14.7.2023   

FR

Journal officiel de l’Union européenne

C 249/3


AVIS DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE

du 6 juin 2023

sur la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité

(CON/2023/15)

(2023/C 249/03)

Introduction et fondement juridique

Le 23 février 2022, la Commission européenne a publié la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 (1) (ci-après la « proposition de directive »).

La Banque centrale européenne (BCE) a décidé, de sa propre initiative, de rendre un avis sur la proposition de directive. La BCE a compétence pour émettre un avis en vertu de l’article 127, paragraphe 4, et de l’article 282, paragraphe 5, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, étant donné que la proposition de directive contient des dispositions ayant une incidence sur les missions de la BCE ayant trait au contrôle prudentiel des établissements de crédit conformément à l’article 127, paragraphe 6, du traité et sur la contribution du Système européen de banques centrales (SEBC) à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne la stabilité du système financier, telle que visée à l’article 127, paragraphe 5, du traité. Conformément à l’article 17.5, première phrase, du règlement intérieur de la Banque centrale européenne, le présent avis a été adopté par le conseil des gouverneurs.

1.   Observations générales

1.1.

La proposition de directive oblige certaines grandes entreprises à faire preuve d’un devoir de vigilance (2) en matière de droits de l’homme et d’environnement, consistant dans le recensement des incidences négatives réelles et potentielles (3), l’intégration du devoir de vigilance dans les politiques des entreprises (4), la prévention ou l’atténuation des incidences négatives (5), l’établissement d’une procédure relative aux plaintes (6), le suivi des mesures et des politiques (7), et l’obligation de déclaration (8). À cette fin, la proposition de directive définit une « entreprise » à laquelle elle s’applique comme comprenant « une entreprise financière réglementée » (9), qui, quant à elle, comprend, entre autres, un établissement de crédit tel que défini dans le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil (10) (ci-après « établissement de crédit », et collectivement « établissements de crédit »).

1.2.

En outre, la proposition de directive exige des entreprises auxquelles elle s’applique qu’elles prennent des mesures appropriées pour recenser les incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l’homme et les incidences négatives sur l’environnement découlant de leurs propres activités ou de celles de leurs filiales et, lorsqu’elles sont liées à leurs chaînes de valeur, de leurs relations commerciales bien établies (11). Pour ce qui est des entreprises financières réglementées, y compris les établissements de crédit, le terme « chaîne de valeur » est défini dans la proposition de directive comme incluant les activités de clients bénéficiant de services de crédit et de prêt ainsi que d’autres services financiers (12). Bien que le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et d’environnement ne relève pas des domaines de compétence de la BCE, la proposition de directive pourrait avoir des incidences importantes pour les établissements de crédit. De ce point de vue, il conviendrait que la proposition de directive prévoit des dispositifs de coopération et d’échange d’informations entre les autorités chargées de contrôler le respect de la proposition de directive par les établissements de crédit, et les autorités chargées de la surveillance prudentielle des établissements de crédit, y compris la BCE. À cet égard, la BCE relève que les colégislateurs de l’Union ont mis en place des dispositifs de coopération et d’échange d’informations entre, d’une part, les autorités chargées de la surveillance prudentielle, et, d’autre part, les autorités de contrôle compétentes chargées de contrôler le respect par les établissements de crédit du droit de l’Union régissant d’autres domaines d’activité qui ne relèvent pas des compétences de la BCE concernant la surveillance prudentielle des établissements de crédit. De tels dispositifs ont été mis en place, par exemple, en matière d’exigences liées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (13), de marchés d’instruments financiers (14) et d’infrastructures de marché (15).

1.3.

La proposition de directive introduit un régime de responsabilité civile pour les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations de prévenir les incidences négatives potentielles et de supprimer les incidences négatives réelles, si ce manquement entraîne des dommages (16). Bien que d’autres modalités du régime de responsabilité civile (par exemple, la définition des dommages couverts et la charge de la preuve) doivent être définies, il faut s’attendre à ce que les risques de litiges pour les banques augmentent sensiblement en raison de ce régime de responsabilité. La BCE s’attend à ce que les établissements de crédit soumis à la surveillance prudentielle gèrent ces risques conformément aux exigences de la BCE en matière de surveillance prudentielle, communiquées par celle-ci. Il convient de noter dans ce contexte que la BCE a adopté jusqu’à présent une approche fondée sur les risques lorsqu’elle évalue l’exposition d’une banque aux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Par exemple, la BCE a fait savoir que les banques devaient intégrer les conséquences de la transition vers une économie plus durable sur leurs transactions et leurs expositions, et prendre en compte ces risques dans leur stratégie globale de gestion des risques (17). De ce point de vue, la poursuite des prêts destinés à financer des activités exposées à des risques de transition élevés ne peut être considérée comme étant compatible avec une bonne gestion des risques que si l’emprunteur dispose d’un plan de transition crédible, fondé sur des données scientifiques et conforme à l’Accord de Paris (18), pour gérer et réduire ces risques au fil du temps. Plus particulièrement, une bonne gestion des risques de transition englobe également une bonne gestion des risques de litiges. Dans ce contexte, la BCE souligne que l’introduction d’un régime de responsabilité civile liée à l’incidence négative de tels prêts devrait prendre en compte et reconnaître le rôle de la planification de la transition dans les entreprises. Conformément à l’approche prudentielle mentionnée plus haut, les prêts destinés à financer des activités exposées à des risques de transition élevés peuvent néanmoins être considérés comme étant conformes à des approches de bonne gestion des risques, tant que la contribution marginale des activités envisagées ou menées continue de s’inscrire dans le cadre de plans de transition crédibles. Il s’agit là d’un élément essentiel pour que les banques puissent financer les efforts de transition des clients qui ne sont pas encore alignés sur les objectifs climatiques de l’UE et l’Accord de Paris - mais qui envisagent de l’être.

