10.5.2019   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 159/53


Avis du Comité économique et social européen sur la «Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Contribution de la Commission européenne à la réunion des dirigeants des 19 et 20 septembre 2018 à Salzbourg»

[COM(2018) 634 final — 2018/0329 COD]

(2019/C 159/08)

Rapporteur: José Antonio MORENO DÍAZ

Corapporteure: Vladimíra DRBALOVÁ

Consultation

Commission 24.10.2018

Base juridique

Article 304 du TFUE

Compétence

Section spécialisée «Emploi, affaires sociales et citoyenneté»

Adoption en section spécialisée

18.12.2018

Adoption en session plénière

23.1.2019

Session plénière no

540

Résultat du vote (pour/contre/abstentions)

169/2/6

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le CESE entend les arguments qui motivent la Commission européenne à présenter une proposition de révision de la «directive sur le retour» (1); toutefois, il réaffirme sa conviction qu’il est indispensable en premier lieu que l’Union européenne dispose d’une politique et d’une législation communes en matière d’immigration légale, de protection internationale et d’asile (2).

1.2.

Le CESE s’inquiète de la disparité des normes en matière de gestion des migrations par les États membres de l’Union européenne, et notamment en ce qui concerne le traitement des migrants en situation irrégulière, ce qui est source d’insécurité juridique et d’inégalité de traitement.

1.3.

Vu le contexte nouveau, le CESE estime que la Commission aurait dû engager en la matière un processus de communication et de consultation avec les gouvernements et la société civile, comme elle l’avait fait auparavant en ce qui concerne son livre vert (3).

1.4.

Le CESE est d’avis que la Commission devrait présenter des données (ou tout du moins ses estimations) relatives à l’application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil (4) sur le retour, à la mesure dans laquelle cette dernière est applicable, à l’intensité du suivi de l’efficacité de son application, aux principaux problèmes qui se sont manifestés au cours de sa période de validité et à la mesure dans laquelle chaque État membre l’a respectée.

1.5.

La Commission devrait se livrer à un minimum d’autocritique ou à tout le moins d’analyse, pour expliquer les faibles taux de retour atteints par les États membres et en préciser les causes ou leurs responsables; s’il s’avérait que les États membres n’ont pas appliqué la directive ni même respecté la recommandation (UE) 2017/432 de la Commission (5) visant à rendre les retours plus effectifs, il convient de procéder à une analyse d’impact. Cette dernière devrait également comprendre une évaluation de l’approche des États membres s’agissant d’élaborer des programmes opérationnels fournissant aide et conseil lors du retour, ainsi qu’une comparaison de l’efficacité des dépenses liées aux retours volontaires et forcés.

1.6.

Le CESE est conscient que certains discours d’extrême droite et nationalistes sur les flux migratoires incitent à des comportements xénophobes et intolérants. Le CESE estime qu’une politique globale et commune de l’Union en matière de migration constituerait le meilleur argument contre les craintes des citoyens européens.

1.7.

Conformément à ce que le CESE a déjà fait valoir dans d’autres avis (6), il est nécessaire d’élaborer un discours différent sur la migration qui soutienne une vision normale de cette dernière comme un facteur social et économique habituel et qui permette un travail de pédagogie sociale en la matière.

1.8.

Le CESE peut par ailleurs se rallier aux conclusions du Conseil européen de juin 2018 selon lesquelles une politique migratoire européenne qui fonctionne passe nécessairement par une approche globale en matière de migrations qui associe un contrôle véritablement effectif des frontières extérieures de l’Union européenne, une action extérieure accrue et les aspects intérieurs, conformément aux principes et valeurs de l’Union, et il convient de poursuivre ces efforts pour empêcher que ne se reproduisent des catastrophes humanitaires (7).

1.9.

Les données fournies par le Conseil européen le 18 octobre 2018 (8) indiquent que le nombre de franchissements illégaux des frontières de l’Union européenne s’est réduit de 95 %. Dans le même temps, il ressort des données de septembre 2018 (9) de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qu’à cette date, il y avait eu 83 677 arrivées par la voie maritime en Europe et 1 987 décès en mer.

1.10.

