11.12.2020   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 429/290


Avis du Comité économique et social européen sur la «Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions — Une stratégie européenne pour les données»

[COM(2020) 66 final]

(2020/C 429/38)

Rapporteur:

Antonio GARCÍA DEL RIEGO

Consultation

Commission européenne, 22.4.2020

Base juridique

Article 304 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Décision du bureau du Comité

18.2.2020

Compétence

Section «Transports, énergie, infrastructures et société de l’information»

Adoption en section

23.7.2020

Adoption en session plénière

18.9.2020

Session plénière no

554

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

216/0/2

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le CESE se félicite de la proposition de la Commission relative à une stratégie pour les données qui fixe comme priorité le partage intersectoriel des données et vise à améliorer l’accès à celles-ci, leur utilisation, leur partage et leur gouvernance au moyen de mesures législatives propres à chaque secteur. Une stratégie ambitieuse pour les données peut permettre de répondre au besoin impérieux de renforcer les capacités de l’Union européenne en la matière.

1.2.

Le CESE soutient la Commission lorsqu’elle propose que l’architecture des données de l’Union soit globalement conçue de manière à veiller davantage au respect des droits des personnes en ce qui concerne l’utilisation et la protection de leurs données, ainsi que leur contrôle et leurs connaissances sur celles-ci, et à leur donner les moyens d’agir grâce à des «espaces de données à caractère personnel», à des garanties plus claires et au renforcement du droit à la portabilité pour les personnes physiques au titre de l’article 20 du règlement général sur la protection des données (RGPD) (1).

1.3.

Le CESE demande à la Commission de mettre en place une stratégie plus claire en vue d’étoffer son cadre pour les données. Celui-ci devrait être conçu de manière à combiner des normes élevées de protection des données, un partage intersectoriel et responsable de celles-ci, des critères précis quant à la gouvernance sectorielle et à la qualité des données, ainsi qu’un contrôle accru des données par les particuliers. Le CESE suggère en outre d’apporter davantage de précisions concernant l’approche de financement de la stratégie et recommande des solutions pour combler le déficit de compétences.

1.4.

Le CESE est d’avis que le développement de plateformes fondées sur les données en Europe devrait refléter les valeurs européennes, notamment en accordant une attention particulière aux individus. Il estime que l’actuelle approche centrée sur le consommateur devrait s’élargir et se transformer en une approche où «l’humain reste aux commandes», intégrant une dimension éthique en ce qui concerne l’utilisation des données.

1.5.

Le CESE déplore que, deux ans après son entrée en vigueur, le RGPD ne soit pas appliqué comme il se doit et que des divergences subsistent. La Commission devrait remédier à ces problèmes, en encourageant notamment les États membres à garantir que toutes les personnes, dans l’ensemble de l’UE, puissent bénéficier pleinement de leurs droits.

1.6.

Le CESE considère l’achèvement du marché unique comme une priorité majeure pour le bon fonctionnement des espaces communs de données.

1.7.

Compte tenu du caractère sensible des données partagées, le CESE insiste sur la nécessité de prévoir des garanties quant au respect de la vie privée des personnes au moyen de mécanismes de consentement, de contrôle, de sanction et de surveillance, et de veiller à ce que les données soient rendues anonymes (et ne puissent pas être désanonymisées).

1.8.

Le CESE recommande à la Commission de définir dans la stratégie l’option qu’elle préconise pour le concept de propriété des données. Les débats en cours sur le plan juridique créent actuellement chez les particuliers de l’incertitude quant aux requêtes qu’ils peuvent présenter.

1.9.

Le CESE plaide pour un dialogue renforcé avec la société civile et rappelle la nécessité de fournir aux PME des orientations plus claires sur les mécanismes de partage des données, deux aspects qui seront essentiels pour permettre une large participation aux espaces de données.

1.10.

