15.2.2019   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 62/312


Avis du Comité économique et social européen sur «Politique économique de la zone euro (2018) (supplément d’avis)»

[COM(2017) 770 final]

(2019/C 62/54)

Rapporteur:

Javier DOZ ORRIT

Décision du Bureau du Comité

22.5.2018

Base juridique

Article 29, point a), des modalités d’application du règlement intérieur

Compétence

Section spécialisée «Union économique et monétaire et cohésion économique et sociale»

Adoption en section spécialisée

3.10.2018

Adoption en session plénière

17.10.2018

Session plénière no

538

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

132/1/6

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le Comité économique et social européen (CESE) approuve les objectifs de la recommandation du Conseil et une partie de ses propositions. Toutefois, il marque son désaccord concernant la proposition d’orientation globalement neutre de la politique budgétaire et la manière dont la recommandation sur les salaires est formulée. Il rappelle dès lors la position qu’il a exprimée dans un avis antérieur sur la proposition de recommandation de la Commission (1).

1.2.

La politique économique de la zone euro devrait être conçue dans le cadre d’un projet de réforme de l’Union économique et monétaire (UEM) de nature à remédier aux déficits de structure et de fonctionnement dont elle pâtit depuis sa création, et miser sur une plus grande intégration et une gouvernance plus démocratique. Le CESE fait part de sa préoccupation quant à l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le processus de réforme, au manque d’engagement d’un nombre non négligeable de gouvernements, voire à l’hostilité de quelques-uns d’entre eux ainsi qu’à l’absence de leadership politique fort pour faire face à ces circonstances.

1.3.

Le CESE estime que les recommandations du Conseil devraient s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale de politique économique ayant comme référence le programme de développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs de développement durable (ODD) ainsi que la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le changement climatique. Cette stratégie devrait préparer la société européenne à opérer des transitions équitables vers un modèle économique écologique et numérique.

1.4.

Les raisons internes justifiant une orientation budgétaire modérément positive sont, de l’avis du CESE, la fin de la politique monétaire expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE); le fait que l’Union européenne accuse un déficit d’investissement préoccupant, en particulier public, qui hypothèque son avenir économique et social; le fait que ce déficit d’investissement contribue à son tour à des taux de croissance très bas pour ce qui est de la productivité et la persistance d’excédents excessifs des balances des comptes courants d’États importants de la zone euro.

1.5.

Certains des États de la zone euro affichant les plus gros excédents n’investissent pas: ils accumulent des taux annuels de formation net de capital public négatifs. Le CESE est d’avis qu’une augmentation des dépenses d’investissement dans ces pays est une nécessité d’un point de vue de politique économique, tant pour eux que pour l’ensemble de la zone euro et de l’Union européenne.

1.6.

Selon le CESE, le bon dosage des politiques monétaire et budgétaire pour renforcer la croissance de la zone euro, qui a été réclamé au cours des dernières années par la BCE, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), se justifie également par l’impact prévisible du protectionnisme commercial et l’instabilité engendrée par les risques géopolitiques mondiaux.

1.7.

Un effort budgétaire accru est également rendu nécessaire par des raisons sociales et politiques: l’Union européenne et les États doivent s’engager plus résolument dans la lutte contre la pauvreté et l’inégalité et en faveur d’une plus grande cohésion sociale, en particulier en finançant dans une mesure suffisante la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. De l’avis du CESE, s’ils ne le font pas, les crises politiques que nous vivons s’aggraveront et les tendances nationalistes et anti-européennes s’accentueront, mettant en péril l’existence même de l’Union européenne.

1.8.

La recommandation d’augmenter les salaires, si elle est appliquée strictement, ne concernerait qu’un nombre limité de pays. Le CESE estime que la maîtrise des coûts salariaux unitaires ne doit pas venir de la baisse ou du gel des salaires, mais de la croissance de la productivité favorisée par une augmentation des investissements, une innovation accrue et une meilleure formation des travailleurs. En tout état de cause, les niveaux de rémunération sont déterminés par les partenaires sociaux par le biais de conventions collectives. Le semestre européen devrait proposer des modifications législatives à même de les renforcer dans les États dans lesquels elles ont été mises à mal pendant la crise et de les rétablir où elles font défaut en dépit de l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. De même il convient d’adopter des mesures supplémentaires afin d’améliorer les salaires inférieurs.