Le CESE considère qu’une politique efficace de retour fait partie intégrante d’une politique d’ensemble de l’Union européenne en matière de migration et d’asile. Néanmoins, force est de constater l’inexistence d’une telle politique, et la Commission devrait procéder de manière cohérente et équilibrée et ne pas considérer la migration uniquement dans une optique policière et sécuritaire, qui criminalise les migrations.

1.11.

Le CESE tient pour indispensable de mener une étude comparative sur les centres de rétention dans l’Union européenne, sur la situation qui y prévaut et sur la manière dont on y respecte les droits de l’homme. Cette étude doit s’appuyer sur des données et des visites sur le terrain.

1.12.

Le CESE se félicite des efforts de la Commission en vue d’accélérer les décisions de retour et de les lier avec les décisions de rejet du séjour régulier ou y mettant fin, et de manière générale d’accroître la vitesse et l’efficacité de la procédure de retour. Il convient toutefois de s’interroger sur le caractère réaliste des délais proposés et d’évaluer les obstacles qui pourraient contrecarrer cette intention.

1.13.

Dans le même temps, le CESE jauge l’efficacité de la politique de retour à l’aune de celle du processus de coopération avec les pays tiers et de la conclusion et de l’application d’accords de réadmission, et demande à la Commission d’intensifier ses efforts et aux États membres d’exploiter pleinement ces arrangements.

1.14.

Le CESE estime également qu’il convient de mentionner les bonnes pratiques mises en œuvre dans certains États membres de l’Union afin d’éviter que le séjour irrégulier des migrants ne se perpétue sur une longue période. Ces bonnes pratiques sont notamment l’attribution à titre exceptionnel de permis de séjour en raison de liens solides de nature sociale, professionnelle ou familiale (arraigo) en Espagne ou le dispositif de Duldung (tolérance) en Allemagne.

2.   Contexte et proposition de la Commission

2.1.

Depuis 1999, l’Union européenne s’efforce d’élaborer une approche globale en matière de migration s’agissant notamment d’harmoniser les conditions de réadmission, d’établir les droits des citoyens des pays tiers séjournant légalement, d’élaborer des mesures juridiques visant à prévenir la migration illégale et de développer une coopération concrète en la matière. La directive 2008/115/CE sur le retour visait à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes; néanmoins, le rapport sur son application publié en 2014 a mis en évidence toute la faiblesse des progrès accomplis s’agissant d’accroître le taux réel de retour obtenu par l’Union européenne, qui s’élevait à 36,3 % en 2014, à 36,8 % en 2015, à 45,8 % en 2016 et à 36,6 % en 2017. La recommandation (UE) 2017/432 n’a pas permis d’améliorer cette situation, alors même qu’elle prévoyait un jeu de mesures que les États membres devaient adopter afin de tirer pleinement parti de la souplesse qu’offre la directive.

2.2.

Sans modifier le champ d’application de la directive ou toucher à la protection des droits des migrants actuellement en vigueur, notamment en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, la vie familiale, l’état de santé et le principe de non-refoulement, la refonte de la directive devrait rendre la procédure de retour plus efficace en proposant:

davantage de cohérence et de synergies avec les procédures d’asile,

une nouvelle procédure aux frontières,

des procédures et règles claires pour prévenir les abus,

des suggestions pour accroître l’efficience des retours volontaires,

des règles claires en matière de rétention.

3.   Observations générales

3.1.

Le CESE s’inquiète de la disparité des normes en matière de gestion des migrations par les États membres de l’Union européenne, et notamment en ce qui concerne le traitement des migrants en situation irrégulière, ce qui est source d’insécurité juridique et d’inégalité de traitement.

3.2.

Le CESE réitère les recommandations formulées dans son avis sur la communication de la Commission de 2002 sur une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier, car il estime qu’elles n’ont pas été — ou pas entièrement — prises en compte dans les différentes législations et mesures politiques adoptées au niveau de l’Union depuis lors, notamment en ce qui concerne les droits des immigrants en situation irrégulière, la régularisation, le retour forcé, le recours juridique, le droit au maintien de l’unité familiale, la rétention, ainsi que la nécessité de disposer d’une véritable politique commune en matière de migration légale (10).