1.4.

La proposition de directive impose aux entreprises auxquelles elle s’applique l’obligation d’adopter un plan visant à garantir que le modèle d’entreprise et la stratégie de l’entreprise sont compatibles avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’Accord de Paris (19). Plus précisément, une entreprise doit inclure des objectifs de réduction des émissions dans son plan si elle considère le changement climatique comme constituant un risque majeur. Si l’obligation d’adopter un plan de transition est imposée par la proposition de directive, le contenu et les exigences pratiques de publication d’un plan de transition sont fixés séparément dans la directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil (20) (ci-après la « directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises » ou « CSRD »). Il est donc capital d’assurer une harmonisation étroite et une cohérence entre les définitions et les exigences de la proposition de directive et de la CSRD. La BCE souligne la nécessité de garantir la cohérence et l’interopérabilité des plans de transition en vertu de ces deux textes législatifs. Il est important de faire observer que les plans de transition, comme l’exigent la proposition de directive et la CSRD, pourraient différer, tant dans leurs objectifs que dans leur finalité, des plans de transition requis, en matière prudentielle, en vertu de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil (21) (ci-après la « directive sur les exigences de fonds propres » ou « CRD »), qui fait actuellement l’objet d’une révision. La CRD vise à garantir que les établissements de crédit évaluent de manière exhaustive les risques ESG et intègrent des considérations prospectives de ces risques dans leurs stratégies, leur tarification, le suivi continu des risques, et leur gestion, en vue d’assurer la résilience de l’établissement de crédit.

1.5.

La proposition de directive charge les États membres de désigner une ou plusieurs autorités de contrôle chargées de surveiller le respect des obligations qu’elle prévoit (22). Dans ce contexte, les autorités actuellement désignées comme autorités compétentes pour la surveillance des entreprises financières réglementées pourraient également être désignées comme autorités de contrôle aux fins de la proposition de directive en ce qui concerne les entreprises financières qui relèvent du champ d’application de la proposition de directive (23). La BCE souligne que le contrôle du respect des obligations fixées dans la proposition de directive constitue une mission distincte des missions prudentielles des autorités compétentes nationales (ACN) dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (MSU) (24). Si les ACN au sein du MSU doivent être désignées comme autorité de surveillance par les États membres en vertu de la proposition de directive, il conviendrait de leur fournir les moyens et les ressources nécessaires à l’accomplissement de ces nouvelles missions sans porter atteinte à leurs responsabilités prudentielles actuelles. En outre, la BCE réaffirme la nécessité de mettre en place des dispositifs appropriés de coordination, de coopération et d’échange d’informations entre les autorités chargées de contrôler le respect par les établissements de crédit de leurs obligations découlant de la proposition de directive, d’une part, et les autorités chargées de la surveillance prudentielle des établissements de crédit, y compris la BCE, d’autre part. De tels dispositifs devraient permettre d’éviter, dans la mesure du possible, les doubles exigences de publication inutiles et les prises de décision incohérentes en ce qui concerne les établissements de crédit soumis à la surveillance prudentielle.

1.6.

La Commission doit créer un réseau européen d’autorités de contrôle composé de représentants des autorités de contrôle désignés par les États membres, auquel la Commission peut inviter les agences européennes à participer dans le but d’échanger des informations, de se prêter mutuellement assistance et d’établir des mesures de coopération efficace (25). La proposition de directive exclut à juste titre la possibilité que la BCE soit chargée de contrôler le respect de la proposition de directive par les établissements de crédit importants qui sont directement soumis à sa surveillance. Cette approche cadre avec ce que comprend la BCE, à savoir que cette tâche ne relève pas des missions de surveillance prudentielle qui peuvent lui être confiées en vertu de l’article 127, paragraphe 6, du traité. Néanmoins, la BCE considère qu’il est essentiel que le réseau européen d’autorités de contrôle proposé soit élargi pour inclure la BCE en sa qualité d’autorité de surveillance prudentielle des établissements de crédit. Cela permettrait d’assurer la coordination et de fournir une base juridique solide pour la mise en place de dispositifs de coopération et d’échange d’informations entre la BCE et les autorités de surveillance désignées en vertu de la proposition de directive, en particulier en ce qui concerne les entreprises financières réglementées qui relèvent de la surveillance prudentielle directe de la BCE (à savoir les établissements de crédit importants), mais qui seraient en même temps soumises à la surveillance des autorités de surveillance nationales désignées par les États membres aux fins de la proposition de directive.