1.9.

La création d’emplois de qualité doit constituer une des priorités de la politique économique. Le CESE est d’avis que la réduction de la précarité (caractère très temporaire du travail et bas salaires) que subissent surtout les jeunes devrait également être l’une des recommandations prioritaires du semestre européen.

1.10.

Il convient de promouvoir la création d’environnements favorables à l’investissement et à l’innovation dans les entreprises, notamment pour faire face à la numérisation des activités économiques.

1.11.

Faciliter le financement des entreprises devrait être une autre des priorités de la politique économique. Le CESE rappelle que l’union bancaire et l’union des marchés des capitaux sont très importantes pour ce qui est de financer l’activité économique, et se déclare préoccupé par les retards et les obstacles qui en entravent le développement, et notamment le volume de créances douteuses dans certains États membres.

1.12.

Le CESE estime que les autorités européennes devraient s’engager concrètement dans la lutte contre le détournement des fonds publics, la fraude fiscale et la planification fiscale agressive, le blanchiment d’argent, les paradis fiscaux et la concurrence fiscale déloyale entre les États membres. Il ne s’agit pas là que d’éthique politique et de respect des lois; cela peut également être un facteur de stabilisation des finances publiques.

2.   Les orientations du Conseil et de la Commission

2.1.

Contrairement à ce qui était le cas en 2017, la recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro (2) (23 janvier 2018) ne diffère pas sensiblement de la proposition de la Commission (22 novembre 2017) (3). Après avoir convenu que l’orientation générale pour la politique budgétaire en 2018 devait être globalement neutre, le Conseil ajoute qu’il faudrait mettre à profit l’embellie économique afin de créer des réserves budgétaires.

2.2.

Dans les autres recommandations, le Conseil et la Commission préconisent tous deux que les États membres accordent la priorité aux réformes visant à accroître la productivité et le potentiel de croissance, à améliorer l’environnement des entreprises, l’innovation et l’investissement, et à contribuer à la création d’emplois de qualité, en réduisant les inégalités. Les États membres dont la balance courante affiche un excédent important devraient promouvoir la hausse des salaires tandis que ceux qui présentent un déficit de la balance courante ou une dette extérieure élevée devraient chercher à contenir la progression des coûts salariaux unitaires. Il y a lieu, enfin, de poursuivre les efforts de parachèvement de l’union bancaire. Les recommandations spécifiques par pays de 2018 mettent en évidence la bonne conjoncture économique de l’Union européenne, laquelle devrait servir, selon la Commission, à consolider les améliorations structurelles obtenues au cours des dernières années et à achever la correction des déséquilibres macroéconomiques dans la majorité des États membres.

2.3.

Le chapitre «Recommandations spécifiques» aborde le socle européen des droits sociaux, l’amélioration de la qualité de l’emploi et de la négociation collective ainsi que le dialogue social et la hausse des salaires, de même que la réforme des administrations publiques, y compris des mesures de lutte contre la corruption, et l’amélioration de l’environnement des entreprises, ainsi que les relations entre les deux sphères et le financement des entreprises. Tout en prônant l’orientation budgétaire neutre, il recommande la réforme des systèmes de retraite et de santé pour faire face au vieillissement de la population.

3.   Observations générales et particulières

Stratégie en matière de politique économique et réforme de l’UEM

3.1.

Le CESE fait à nouveau valoir la nécessité d’une stratégie générale de politique économique qui tienne compte des accords internationaux et des objectifs de durabilité environnementale, de la réduction de la dépendance énergétique, de la révolution numérique et d’autres défis mondiaux. Le Comité se félicite des initiatives de la Commission dans ces domaines mais, comme il l’a exprimé dans son avis sur le train de mesures «Union économique et monétaire» (4), il n’existe pas, selon lui, de stratégie économique au niveau européen qui les englobe ni de ressources suffisantes pour les financer.

3.2.

Le CESE est préoccupé par le fait que le processus de réforme de l’UEM soit en train de perdre de son élan en raison de l’absence de volonté et de direction politique, du retard pris dans l’adoption des décisions et du manque d’engagement de la part d’un nombre assez important de gouvernements de la zone euro; cela accroît le risque que l’Europe ne soit pas préparée pour la prochaine récession.

3.3.