3.3.

On ne peut que se féliciter des intentions proclamées par la proposition de refonte, à savoir améliorer l’efficacité des procédures de retour, accélérer le déroulement des procédures et lier immédiatement ces dernières aux décisions de rejet du séjour régulier ou y mettant fin. Les États membres sont habilités à expulser les migrants en séjour irrégulier, à condition que soient en place des régimes d’asile justes et efficaces qui respectent pleinement le principe de non-refoulement. Au vu des objectifs déclarés des modifications proposées, le CESE est conduit à s’inquiéter de leurs conséquences. Il s’interroge en effet sur l’efficacité de ces changements et redoute que la proposition se traduise seulement par un durcissement de la situation et une répression accrue. Il convient de ne pas renoncer au principe fondamental qui accorde la priorité aux retours volontaires, déjà ancré dans le libellé original de la directive 2008/115/CE, ni de le remplacer uniquement par des politiques répressives.

3.4.

La proposition devrait également être évaluée du point de vue de la viabilité de ses objectifs, en particulier si on veut qu’elle reste compatible avec les droits de l’homme. Vouloir faire de l’expulsion générale de tous les étrangers qui sont en séjour irrégulier sur le territoire de l’Union l’unique moyen de restaurer la légalité de leur statut est tout simplement impossible à réaliser. D’une part, ce constat découle de l’expérience de ces dernières années et d’autre part, cette démarche s’accompagnerait d’un coût humain disproportionné et de coûts économiques et autres qui ne le seraient pas moins.

3.5.

Au cours des dix dernières années, la politique de retour a fait l’objet d’une mise en œuvre, d’un suivi et d’une évaluation inefficaces. En outre, elle n’est toujours pas intégrée de manière effective dans une politique migratoire commune et globale de l’Union.

3.6.

Dans le cadre de sa proposition, la Commission devrait expliquer les raisons pour lesquelles les États membres n’ont pas dûment mis en œuvre la directive 2008/115/CE et n’ont pas respecté la recommandation (UE) 2017/432, qui fournit des orientations sur la manière dont ladite directive devrait être appliquée et invite les États membres à prendre les mesures nécessaires pour éliminer les obstacles juridiques et pratiques au retour.

3.7.

De même, dans le contexte d’une incertitude sociale croissante, l’on devrait s’efforcer de publier les données réelles sur l’immigration illégale dans l’Union européenne et de les interpréter de manière responsable, afin d’éviter d’attiser les discours xénophobes et racistes qui soutiennent les positions de l’extrême-droite.

4.   Observations particulières

4.1.

La Commission entend que la refonte de la directive serve, sur la base de l’évolution des événements intervenue depuis 2008, à atteindre l’objectif légitime de rétablir la légalité et de renforcer l’efficacité de l’exécution des décisions de retour. Il existe pourtant d’autres moyens qui sont plus efficaces et moins lourds pour atteindre ce même objectif (par exemple les retours volontaires, les régularisations individualisées, etc.). Le CESE considère qu’une politique efficace en matière de retour est un élément indissociable d’une politique d’ensemble de l’Union en matière de migration et d’asile; toutefois, l’absence d’une telle politique devrait conduire la Commission à adopter une approche autocritique, cohérente et équilibrée et à ne pas considérer la migration uniquement dans une optique policière et sécuritaire, qui criminalise les migrations (11).

4.2.

Le CESE a déjà indiqué dans un avis antérieur qu’il «rappelle à la Commission qu’il a mis en exergue, dans plusieurs de ses avis, la nécessité d’adopter des mesures de régularisation» (12). Or, la législation européenne prévoit des mesures pour mettre fin à la situation irrégulière de la personne d’une manière raisonnable et constructive.

4.3.

Des exemples de telles mesures peuvent être trouvés dans les articles 6 — décision de retour — et 7 — Départ volontaire — de la directive 2008/115/CE, qui ont été très peu explorées et appliquées par les États membres, en particulier dans les cas où les tentatives de renvoi d’une personne se sont avérées vaines. À la lumière de ce qui précède, le CESE approuve la recommandation (UE) 2017/432 de mettre en place des programmes opérationnels d’assistance au retour volontaire.

