18.10.2019   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 353/65


Avis du Comité économique et social européen sur «Promouvoir des chaînes alimentaires courtes et alternatives dans l’Union européenne: le rôle de l’agroécologie»

(avis d’initiative)

(2019/C 353/11)

Rapporteure: Geneviève SAVIGNY

Décision de l’assemblée plénière

24.1.2019

Base juridique

Article 32 du règlement intérieur

Avis d’initiative

Compétence

Agriculture, développement rural et environment

Adoption en section

28.6.2019

Adoption en session plénière

17.7.2019

Session plénière no

545

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

135/7/21

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le CESE souligne dans cet avis que les circuits courts et l’agroécologie sont de nouveaux horizons pour les agricultures européennes. Depuis plus de 50 ans, alors que ces démarches innovantes allaient à l’encontre de la globalisation des systèmes alimentaires, elles se sont structurées, sont étudiées dans de nombreux programmes de recherche nationaux et européens, sont soutenues dans leur développement par des fonds publics et privés et attirent de plus en plus de nouveaux agriculteurs dans ces systèmes. L’agroécologie et les circuits courts ont été ainsi confirmés dans leur capacité et leur pertinence de réponse aux défis alimentaires. Ils pourraient constituer un pilier essentiel d’une politique visant des systèmes alimentaires durables et la réalisation des objectifs de développement durable d’ici 10 ans (2030).

1.2.

Dans toute l’Europe, des systèmes innovants rapprochant consommateurs et producteurs comme les CSA (community supported agriculture) et autres formes de «paniers»se développent. Beaucoup de ces producteurs pratiquent l’agriculture biologique ou d’autres formes non labellisées de méthodes respectant l’environnement. Les collectivités territoriales sont souvent impliquées, mettant en place des systèmes de gouvernance alimentaire locale rassemblant les différents acteurs, et favorisant notamment l’utilisation de produits locaux dans la restauration collective. La vente en circuit court constitue une réelle opportunité pour des petites structures d’augmenter la valeur ajoutée et la rentabilité des fermes. Cette re-localisation apporte de l’emploi et du dynamisme local, avec un fort engagement des agriculteurs la pratiquant. Pour les consommateurs, c’est une source de produits frais et de bonne qualité, riche d’une histoire et de relations humaines, et qui constitue un moyen de s’intéresser et de s’éduquer à l’alimentation et à la valeur des produits.

1.3.

Ce mode de production-distribution n’est pas adapté à toutes les exploitations agricoles, pour des raisons de type de production, de localisation géographique ou de manque de population urbaine capable de consommer par exemple tout le vin ou toute l’huile d’olive d’une zone très agricole. Il ne remplace pas non plus le besoin d’aliments non produits localement. Dans des circuits plus longs, les systèmes de labels de qualité européens (indication géographique protégée, appellation d’origine protégée, spécialité traditionnelle garantie) constituent une source d’identification et de valorisation facilitant le choix des consommateurs.

1.4.

Dans ce contexte, le CESE observe l’émergence de l’agroécologie comme un nouveau paradigme alimentaire et agricole. Science, technique et mouvement social, l’agroécologie considère le système alimentaire dans sa globalité et vise à rapprocher le producteur de son environnement, en préservant voire en restaurant la complexité et la richesse de l’agro-éco-socio-système. Promue par la FAO et faisant l’objet de nombreuses recherches et conférences, l’agroécologie connaît un fort développement en Europe, y compris au niveau institutionnel, dans le cadre de programmes de développement agricole nationaux.

1.5.

Le CESE considère que l’agroécologie constitue l’horizon vers lequel doit tendre l’agriculture européenne, qui dépend intrinsèquement de la préservation des ressources naturelles pour son développement. Inspirés par les modèles aboutis comme l’agriculture biologique (en excluant certaines dérives du bio «industriel»), la permaculture et autres systèmes paysans traditionnels, les engagements dans la transition vers la réduction des intrants, la revitalisation des sols, l’introduction de cultures variées et la protection de la biodiversité doivent être encouragés et valorisés.

1.6.