Une politique économique qui favorise une croissance durable doit reposer aussi bien sur la promotion d’un environnement pour les entreprises qui soit favorable à l’investissement et à l’amélioration de la productivité que sur la promotion de la cohésion sociale, notamment par le biais de mesures qui contribuent à l’éradication de la pauvreté et à la réduction des inégalités sociales.

3.4.

Le CESE demande à la Commission de veiller à la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux et de suivre les recommandations de l’avis sur son financement (5), et il déplore que les recommandations du Conseil et la proposition de CFP pour la période 2021-2027 de la Commission ne précisent rien à cet égard. En outre, il conviendrait de tenir compte des recommandations du groupe de haut niveau sur l’investissement dans les services sociaux et les aides sociales (6).

3.5.

Le CESE estime que les recommandations annuelles sur l’orientation de la politique économique de la zone euro devraient s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale de politique économique ayant comme référence le programme de développement durable à l’horizon 2030 et les ODD ainsi que la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le changement climatique. La politique économique doit promouvoir la construction d’un modèle économique européen durable, qui réduise la dépendance énergétique par l’utilisation d’énergies propres et renouvelables, et intègre les conséquences de la révolution numérique, tout en assurant des transitions justes pour les travailleurs.

La recommandation du Conseil: raisons pour une orientation budgétaire modérément positive

3.6.

Le CESE réaffirme les conclusions de son avis sur la recommandation de recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro (7), dans lequel il marquait son accord avec les objectifs de la proposition de recommandation de la Commission ainsi qu’avec une grande partie de ses propositions mais exprimait aussi son désaccord quant à l’orientation globalement neutre de la politique budgétaire préconisée pour la zone euro. Le CESE demande une fois encore de fixer une orientation budgétaire globale positive dans la zone euro, en s’appuyant principalement sur une expansion budgétaire des pays ayant une balance des paiements excédentaire et un niveau d’endettement soutenable à long terme.

3.7.

Le CESE estime que cette orientation aiderait à surmonter l’héritage négatif des longues et lourdes des mesures d’assainissement budgétaire mises en œuvre dans certains États membres. Les États membres qui affichent des excédents de leurs comptes courants devraient mettre en œuvre des mesures visant à promouvoir l’investissement et les dépenses sociales durables et à soutenir la demande intérieure et le potentiel de croissance ainsi qu’à faciliter de la sorte le rééquilibrage.

3.8.

Le CESE reconnaît que la marge de manœuvre pour une politique budgétaire cohérente au niveau de l’Union européenne est restreinte en raison du caractère limité de l’Union économique qui repose principalement sur la coordination des politiques économiques des États qui en font partie, comparée à une union monétaire intégrale. Le Comité attire en particulier l’attention sur le fait que, jusqu’à présent, la Commission et le Conseil ont accordé très peu d’attention à la nature asymétrique du processus du semestre européen, qui a pour unique objectif de garantir que des mesures correctives soient prises dans les États membres dont les soldes sont déficitaires. La Commission et le Conseil devraient proposer des mesures susceptibles de prévenir à la fois les déficits et les excédents excessifs.

Le déficit d’investissement dans la zone euro

3.9.

Une autre raison de remettre en cause l’orientation budgétaire neutre est le déficit d’investissement dans la zone euro et dans l’Union européenne. L’investissement n’a pas retrouvé les niveaux d’avant la crise. L’investissement public a diminué, passant d’une valeur pratiquement constante de 3,2 % du PIB (entre 1997 et 2007 et entre 2009 et 2013), à 2,6 % du PIB en 2017 et 2018 (8). Ce déficit est l’un des facteurs les plus négatifs de la situation économique et hypothèque gravement l’avenir de l’économie et des sociétés européennes. Aussi le CESE réitère-t-il sa demande (9) d’appliquer la dénommée «règle d’or» consistant à ne pas prendre en compte les coûts d’investissement dans le calcul effectué pour mesurer le respect des objectifs de déficit du pacte de stabilité et de croissance (PEC), compte tenu de la viabilité des finances publiques à long terme. Le Comité attire l’attention sur le fait que les dépenses d’investissement productif peuvent également contribuer à une telle viabilité.

3.10.

