4.2.2022   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 61/26


Avis du Comité européen des régions sur le thème «Protéger les indications géographiques industrielles et artisanales au sein de l’Union européenne»

(2022/C 61/06)

Rapporteure:

Martine PINVILLE (FR/PSE), membre du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine

RECOMMANDATIONS POLITIQUES

LE COMITÉ EUROPÉEN DES RÉGIONS

Observations générales

1.

se félicite de l’annonce faite par la Commission européenne, dans son Plan d’action en faveur de la propriété intellectuelle de novembre 2020, d’examiner la possibilité de créer un système de protection des indications géographiques (IG) de l’Union européenne pour les produits non agricoles, et rappelle que le CdR avait déjà demandé un tel examen en février 2015; (1)

2.

réitère que l’article 3 du traité sur l’Union européenne (TUE) inscrit la sauvegarde et le développement du patrimoine culturel européen parmi les objectifs à prendre en considération pour le développement du marché intérieur, que l’article 118 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) vise à assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union au sein du marché intérieur, et enfin que l’article 169 du TFUE assure la protection des droits des consommateurs (y compris la promotion de leur droit à l’information);

3.

considère le terme «indications géographiques industrielles et artisanales» (IGIA) plus clair et spécifique que celui d’IG pour les produits non agricoles et privilégiera cette formulation;

4.

salue le très large soutien en faveur d’une initiative de l’Union européenne établissant un régime de protection pour les IGIA, que ce soit dans le cadre de la consultation publique sur l’analyse d’impact initiale ouverte fin 2020 par la Commission européenne ou lors de la consultation des parties prenantes le 19 mai 2021, en amont de la rédaction du présent avis. Invite dès lors ses membres et les parties prenantes territoriales à confirmer ce soutien en participant activement à la «consultation publique sur les IG pour les produits non agricoles» lancée par la Commission européenne le 29 avril 2021 et ouverte jusqu’au 22 juillet 2021 inclus (2);

5.

regrette que l’absence d’harmonisation au niveau européen sur la question des IGIA ait pour conséquence une diversité d’instruments juridiques nationaux, affaiblissant ainsi la protection des produits et des entreprises;

6.

constate qu’il existe à ce jour, à l’échelle de l’Union européenne, un traitement juridique distinct selon la nature de l’IG, l’Union européenne n’encadrant que la protection des appellations d’origine (AO) et des IG pour les vins, les vins aromatisés, les boissons spiritueuses et les produits agricoles/denrées alimentaires;

7.

souligne que l’OMC (accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce — accord ADPIC) ainsi que l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les AO et les IG, auquel l’Union européenne a récemment adhéré, ne différencient pas les IG selon le type de produits; estime par ailleurs que l’adhésion de l’Union européenne à l’acte de Genève requiert de l’Union européenne qu’elle apporte une réponse à la protection des IGIA;

8.

met l’accent sur le fait que les entreprises qui s’engagent dans des stratégies et démarches d’IG sont surtout des TPE/PME, ancrées sur les territoires, y compris dans les zones rurales, et qui disposent d’un véritable savoir-faire issu de l’histoire de ces derniers et y forment de véritables grappes d’activité sectorielles. Certaines d’entre elles ont donné naissance à des entreprises championnes à l’échelle planétaire, qui revêtent une importance toute particulière pour le fonctionnement de l’économie européenne et l’indépendance de l’Union vis-à-vis des marchés mondiaux;

9.

constate que les IG répondent également à une évolution de la demande des consommateurs vers plus de traçabilité et de transparence sur l’origine du produit et son processus de fabrication, et de «fabriqué local», tendance qui s’est accélérée sous l’effet de la crise de la COVID-19;

10.

estime que les enjeux d’une reconnaissance des IGIA s’inscrivent dans des priorités programmatiques européennes en cours de développement, dont ceux de la stratégie industrielle, du pacte vert et de la révision de la politique commerciale, ou bien encore de l’avenir des zones rurales et du développement des circuits courts;

La nécessité d’un cadre européen uniforme assorti d’une dimension territoriale

11.

considère qu’un système sui generis de protection des IGIA permettrait en particulier: un renforcement de la protection juridique des produits sous IG, y compris sur internet; le développement d’outils d’aide à la lutte contre la contrefaçon et la concurrence déloyale; la création et le maintien d’emplois et de formations sur un territoire; une plus grande transparence pour le consommateur, et une véritable reconnaissance de savoir-faire, pour certains d’exception;

12.

reconnaît que le dispositif des marques ne permet pas de protéger efficacement les dénominations des produits et entraîne un coût important pour leurs détenteurs;

13.