Le CESE souhaite le déploiement du projet agroécologique au niveau de l’Union européenne et s’appuie sur un plan d’action structuré à l’aide de différents leviers, au niveau local, régional et européen. Une politique alimentaire globale promue par le CESE peut en fournir le cadre. Parmi les mesures importantes, retenons:

rendre accessible le financement pour la mise en place des équipements nécessaires, individuels ou collectifs (2e pilier de la PAC),

appliquer la législation alimentaire de façon adaptée aux petits producteurs avec de la flexibilité pour les productions à petite échelle, de même que pour les exigences en matière d’étiquetage, etc.,

mettre en place ou renforcer des services d’éducation et de conseil adéquats pour la transformation, la vente directe et l’agroécologie,

favoriser les réseaux d’échanges entre agriculteurs,

orienter la recherche vers l’agroécologie et les besoins des producteurs en circuits courts,

au niveau des territoires: des règles adaptées de concurrence doivent être mises en place pour faciliter l’approvisionnement de la restauration collective en circuit courts et locaux.

2.   Introduction

2.1.

Deux avis du CESE (1) ont mis en avant la nécessité de développer une politique alimentaire globale dans l’Union européenne basée sur plusieurs piliers, dont le développement de circuits alimentaires plus courts.

2.2.

Un nombre croissant d’initiatives sont mises en place à l’échelon local et régional pour soutenir des systèmes alimentaires alternatifs et des chaînes alimentaires courtes. Une politique alimentaire globale devrait s’appuyer sur une gouvernance commune à tous les niveaux – local, régional, national et européen –, qu’elle devrait par ailleurs stimuler et développer. Une telle approche permettrait de créer un cadre propice à l’essor de ces initiatives, quelle que soit l’échelle à laquelle elles sont menées, et est nécessaire pour la réalisation des objectifs de développement durable en Europe.

2.3.

Dans ce contexte, l’agroécologie apparaît comme un nouveau paradigme agricole et alimentaire, accompagnant le développement de ces nouvelles pratiques d’approvisionnement et de production alimentaires.

2.4.

Le présent avis vise à observer le rapprochement des producteurs et consommateurs dans des circuits plus courts et le développement de l’agroécologie, afin de dégager les conditions et outils permettant d’orienter le système alimentaire dans le sens de la pleine réalisation des objectifs de développement durable.

3.   Le développement des circuits courts

3.1.

L’Union européenne utilise comme définition dans le cadre des politiques de développement rural [règlement (UE) no 1305/2013]: «circuit d’approvisionnement impliquant un nombre limité d’opérateurs économiques, engagés dans la coopération, le développement économique local et des relations géographiques et sociales étroites entre les producteurs, les transformateurs et les consommateurs» (2).

3.2.

La distribution alimentaire connaît de profondes mutations depuis la fin des années 1990. Une meilleure éducation à l’alimentation et des crises sanitaires successives liées à de mauvaises pratiques agricoles et agro-industrielles ont fait émerger chez un nombre croissant de consommateurs de nouveaux critères de qualité intégrant des références à la santé et au développement durable (3). La dérégulation des marchés agricoles, la forte volatilité des prix, souvent inférieurs aux coûts de revient, et les faibles revenus agricoles, face au souci croissant pour les consommateurs d’avoir une alimentation saine et de qualité, conduisent certains agriculteurs à faire évoluer leurs modes de production et de commercialisation. On voit apparaître des phénomènes de diversification sur l’ensemble de la chaîne allant de la production à la consommation. De nouvelles productions agricoles apparaissent, les producteurs doivent prendre l’initiative d’aller chercher de nouveaux marchés ou d’inventer de nouvelles façons de vendre en circuits courts pour que l’investissement humain et économique dans la diversification soit rétribué, et des pratiques évoluent vers plus de durabilité, poussées par le rapprochement effectué entre producteurs et consommateurs. En 2015, le service de recherche du Parlement européen (SRPE) a mis en avant que 15 % des agriculteurs ont vendu la moitié de leur production par le biais des circuits courts et un sondage Eurobaromètre de 2016 a relevé que quatre citoyens européens sur cinq considéraient que «renforcer le rôle de l’agriculteur dans la chaîne agroalimentaire»est important. Les circuits courts gagnent du terrain en Europe, mais de manière inégale entre les pays.

3.3.