Le CESE réaffirme qu’un marché unique des données devrait garantir que les données à caractère personnel ne soient pas soumises aux mêmes règles que les biens et les services, c’est-à-dire qu’elles ne soient pas peu à peu considérées comme des données à caractère non personnel (2).

1.11.

La Commission devrait s’attacher à ce que le cadre juridique permette l’égalité d’accès aux données entre toutes les entreprises, grandes et petites, et qu’il remédie au pouvoir de marché des plateformes dominantes. De manière générale, la Commission devrait présenter une proposition beaucoup plus claire et concrète concernant les contrôles et la gouvernance des espaces de données, notamment quant à la manière dont les parties prenantes partageront les données.

1.12.

Le CESE souligne qu’il est essentiel de prendre en compte l’incidence des produits personnalisés sur les personnes (comme la discrimination) et celle du partage des données sur les entreprises. Le cadre devrait garantir le respect de normes de sécurité élevées et de droits de propriété intellectuelle. Il conviendrait de protéger les données déduites et de ne les soumettre à aucune obligation d’accès ou de transfert.

1.13.

Le CESE insiste sur l’urgence de renforcer les compétences et l’habileté numériques par l’éducation et la formation, notamment en s’appuyant sur le cadre des compétences numériques et en encourageant les États membres à améliorer l’éducation tout au long de la vie pour les compétences qui seront les plus demandées, à tous les niveaux d’enseignement (3). Ainsi pourra-t-on faire en sorte que les particuliers deviennent des acteurs avertis, dotés de plus grandes connaissances et d’un contrôle accru sur leurs données, les applications de mégadonnées et la gouvernance des données, qui comprennent leur environnement numérique et les risques qu’il comporte (par exemple la personnalisation) (4).

1.14.

Le CESE invite la Commission à clarifier et consolider le rôle des autorités compétentes, des organisations de consommateurs et des organismes indépendants, lequel est d’importance pour la gouvernance des initiatives sectorielles et pour veiller à ce que les entreprises respectent les règles et à ce que les utilisateurs bénéficient d’orientations précises, de conseils et de formations.

2.   Observations générales: la bonne stratégie pour les données

2.1.

Le CESE approuve le fait que la Commission accorde une attention particulière aux données, qui constituent un élément important dans la vie des citoyens et l’activité des entreprises. La numérisation et les améliorations technologiques ont accru la portée et la fréquence des données générées, et elles en ont facilité le stockage, le traitement, l’analyse et le transfert. Les services fondés sur les données permettent d’accroître la commodité de la clientèle et de répondre à ses attentes, ainsi que d’améliorer les procédés industriels existants.

2.2.

Le CESE convient que l’innovation fondée sur les données est un moteur essentiel de la croissance économique et de la compétitivité de l’Union, et que son rôle est limité par le manque de disponibilité des données au niveau de l’industrie et des utilisateurs dans l’UE. Il souscrit à la proposition de la Commission visant à remédier à cette situation et à améliorer l’utilisation, le partage et l’accessibilité des données entre les secteurs grâce à des espaces communs de données respectant scrupuleusement les normes énoncées dans le règlement général sur la protection des données, au moyen d’un corpus commun de règles et de normes techniques et juridiques, ainsi que par des mesures complémentaires.

2.3.

Le CESE estime que la stratégie en matière de données sera essentielle pour soutenir la souveraineté technologique de l’Union européenne, afin de garantir un accès aux données et leur partage de manière sûre et sécurisée, de renforcer le contrôle des Européens sur leurs données et de générer des avantages pour les particuliers et les entreprises.

2.4.

Le CESE convient qu’une approche sectorielle en matière d’accès aux données est la plus appropriée pour cibler des solutions spécifiques susceptibles de prendre en compte les particularités de chaque secteur et de remédier aux défaillances du marché, tout en offrant les garanties les plus solides concernant la protection des consommateurs (5).

2.5.