4.4.

En outre, le CESE fait remarquer que les règles qui s’appliquent aux éloignements de citoyens de l’Union et des membres de leur famille pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique (13) ne sont pas applicables aux migrants en situation irrégulière. Cela concerne la possibilité de demander l’annulation de la décision en raison d’un changement de situation intervenu dans un délai raisonnable et notamment l’obligation de ne pas exécuter une mesure d’éloignement sans réexamen de la situation lorsque deux années se sont écoulées après la décision. Il ne semble pas raisonnable que les dispositions qui s’appliquent aux citoyens européens, c’est-à-dire uniquement lorsqu’ils représentent une menace pour l’ordre public, ne puissent s’appliquer à ceux à qui il manque seulement des papiers lorsqu’ils connaissent un changement significatif de leur situation.

4.5.

Il est absolument nécessaire de doter les procédures de retour de mécanismes et de garanties efficaces pour défendre les droits et les intérêts du ressortissant d’un pays tiers soumis à une sanction, qui vont au-delà de la simple possibilité de former un recours contre une décision ou d’aller en appel. Cette possibilité devrait être prévue par une assistance juridique adéquate; chaque procédure devrait donner lieu à la désignation automatique d’un avocat spécialement formé et spécialisé dans ce domaine pour assurer la défense de la personne concernée.

4.6.

La politique de persécution des personnes en séjour irrégulier doit donner lieu à une interdiction ferme et catégorique de l’identification des personnes sur la base de leur appartenance ethnique et/ou religieuse. L’assouplissement de cette interdiction fait de l’Europe un territoire où les minorités raciales pourraient être exposées de manière intolérable aux soupçons et aux contrôles des autorités. Les critiques du comité des droits de l’homme des Nations unies adressées en juillet 2009 (14) à l’Espagne pour l’arrestation d’une citoyenne espagnole soupçonnée d’être une immigrante illégale pour le simple motif qu’elle était noire, en disent long à cet égard.

4.7.

Le CESE tient pour indispensable de mener une étude comparative sur les centres de rétention dans l’Union européenne, sur la situation qui y prévaut et sur la manière dont on y respecte les droits de l’homme. Cette étude doit s’appuyer sur des données et sur des visites sur le terrain.

4.8.

Le CESE propose dans le même temps que la Commission analyse en continu l’approche des États membres s’agissant d’établir les programmes opérationnels que ceux-ci doivent mettre en place depuis 2017 déjà, afin de permettre d’améliorer l’aide et le conseil au retour, y compris une aide à la réintégration dans le pays tiers de retour. Cette analyse devrait également comprendre une comparaison de l’efficacité des dépenses liées aux retours volontaires et forcés.

4.9.

Le CESE tient à faire état des bonnes pratiques qu’appliquent certains États membres afin d’éviter que le séjour irrégulier de migrants ne se perpétue sur une longue période. Il s’agit notamment des systèmes de l’«enracinement» (arraigo) en Espagne et de la «tolérance» (Duldung) en Allemagne, qui, à titre exceptionnel, permettent à certains étrangers qui séjournent de manière irrégulière sur leur territoire, d’obtenir d’une manière individualisée et sélective un séjour régulier, pour autant qu’ils répondent à certaines conditions.

5.   Analyse des modifications proposées

5.1.

La proposition à l’examen est très claire en prévoyant neuf modifications précises, sur lesquelles le CESE fait porter son avis.

5.2.

Il est indispensable de disposer de critères objectifs à l’échelle de l’Union européenne pour établir l’existence ou non d’un risque de fuite, y compris de mouvements secondaires non autorisés. Afin d’éviter des interprétations divergentes ou inopérantes, l’article 6 de la proposition dresse une liste commune de critères objectifs permettant d’établir l’existence d’un risque de fuite dans le cadre d’une appréciation globale des circonstances propres à chaque cas. La liste de critères est trop large et va au-delà de la recommandation (UE) 2017/432. De ce fait, bien que la directive prévoie deux types de procédure, à savoir une procédure d’urgence, exceptionnelle, sans possibilité de départ volontaire ni autres obligations, et une autre qui offre des garanties, dont la possibilité d’une exécution volontaire, la plupart des migrants en séjour irrégulier seront soumis en pratique à la procédure qui devrait en théorie être l’exception.