1.7.

La proposition de directive fournit une définition de la chaîne de valeur des entreprises financières réglementées. Cela pourrait avoir une incidence sur les futurs cadres réglementaires, par exemple les normes européennes d’information sur le développement durable élaborées par le Groupe consultatif pour l’information financière en Europe (26), qui doivent être adoptées par la Commission dans le cadre de la CSRD. La définition devrait être soigneusement examinée à la lumière des cadres réglementaires prudentiels, car elle pourrait ne pas être appropriée en vue d’une utilisation dans les cadres réglementaires prudentiels. En effet, du point de vue de la surveillance prudentielle, il est important que les entreprises financières réglementées aient une large vue d’ensemble des risques de transition propres à leur chaîne de valeur. Une analyse plus approfondie et un examen plus poussé de la définition de la chaîne de valeur pourraient donc s’avérer nécessaires dans la mesure où cela concerne les entreprises financières réglementées.

1.8.

Enfin, la BCE souligne l’importance d’une entrée en vigueur progressive et ordonnée de la proposition de directive afin de permettre aux entreprises d’adapter leurs processus internes et leurs relations commerciales aux nouvelles exigences. Cela revêt une importance particulière pour que les entreprises financières réglementées soient en mesure d’assurer une réévaluation ordonnée des risques et d’éviter des effets de rupture qui pourraient entraîner des cessations soudaines de services financiers, avec des effets potentiellement négatifs sur la stabilité financière.

Lorsque la BCE recommande de modifier la proposition de directive, des suggestions de rédaction particulières, accompagnées d’une explication, sont formulées dans un document de travail technique séparé. Le document de travail technique peut être consulté en anglais sur le site internet EUR-Lex.

Fait à Francfort-sur-le-Main, le 6 juin 2023.

La présidente de la BCE

Christine LAGARDE


(1)  COM (2022) 71 final.

(2)  Voir article 4 de la proposition de directive.

(3)  Voir article 6 de la proposition de directive.

(4)  Voir article 5 de la proposition de directive.

(5)  Voir articles 7 et 8 de la proposition de directive.

(6)  Voir article 9 de la proposition de directive.

(7)  Voir article 10 de la proposition de directive.

(8)  Voir article 11 de la proposition de directive.

(9)  Voir article 3, point b), iv), de la proposition de directive.

(10)  Voir article 4 1), point 1, du règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 (JO L 176, du 27.6.2013, p. 1).

(11)  Voir article 6 1), de la proposition de directive.

(12)  Voir article 3, point h), de la proposition de directive.

(13)  Voir article 49 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO L 141, du 5.6.2015, p. 73); paragraphes 3.1 à 3.8 de l’avis de la BCE CON/2022/4. Tous les avis de la BCE peuvent être consultés sur le site Internet EUR-Lex.

(14)  Voir article 79 de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO L 173, du 12.6.2014, p. 349).

(15)  Voir article 84 du règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (JO L 201, du 27.7.2012, p. 1).

(16)  Voir article 22 de la proposition de directive.

(17)  Voir Guide de la BCE relatif aux risques liés au climat et à l’environnement, disponible sur le site Internet de la supervision bancaire de la BCE à l’adresse suivante :www.bankingsupervision.europa.eu. Voir également communiqué de presse intitulé en anglais « ECB sets deadlines for banks to deal with climate risks », disponible sur le site internet de la supervision bancaire de la BCE à l’adresse suivante: www.bankingsupervision.europa.eu

(18)  Voir discours prononcé par Frank Elderson, intitulé en anglais « Running up that hill ” – how climate-related and environmental risks turned mainstream in banking supervision and next steps for banks’ risk management practices », disponible sur le site Internet de la BCE à l’adresse suivante: www.ecb.europa.eu

(19)  Voir article 15 de la proposition de directive.

(20)  Voir la Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (JO L 322, du 16.12.2022, p. 15).

(21)  Voir article 76 de la Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO L 176, du 27.6.2013, p. 338).

(22)  Article 17 1) de la proposition de directive.

(23)  Article 17 5) de la proposition de directive.

(24)  Voir article 2 2) du règlement du Conseil (UE) n° 1024/2013 du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO L 287, du 29.10.2013, p. 63).

(25)  Article 21 de la proposition de directive.

(26)  Voir European Financial Reporting Advisory Group, document intitulé en anglais « First Set of draft ESRS », novembre 2022, disponible sur le site de l’EFRAG à l’adresse suivante: www.efrag.org