesures d’application regroupent un large éventail d’instruments, dont les sanctions, les recours et les engagements. Les mesures les plus courantes dont disposent les autorités nationales d’application sont les sanctions financières (amendes ou autres sanctions aussi efficaces), qui sont prévues dans l’ensemble des 27 EM.

3.3.5.Application par voies administrative et judiciaire, et règlement extrajudiciaire des litiges 

La plupart des mesures et des mécanismes d’application peuvent être considérés comme étant de nature administrative.

Les instruments de transposition de certains EM font explicitement référence à leur application tant au niveau administratif que judiciaire. En outre, les législations autrichienne et finlandaise réservent certaines compétences (par exemple, l’imposition de sanctions) aux tribunaux, tandis que (en FI) d’autres mesures (telles que les actions en cessation) peuvent quant à elles être adoptées tant par l’autorité administrative que par l’autorité judiciaire. En FR, l’autorité administrative peut prononcer des injonctions et infliger des amendes administratives, tandis que le tribunal peut adopter des injonctions, des mesures correctives et des sanctions civiles (amendes civiles). La législation bulgare dispose que l’institution responsable des procédures spécifiquement prévues par le texte de transposition ne peut empêcher une partie à un accord de fourniture de demander réparation dans le cadre d’une autre procédure établie, reconnaissant ainsi implicitement le rôle d’autres instances d’application de la loi, y compris les tribunaux. En vertu de la législation lettone, en concertation avec le Conseil de la concurrence et selon les modalités prévues par le code de procédure civile, un tribunal peut également connaître des infractions à la loi de transposition.

Quelques EM utilisent un système de recours parallèles sans toutefois prévoir de règles spécifiques de coordination entre les autorités administratives et judiciaires.

3.3.6.Coopération entre les autorités d’application (article 8) 

Conformément à l’article 8, paragraphe 3, la Commission a mis en place un site internet public 35 qui fournit les coordonnées des autorités nationales d’application désignées ainsi que des liens vers leurs sites respectifs. Elle a en outre créé un forum numérique pour faciliter l’échange d’informations. 

Après avoir accompagné étroitement les EM dans leurs processus de transposition respectifs au moyen de réunions régulières, en apportant des réponses aux questions de mise en œuvre et en adressant plus de 50 réponses écrites individuelles en la matière, la Commission a facilité la mise en place du réseau de mise en œuvre des PCD (ci-après le «réseau»). Composé de représentants des autorités nationales d’application, le réseau mène des discussions concernant l’application de la directive sur la base des rapports annuels des EM (article 10, paragraphe 2). Il vise à garantir une approche commune pour l’application des règles énoncées dans la directive et pour l’échange de bonnes pratiques, de nouvelles avancées et de nouveaux outils d’application. Il peut en outre émettre des recommandations dans le cadre de ses efforts de collaboration destinés à améliorer le cadre d’application de la législation.

Depuis sa création en juin 2022, le réseau s’est réuni deux fois au niveau des responsables des autorités d'application et deux fois au niveau technique. Il s’est également formé en réunions thématiques afin de mener des discussions approfondies sur des sujets spécifiques de nature technique. Cinq réunions de ce type ont eu lieu depuis 2022. Les thèmes abordés ont été, par exemple, le calcul des seuils de chiffre d’affaires, l’application transfrontière de la législation et les alliances d’achat. La discussion sur l’application transfrontière de la législation a permis de recenser les domaines d’amélioration possibles, détaillés à la section 3.5.

3.3.7.Publication du rapport annuel d’activité des autorités d'application (article 10)

Afin d’améliorer l’accessibilité des rapports annuels publiés par les autorités nationales d'application sur leurs sites web (article 10, paragraphe 1), la Commission a l’intention de publier une liste consolidée des liens afférents sur la page web consacrée aux PCD 36 en 2024.