Les formes de vente directe sont ainsi très nombreuses. Au-delà des formes traditionnelles, à la ferme ou à l’extérieur, les initiatives se développent. L’un des secteurs d’innovation les plus dynamiques des vingt dernières années est celui des partenariats locaux et solidaires reliant consommateurs et producteurs pour des livraisons de «paniers»sur une base contractuelle, intégrant essentiellement des productions biologiques, qui ont été fédérés et développés par l’organisation internationale Urgenci. On observe également dans de nombreux pays des démarches collectives de dynamisation du secteur par l’organisation de foires ou d’évènements locaux tels que le réseau «Campagna amica»en Italie. La contribution du secteur coopératif est très importante. C’est un secteur qui attire les jeunes et des nouveaux installés souvent enthousiastes.

3.4.

L’incidence «très positive»des circuits courts alimentaires a été soulignée dans l’avis susmentionné (4), en particulier sur la fraîcheur et la qualité organoleptique et nutritionnelle des produits. Après le développement d’un système alimentaire globalisé depuis plus de trente ans, il semble reconnu et partagé que le rapprochement des liens entre producteurs et consommateurs et les systèmes localisés présentent de nombreux effets bénéfiques. Les circuits courts améliorent la valeur ajoutée et la rentabilité des petites fermes, permettent de vendre des produits identifiés qui «racontent une histoire»aux consommateurs, alors disposés à payer plus cher, et créent de l’animation et du lien social en zone rurale. Une amélioration de la qualité des productions alimentaires et des circuits de commercialisation responsabilise les consommateurs à l’égard de la valeur de l’alimentation et du gaspillage, et donc participe à une réduction des impacts de l’alimentation sur le dérèglement climatique.

3.4.1.

Ce mode de commercialisation génère des externalités positives pour l’ensemble de la communauté (création d’emplois non délocalisables, maintien de la valeur ajoutée sur le territoire, attractivité touristique ou résidentielle). Ces externalités plus larges doivent être prises en compte dans le soutien au développement des circuits courts et les dynamiques des territoires.

3.4.2.

Les initiatives de circuits courts foisonnent et sont basées sur des innovations sociales, organisationnelles et territoriales qui restent en structuration. Dans de nombreux travaux, la dimension territoriale et l’identité collective sont mises en avant comme des facteurs clés de leur durabilité et de leur pérennité. L’enjeu est donc de donner les moyens pour créer des systèmes alimentaires territoriaux basés sur une gouvernance locale et représentative des acteurs eux-mêmes (5).

3.5.

Internet se révèle être un nouveau champ d’exploration et d’innovation pour les circuits courts. Sa généralisation depuis une dizaine d’années s’est également faite dans les circuits courts alimentaires. Offrant un marché plus large que le marché de producteurs classique, il permet aussi d’améliorer et de fluidifier les échanges. De nombreuses plateformes de commande en ligne ont fait leur apparition ces cinq dernières années. Ces «hubs alimentaires»permettent une «mise en relation directe»entre producteurs et consommateurs, notamment pour des produits qui n’existent que localement. Ils peuvent permettre à des producteurs, mais aussi à des consommateurs de se rassembler pour faire des achats/ventes de façon groupée, facilitant ainsi la logistique dans le circuit court alimentaire. D’autres usages de la numérisation s’appliquent à la production et la transformation des produits.

4.   L’agroécologie, une nouvelle manière d’aborder l’agriculture

4.1.

Lors du deuxième symposium international sur l’agroécologie organisé à Rome en 2018, la FAO en a proposé la définition suivante: «L’agroécologie consiste à appliquer des concepts et principes écologiques de manière à optimiser les interactions entre les végétaux, les animaux, les humains et l’environnement, sans oublier les aspects sociaux dont il convient de tenir compte pour que le système alimentaire soit durable et équitable. En créant des synergies, l’agroécologie peut non seulement contribuer à la production alimentaire, à la sécurité alimentaire et à la nutrition, mais aussi permettre de restaurer les services écosystémiques et la biodiversité, qui sont essentiels à une agriculture durable» (6).

4.2.