est ainsi favorable à l’extension de la protection des IG aux produits industriels et artisanaux dans le cadre d’un règlement européen qui aurait pour base légale l’article 118, 1er alinéa, du TFUE. Un tel règlement prendrait appui sur les compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres et remplirait toutes les conditions pour être conforme au principe de subsidiarité, notamment parce qu’il permettrait de créer les conditions d’une protection équivalente et homogène des IGIA dans l’ensemble du marché intérieur tout en évitant des distorsions de concurrence;

14.

estime que les collectivités territoriales européennes disposent d’une grande richesse de produits industriels et artisanaux reposant sur des savoir-faire souvent ancestraux, et qu’une mise en valeur et une protection appropriées de ces produits pourraient contribuer à maintenir de la valeur ajoutée et des emplois non délocalisables, notamment dans les zones rurales, et à protéger un patrimoine local;

15.

souligne que le renforcement du positionnement des entreprises ayant obtenu une reconnaissance IGIA permettrait de relocaliser des étapes de leur filière, participant ainsi à la réindustrialisation des territoires et à un accroissement de l’indépendance économique de l’Union européenne vis-à-vis des marchés mondiaux;

16.

souligne que les études d’impact sur les IG pour les produits agroalimentaires ont démontré que les IG conduisaient également à une revalorisation des revenus des producteurs, et ce souvent dans des zones rurales ou périphériques. La mise en place d’un système européen d’IGIA devrait également permettre une telle revalorisation et un effet utile pour la cohésion territoriale; l’étude publiée en 2020 par la Commission européenne sur les aspects économiques de la protection des IG pour les produits non agricoles (3) indique en outre que les IG améliorent la compétitivité des producteurs en renforçant la visibilité des produits, leur réputation ainsi que la disposition des consommateurs à payer pour des produits dont les caractéristiques et l’origine sont garanties;

17.

ajoute par ailleurs que ces IGIA contribuent à structurer et diversifier une offre culturelle et touristique sur tout un territoire, à travers par exemple le tourisme industriel, autour du partage d’un savoir-faire et de gestes d’excellence;

18.

souligne le rôle que peuvent jouer et que jouent déjà certaines collectivités locales et régionales dans l’accompagnement des filières, aussi bien dans la phase d’élaboration des IGIA (temps de concertation) que dans la mise en œuvre (développement d’outils de communication, soutien à la certification, conseil juridique, etc.) et la promotion;

Aspects pratiques liés à la procédure d’enregistrement, aux contrôles et à la protection des IGIA

19.

souligne que dans le cadre d’un système commun à toutes les IG, il conviendra, dans la mesure du possible, de s’inspirer de l’expérience en matière agricole et agroalimentaire et de privilégier une approche harmonisée entre les différents régimes;

20.

recommande en ce sens, afin d’assurer la cohérence entre les deux systèmes, qu’un solide mécanisme de coordination entre les services de la Commission européenne concernés soit mis en place, en particulier lors de la phase d’instruction des dossiers, afin d’éviter les éventuels conflits liés à l’utilisation des noms. Le CdR demande également que les IGIA soient intégrées au registre européen «GI view», qui regroupe déjà les IG agricoles;

21.

réitère sa position selon laquelle la protection des IGIA ne doit pas avoir de limite dans le temps et qu’elle devrait en tout état de cause prévoir la possibilité d’annuler la protection aux mêmes conditions que celles qui régissent les IG des produits agricoles (4);

22.

estime qu’une période transitoire sera nécessaire pour les États membres disposant déjà d’un système de protection, afin de permettre l’adaptation des IG antérieurement enregistrées au niveau national et leur intégration dans un nouveau système européen;

23.

est d’avis qu’il convient également de prévoir un système de coordination ou de reconnaissance qui permettrait de protéger les produits bénéficiant déjà d’une appellation d’origine dans certains États membres;

24.

estime indispensable l’utilisation d’un logo européen obligatoire pour que les consommateurs ou clients reconnaissent/identifient ces produits;

25.

plaide pour l’application aux IGIA du modèle agricole de procédure d’enregistrement en deux étapes: d’abord nationale ou régionale en fonction de l’organisation interne de l’État, puis européenne;

26.

recommande que la procédure d’enregistrement soit limitée dans le temps et soit gérée par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, sous réserve que celui-ci soit doté de compétences à cet effet;

27.

souligne que le lien entre l’aire géographique et le produit est fondamental et se traduit en particulier par l’importance prépondérante du facteur humain et des savoir-faire pour les IGIA. Sur certains territoires, la matière première a disparu ou n’est plus adaptée, ce qui n’a pas empêché les entreprises et le savoir-faire de se maintenir, voire de se développer pour réaliser des produits d’excellence.