Étant donné que les législations nationales de transposition ont commencé à s’appliquer aux nouveaux accords le 1er novembre 2021, et au plus tard 12 mois après la publication de ces instruments pour les contrats existants, des délais de transposition différents ont pu être observés dans les EM. Ces divergences ont eu pour effet de faire varier le nombre d'affaires en matière d'application signalées jusqu’à présent 37 . Certains EM cherchent essentiellement à donner des orientations aux fournisseurs et aux acheteurs afin de garantir le respect des règles, tandis que d’autres ont procédé à des recherches dans le secteur agroalimentaire ou ouvert un certain nombre d’enquêtes de leur propre initiative (c’est-à-dire des enquêtes non fondées sur des plaintes ou des suggestions). En 2023, environ 75 % des affaires et enquêtes ouvertes sur initiative propre relevaient de l’Espagne, en raison de l’expérience passée en matière d’application de la législation et des ressources disponibles. 269 infractions (environ 27 % des enquêtes clôturées) ont été détectées, donnant lieu à une sanction financière globale de plus de 22 millions d’EUR. Le niveau des sanctions financières varie d’un État membre à l’autre.

Les PCD les plus fréquemment détectées étaient les paiements tardifs pour les produits agricoles et alimentaires (50 % et 13 %) périssables (après 30 jours) ou non périssables (après 60 jours), les paiements non liés à une transaction spécifique (7 %), les paiements demandés au fournisseur pour des actions de commercialisation (7 %) ainsi que pour le stockage, l’exposition ou le référencement (7 %). Environ 41 % des PCD détectées avaient été recensées au niveau du commerce de détail (47 % en 2022), 36 % au niveau de la transformation (27 % en 2022) et 22 % au niveau du commerce de gros (25 % en 2022).

Un aperçu des données agrégées sur les activités de contrôle de l’application de la législation des EM en 2022 et en partie pour 2023 38 est disponible dans le document de travail des services de la Commission.

Dans ce contexte, il convient de souligner que le nombre d’activités exercées pour contrôler l’application de la législation dépend de la disponibilité de ressources humaines au sein des autorités concernées, dont la mission première de faire appliquer la législation sur les PCD varie d’un État membre à l’autre 39 .

3.4.Règles nationales plus strictes (article 9)

Conformément à l’article 9 de la directive, les EM peuvent introduire des règles plus strictes en vue d’assurer un niveau de protection plus élevé, à condition qu’elles soient compatibles avec les règles relatives au fonctionnement du marché intérieur. Il peut s’agir d’un champ d’application plus strict, comme indiqué ci-dessus, soit de pratiques non mentionnées dans la directive, comme par exemple l’interdiction de vendre ou d’acheter à des prix inférieurs aux coûts de production, de revendre à perte ou à un prix inférieur au prix d’achat, ou de toute autre obligation de respecter un certain niveau de prix.

Les termes «ventes ou achats à perte» et «revente à perte» ne sont pas spécifiquement régis par la directive ni le règlement portant organisation commune des marchés. Alors que quatre EM ont introduit une disposition relative à la «vente ou achat à un prix inférieur au coût de production» 40 , trois l’ont fait pour une disposition concernant la «revente à perte» 41 et deux pour une autre obligation de respecter un certain niveau de prix 42 . 