Il convient de souligner que l’on constate aussi ce déficit d’investissement dans des États membres qui devraient contribuer à une politique budgétaire européenne plus active, et en particulier l’Allemagne. Un exemple significatif pourrait être l’investissement public dans ce pays. Au cours de la période 2013-2017, le taux d’investissement public allemand, en pourcentage de son PIB, était de 2,1 % (10), soit l’un des plus bas de la zone euro. Son taux net de formation de capital public (qui tient compte de la dépréciation du stock de capital) était négatif sur la même période: -0,08 %, comme il l’avait été pour la période 2003-2007 (-0,11 %), pour ne s’élever qu’à +0,06 % sur la période 2008-2012. Entretemps, le taux net de formation de capital privé, qui représentait entre 6 % et 8 % du PIB dans les années 1990, a baissé entre 2008 et 2017, passant de 3,2 % à 2,2 % du PIB. Dans le même temps, l’Allemagne a financé des investissements dans d’autres pays. L’excédent de sa balance des paiements, qui représentait 8,0 % du PIB en 2017, devrait s’établir à 7,9 % en 2018 et à 7,6 % en 2019. Les recommandations du Conseil et de la Commission devraient envoyer un signal fort et contribuer à corriger le faible niveau de l’investissement intérieur en Allemagne. Une meilleure crédibilité des politiques économiques pour ce qui est de leur viabilité devrait favoriser les investissements dans le secteur privé également dans d’autres pays qui enregistrent un excédent dans leur balance des comptes courants (11).

3.11.

Le CESE demande à la Commission et au Conseil de faire de la croissance des taux d’investissement, en vertu de l’article 3 du traité de l’Union européenne, une priorité des orientations de la politique économique de la zone euro, jusqu’à ce qu’ils retrouvent les niveaux antérieurs à la crise. Cette croissance devrait être orientée vers un modèle de développement durable dans ses trois dimensions: économique, sociale et environnementale.

Croissance économique et facteurs de risque

3.12.

Selon les prévisions économiques de l’été de la Commission (12), les perspectives de croissance devraient demeurer inchangées, avec toutefois une certaine décélération: 2,4 % (2017), 2,1 % (2018) et 2,0 % (2019) dans la zone euro et 2,6 % (2017), 2,3 % (2018) et 2,1 % (2019) dans l’EU-27. Dans le reste du monde (hors UE), la croissance serait respectivement de 3,9 % en 2017, 4,2 % en 2018 et 4,1 % en 2019. L’assouplissement de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance (PSC), introduit par la Commission en janvier 2015 (13) au moyen de la «clause d’investissement» et de la «clause des réformes structurelles», a sans aucun doute contribué à produire ces effets positifs. C’est ce qu’indique la récente évaluation des résultats dans la communication de la Commission relative au réexamen de la flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance (14).

3.13.

La politique monétaire expansionniste touche à sa fin. L’assouplissement quantitatif (quantitative easing) prendra fin en décembre prochain, au moment où la BCE cessera d’acheter des actifs. À partir de l’été 2019, après l’évaluation des perspectives d’inflation à moyen terme, les taux d’intérêt de référence commenceront à augmenter. Depuis plusieurs années, Mario Draghi, président de la BCE, demande que la politique budgétaire, assortie de réformes structurelles appropriées, aille de pair avec la politique monétaire afin de consolider la relance et d’atteindre les objectifs en matière d’inflation. C’est ce qu’ont fait également le FMI, l’OCDE et de nombreuses enceintes académiques. Pour ce qui est de la politique budgétaire, la demande n’a pas été retenue par les responsables politiques européens. Maintenant que la politique monétaire est en retrait, il est d’autant plus nécessaire que la politique budgétaire soit plus active dans l’ensemble de la zone euro.

3.14.

Il existe d’autres facteurs, économiques et sociaux, et des déséquilibres politiques internes, de même que des facteurs de risque économique et des incertitudes sur le plan géopolitique à l’échelle mondiale qui devraient également conduire à s’appuyer sur la politique budgétaire pour renforcer la croissance et réparer les conséquences de la crise, lesquelles demeurent vives dans de nombreux États européens. Ce que propose le CESE est de nature à contribuer à assurer une meilleure viabilité financière à moyen terme et à réduire le déséquilibre des excédents excessifs.

3.15.