Le CESE partage les préoccupations de la Commission quant au fait que la capacité de l’Union à exploiter des données et à les partager est limitée par d’importants problèmes d’interopérabilité des systèmes d’information. La crise de la COVID-19 a montré la nécessité et l’utilité de disposer d’un écosystème de données complet, les données ne s’arrêtant pas aux frontières des secteurs spécifiques, afin notamment de concevoir des solutions pour la sécurité des particuliers (par exemple, les données de géolocalisation et de santé) et d’éviter les cloisonnements. Dans le domaine des soins de santé, les chercheurs pourraient utiliser des données importantes sur le plan de la santé publique collectées par différents secteurs afin d’accélérer la mise au point des médicaments et de mieux comprendre les maladies.

2.6.

Le CESE reconnaît que l’innovation fondée sur les données est freinée par un déficit de compétences, une pénurie de travailleurs qualifiés dans le domaine des données au sein de l’UE et une faible habileté numérique. Il se félicite de l’objectif de la stratégie consistant à créer «un espace européen commun des données relatives aux compétences» et de la mise à jour prochaine du plan d’action de la Commission en matière d’éducation numérique.

3.   Étoffer le cadre de l’UE relatif aux données: observations générales

S’agissant du perfectionnement du cadre de l’Union européenne relatif aux données, le CESE met en avant l’enjeu crucial de l’éthique. L’étude sur «L’éthique des mégadonnées (Big Data)» (6), commandée par le CESE en 2016, traite de cette question, en considérant le besoin de protection de la vie privée et d’autodétermination de chaque individu sous plusieurs angles: la prise de conscience, le contrôle, la confiance, la propriété, la surveillance et la sécurité, l’identité numérique, la réalité personnalisée, la désanonymisation, la fracture numérique et le respect de la vie privée. Le CESE recommande d’envisager ces éléments comme principes directeurs de toute politique.

3.1.   Normes de protection des données

3.1.1.

Le CESE invite la Commission à souligner que les personnes devraient garder le contrôle sur les données, car la collecte et le partage de celles-ci ont des répercussions sur le respect de la vie privée et sur l’égalité. L’utilisation des données entre les secteurs donne la possibilité aux entreprises d’alimenter et d’améliorer leurs processus existants, de fournir des informations avec davantage d’efficacité et d’offrir aux consommateurs de nouveaux produits et expériences personnalisés. Les données au niveau de l’utilisateur, en particulier, fournissent des indications sur les caractéristiques intrinsèques, les besoins et les comportements non pris en compte par les données anonymisées, avec des retombées positives bien au-delà du secteur dans lequel les données ont été générées à l’origine. Dans le secteur financier, par exemple, le partage intersectoriel de données permettrait d’améliorer l’analyse des risques et la prévision des flux de trésorerie, de détecter les fraudes, de renforcer la capacité des particuliers à gérer le surendettement, ainsi que de favoriser l’inclusion et l’éducation financières. Néanmoins, la personnalisation peut entraîner des risques pour les consommateurs vulnérables, comme la discrimination, les abus et la manipulation.

3.1.2.

La Commission devrait remédier aux lacunes et à la fragmentation de la mise en œuvre du RGPD, aux interprétations juridiques divergentes et au manque de ressources affectées aux autorités chargées de la protection des données. Le règlement général sur la protection des données, élaboré en 2012, soumis au vote en 2016 et promulgué en 2018, n’est pas adapté au cadre proposé. Le CESE recommande à la Commission de mettre dûment à jour le RGPD et de procéder à des analyses d’impact, ledit règlement devant aller de pair avec la nouvelle approche relative aux espaces communs de données. Il invite également la Commission à s’attaquer aux limitations aux droits à la portabilité des données énoncées dans le RGPD. Celles-ci ont été définies à une période où les changements de services n’avaient généralement lieu qu’une seule fois, tandis qu’aujourd’hui, les données sont réutilisées à de nombreuses reprises et sont utiles en temps réel.

3.1.3.