3.5.Importance de l’application transfrontière de la législation

En 2019, 17 % des produits agricoles de l’UE consommés dans un EM provenaient d’un autre EM 43 . Les échanges d’informations au sein du réseau sur les approches générales en matière d'application sont considérés comme positifs et comme une réussite dans la mise en œuvre de la directive. Les discussions entre autorités d’application au sein du réseau montrent que l’obligation générale prévue à l’article 8 de se prêter mutuellement assistance dans le cadre des enquêtes transfrontières peut ne pas constituer d’office une base juridique suffisante pour garantir une coopération et une application efficaces et efficientes. C’est notamment le cas dans les affaires transfrontières où les acheteurs participant à des pratiques commerciales sont situés dans un EM différent de celui où le fournisseur est établi. De telles situations nécessitent l’échange d’informations confidentielles, l’adoption éventuelle de mesures d’application à l’encontre d’un acheteur établi dans un autre EM que celui de l’autorité d’application du fournisseur, ou la réattribution des affaires au sein du réseau des autorités d’application, ainsi que la perception d’amendes. Elles peuvent également comporter des problèmes liés aux langues utilisées dans les échanges. Ces difficultés peuvent varier par ailleurs en fonction des différents choix concernant les types d’autorités d'application désignées par les EM (par exemple, les autorités de concurrence disposent d’outils juridiques leur permettant de collaborer plus facilement entre elles qu’avec d’autres autorités d'application). En outre, les acheteurs de produits agricoles et alimentaires peuvent s’approvisionner en produits dans plusieurs EM, d’où la nécessité d’une action coordonnée de la part des autorités d'application. Dans ce contexte, la Commission estime que de nouvelles règles relatives à l’application transfrontière des règles en matière de lutte contre les pratiques commerciales déloyales pourraient s’avérer nécessaires 44 . Ces nouvelles règles viseraient à améliorer l’échange d’informations entre les autorités d'application compétentes ou à prévoir la possibilité d’actions coordonnées contre les acheteurs dans un contexte transfrontière.

Une partie des discussions au sein du réseau a également porté sur la nature transfrontière du traitement des plaintes relatives aux PCD en ce qui concerne les alliances d’achat 45 . S’il convient de noter que les alliances d’achat sont soumises à la directive sur les PCD comme tout autre acheteur et qu’il n’y a donc aucune raison particulière de les traiter différemment, le réseau a souligné dans ses échanges les difficultés liées à leur localisation, dans certains cas en dehors de l’UE, et la pression exercée sur les ressources de l’autorité d’application.

Un rapport du JRC 46 de mai 2020 47 indique que les alliances d’achat nationales et européennes peuvent jouer un rôle pour favoriser la concurrence dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et avoir une incidence positive sur les prix à la consommation 48 . Dans le même temps, il conclut également que l'incidence des alliances d’achat sur les acteurs en amont, tels que les agriculteurs, n’est pas claire et justifie une enquête plus approfondie. La Commission a l’intention de mettre à jour ces résultats au cours de 2024.

4. Évaluation de la directive (article 12)

La directive prévoit que le 1er novembre 2025 au plus tard, la Commission procède à une première évaluation 49 de sa mise en œuvre. L’évaluation se fondera sur les résultats d’une étude d’appui, dans le cadre de laquelle des consultations ciblées adaptées seront organisées auprès de toutes les parties prenantes concernées, fournisseurs et acheteurs.

Pour alimenter cette évaluation, la Commission a mené, entre autres, des enquêtes annuelles dans tous les pays de l’UE, en commençant par une enquête de référence en 2020 50 .

En outre, certains EM ont déjà réalisé leurs propres évaluations initiales, notamment DE 51 et SE 52 .

5.Conclusions

La directive sur les pratiques commerciales déloyales vise à rectifier, au moyen d’une harmonisation minimale au niveau de l’UE, le paysage antérieur des législations nationales fragmentées. En décembre 2022, tous les EM avaient transposé cette directive dans leur droit national.

Une grande majorité d’entre eux ont adopté un niveau de protection supérieur au niveau minimal fixé par la directive. Des règles nationales plus strictes que celles de la directive sont possibles, à condition qu’elles respectent les règles du marché intérieur de l’UE. Les EM suivent généralement l’approche sectorielle et appliquent la directive uniquement dans la chaîne agroalimentaire. Pour ce qui est du champ d'application, plus de la moitié des EM s’écartent des catégories de chiffre d’affaires définies dans la directive, et certains appliquent les règles indépendamment du chiffre d’affaires des opérateurs concernés. La plupart des EM ont élargi la liste des pratiques commerciales déloyales en rendant les interdictions de la directive plus strictes, par exemple en transformant des pratiques «grises» en pratiques «noires» ou en ajoutant davantage d’interdictions de pratiques commerciales que celles prévues par la directive. En revanche, les EM qui n’avaient pas encore légiféré en la matière avant de transposer la directive se sont globalement alignés sur le champ d’application de celle-ci. Le contrôle de conformité visant à évaluer la compatibilité des mesures nationales de transposition avec la directive n’est pas encore achevé.