L’agroécologie s’est construite dans trois grandes dimensions. La première est l’agroécologie apparue dès les années 1920 comme un ensemble de disciplines scientifiques (physique, chimie, écologie, aménagement des espaces) qui abordent l’agriculture au travers de systèmes complexes d’interactions de l’agro-écosystème. La deuxième dimension est l’agroécologie comme un ensemble de pratiques agricoles durables qui optimisent et stabilisent les récoltes. Enfin, la troisième dimension de l’agroécologie est son existence comme mouvement social à la recherche de la souveraineté alimentaire et de nouveaux rôles multifonctionnels pour l’agriculture (7). L’agroécologie a aussi évolué vers une meilleure prise en compte des enjeux alimentaires, comme le montrent les documents tels que «Redesigning the food system»(Hill, 1985) et «Agroécologie, l’écologie des systèmes alimentaires durables», ouvrage de référence de Steve Gliessman.

4.3.

L’agroécologie s’appuie sur un socle commun de dix principes, définis et recensés par la FAO, lesquels «visent à aider les pays à transformer leurs systèmes alimentaires et agricoles, à généraliser l’agriculture durable, ainsi qu’à atteindre l’objectif «faim zéro»et de multiples autres objectifs de développement durable:

diversité, synergies, efficience, résilience, recyclage, co-création et partage de connaissances (description des caractéristiques communes des systèmes agroécologiques, pratiques fondatrices et approches novatrices),

valeurs humaines et sociales, culture et traditions alimentaires (caractéristiques contextuelles),

économie circulaire et solidaire, gouvernance responsable (environnement porteur).

Les dix éléments de l’agroécologie sont liés et interdépendants» (8).

4.4.

Sur la base de ces dix principes, plusieurs agricultures peuvent s’en revendiquer: l’agriculture biologique, qui utilise les mêmes principes dans un cadre normalisé (la réglementation de l’Union relative à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques (9)), l’agriculture biodynamique, l’agriculture intégrée, l’agroforesterie, qui combine cultures et production arboricole, ou la permaculture partagent un socle commun qui est une approche complexe et systémique de l’agriculture allant de la production jusqu’à la consommation alimentaire. Le rôle central de la préservation de la qualité et de la vie des sols dans ces formes d’agriculture doit être souligné.

L’agroécologie constitue un changement de paradigme pour l’agriculture afin de lutter contre le changement climatique, reconstituer des écosystèmes vivants et protéger l’eau, le sol et toutes les ressources dont dépend la production agricole. Il convient d’encourager tous les engagements des agriculteurs qui visent à reconsidérer les pratiques et les rapports à l’écosystème afin de diminuer les externalités négatives et d’augmenter les externalités positives. Réductions des intrants chimiques, introduction de plus de diversité dans les rotations, agriculture de conservation et préservation de la biodiversité sont des étapes à encourager sur le chemin d’une transition agroécologique de l’ensemble des fermes en Europe.

4.5.

Le mouvement social développé dans les années 70-80 à partir de l’Amérique latine par des organisations telles que la Via Campesina a initié le développement international exponentiel de cette approche du système alimentaire dans ses trois dimensions (scientifique, technique et sociale). L’Europe est aussi engagée dans ce mouvement. La FAO a organisé un premier symposium à Rome en septembre 2014, «L’agroécologie pour la sécurité alimentaire et la nutrition», suivi par plusieurs séminaires régionaux, dont celui de Budapest en novembre 2016 pour l’Europe, et elle préconise le développement de l’agroécologie pour la réalisation des objectifs de développement durable et de l’accord de Paris. Un prochain évènement aura lieu en Europe fin 2019. Le programme de recherche européen Horizon 2020 a intégré de nombreux thèmes liés à l’agroécologie, l’agriculture biologique et les circuits courts, et le PEI-Agri, qui a également exploré ces thèmes pour le développement agricole, organise le prochain Sommet de l’innovation agricole (AIS) sur l’agroécologie en France en juin 2019.

4.6.

L’agroécologie s’est peu à peu institutionnalisée, en particulier en France (10). En l’inscrivant dans le code rural français et en se dotant d’outils juridiques et financiers, la France a fait de l’agroécologie un pivot de son développement agricole (11). Les moyens financiers et l’orientation de plusieurs programmes spécifiques français ont généré et soutenu de nombreuses dynamiques de projets de collectifs d’agriculteurs orientant le développement et la production agricoles vers plus de durabilité (12).

4.6.1.

