15.9.2017   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 306/28


Avis du Comité européen des régions sur l’innovation sociale comme nouvel instrument pour relever les défis sociétaux

(2017/C 306/06)

Rapporteure:

Marcelle Hendrickx (NL/ADLE), échevine de la commune de Tilburg

RECOMMANDATIONS POLITIQUES

LE COMITÉ EUROPÉEN DES RÉGIONS (CdR)

Observations générales

1.

perçoit que l’Europe est confrontée à de grands défis sociétaux: nos citoyens sont dans l’incertitude quant à leur avenir, le taux de chômage se situe encore à un niveau plus élevé qu’avant la crise financière et économique, en particulier dans le cas de celui des jeunes, les conséquences du changement climatique deviennent de plus en plus évidentes, la population vieillit et l’arrivée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants place les dirigeants locaux et régionaux face à de nouvelles questions.

2.

Les membres du Comité assistent à une mutation dans la société. Les citoyens européens ont aujourd’hui un niveau d’exigence supérieur, à l’aune de leurs qualifications plus élevées, raison pour laquelle ils souhaitent de plus en plus prendre leur existence en main, améliorer leurs normes de qualité de vie et participer de manière accrue au processus de résolution des questions pertinentes sur le plan social. Dans le même temps, nous avons conscience, en tant que pouvoirs locaux et régionaux, que les intérêts de nos citoyens peuvent être très divergents.

3.

En outre, les défis de société deviennent de toujours plus complexes: ils ne se laissent plus circonscrire dans tel ou tel compartiment de l’action politique, transcendent les limites administratives et dépassent les cycles chronologiques de l’administration. Ils réclament tout à la fois des actions immédiates et une vision et une approche de long terme, ainsi qu’un changement de paradigme en ce qui concerne la dimension sociale des politiques de l’Union européenne (UE), y compris celle de l’Union économique et monétaire, afin de toucher l’ensemble des citoyens et de renforcer la solidarité entre eux et entre les États membres.

4.

Parallèlement, il se fait que les collectivités régionales et locales disposent de moins de ressources financières pour relever ces défis nouveaux et plus complexes dans une société qui évolue rapidement, si bien que toute intervention dans ce domaine nécessitera une coordination objective, pragmatique et efficace entre les différents niveaux de gouvernance.

5.

Le Comité constate les limites de l’optique et des instruments d’action dont on dispose aujourd’hui pour ce qui est d’élaborer des solutions face aux défis sociétaux du moment. Concomitamment, ces évolutions ouvrent également des perspectives pour une Europe moderne et novatrice.

6.

Le Comité considère que l’innovation sociale constitue un instrument important, associant les secteurs public et privé, ainsi que le tiers secteur, pour relever lesdits défis d’aujourd’hui et améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. Les projets novateurs sur le plan social ont davantage d’effets sur la société et l’économie en général, quand leur conjonction avec des supports technologiques débouche sur de meilleures solutions pour nos citoyens.

Caractéristiques de l’innovation sociale

7.

Le Comité souscrit à la définition de l’innovation sociale comme étant les idées novatrices (produits, services et modèles) qui satisfont les besoins sociaux (plus efficacement que d’autres options) tout en tissant de nouveaux partenariats et relations au plan social (1).

8.

L’innovation sociale peut constituer un instrument important face à tous les problèmes sociétaux, qu’il s’agisse, par exemple, de combattre le chômage des jeunes, de favoriser la prise en charge et l’autonomie des personnes âgées, d’intégrer les personnes qui ont des difficultés à accéder au marché du travail ou de revitaliser les territoires les plus périphériques, les régions qui doivent faire face à divers défis démographiques et les zones urbaines sinistrées.

9.

Adopter une démarche qui part du terrain, rechercher des solutions par cocréation, au plus près des personnes (2), établir de nouvelles relations et coopérations, sur mesure, entre les pouvoirs publics, les entreprises, les institutions scientifiques, les établissements d’enseignement, les organisations de la société civile et les organisations représentatives des intérêts des citoyens (3): tels sont, aux yeux du Comité, autant de traits caractéristiques de l’innovation sociale.

10.

Le Comité souhaiterait mentionner tout particulièrement les panels de consommateurs comme un bon exemple d’approche ascendante. Les panels de consommateurs fournissent un point de contact avec des consommateurs connaissant bien certains services. Ils sont pertinents pour recueillir les réactions des consommateurs (expériences d’utilisation, par exemple), pour développer services et produits, ainsi que pour créer et tester de nouvelles idées (sur une base ascendante). Ils favorisent l’intégration et offrent aux consommateurs une véritable possibilité de faire valoir leur point de vue.