Lors d’une série de réunions, le réseau des autorités nationales d'application a collaboré, échangé des bonnes pratiques en matière de contrôle de l’application de cette nouvelle directive et étudié les moyens de renforcer la collaboration dans certains domaines, tels que l’application transfrontière de la législation. Le lancement du nouvel observatoire des coûts de production, des marges et des pratiques commerciales dans la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire contribuera à développer la transparence et la confiance.

Améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, soutenir leurs revenus et garantir une rémunération équitable sont des objectifs stratégiques importants en vue de soutenir la compétitivité, la durabilité et la résilience du secteur agricole. Les inégalités et les préoccupations perçues quant à la viabilité de l’activité agricole liées, entre autres, à d’éventuels déséquilibres dans le pouvoir de négociation au détriment des agriculteurs ont alimenté les manifestations récentes de ces derniers. Les mesures couvertes par le document de réflexion susmentionné montrent l’importance que la Commission attache au renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

Bien qu’elle soit un instrument récent, la directive sur les pratiques commerciales déloyales apporte une réponse à certaines de ces préoccupations, en permettant aux agriculteurs et aux fournisseurs en position de faiblesse dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire d’opérer de manière plus sûre et plus efficace grâce à des pratiques commerciales plus équitables, et de s’exprimer et de formuler des griefs plus aisément. L’application de la législation gagne en importance et contribuera à assurer un niveau toujours plus élevé de protection des agriculteurs et des fournisseurs en position de faiblesse. L’évaluation prévue pour 2025 sera une occasion de réfléchir à la nécessité éventuelle d’adapter la directive elle-même et ses paramètres en termes de champ d’application ou de pratiques en jeu.

(1) Directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire (JO L 111 du 25.4.2019, p. 59).
(2)   https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_24_1493
(3)   Règlement (UE) nº 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, JO L 347 du 20.12.2013, p. 671. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32013R1308 .
(4)    Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l’état d’avancement de la transposition et de la mise en œuvre de la directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire .
(5)

Boîte à outils pour une meilleure réglementation (2023).

(6)   Directive - 2019/633 - FR - EUR-Lex (europa.eu) .
(7) CY, EE, ES, FR, IT, SK. Tout en maintenant l’application générale de la législation de transposition indépendamment de la taille des entreprises, certains de ces EM ont fait référence à la taille de l’entreprise pour prévoir des exceptions ou des variations. Par exemple, à CY, les délais de paiement varient en fonction de la taille de l’entreprise dans le cas de produits livrés régulièrement par les fournisseurs de raisins pour la production de vin à des acheteurs dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 000 000 EUR; la législation espagnole ne s’applique pas aux entreprises d’hôtellerie et de restauration dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’EUR, ni aux entreprises proposant des services d’hébergement dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions d’EUR.
(8)  L’exclusion de certains types d’acheteurs (par exemple, les coopératives) par certains EM est soumise au contrôle de conformité en cours.
(9)   AT, CY, DE, DK, EL, ES, FR, HR, IE, IT, LU, LV, MT, NL, PL, SI.
(10)

BE, BG, CZ, EE, FI, HU, LT, PT, RO, SE, SK.

(11) BE, DK, FR, IE, IT, SE.
(12)

  https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/agri-food-supply-chain/unfair-trading-practices_fr .