Remédier à l’instabilité politique et combattre les forces centrifuges qui se développent au sein de l’Union européenne depuis la crise et contestent son existence même nécessiterait d’ambitieux projets de réforme de l’UEM et de l’Union européenne, davantage d’intégration et de démocratie et une dimension sociale plus forte, ainsi qu’un renforcement de la croissance à l’aide des politiques budgétaires et fiscales, avec un modèle qui favorise la réduction des inégalités dans la redistribution du revenu. Cela est possible sans remettre en cause la viabilité future des finances publiques. Il faudrait également mettre en œuvre une stratégie pour achever l’UEM par l’inclusion dans celle-ci de tous les États membres de l’Union européenne qui n’en sont pas constitutionnellement exonérés.

3.16.

L’apparition de foyers d’instabilité géopolitique dans le monde, dont certains au voisinage immédiat de l’Union européenne, la détérioration des relations transatlantiques dans les domaines du commerce, de l’environnement et des politiques extérieure, de sécurité et de défense, résultant des décisions de l’administration américaine actuelle, conduisent le CESE à souligner l’importance pour l’Union européenne de pouvoir s’appuyer sur une économie forte qui consoliderait son leadership politique dans le monde. Une guerre commerciale sur plusieurs fronts, et son corollaire de montée du nationalisme économique et politique, serait un scénario économique et géopolitique à haut risque. L’Union européenne doit chercher à l’éviter et, le cas échéant, être prête à y faire face.

3.17.

Malgré la hausse des prix du pétrole et des matières premières, l’inflation dans la zone euro devrait se stabiliser autour de 1,7 % entre 2017 et 2019 (prévisions d’été), l’inflation sous-jacente s’établissant à 1,1 %, bien loin de l’objectif d’inflation. Le Comité voit là de nouvelles raisons de plaider contre l’abandon de la politique monétaire expansionniste au moment précis où l’on pratique une orientation budgétaire neutre, voire négative, telle que la préconise le comité budgétaire européen pour 2019 (15).

Salaires, emploi et négociation collective

3.18.

L’augmentation réelle moyenne des salaires en 2017 n’a été que de 0,2 % par rapport à l’année précédente dans les dix-neuf pays de la zone euro. Dans sept d’entre eux, elle a été négative. Les salaires devraient augmenter respectivement de 0,9 % et 0,3 % en 2018 et 2019 (16). Selon les prévisions, les coûts salariaux unitaires réels dans la zone euro devraient diminuer au cours des trois années considérées de -0,3 %, -0,1 % et -0,6 %. En revanche, la productivité réelle par personne employée, qui a augmenté de 0,8 % en 2017, augmentera à nouveau de 1 % en 2018 et 2019 (17).

3.19.

Le taux de chômage dans la zone euro était en 2017 de 9,1 %, soit un niveau supérieur à celui d’avant la crise; il s’élevait alors à 8,4 % (2004-2008). L’écart entre les États membres est très important; en 2017, le taux de chômage variait de 3,8 % en Allemagne à 21,5 % en Grèce. Le taux de chômage des jeunes demeure très élevé, supérieur à 15 %, avec des écarts importants entre les pays et des valeurs extrêmes en Grèce (43,2 %), en Espagne (35 %) et en Italie (32,5 %). Le taux du travail temporaire continue à augmenter: il était en moyenne de 12,2 % en 2017 contre 11,5 % en 2012. Le travail à temps partiel est lui aussi en augmentation: 19,4 % en 2017 contre 17,5 % en 2007 (18).

3.20.

Malgré la reprise économique, il existe dans de nombreux pays un décalage entre les emplois antérieurs et les nouveaux, plus précaires et moins bien rémunérés. Ce décalage est également de nature générationnelle dès lors qu’il touche dans une plus large mesure les jeunes. Il touche également une grande partie des travailleurs de l’économie numérique dont l’emploi dépend des plateformes en ligne. Les recommandations du Conseil et du semestre européen font état de préoccupations quant à l’amélioration de la qualité de l’emploi. Le CESE demande que soient précisément définis les plans et les mesures visant à faire de cet objectif une priorité. La participation des partenaires sociaux, par l’intermédiaire du dialogue social et de la négociation collective, à l’adoption des mesures nécessaires est essentielle. Il est également capital d’adopter des mesures permettant une hausse significative des salaires inférieurs. Il faut également promouvoir une participation accrue des organisations de la société civile à l’amélioration des conditions sociales et de vie des travailleurs.