Même si le CESE estime que les outils proposés pourront aider les particuliers à décider «de l’utilisation faite de leurs données» (7), il y aurait lieu, pour moins d’incertitude juridique, que la Commission définisse dans la stratégie l’option qu’elle préconise quant au concept de propriété des données, afin de préciser à titre général qui en est le propriétaire et, par exemple, ce qu’il en est et advient de ces données dans les cas où elles sont générées par des appareils électroménagers connectés.

3.1.3.1.

Il existe une différence, qu’il convient de souligner clairement, entre les droits des personnes en matière de données et la propriété des données.

3.1.4.

Sachant que fournir des données pour recevoir des services gratuits équivaut à une forme de paiement, le CESE invite la Commission à mentionner à quel texte ou critère elle se réfère quand elle invoque «l’intérêt public» et à indiquer quelle est sa finalité dans ce domaine. Le Comité préconise en outre que la Commission donne une définition au don de données sans contrepartie directe (également appelé «altruisme des données») et qu’elle prévoie les mesures utiles pour éviter que les collecteurs de données s’exonèrent de respecter leurs obligations.

3.2.   Un cadre responsable pour le partage des données

3.2.1.

La Commission devrait préciser comment elle entend fournir des orientations aux particuliers, afin qu’ils comprennent la manière dont fonctionnent les «espaces de données à caractère personnel». Sans ces connaissances, le droit d’accès des personnes à ces espaces sera dénué de sens, et la mise en application de la proposition sera inefficace et compromettra la réalisation des objectifs fixés par la stratégie.

3.2.2.

L’UE a reconnu la nécessité de prévoir un droit de partage et a établi des mécanismes pratiques dans le cadre de certaines initiatives sectorielles, comme pour les prestataires de services de traitement des données (règlement relatif à la libre circulation des données (8)) ou pour les données détenues dans les comptes de paiement (DSP2 (9)). Toutefois, à l’exception de quelques cas spécifiques, les particuliers (utilisateurs de données, consommateurs, citoyens) ne disposent ni des compétences, ni des connaissances, ni des outils pour demander l’accès à leurs données à caractère personnel et non personnel ou pour les partager facilement et efficacement.

3.2.3.

Afin de renforcer la portabilité «en imposant des exigences plus strictes concernant les interfaces d’accès aux données en temps réel», de garantir des espaces de données à caractère personnel et de veiller à ce que les fournisseurs jouent le rôle de «médiateur neutre» (10), le CESE attire l’attention de la Commission sur les cas d’utilisation de mécanismes de partage sécurisés, comme les systèmes d’identification numérique personnelle, qui sont susceptibles d’être adoptés par des organismes privés comme publics et étendus en vue de l’accélération du partage intersectoriel des données. Les applications d’identification électronique dans le secteur financier comme «itsme» (une identité mobile pour les transactions numériques) sont des exemples d’utilisation fructueuse et mutuellement avantageuse, notamment entre les banques et les opérateurs mobiles. Elles créent une valeur importante pour les entreprises (économies de coûts, augmentation des ventes, réduction de la fraude et de l’usurpation d’identité), offrent un plus grand choix, préservent la vie privée des utilisateurs, renforcent la confiance des consommateurs, fournissent aux particuliers des mesures et des outils d’authentification forte pour gérer leurs droits et exercer un contrôle, et permettent des processus numériques sécurisés, pratiques et rapides, comme la dématérialisation du processus de souscription.

3.2.4.

Le CESE renvoie la Commission à l’expérience de la DSP2, qui permet aux fournisseurs tiers d’utiliser, avec leur consentement, les données des consommateurs détenues par les banques à des fins d’innovation, ainsi qu’à d’autres cas d’utilisation (tels que le recours aux données de géolocalisation et aux données de transaction) qui peuvent servir d’inspiration pour élargir le cadre de partage des données. Ces principes devraient être appliqués de la même manière et simultanément dans tous les secteurs afin de garantir des conditions de concurrence équitables entre les différents acteurs du marché.

3.2.5.