28.

est d’avis que les cahiers des charges des IGIA doivent être transparents et crédibles afin de garantir la confiance des consommateurs. Les cahiers des charges doivent indiquer les étapes de fabrication, leur localisation, voire leur vérification et des éléments relatifs au respect des objectifs de développement durable;

29.

prête une attention particulière à la question de l’innovation et de la recherche, qui ne devra pas être bloquée par les cahiers des charges. En effet, nombre des entreprises innovent (approche globale, design, origine des matières premières, innovation sociale, utilisation de matériaux biosourcés ou recyclés, utilisation de technologies, brevets), créant une dynamique territoriale et maintenant une communauté humaine et professionnelle autour des produits concernés;

30.

considère que l’IG étant une garantie officielle, il est nécessaire de mettre en place des contrôles fiables des opérateurs concernés afin de garantir le respect du cahier des charges par les fabricants ainsi que la sécurité et la confiance des consommateurs;

31.

recommande de privilégier à cette fin la certification, permettant de garantir un contrôle extérieur et indépendant à des coûts acceptables;

32.

recommande la mise en place d’un même niveau de protection que pour les IG agricoles, et notamment l’intervention des États membres par des mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale d’IGIA;

33.

souligne que les règles en matière de protection des IGIA devraient intégrer la protection sur internet;

34.

estime que les groupements porteurs de l’IG sont des piliers des IGIA puisqu’ils veillent à la reconnaissance de l’IG ainsi qu’à leur gestion quotidienne; leur rôle doit être fort en matière de suivi des IG, de protection et de promotion;

35.

réitère sa position selon laquelle, dans des cas spécifiques et fondés, il serait raisonnable de prévoir que l’enregistrement d’une IG soit accordé à une seule structure, sous réserve de laisser l’accès à l’IG ouvert à tout nouveau producteur respectant les règles de l’IG (5);

36.

considère que les coûts liés à la procédure de demande et d’enregistrement ne devront pas être dissuasifs pour les producteurs et devront prendre la forme d’une contribution ponctuelle unique telle qu’une taxe d’enregistrement. En retour, les coûts à supporter par les autorités publiques compétentes au niveau national devraient être limités à l’instruction, à la promotion et, le cas échéant, à une supervision des contrôles ainsi qu’à l’application des mesures administratives ou judiciaires pour faire cesser l’utilisation illégale d’IGIA;

Aspects liés au commerce et à la concurrence

37.

souligne que les produits concernés par une IG sont présents sur différents circuits de commercialisation, tels que les circuits courts, l’internet ou les circuits professionnels comme l’hôtellerie. La protection que confère l’IG permettrait de développer ces marchés, par exemple en intégrant ces paniers de produits dans les campagnes de promotion régionales et/ou nationales, ou dans le cadre de la promotion du tourisme industriel;

38.

demande à la Commission européenne, afin de favoriser une commande publique durable, d’éclaircir dans quelle mesure le recours à des IGIA dans les procédures de passation de marchés publics peut être possible au titre de critères environnementaux objectifs comme les circuits courts et l’internalisation de coûts externes;

39.

rappelle que de nombreuses IGIA sont exportées et ont besoin d’une protection en Europe et au-delà. Faute d’une protection plus large, les stratégies collectives d’IG et les entreprises impliquées ne peuvent être pleinement efficaces, induisant une faiblesse de la protection de leurs droits de propriété industrielle et un maintien des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qui viennent fragiliser les entreprises situées, souvent, en milieu rural. Cette action protectrice doit couvrir les productions importées en provenance de pays tiers qui sont commercialisées dans l’Union européenne;

40.

souligne enfin qu’un règlement européen pour les IGIA permettrait de les inclure dans la liste des produits couverts par les accords commerciaux de l’Union européenne avec les pays tiers et garantirait ainsi leur protection sur des marchés clefs;

41.

en conséquence, prie la Commission européenne d’élaborer un projet de règlement aux fins de la protection des indications géographiques industrielles et artisanales au sein de l’Union européenne et de le soumettre pour débat et décision, lui demande de prendre en considération les observations et recommandations qu’il a exposées dans le présent avis et l’assure de sa coopération active et de son soutien à cet égard.

Bruxelles, le 13 octobre 2021.

Le président du Comité européen des régions

Apostolos TZITZIKOSTAS


(1)  Avis ECOS-V-064 COR-2014-05386-00-00-AC-TRA sur «L’extension de la protection de l’indication géographique aux produits non agricoles».

(2)  https://ec.europa.eu/growth/content/commission-seeks-public-opinion-protection-industrial-designs-and-eu-wide-geographical_fr.

(3)  Commission européenne, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, aspects économiques de la protection des indications géographiques au niveau de l’UE pour les produits non agricoles dans l’UE, étude réalisée par ECORYS, VVA et ConPolicy, 2020.

(4)  Ibidem.

(5)  Ibidem.