5.2.1.

Seuls un nombre limité de critères objectifs proposés à l’article 6, à la suite de la recommandation (UE) 2017/432 et correspondant dans le libellé modifié aux critères mentionnés aux points f), h) et k), permettent de définir précisément le «risque de fuite». Conformément aux dispositions de l’article 7 imposant l’obligation de coopérer, l’on peut également considérer le point j) comme un critère pertinent.

a)

L’absence de documents au moment de l’ouverture du dossier est une situation qui dans la plupart des cas peut faire l’objet d’une régularisation sur demande, et qui, dans le cas contraire, pourrait se rattacher au point f).

b)

Cet objectif place la charge de la preuve sur le migrant qui devra prouver sa résidence effective, supprimant ainsi une clause de sauvegarde juridique fondamentale. Les grandes difficultés liées au logement, en particulier celles qui se posent dans de nombreuses municipalités pour les étrangers, en général, et les personnes en situation irrégulière, en particulier, donnent à ce critère une portée excessive.

c)

Le risque de fuite ne peut être défini sur la base de tels critères si l’on veut éviter que TOUS les migrants en séjour irrégulier ne puissent être accusés d’un risque de fuite, de telle sorte que la procédure prévoyant des garanties s’avère purement résiduelle. En effet, toute personne à qui est refusé le droit au travail est également privée de ressources économiques. La plupart des migrants en situation irrégulière souffrent donc d’un manque de moyens financiers.

d)

Compte tenu de la politique de fermeture des frontières appliquée par les États membres, de nombreux migrants en situation irrégulière (et même en situation régulière) s’avéreront être entrés illégalement sur le territoire des États membres.

e)

Tout mouvement d’un migrant en situation irrégulière entre des États membres est par défaut interdit, mais ne constitue pas nécessairement une raison suffisante pour conclure à l’existence d’un risque de fuite.

g)

Fait d’être visé par une décision de retour rendue par un autre État membre. Il est incompréhensible que cette possibilité soit mentionnée alors que la directive elle-même prévoit l’exécution directe de cette décision par le deuxième État.

i)

Non-respect de l’obligation de se rendre sur le territoire d’un autre État membre ayant accordé un titre de séjour valide. Dans de tels cas, engager des procédures d’éloignement sans possibilité de départ volontaire vers le pays d’origine est totalement disproportionné. Il convient donc dans ces cas de procéder à une forme de reconduite forcée vers l’autre État membre, mais non d’expulser vers le pays d’origine et encore moins d’appliquer une procédure d’urgence.

5.3.

Avant d’analyser les articles 7, 8 et d’autres articles de la proposition, il convient de préciser ce qui suit: l’ensemble du texte de la proposition de modification semble manifestement méconnaître la nature juridique de la décision de retour, dont la clarification sous-tendra la mise en cause totale du paragraphe 3 du nouvel article 8 de la directive. Une décision de retour constitue une décision exécutive d’un État qui affecte directement la sphère personnelle des droits de l’homme et des intérêts d’un être humain. En outre, le fondement de cette décision est de manière générale directement ou indirectement lié à l’exécution d’obligations ou à certains comportements dont l’intéressé est accusé, ce qui justifie la vérification en temps utile de la réalité des allégations en cause, qui, en pareils cas, devrait sans aucun doute présenter un caractère indépendant. Tout cela signifie que l’expulsion constitue une sanction, un châtiment, une peine, de nature administrative et non pénale, mais qui est régie par les mêmes principes constitutionnels et les mêmes droits fondamentaux que le droit pénal.

5.4.