Parmi les résultats probants de l’agroécologie soulignés par les travaux académiques et relayés par les organismes de développement, on relève:

pour les agriculteurs: l’augmentation de la fertilité des sols, la réduction des coûts de production, une plus grande autonomie décisionnaire, le développement d’une résilience des systèmes agricoles aux aléas climatiques et la revalorisation du métier,

pour les consommateurs: la qualité sanitaire et nutritionnelle de l’alimentation et des eaux, la préservation de la biodiversité et des paysages, ainsi que des garanties en termes de pratiques agricoles (élevage ou cultures) (13).

4.6.2.

Ces résultats sont renforcés par la dimension collective portée par des projets agroécologiques, par l’implication des agriculteurs comme force de proposition et d’innovation dans leur contexte, par l’envie de faire mieux et par la nécessité de réduire leur coût de production. Des plateformes internet (14) peuvent permettre la nécessaire capitalisation des références techniques et scientifiques produites et des témoignages d’agriculteurs qui ont fait cette transition, sans négliger l’impact des formations et des temps collectifs.

4.6.3.

La formation des futurs agriculteurs, dans les établissements publics d’enseignement agricole, intègre la mission de «contribuer au développement de l’agroécologie». Les contenus pédagogiques sur le sujet sont de plus en plus nombreux (15) et les élèves plus enclins à favoriser la transition et la production agroécologiques dans leur vie professionnelle future (16). Le programme de transition agroécologique français prévoit l’amélioration de l’alimentation des élèves par l’introduction de produits locaux cuisinés dans les menus des cantines des lycées agricoles, ce qui accroît leur conscience de la question alimentaire.

4.6.4.

Afin d’accompagner la transition au niveau des territoires, le gouvernement français a créé les PAT, projets alimentaires territoriaux, où des collectifs librement formés conçoivent les actions nécessaires pour améliorer le système alimentaire local. Il semble que malgré des moyens insuffisants, les programmes suscitent de l’intérêt et les résultats sont encourageants.

4.7.    Les circuits courts et l’agroécologie, des transitions liées

4.7.1.

L’agroécologie se caractérise notamment par la diversité de la complémentarité des productions au niveau des exploitations. Que ce soit pour les produits issus de l’élevage ou de cultures agroécologiques, il est important que de nouveaux débouchés soient créés et pérennisés. Les circuits courts alimentaires apparaissent alors comme une réponse adéquate à cet enjeu de transition.

4.7.2.

Enfin, il est important de souligner que l’association de l’agroécologie et des circuits courts, aux échelons européen, nationaux et locaux, conduit aujourd’hui à l’émergence d’une gouvernance alimentaire territoriale avec de nouvelles modalités d’implication des acteurs. Ces procédures pour reconnecter les villes à leurs proches bassins de production alimentaire sont déjà à l’œuvre dans de nombreux lieux:, Milan en Italie, Montpellier en France, Gand, Bruxelles et Liège en Belgique ou Toronto au Canada.

5.   Développement des circuits courts et de l’agroécologie pour des systèmes alimentaires durables

5.1.    Contribution à une alimentation de qualité

5.1.1.

En 2012, un programme de recherche européen copiloté par l’université de Coventry sur les circuits courts et les systèmes alimentaires locaux, impliquant les directions générales de l’agriculture et de la santé de la Commission européenne, a souligné les aspects de qualité, de traçabilité et de transparence devant être au centre de l’acte d’achat-vente. L’Union européenne doit donc donner les moyens aux producteurs et aux consommateurs de construire et de stabiliser ce triptyque quelle que soit la forme du circuit court. Il est constaté que la majorité des produits vendus en circuits courts sont issus de l’agriculture biologique ou de méthodes non certifiées sans intrants de synthèse en fonction des pays. Cet élément semble être la clé pour rapprocher agroécologie et circuits courts. En effet, les principes et le cadre de l’agroécologie peuvent créer un cadre de confiance suffisamment important et stable sans forcément être dans un système d’agriculture labellisée pour que les consommateurs puissent retrouver «la qualité, la traçabilité et la transparence»nécessaires au développement et à la durabilité des circuits courts. Des visites régulières des fermes par des consommateurs et d’autres producteurs apparaissent comme une méthode de «garantie participative»efficace pour renforcer la transparence, l’élaboration d’indicateurs contextualisés et le suivi des pratiques agroécologiques (17).

5.1.2.