L’Union européenne devrait s’appuyer sur le RGPD pour favoriser un partage intersectoriel des données des utilisateurs et reproduire ces initiatives existantes dans différents secteurs afin de faciliter l’échange sécurisé des données et d’apporter des avantages aux particuliers et de la valeur aux entreprises. Cela devrait garantir à l’utilisateur final le droit de demander que ses données à caractère personnel fournies (données saisies, par exemple, son nom, son adresse) et observées (par exemple la géolocalisation) soient transférées directement d’un détenteur de données à un autre, d’une manière standardisée, au moyen d’interfaces de programmation en temps réel (11). Une personne pourrait par exemple demander à Spotify de donner à Deezer l’accès aux listes de lecture qu’elle a écoutées. Ainsi serait-il possible de garantir le respect des principes du RGPD sur la protection de la vie privée, de permettre aux utilisateurs de conserver un contrôle complet sur le processus et de tirer parti de la valeur de leurs données, de même que de rendre réellement effectif le droit à la portabilité des données à caractère personnel, et ce en temps utile, de manière dynamique et transparente, tout en appliquant par extension ces mêmes principes à certaines données à caractère non personnel.

3.2.6.

Les entreprises comme les utilisateurs devraient être en mesure de partager leurs propres données en toute sécurité, quel qu’en soit le responsable de la collecte, ainsi que de choisir et gérer les personnes avec lesquelles elles partagent des données et la manière dont ces données partagées sont utilisées.

3.2.7.

Le système et le fonctionnement des espaces communs de données devraient présenter le niveau de qualité d’un registre public; les fournisseurs de données devraient eux-mêmes garantir la qualité uniforme des données et la continuité de cette infrastructure. Ces préposés aux données («data stewards») ne devraient pas créer d’obstacles au partage des données, mais au contraire l’améliorer. Il s’agit là d’une condition essentielle à la gestion fiable et continue des données et à la disponibilité de données de haute qualité. Le CESE estime que la qualité des données n’est pas assez mise en avant dans la stratégie et qu’elle mérite des précisions. Il recommande en outre de fixer pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, un seuil minimal d’obligations afin de garantir la qualité des données et le respect des droits des personnes. Étant donné que la qualité des données peut s’avérer onéreuse et que les parties prenantes n’ont pas toutes accès aux technologies requises, ces critères de seuil devraient être réalistes pour toutes les entreprises, et notamment les PME; celles-ci peuvent en effet rencontrer des difficultés à se conformer à ces critères en raison de leurs ressources limitées, et il convient de les soutenir afin de ne pas leur imposer de coûts excessifs (12).

3.2.8.

Les plateformes fondées sur les données sont les entreprises les plus valorisées en raison de leur importance stratégique au sein des marchés numériques et de leur contrôle oligopolistique d’ensembles de données spécifiques. Cependant, la mesure dans laquelle les entreprises européennes peuvent tirer parti des données pour nourrir l’innovation est limitée par la disponibilité restreinte de ces données. Les marchés numériques sont caractérisés par une approche dite du winner-takes-all («le gagnant rafle tout»), dans laquelle quelques grandes entreprises se trouvent à la croisée des flux de données en ligne, ce qui leur donne accès à des informations non disponibles pour d’autres fournisseurs. Même lorsque les actifs de données sont plus largement répartis, ils sont rarement disponibles par-delà les frontières des secteurs, ce qui réduit les possibilités d’innovation intersectorielle pour l’industrie et d’autres entités. Aucune plateforme n’étant tenue de constituer une réserve de données, l’utilisateur final n’est pas en mesure de combiner et d’agréger les données qu’il génère dans différents secteurs. Le CESE demande instamment à la Commission d’examiner comment améliorer le contrôle de leurs données par les professionnels et les particuliers, en commençant en priorité par les plateformes systémiques (grandes entreprises technologiques). Le CESE suggère également la création d’une plateforme soutenue par l’UE qui centralise et regroupe l’ensemble des données publiques de l’Union disponibles sur le marché des entreprises qui en font la demande.