(13) AT, BG, CZ, DK, EE, HR, LU, LV, PL, SE, SI.
(14) DE (Office fédéral pour l’agriculture et l’alimentation, désigné par le ministère fédéral), ES [Agence espagnole d’information et de contrôle des denrées alimentaires (AICA)], FI (Médiateur du marché alimentaire), HU (Office national de la sécurité de la chaîne alimentaire, désigné par l’administration publique), LT (Agence pour le développement des entreprises et marchés en zones rurales) et PT [Autorité économique et de sécurité alimentaire (ASAE - Autoridade de Segurança Alimentar e Económica)].
(15) CY, IE, IT (une division interne du ministère), RO, SK.
(16) EL, MT.
(17) Pour FR, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes); pour BE, la direction générale de l’inspection économique, SPF Économie.
(18) NL.
(19)  Il s’agit notamment du pouvoir d’imposer des sanctions (AT, FI, FR).
(20) La seconde autorité d’application n’est compétente qu’à l’égard des pratiques adoptées par les détaillants disposant d’un pouvoir de marché significatif.
(21) Toutefois, dans certains EM (par exemple, LV, PT et SE), la confidentialité n’est garantie que pour l’identité, mais pas pour d’autres informations sensibles.
(22) Tous les EM sauf AT, FI, FR, LV, PL, SE. Parmi eux, BG prévoit que l’identité du plaignant doit toujours rester  confidentielle.
(23) Par exemple HU.
(24) BE, BG, CY, DK, EL, ES, IE, IT, LU, NL SI.
(25) AT, BE, CY, DE, DK, EE, FI, IT, MT, PT.
(26)  Tous les EM.
(27) Tous les EM sauf EE, ES, FI, SI, SK.
(28) Tous les EM sauf AT, HU.
(29) Tous les EM (pour AT: pouvoir du Kartellgericht;  pour FI, pouvoir de la Cour).
(30) Explicitement prévues dans les mesures nationales de transposition des EM suivants: BG, DK, EL, FI, FR, ES, IE, LT, LU, LV, NL, PT, RO.
(31) Tous les EM sauf CZ, LV et PT.
(32) BE, BG, CZ, HR, HU, PL.
(33) BE, FI, LV.
(34) EL.
(35)   https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/agri-food-supply-chain/unfair-trading-practices_fr .
(36)   https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/agri-food-supply-chain/unfair-trading-practices_fr .
(37) La communication du nombre d'affaires peut également dépendre des règles internes des autorités d'application et peut donc conduire à une sous-estimation ou à une surestimation des cas.
(38) À la date d’échéance du 15 mars 2024, seuls 18 EM avaient envoyé leur rapport annuel à la Commission.
(39) Par exemple, selon le rapport d’évaluation allemand, le travail de l’autorité d’application se heurte à des difficultés, n raison de ressources en personnel limitées associées à d’importants efforts d’enquête.  https:// www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/DE/_Internationales/aussenwirtschaftspolitik/evaluierungsbericht-agrarolkg.html .
(40)

 ES, HR, HU, IT.

(41) ES, HU, RO.
(42)  ES, IT.
(43)   https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=comnat:SWD_2021_0317_FIN (p 17, figure 7).
(44)   Mesures supplémentaires de la Commission pour soutenir les agriculteurs de l’UE (europa.eu) .
(45) Quatre autorités nationales d’application (CZ, FR, IT, SE) ont enquêté ou enquêtent actuellement sur des  centrales d’achat ou des alliances d’achat au niveau européen.
(46)  Une  déclaration du Parlement européen sur les alliances d'achat avait invité la Commission à mener une analyse approfondie sur l’étendue et les effets des alliances d'achat nationales et internationales, laquelle a donné lieu au rapport du JRC mentionné.
(47)   Répertoire des publications du JRC — Les alliances de détail dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire (europa.eu) .
(48) En 2023, la Commission a clôturé des enquêtes portant sur deux alliances internationales de commerce de détail. La Commission n’a trouvé aucun élément démontrant les effets anticoncurrentiels et a constaté, au contraire, que les rabais obtenus par les alliances contribuaient aux stratégies tarifaires globales des détaillants, leur permettant de réduire les prix de détail pour s’aligner sur les prix pratiqués par les concurrents ou les sous-coter, voir: Pratiques anticoncurrentielles: la Commission clôt les enquêtes antitrust concernant AgeCore et Coopernic» MEX/23/3847 (Bruxelles, 13 juillet 2023).
(49)   Chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire – lutte contre les pratiques commerciales déloyales (europa.eu) .
(50)   Pratiques commerciales déloyales (europa.eu) .
(51)     Évaluation DE .
(52)

  Évaluation SE .