11.

L’innovation sociale constitue, pour les pouvoirs publics, une autre manière de travailler. Elle requiert, de la part des collectivités locales et régionales, d’avoir une attitude ouverte vis-à-vis des initiatives et des idées qui émanent des citoyens, des entreprises, des institutions scientifiques et établissements d’enseignement et des organisations de la société civile. Un élément important à cet égard est d’avoir conscience que ce n’est pas auprès des seules autorités publiques que réside la solution à bien des questions qui se posent aujourd’hui. Attitude «ouverte» n’est toutefois pas synonyme d’approche «passive». Pour promouvoir l’innovation sociale, il est souvent nécessaire que les pouvoirs publics locaux prennent la tête du mouvement et en assurent la coordination, lorsqu’il s’agit de nouer des partenariats, de fédérer les parties prenantes, de créer des écosystèmes d’innovation sociale, de détecter les bonnes initiatives prises par le public et par les collectivités locales, de créer des cadres juridiques souples, de veiller au partage des connaissances ou d’encourager le dialogue.

12.

La Commission européenne affirme très justement que l’UE doit produire des résultats concrets, qui répondent aux besoins et aux aspirations de nos concitoyens. Si, dès les premières phases de l’élaboration des politiques et tout au long du processus décisionnel, nous soutenions et facilitions d’emblée l’innovation sociale, nous aboutirions à des solutions meilleures et qui recueilleraient une plus grande adhésion.

13.

En ces temps où la confiance en nos institutions démocratiques est mise à rude épreuve, il est primordial de bénéficier du soutien des citoyens. L’innovation sociale émane des citoyens et des communautés locales, depuis la phase de leur consultation, où ils indiqueront quels sont les besoins sociétaux, jusqu’à celle de la mise en œuvre, en passant par la formulation de solutions, par l’entremise d’un processus de participation, de partage, de coresponsabilité et de réciprocité, ainsi que par la mise en place de réseaux multipartites. Cette dimension doit être intégrée avec la dimension territoriale, de manière aussi proche que possible des besoins des familles et des communautés.

Exploiter le potentiel, lever les obstacles

14.

Le Comité se félicite que la Commission européenne reconnaisse l’importance de l’innovation sociale, en particulier en ce qui concerne les possibilités offertes par le portail Communauté de l’innovation sociale et le concours européen annuel de l’innovation sociale. Le Comité souhaite souligner que l’innovation sociale ne porte pas que sur la croissance économique et la création d’emplois Il est important qu’elle soit connue et reconnue comme un instrument qu’il convient d’appliquer dans différents domaines d’intervention, notamment la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et qui est susceptible d’améliorer la qualité de vie des populations dans l’UE.

15.

En effet, les projets réussis en matière d’innovation sociale assurent une complémentarité entre le renforcement de l’inclusion sociale et de la solidarité, d’une part, et la création de croissance et d’emplois, d’autre part. C’est pourquoi le Comité insiste sur la nécessité d’intégrer l’innovation sociale dans les stratégies de développement local et régional.

16.

Par ailleurs, l’innovation sociale aboutit à mieux innover. Les évolutions technologiques ne cessent de s’accélérer et des tendances de fond telles que la numérisation et l’automatisation redéfinissent de manière fondamentale le marché du travail et l’économie au sens large dans les villes et les régions: si l’automatisation et la robotisation font disparaître certains métiers, d’autres, en revanche, apparaissent, les mégadonnées affectent la vie privée des concitoyens et tous ne sont pas en mesure de suivre et d’intégrer aussi bien que d’autres les développements de la technologie. Les innovations sociales peuvent aider à accroître la résilience de nos sociétés. Le Comité relève qu’il existe partout dans l’UE de bons exemples d’innovations sociales émanant des collectivités locales et régionales (4).

17.

Ce serait un gâchis que de ne pas partager les innovations sociales qui ont été couronnées de succès et de les laisser cantonnées au plan local. Elles commencent souvent localement et à petite échelle mais peuvent être précieuses et transposables pour tous les citoyens européens. Pour que tout leur potentiel puisse être exploité, il est nécessaire qu’elles puissent bénéficier d’un environnement qui leur permette de monter en puissance et de se diffuser.