3.3.   Gouvernance des espaces de données

3.3.1.

Le CESE propose les critères suivants pour régir les espaces de données sectoriels. Premièrement, une intervention prenant la forme d’un accès aux données devrait viser à corriger les défaillances du marché qui entraînent une hausse des prix à la consommation, une offre réduite pour le consommateur et une innovation restreinte. Deuxièmement, l’accès aux données doit favoriser l’essor d’une innovation axée sur le consommateur. Troisièmement, les opérateurs qui traitent des données à caractère personnel devraient être tenus de respecter des normes élevées en matière de sécurité et de sûreté des données. Quatrièmement, il conviendrait d’offrir aux particuliers des solutions techniques pour le contrôle et la gestion des flux d’informations à caractère personnel. Cinquièmement, ceux-ci devraient être autorisés à s’opposer au partage de leurs données à caractère personnel et pouvoir accéder à des voies de recours en cas de non-respect de ces principes (le CESE défend le principe de l’«humain aux commandes»).

3.3.2.

Toutes les données ne devraient pas être ouvertes ou rendues publiques. Des règles différentes devraient s’appliquer selon que les données sont partagées d’entreprise à entreprise (B2B), d’entreprise à consommateur (B2C), d’entreprise à administration publique (B2G) ou de particulier à entreprise (Me2B). Les données déduites devraient être protégées et aucune obligation d’y accéder ou de les transférer ne devrait être imposée.

3.3.3.

Le partage de données entre les espaces de données reposera sur des ensembles de données mixtes (données à caractère personnel et non personnel), par exemple dans les espaces liés aux soins de santé et à la finance. La collecte et l’utilisation de données sensibles et à caractère personnel à des fins de surveillance ou de localisation devraient nécessiter le consentement de chaque individu concerné. Le but de ces garanties serait de faire en sorte que la combinaison de points de données à caractère personnel (comme des informations financières et sanitaires) ne débouche pas sur des effets de verrouillage, des abus ou de la discrimination, par exemple en ce qui concerne l’accès des personnes à l’emploi.

3.3.4.

Le partage des données est entravé par le fait que les parties prenantes (entreprises et particuliers) n’ont pas connaissance des mécanismes d’identification, d’authentification et d’autorisation permettant de transférer des données en toute confidentialité, en particulier dans le domaine des soins de santé, ou qu’elles n’y ont pas accès. Le CESE recommande l’utilisation et la mise en œuvre d’un ensemble commun de données en matière de soins de santé, semblable au format électronique européen unique (FEEU).

3.3.5.

Il y a lieu de définir des conditions d’accès aux données par des tiers à des fins de recherche et développement. C’est le RGPD qui devrait s’appliquer, par exemple, lorsque des chercheurs dans le domaine des soins de santé et des services municipaux utilisent des données libres.

3.3.6.

Le CESE souligne que les entreprises ne sont pas toutes converties au numérique (comme les industries traditionnelles et de nombreuses PME européennes) et qu’elles ne parviennent pas toutes à tirer profit de la valeur des données, ce qui nuit à l’égalité des conditions de concurrence au sein du marché intérieur. Le partage volontaire des données est un outil utile, mais insuffisant, pour garantir l’égalité d’accès aux données. La Commission devrait corriger ce déséquilibre entre les entreprises numériques et les autres, ainsi qu’entre les grandes et les petites entreprises. La stratégie en faveur des PME et la stratégie industrielle de l’UE constituent à cet effet un bon point de départ.

3.3.7.

Le CESE fait valoir que malgré les progrès qu’a accomplis l’Union en matière de convergence, son marché unique numérique est encore loin d’être homogène: ses règles demeurent fragmentées. En conséquence, il est difficile et inefficace pour les entreprises de se développer et de faire le poids face à leurs concurrentes américaines et chinoises, qui sont régies par un cadre réglementaire véritablement unique et rachètent leurs rivales européennes, comme ce fut le cas de Skype et Booking.com. Les fondateurs de jeunes pousses de l’Union finissent par se délocaliser aux États-Unis ou vers des marchés plus favorables aux entreprises afin de bénéficier de marchés uniques plus vastes et de capital-risque plus élevé. Pour être efficace, une infrastructure commune d’appui aux espaces de données devrait également tenir compte de la nature multilingue du marché unique (13).