Sur le plan individuel, les études les plus récentes montrent que les circuits courts améliorent sensiblement la santé des personnes. D’une part, elles sont plus attentives à ce qu’elles mangent et à la manière dont la production s’effectue. D’autre part, ces dispositifs sont des lieux d’apprentissages sociaux très forts, y compris en termes de comportements alimentaires sains.

5.2.    Accessibilité et sécurité alimentaire

5.2.1.

Actuellement, plusieurs projets de recherche européens (18) (19) mettent en avant que les circuits courts tendent à se structurer et à s’organiser pour passer du marché de niche à de réelles habitudes de consommation alimentaire. Cela a notamment été permis par la mise en réseau de nombreux acteurs à l’échelle de l’Union européenne au travers de projets soutenus par différents programmes de financement européens. Cet essor reste toutefois limité du fait des difficultés d’accès de certains produits aux foyers les plus modestes. Il serait pertinent de continuer le travail effectué dans les précédents avis du CESE sur la question des leviers d’action pour rendre accessibles ces produits alimentaires. Plusieurs projets de recherches sur la question sont en fin de programmation en France (RMT Alimentation (20), Projet Casdar ACCESSIBLE (21) ou les projets alimentaires territoriaux (22)).

5.2.2.

Parmi les outils disponibles, des moyens de recherche et d’innovation portés par le PEI-Agri et la DG Recherche dans le futur programme Horizon Europe peuvent être consacrés à l’agroécologie et aux circuits courts. Dans le cadre de la future PAC, il conviendrait de mobiliser les programmes d’écologisation (ECO-schemes) pour favoriser l’adoption progressive par les agriculteurs de méthodes relevant de l’agroécologie et l’évolution des systèmes vers des circuits courts. Il en est de même pour les mesures du deuxième pilier, telles que les mesures agri-environnementales et climatiques et les subventions aux investissements nécessaires pour les mettre en place, ainsi que les outils de transformation et de commercialisation. Les moyens de formation et de conseils adaptés doivent être développés, ainsi que l’animation locale, grâce aux programmes LEADER. Le soutien aux initiatives territoriales peut en outre bénéficier des fonds destinés à la cohésion.

5.2.3.

Il convient de développer des règles adaptées pour permettre la fourniture des marchés publics en circuits courts, actuellement bridée par les règles de la concurrence. Il est également nécessaire d’avoir des règles adaptées pour les circuits courts. Le règlement (CE) no 852/2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires (23) offre des possibilités de flexibilité dans l’application de la méthode HACCP (analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise) pour les producteurs de petits volumes, qui doivent être utilisées dans tous les pays de l’Union européenne. Il en est de même pour les règles d’étiquetage des produits. L’étiquetage d’origine (par exemple au restaurant ou dans la restauration collective) des aliments transformés peut jouer un rôle de soutien: si l’origine d’un produit alimentaire est rendue transparente, il est plus probable que le consommateur fera le choix du produit ou plat qui a été fabriqué à proximité, quitte à payer un peu plus cher. Une couverture 4G (téléphonie et internet) dans les zones rurales sont importants pour faciliter l’accès et le contact avec les consommateurs grâce au développement de la numérisation.

5.2.4.

Une inquiétude souvent entendue interroge la capacité de l’agroécologie et des circuits de proximité à nourrir le monde et les 10 milliards d’humains attendus en 2050. Les travaux de nombreuses organisations de recherche sont clairs à ce propos: à l’échelle internationale, le développement de l’agroécologie et la mobilisation des ressources dans et en dehors de l’agriculture sont indispensables et possibles compte tenu des impératifs économiques, environnementaux et sociaux. En Europe, les récents travaux de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) montrent qu’il est possible de nourrir toute la population européenne à l’horizon 2050 grâce à une transformation agroécologique progressive, intégrant l’élevage, les cultures et les arbres, avec un objectif d’émissions nulles en carbone.

5.3.    Le chemin vers l’agroécologie

5.3.1.