3.21.

La recommandation du Conseil sur la hausse des salaires, si elle est appliquée à la lettre, ne concernerait qu’un nombre limité de pays et pourrait conduire à des disparités supplémentaires entre eux et à un accroissement des inégalités. Le CESE estime que c’est à travers l’accroissement de la productivité, favorisé par une augmentation des investissements, une innovation accrue et une meilleure formation des travailleurs, que devrait être améliorée la compétitivité des économies européennes les plus en retard et non au moyen de dévaluations internes qui, de plus, ont des conséquences sociales indésirables. L’augmentation des salaires est également propice à la croissance de la demande intérieure et à l’équilibre fiscal grâce à l’augmentation des recettes fiscales.

3.22.

En tout état de cause, les niveaux de rémunération sont déterminés par les partenaires sociaux par le biais de conventions collectives. Les législations peuvent également y contribuer dans une partie des États membres, tout du moins s’agissant des salaires minimaux. Le semestre européen devrait inciter les États membres à adopter des mesures qui visent à renforcer la négociation collective, fondée sur l’autonomie des partenaires sociaux et le dialogue social, en particulier dans les États où ils ont été affaiblis par les politiques de gestion de la crise ou dans lesquels ce droit n’existe pas à l’heure actuelle en dépit de l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Productivité, environnement des entreprises et financement de l’investissement privé

3.23.

Le CESE est préoccupé par la baisse du taux de croissance de la productivité de l’Union européenne au cours des dernières décennies. Une récente étude (19) de l’OCDE montre que le taux de croissance moyen de la production par heure travaillée dans l’Union européenne a été de 0,6 % au cours de la période 2007-2016 (en déclin constant par rapport aux 2,2 % atteints en 1990 et 2000), soit un niveau inférieur aux taux moyens enregistrés dans l’OCDE (0,8 %) et très en retrait par rapport aux pays hors OCDE (5,0 %) au cours de la même période. Lors de la présentation de l’étude (20), Ángel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, a déclaré que la croissance de la productivité exige, outre une bonne réglementation et une bonne gouvernance, davantage d’investissements dans le domaine de la recherche, du développement et de l’innovation, ainsi que dans l’éducation et la formation professionnelle. Le CESE souscrit pleinement à ce point de vue.

3.24.

Dans cette même étude, l’OCDE souligne que le budget de l’Union européenne est limité et que son poids par rapport au RNB européen est en diminution depuis 1993 (21). Le CESE est très préoccupé par la perspective de voir cette tendance se poursuivre si le CFP postérieur à 2020 était adopté tel que proposé par la Commission, car cela rendrait plus difficile la réalisation de la convergence économique et sociale vers le haut entre les États européens. Comme indiqué dans le document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire (22) le fait que l’on ne soit pas encore parvenu à un accord pour achever l’UEM en suivant les pistes explorées dans les documents de réflexion sur l’avenir de l’Europe influe négativement sur cette situation.

3.25.

Le Comité partage également la recommandation du Conseil relative à l’augmentation de la productivité, notamment en ce qui concerne le rôle en la matière de l’investissement en R + D + I, et les recommandations par pays qui font référence à l’amélioration des administrations publiques et de l’environnement des entreprises.

3.26.

Promouvoir la croissance suppose d’encourager les investissements des entreprises. Le CESE rappelle l’importance d’une mise en place rapide de l’union des marchés des capitaux et de l’achèvement du processus menant à la création de l’union bancaire. Le Comité est préoccupé par les retards qu’accuse l’union bancaire, par le fait qu’aucun dispositif de soutien commun n’est encore prévu pour le Fonds de résolution unique à partir du Mécanisme européen de stabilité (MES), ainsi que par les obstacles auxquels se heurte la création d’un système européen de garantie des dépôts (SEGD), lesquels vont bien au-delà des craintes justifiées que peut susciter le volume de créances douteuses de certains pays (23).

La lutte contre la criminalité fiscale et pour une fiscalité équitable

3.27.