3.4.   Financement

3.4.1.

La stratégie prévoit un financement compris entre 4 et 6 milliards d’euros, dans lequel à la fois les États membres et l’industrie de l’UE devraient co-investir. La Commission devrait préciser comment elle entend mobiliser des fonds, et établir des critères clairs pour garantir et évaluer leur allocation équitable.

3.4.2.

Afin de garantir un investissement privé suffisant et la continuité des services existants dont bénéficient de nombreuses entreprises de l’UE, le CESE juge essentiel de maintenir la participation de fournisseurs étrangers au projet, dans le respect des règles de l’Union. Le financement public, par exemple au titre du programme «Horizon Europe» et du programme pour une Europe numérique, est tout aussi crucial. Cependant, le budget de l’Union, qui sera soumis aux priorités budgétaires dans la perspective de la relance, a été réduit par rapport à la première proposition présentée en mai par la Commission. S’il est vrai que l’enveloppe financière globale allouée aux principales capacités numériques stratégiques de l’Europe a augmenté par rapport au précédent cadre financier pluriannuel, le budget du programme pour une Europe numérique a néanmoins été ramené de 8,2 milliards à 6,76 milliards d’euros.

3.5.   Combler le déficit de compétences

3.5.1.

Si la crise économique pourrait induire des changements dans la hiérarchie des emplois jugés utiles pour la collectivité, elle ne réduira probablement pas pour autant le besoin de compétences techniques. L’automatisation peut se traduire par une redéfinition des emplois et des tâches (nécessitant plus de compétences non techniques), ainsi que par un redéploiement massif des professions, plutôt que par du chômage de masse (14).

3.5.2.

En ce qui concerne les emplois dans le domaine des mégadonnées, les compétences qui semblent être les plus demandées (15) sont les suivantes: capacités d’analyse, visualisation de données, connaissance du domaine d’activité et des outils liés aux mégadonnées, programmation, résolution de problèmes, langage de requête structuré (Structured Query Language — SQL), exploration de données, maîtrise des technologies, des nuages publics et des nuages hybrides, et expérience pratique. Certaines d’entre elles peuvent être enseignées dans les écoles, d’autres doivent être acquises et renforcées tout au long de la vie, selon une approche d’apprentissage «tout au long de la vie et embrassant tous les aspects de celle-ci», par l’intermédiaire de l’apprentissage continu, non formel et informel (16).

3.5.3.

En vue de saisir cette chance, l’éducation demeurant une compétence nationale, le CESE invite la Commission à encourager les États membres à adopter des politiques plus fermes visant à renforcer l’habileté numérique, à corriger le déficit de compétences en matière de données et à remédier à sa concentration pour lutter contre les inégalités sur tout le territoire de l’UE, ainsi qu’à réduire les pertes de savoir-faire.

3.5.4.

L’Union devrait revoir en profondeur ses programmes de formation et d’enseignement. Trop souvent, les filières dites STEM (17) ne sont pas suffisamment intégrées dans les programmes des différents niveaux d’enseignement. Les conséquences touchent en particulier les femmes, ce que manque de souligner la Commission, en dépit des recommandations de sa présidente sur l’égalité entre les femmes et les hommes (18). Dans ce domaine, le CESE considère le cadre des compétences numériques pour les citoyens (19) comme un outil utile qu’il conviendrait de promouvoir et d’appliquer à plus grande échelle. Le Comité invite la Commission à encourager les États membres à lancer de manière proactive des initiatives dans ce cadre et à en accélérer la mise en place.

3.5.5.