Le déploiement du projet agroécologique à l’échelle de l’Union européenne doit s’appuyer sur un plan d’action structuré, à l’aide de différents leviers sur divers volets de l’action publique et privée recouvrant de nombreux sujets: formation, développement agricole, réorientation des aides, adaptation de la réglementation, territorialisation des filières, sélection génétique, régions ultramarines et action internationale (24). Il serait donc pertinent que l’Union européenne travaille sur les opportunités de soutien pour que l’agroécologie et les circuits courts puissent se développer conjointement et s’accorder pour assurer leur durabilité commune. Il est important que ce levier d’action soit suffisamment ambitieux pour que de nombreuses entreprises agricoles puissent s’engager sur le long terme dans une telle transition. La notion de temporalité est importante car elle permettra à la fois de laisser le temps aux acteurs de s’engager, mais aussi de permettre à ceux qui s’engagent d’assurer la transition de façon complète d’un système qui est, de fait, complexe à mettre en place.

5.3.2.

Une politique globale de l’alimentation, telle que le CESE en fait la promotion depuis plusieurs années, pilotée par un Conseil européen de l’alimentation dont le CESE pourrait être l’animateur, et coordonnée au niveau des directions générales concernées par un vice-président de la Commission européenne, peut fournir le cadre d’un programme. La proposition d’une politique alimentaire commune a été amenée au niveau de l’Union européenne par des travaux d’IPES-Food (25).

5.3.3.

Les travaux de la FAO peuvent constituer une source d’inspiration pour le développement de l’agroécologie à l’échelle européenne. Les recommandations du «symposium régional pour des systèmes agricoles et alimentaires durables en Europe et Asie Centrale»sont particulièrement éclairantes à cet égard. Le guide sur «L’établissement de liens entre les petits exploitants et les marchés», adopté en 2016 par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, recommande aux États de soutenir les marchés territoriaux (local, régional, national) pour la réalisation des objectifs de développement durable.

Bruxelles, le 17 juillet 2019.

Le président

du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  Avis du CESE sur Des systèmes alimentaires plus durables (JO C 303 du 19.8.2016, p. 64) et avis du CESE sur La contribution de la société civile au développement d’une politique alimentaire globale dans l’Union européenne (JO C 129 du 11.4.2018, p. 18).

(2)  Règlement (UE) no 1305/2013.

(3)  Codron, J.-M., Sirieix, L., Reardon, T., «Social and Environmental Attributes of Food Products: Signaling and Consumer Perception, With European Illustrations», Agriculture and Human Values, vol.. 23, no 3, 2006, p. 283-297.

(4)  Voir note de bas de page 1

(5)  Le Velly, R., «Dynamiques des systèmes alimentaires alternatifs», Systèmes agroalimentaires en transition, Édition Quae, 2017, p. 149-158.

(6)  http://www.fao.org/about/meetings/second-international-agroecology-symposium/fr/

(7)  https://pubs.iied.org/14629IIED/?c=foodag.

(8)  http://www.fao.org/3/i9037fr/I9037fr.pdf.

(9)  Règlement (CE) no 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) no 2092/91.

(10)  Travaux S. Bellon.

(11)  Art. 1er modifié par la loi d’avenir agricole votée le 13 octobre 2014, Code rural et de la pêche maritime.

(12)  PEI Agroecology Europe: http://www.agroecology-europe.org/

(13)  Claveirol, C., «La transition agroécologique: défis et enjeux», Les avis du CESE, 2016.

(14)  https://rd-agri.fr/

(15)  https://pollen.chlorofil.fr/?s=agroecologie.

(16)  http://www.bergerie-nationale.educagri.fr/fileadmin/webmestre-fichiers/formation/articles_presse/Plan_EPA1-bilan-Fevrier_2019.pdf.

(17)  http://www.cocreate.brussels/-CosyFood-.

(18)  https://ec.europa.eu/eip/agriculture/sites/agri-eip/files/eip-agri_brochure_short_food_supply_chains_2019_en_web.pdf.

(19)  http://www.shortfoodchain.eu/news/

(20)  www.rmt-alimentation-locale.org/

(21)  http://www.civam.org/images/M%C3%A9lanie/AcceCible/PRESENTATION-Accessible.pdf.

(22)  http://rnpat.fr/les-projets-alimentaires-territoriaux-pat/

(23)  Règlement (CE) n 852/2004.

(24)  Claveirol, C., «La transition agroécologique: défis et enjeux», Les avis du CESE, 2016.

(25)  IPES-Food, Towards a Common Food Policy for the European Union, Bruxelles, IPES Food, 2017.