18.

Il existe de nombreux exemples de bonnes pratiques en matière d’innovation sociale qui aident tant les femmes que les enfants dans des situations à risque. Ces pratiques devraient être valorisées et étendues en Europe aux citoyens confrontés à de telles situations, le cas échéant, en facilitant leur financement par les Fonds structurels.

19.

Si l’on veut tirer tout le parti possible de l’innovation sociale, il s’impose de simplifier la politique de cohésion et d’en réduire la lourdeur administrative. Actuellement, sa complexité et l’ampleur de son encadrement réglementaire ont un effet dissuasif sur les demandeurs. À plusieurs reprises déjà, le Comité a invité les institutions européennes à procéder à une véritable simplification des mesures législatives relatives à la politique de cohésion (5).

20.

Dans le cadre de la politique européenne de cohésion, l’innovation sociale constitue un instrument difficile à mobiliser. Du fait que les projets se déroulent à petite échelle, qu’ils ont des parties prenantes de taille modeste et peu classiques et que l’innovation sociale ne figure pas toujours parmi les critères à remplir pour déposer une demande de fonds européens, le financement par l’UE d’initiatives afférentes se trouve souvent entravé.

21.

En conséquence, tous les fonds et programmes européens ne se prêtent pas aux innovations sociales. Tout comme dans celles d’ordre technologique, il est nécessaire, pour les innovations du domaine social, de ménager une marge suffisante pour l’expérimentation et d’être prêt à accepter que certaines soient des échecs.

22.

Il est possible de faire progresser l’innovation sociale grâce à l’économie sociale et à l’entrepreneuriat social. Le Comité rappelle à cet égard que, du fait qu’elles se fondent sur la collaboration et l’engagement civique des personnes qui composent les communautés, les initiatives en faveur de l’économie sociale contribuent à accroître la cohésion sociale, économique et territoriale, ainsi que le niveau de confiance dans l’ensemble de l’Union européenne. Il est dès lors essentiel de soutenir l’innovation sociale et, pour ce faire, de libérer également le potentiel de l’économie sociale en améliorant l’accès de celle-ci à différents modes de financement et en mobilisant des moyens financiers suffisants au niveau local, régional et national et à celui de l’Union (6).

Différencier l’innovation sociale de l’innovation

23.

Le Comité adhère à l’idée que innovation revêt une haute importance pour l’Union européenne, pour offrir à nos concitoyens la meilleure éducation et des emplois en suffisance, relever les défis sociétaux de l’heure et maintenir à un niveau élevé le bien-être et la qualité de vie. Dans ce contexte, le Comité insiste sur l’importance que présente l’initiative de l’«Union de l’innovation» pour rendre l’UE plus réceptive à l’innovation et, ainsi, accélérer sa capacité à convertir les bonnes idées en produits et en services.

24.

Le Comité se félicite de tous les efforts que la Commission européenne déploie pour promouvoir l’innovation sociale, dans les domaines relevant du programme de l’UE pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI), des modèles économiques collaboratifs, d’Horizon 2020, des plates-formes de sensibilisation culturelle et des programmes de l’instrument destiné aux petites et moyennes entreprises.

25.

Le Comité estime toutefois que même si le programme pour l’emploi et l’innovation sociale se propose, entre autres objectifs, de lutter contre le chômage de longue durée et de combattre la pauvreté et l’exclusion, il n’existe pas encore de mécanismes d’envergure européenne qui soient en mesure de répondre efficacement à ces problématiques communes.

26.

Malgré ces initiatives, le Comité estime que la stratégie Europe 2020 insiste trop sur la dimension technologique de l’innovation et ne met pas suffisamment en vedette son aspect social. Il souligne qu’innovation sociale et innovation technologique sont mutuellement complémentaires et que c’est en encourageant leur complémentarité que l’on peut atteindre des résultats ayant un effet sur la société.

Rôle de l’Union européenne et recommandations

27.

Les défis sociétaux actuels dépassent les frontières et se logent bien souvent, en Europe, au niveau des collectivités locales et régionales. L’innovation sociale peut jouer un rôle important pour susciter la cohésion sociale, économique et territoriale. Dans ce domaine, il est souhaitable que l’UE joue un rôle catalyseur, facilitateur et fédérateur.