Il est et il sera très difficile de garantir la viabilité des finances publiques et de mener des politiques sociales et d’investissement fortes aussi longtemps que les niveaux actuels de fraude et d’évasion fiscale, de blanchiment d’argent dans les paradis fiscaux et de concurrence fiscale déloyale entre les États membres de l’Union européenne se maintiendront. Dans la revue Finance & Développement du FMI est présenté un article (24) important expliquant que près de 40 % de l’investissement direct étranger (IDE) dans le monde, soit quelque 12 000 milliards de dollars, sont en fait des investissements «fantômes», c’est-à-dire qu’ils vont à des entités qui n’ont aucune substance économique. Les recours à des intermédiaires, ou des entités «de transfert», n’implique pas, en soi, l’optimisation fiscale, mais certainement des possibilités accrues d’optimisation fiscale et d’évasion fiscale. Selon le même article, 9,8 % de la richesse mondiale se trouvent dans des paradis fiscaux.

3.28.

Le CESE fait à nouveau valoir la nécessité de mettre d’urgence en œuvre des mesures supplémentaires efficaces de lutte contre le détournement de fonds publics, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, les paradis fiscaux et la concurrence fiscale déloyale, en commençant par l’application de la 5e directive relative au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme (25), et d’élaborer une liste cohérente, fiable et unique de paradis fiscaux auxquels appliquer des sanctions appropriées.

3.29.

Il convient également de prendre des mesures efficaces contre la planification fiscale agressive pratiquée par les entreprises multinationales, en particulier dans le secteur de l’économie numérique. Cette lutte sans merci doit combiner des mesures globales et d’autres mesures susceptibles d’être appliquées dans l’Union européenne. Dans le même temps, il y a lieu d’instaurer progressivement un système d’harmonisation fiscale appropriée dans la zone euro et dans l’Union européenne.

Bruxelles, le 17 octobre 2018.

Le président du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  Avis du CESE sur la «Recommandation de recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro» (JO C 197 du 8.6.2018, p. 33).

(2)  Recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro.

(3)  Voir COM(2017) 770 final.

(4)  JO C 262 du 25.7.2018, p. 28.

(5)  JO C 262 du 25.7.2018, p. 1.

(6)  Investir dans l’aide sociale - Un impératif européen, novembre 2017.

(7)  JO C 197 du 8.6.2018, p. 33.

(8)  Prévisions économiques européennes — printemps 2018. Annexe statistique, p. 165.

(9)  Formulée dans son avis sur la «Recommandation de recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro» (JO C 197 du 8.6.2018, p. 33) et des avis antérieurs.

(10)  Ces données, ainsi que toutes celles relatives aux investissements, sont extraites de l’article Understanding (the lack of) German public investment [Comprendre l’(absence d’)investissement public allemand] de A. Roth et G. Wolff, posté sur le blog de la Fondation Bruegel le 6 juin 2018.

(11)  Tel est le cas des Pays-Bas, de l’Irlande, de Malte et de la Slovénie au sein de la zone euro, ainsi que du Danemark, qui n’en fait pas partie.

(12)  Prévisions économiques européennes — été 2018.

(13)  Voir la communication de la Commission intitulée «Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance», COM(2015) 12 final.

(14)  Voir COM(2018) 335 final.

(15)  Comité budgétaire européen, Évaluation de l’orientation budgétaire appropriée pour la zone euro en 2019, 18 juin 2018.

(16)  Prévisions économiques européennes — printemps 2018. Annexe statistique, p. 172.

(17)  Ibid., p. 172-174 et Eurostat.

(18)  Ibid., p. 171 et Eurostat.

(19)  2018 OECD Economic Surveys of the Euro Area and the EU. Présentation et synthèse, 19 juin 2018, p. 21.

(20)  Bruxelles, 19 juin 2018, Fondation Bruegel.

(21)  Ibid, OCDE, p. 25-30.

(22)  JO C 81 du 2.3.2018, p. 124.

(23)  La position du CESE sur les créances douteuses est présentée dans son avis sur le paquet «Prêts non performants» (ECO/2018)(JO C 367 du 10.10.2018, p. 43).

(24)  Piercing The Veil: Some $12 Trillion Worldwide Is Just Phantom Corporate Investment (Lever le voile: Quelque 12 000 milliards de dollars dans le monde ne sont que des investissements fantômes), par J. Damgaard, T. Elkjaer et N. Jahannesen; Finance&Development, 10 juin 2018.

(25)  Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil (JO L 156 du 19.6.2018, p. 43).