En ce qui concerne l’article 7 relatif à l’obligation de coopérer, le CESE considère que l’hypothèse de la Commission selon laquelle l’obligation faite au ressortissant d’un pays tiers de coopérer avec les autorités nationales à tous les stades de la procédure de retour, peut contribuer au bon déroulement et à l’efficacité de cette dernière. Il convient néanmoins de noter que cette disposition porte directement atteinte à un droit fondamental tel que celui de ne pas témoigner contre soi-même. Les obligations énoncées dans cet article peuvent être résumées en une seule, l’obligation de coopérer et de collaborer à une procédure dirigée contre soi-même. L’article 8 relatif à l’adoption d’une décision de retour impose aux États membres d’adopter une décision de retour immédiatement après une décision de rejet du séjour régulier du ressortissant d’un pays tiers, y compris une décision n’accordant pas à ce dernier le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire. Le CESE estime qu’il convient de compléter l’article 8 en donnant une possibilité raisonnable au ressortissant d’un pays tiers de se conformer à l’obligation de quitter le territoire de sa propre initiative ou de chercher d’autres voies pour régulariser sa situation.

5.5.

L’article 9 relatif au départ volontaire prévoit qu’un délai convenable de 30 jours doit être accordé pour le départ volontaire, en supprimant la disposition initiale prévoyant un délai allant de 7 à 30 jours. Si, par le passé, il était déjà critiquable que le délai ne soit pas supérieur à trente jours, l’existence d’une durée minimale constituait une garantie. La suppression de ce minimum offre la possibilité aux États membres de n’accorder aucun délai pour un départ volontaire.

5.6.

La nouvelle mesure introduite au titre de l’article 13 permet aux États membres d’imposer une interdiction d’entrée sans devoir adopter de décision de retour au ressortissant de pays tiers dont le séjour irrégulier est détecté au moment où le migrant quitte (volontairement) l’Union européenne. Le CESE perçoit cette mesure comme l’application d’une sanction à une personne au moment où celle-ci se conforme à la loi, c’est-à-dire lorsqu’elle quitte le territoire de l’Union européenne et met fin à sa situation irrégulière. En revanche, l’on peut entendre cette mesure comme une garantie contre une nouvelle entrée illégale sur le territoire de l’État membre concerné.

5.7.

L’article 14 relatif à la gestion des retours demande que chaque État membre veille à la mise sur pied, au fonctionnement, à la maintenance et au développement d’un système national de gestion des retours, qui traite toutes les informations nécessaires à la mise en œuvre de la directive à l’examen. Il est toutefois nécessaire d’assurer sa compatibilité technique avec le système central de communication de l’Union européenne. L’article 14 prévoit en outre que les États membres établissent des programmes opérationnels qui apportent une assistance au retour.

5.7.1.

Les lacunes du système d’information Schengen (SIS) nécessitent l’adoption de mesures en vue d’améliorer la coordination entre États. Il est plus que douteux qu’il soit nécessaire d’adopter une réglementation expresse du niveau d’une directive pour régler des questions de gestion essentiellement pratiques.

5.7.2.

La proposition selon laquelle les États membres établissent des programmes pour la fourniture d’une assistance logistique, financière, matérielle ou en nature afin de soutenir le retour volontaire, qui peut comprendre une aide à la réintégration, découle de la recommandation (UE) 2017/432. La Commission devrait en soutenir l’établissement, les suivre et les évaluer.

5.8.

L’article 16 porte exclusivement sur le «seul cas obligatoire où l’effet suspensif automatique doit être accordé en vertu de la proposition», en l’occurrence l’examen d’une décision de retour à l’encontre d’une personne dont la demande de protection internationale a été rejetée. Le CESE ne formule aucune objection à cette disposition, mais il estime qu’il existe d’autres cas dans lesquels il convient de conférer le même caractère automatique à la suspension de l’expulsion afin de renforcer le champ d’application des clauses de sauvegarde et des garanties. Sans que cette liste soit exhaustive, cela concerne:

les cas où des mineurs d’âge sont affectés par la décision de manière directe ou indirecte,

les cas où des membres de la famille ressortissants de l’Union sont affectés par la décision de manière directe ou indirecte et qui, à ce titre, ne peuvent être soumis aux dispositions de la directive 2004/38/CE,

les cas où un risque pour la santé ou l’intégrité physique de la personne en cause peut être démontré,

lorsque le retour doit s’effectuer dans des pays considérés comme non sûrs, notamment ceux où les droits de l’homme ne sont pas respectés.

5.9.