28.

appelle la Commission européenne à veiller expressément, lorsqu’elle conçoit ses politiques, à ce qu’elles soient exécutables au niveau local et régional, s’inscrivant ainsi dans la logique de la mise en œuvre du programme urbain de l’UE, dans lequel la Commission, les États membres et les villes font un état des lieux concernant la transposabilité de l’action et de la réglementation de l’Union à l’échelon local. Ce point est d’autant plus important pour les projets ayant trait à l’innovation sociale, qui sont souvent soutenus par les collectivités locales et régionales tout au long du processus d’innovation (émergence, expérimentation, diffusion et évaluation).

29.

Le Comité demande à la Commission européenne de reconnaître et entériner l’instrument de l’innovation sociale comme outil à utiliser pour relever, dans toute leur diversité, les défis qui se posent à la société et améliorer la qualité de vie de la population.

30.

Il conviendrait que la Commission européenne joue un rôle pionnier pour développer l’innovation sociale, partager les connaissances qui s’y rapportent et diffuser les bonnes pratiques. En ce qui concerne les entités de l’économie sociale, par exemple, elle doit également garantir l’adoption, aux différents niveaux de gouvernance, de politiques qui, prenant notamment la forme de mesures intégrées dans le domaine de la santé, du logement et de la recherche active d’emploi, encouragent l’innovation sociale et veiller à créer une véritable communauté européenne de l’innovation sociale.

31.

Le Comité demande à la Commission européenne de supprimer les obstacles qui ont été mentionnés et de faire de l’innovation sociale un des critères pris en compte lors du dépôt d’une demande auprès des fonds européens, ainsi que d’ouvrir les financements et programmes de l’Europe à des institutions ou groupements autres que classiques et de ménager un espace d’expérimentation où il soit accepté qu’une expérience puisse échouer.

32.

Le Comité presse la Commission européenne de développer, pour suivre l’évolution des processus d’innovation sociale dans les différents États membres, un mécanisme de suivi et d’évaluation d’impact doté d’indicateurs clairs, associant notamment l’économie sociale. Ses résultats seront ainsi mesurables et, de cette manière, il sera possible d’en déterminer l’incidence, de diffuser ce type d’information et de faire connaître des exemples de réussite emblématique. De ce fait, il lui sera plus aisé d’attirer des financements.

33.

Afin d’exploiter pleinement le potentiel que recèle l’innovation sociale, le Comité entreprend aussi de se tourner vers lui-même. Il appelle ses membres à expérimenter l’innovation sociale à l’échelon local, à y associer d’autres pouvoirs publics, les entreprises, les institutions de savoir et la population et à partager les expériences.

34.

Le Comité souligne l’importance des clauses sociales dans l’évaluation des offres soumises dans le cadre de marchés publics et demande à la Commission européenne de veiller à leur bonne transposition et mise en œuvre par les États membres. Il réclame aussi que l’on fasse preuve de souplesse dans le cadre des règles en vigueur en matière d’aides d’État, afin de favoriser l’innovation sociale. En outre, il propose d’étudier les possibilités offertes par le capital sociétaire et l’innovation participative pour les programmes existants d’investissement social et d’innovation sociale, qui s’inspirent généralement de modèles centrés sur le rôle moteur des investisseurs.

Bruxelles, le 11 mai 2017.

Le président du Comité européen des régions

Markku MARKKULA


(1)  Empowering people, driving change: Social innovation in the European Union (Donner le pouvoir aux citoyens, susciter le changement: l’innovation sociale dans l’Union européenne), BEPA — Bureau des conseillers de politique européenne (2011).

(2)  Avis du Comité des régions sur le «Paquet Investissements sociaux de l’UE», CDR1999-2013_00_00_TRA_AC.

(3)  Avis du Comité des régions — «Vers une politique urbaine intégrée pour l’UE», COR-2013-06902.

(4)  Par exemple, le projet expérimental sur la démence «Proeftuin Dementie» de Tilburg, aux Pays-Bas, dans lequel des entreprises, des établissements éducatifs et scientifiques, des personnels soignants et des patients, ainsi que leurs familles, coopèrent pour que les malades puissent rester chez eux plus longtemps et dans de meilleures conditions. Les innovations technologiques qui y sont mises en œuvre ont été développées avec ces différents groupes.

(5)  Voir notamment l’avis du Comité des régions sur la «Simplification des Fonds ESI du point de vue des collectivités locales et régionales» (COR-2016-00008).

(6)  Avis du CdR sur «Le rôle de l’économie sociale dans la relance de la croissance économique et la lutte contre le chômage» (COR-2015-01691).