Le CESE suggère à la Commission de renforcer le rôle des organisations de consommateurs, qui dispensent aux utilisateurs des cours, des formations et des conseils en toute indépendance concernant les outils que les particuliers peuvent utiliser, par exemple pour obtenir des informations sur l’utilisation et le partage des données, sur les entités qui détiennent leurs données ou sur les possibilités d’introduire un recours et de déposer plainte. Afin d’accroître l’habileté numérique, des initiatives telles que le cours en ligne proposé en Finlande sur les rudiments de l’intelligence artificielle (désormais accessible à tous gratuitement, dans toutes les langues de l’Union) pourraient être étendues à différents modules d’enseignement.

Bruxelles, le 18 septembre 2020.

Le président du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-european-strategy-data-19feb2020_fr.pdf, p. 24.

(2)  JO C 14 du 15.1.2020, p. 122.

(3)  Voir note de bas de page 2.

(4)  Bien qu’ils connaissent de mieux en mieux leurs droits, il reste difficile pour eux de savoir comment leurs données sont utilisées et partagées par l’ensemble des organisations concernées: 81 % des Européens ont le sentiment de n’avoir aucun contrôle ou seulement un contrôle partiel à cet égard. Voir l’enquête Eurobaromètre (juin 2019), https://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/survey/getsurveydetail/general/doChangeLocale/locale/fr/curEvent/survey.getsurveydetail/instruments/special/surveyky/2222/

(5)  Voir https://ec.europa.eu/info/files/communication-europes-moment-repair-and-prepare-next-generation_fr, p. 10 et 11.

(6)  Voir l’étude du CESE intitulée «L’éthique des mégadonnées (Big Data) — Équilibrer les avantages économiques et les questions d’éthique liées aux données massives dans le contexte des politiques européennes» (2017).

(7)  Les instruments tels que les «outils de gestion des consentements, [les] applications de gestion des informations à caractère personnel, y compris [les] solutions entièrement décentralisées» sont les outils appropriés. https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-european-strategy-data-19feb2020_fr.pdf, p. 12.

(8)  Règlement établissant un cadre applicable au libre flux des données à caractère non personnel dans l’Union européenne: https://ec.europa.eu/knowledge4policy/publication/regulation-free-flow-non-personal-data_en

(9)  Deuxième directive sur les services de paiement: https://ec.europa.eu/info/law/payment-services-psd-2-directive-eu-2015-2366_en

(10)  https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-european-strategy-data-19feb2020_fr.pdf, p. 24.

(11)  JO C 62 du 15.2.2019, p. 238.

(12)  Voir note de bas de page 11.

(13)  JO C 75 du 10.3.2017, p. 119.

(14)  Pour chaque emploi perdu à l’avenir en raison de la numérisation, 3,7 nouveaux pourraient être créés à la place. Voir https://www.agoria.be/fr/Agoria-Sans-politique-adaptee-il-y-aura-584-000-postes-vacants-non-pourvus-en-2030; https://newsroom.ibm.com/2019-10-30-MIT-IBM-Watson-AI-Lab-Releases-Groundbreaking-Research-on-AI-and-the-Future-of-Work; voir l’avis TEN/705 du CESE, voir page 77 du Journal officiel (JO C 13 du 15.1.2016, p. 161).

(15)  Utkarsh Singh, Top 10 In-Demand Big Data Skills To Land «Big» Data Jobs in 2020 (Les dix compétences les plus demandées en matière de mégadonnées pour décrocher en emploi dans le domaine des mégadonnées en 2020), blog upGrad, 24 décembre 2019, https://www.upgrad.com/blog/big-data-skills/

(16)  Voir note de bas de page 2.

(17)  À savoir, les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques.

(18)  Avis du CESE TEN/705 (voir p. 77 du Journal officiel).

(19)  Pôle scientifique de l’UE, «DigComp: cadre des compétences numériques pour les citoyens» (Commission européenne), https://ec.europa.eu/jrc/en/digcomp