Pour ce qui est de la mise en place d’une durée maximale de rétention de trois mois au moins, l’on ne peut que faire observer que les faits montrent qu’un délai inférieur à ces trois mois est suffisant pour effectuer les formalités et les démarches nécessaires à l’application d’une mesure d’éloignement vers un État tiers; une prolongation de cette période n’apporte pratiquement rien de plus, d’autant moins qu’il s’agit de soumettre une personne qui n’a commis aucune infraction à une mesure aussi extrême que la privation de liberté.

5.10.

Le Comité réitère son appel à recourir à d’autres solutions telles que les dispositifs de «Duldung» en Allemagne ou d’«arraigo» en Espagne, car déterminer si une personne peut être expulsée ou non prend nettement moins que trois mois. La rétention et la détention préventive sont des mesures provisoires, dont le but est de simplifier la conduite de retours forcés et d’éviter une fuite. Il convient toutefois d’exclure d’y recourir comme une forme camouflée d’emprisonnement ou de sanction pour une immigration irrégulière. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne interdit explicitement un tel emprisonnement (15).

5.11.

Aussi, la directive devrait exiger qu’un centre où interviendra une telle rétention ne soit pas comparable à une prison, ou pire qu’elle, et ce par la voie d’une réglementation qui exigera que la surveillance de ces centres par les autorités répressives de l’État concerné ne soit jamais intérieure, mais seulement extérieure, sachant que la surveillance intérieure est confiée à d’autres organes étatiques, et que dans chaque État membre, le statut juridique des personnes en rétention soit de par la loi égal ou supérieur dans chacun de ses aspects à celui des prisonniers.

5.12.

La modification apportée par le paragraphe 7 et l’article 22 est totalement inutile, car la question est déjà réglée par les différentes procédures d’asile des États membres. En tout état de cause, il est disproportionné de prévoir qu’une personne susceptible d’être arrêtée jusqu’à quatre mois en vue de son retour à la suite du rejet de sa demande d’asile, puisse être immédiatement remise en détention pour une nouvelle période de six mois, dans le même but de procéder à son rapatriement.

5.13.

Le CESE souscrit au constat de la Commission selon lequel l’efficacité de la politique de l’Union européenne en matière de retour dépend également de la coopération des pays d’origine. L’Union européenne a déjà enregistré certains progrès. Le CESE demande néanmoins à la Commission d’intensifier ses efforts dans ce domaine et presse dans le même temps les États membres de tirer parti de ces résultats et d’exploiter pleinement ces arrangements.

Bruxelles, le 23 janvier 2019.

Le président

du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  COM(2018) 634 final.

(2)  JO C 85 du 8.4.2003, p. 51.

(3)  COM(2002) 175 final.

(4)  Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348 du 24.12.2008, p. 98).

(5)  Recommandation (UE) 2017/432 de la Commission du 7 mars 2017 visant à rendre les retours plus effectifs dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 66 du 11.3.2017, p. 15).

(6)  Voir l’avis du CESE sur «Les coûts de la non-immigration et de la non-intégration» (JO C 110 du 22.3.2019, p. 1).

(7)  Conclusions de la réunion du Conseil européen du 28 juin 2018.

(8)  Conclusions de la réunion du Conseil européen du 18 octobre 2018.

(9)  IOM – Migration: Flow Monitoring Europe (IOM — Migration: suivi des flux en Europe).

(10)  JO C 85 du 8.4.2003, p. 51.

(11)  Voir le rapport de la Research Social Platform on Migration and Asylum «Migration — Crackdown on NGO’s assisting refugees and other migrants» (Plateforme sociale de recherche sur la migration et l’asile sur le thème «Migration — Répression de la migration à l’encontre des ONG venant en aide aux réfugiés et à d’autres migrants).

(12)  JO C 85 du 8.4.2003, p. 51.

(13)  Articles 32 et 33 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158 du 30.4.2004, p. 77).

(14)  FF. Communication no 1493/2006, Williams Lecraft c. Espagne.

(15)  Arrêts de la Cour de justice du 7 juin 2016, Affum, C-47/15, ECLI:EU:C:2016:408, et du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11, ECLI:EU:C:2011:268.