31.1.2018   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 35/66


P8_TA(2016)0048

Situation en Libye

Résolution du Parlement européen du 4 février 2016 sur la situation en Libye (2016/2537(RSP))

(2018/C 035/13)

Le Parlement européen,

vu ses résolutions précédentes sur la Libye, notamment celles du 15 septembre 2011 (1), du 22 novembre 2012 (2), du 18 septembre 2014 (3) et du 15 janvier 2015 (4),

vu la décision 2013/233/PESC du Conseil du 22 mai 2013 relative à la mission d'assistance de l'Union européenne pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya),

vu la décision de lancer l'opération EU NAVFOR MED («opération Sophia») le 18 mai 2015, en vue d'identifier, de capturer et de neutraliser les embarcations et les ressources utilisées ou soupçonnées d'être utilisées par des trafiquants d'êtres humains ou des passeurs,

vu les récentes déclarations de la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR), Federica Mogherini, notamment celles des 30 avril 2015, 26 et 27 mai 2015, 30 juin 2015, 12 juillet 2015, 17 août 2015, 13 et 22 septembre 2015, 9 octobre 2015, 19 et 26 novembre 2015, 14 et 17 décembre 2015 et 7, 11 et 18 janvier 2016 sur la Libye,

vu les conclusions du Conseil du 18 janvier 2016 sur la Libye,

vu l'accord politique libyen signé le 17 décembre 2015 à Skhirat (Maroc),

vu la réunion ministérielle pour la Libye à Rome, le 13 décembre 2015, à l'issue de laquelle a été publié un communiqué commun approuvé par l'Algérie, la Chine, l'Égypte, la France, l'Allemagne, l'Italie, la Jordanie, le Maroc, la Russie, le Qatar, l'Arabie saoudite, l'Espagne, la Tunisie, la Turquie, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni, les États-Unis, les Nations unies, la Ligue des États arabes et l'Union africaine,

vu la résolution 2259 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Libye, adoptée à l'unanimité le 23 décembre 2015,

vu sa résolution du 9 juillet 2015 sur la révision de la politique européenne de voisinage (5),

vu la conférence nationale des tribus libyennes organisée à Tripoli en juillet 2011, qui appelait à l'adoption d'une loi d'amnistie générale pour mettre fin à la guerre civile,

vu la réunion des dirigeants et activistes politiques à Alger le 11 mars 2015,

vu la déclaration de soutien à un gouvernement d'union nationale en Libye souscrite par les gouvernements d'Algérie, de France, d'Allemagne, d'Italie, du Maroc, d'Espagne, de Tunisie, des Émirats arabes unis, du Royaume-Uni et des États-Unis,

vu l'article 123, paragraphes 2 et 4, de son règlement,

A.

considérant que sous la dictature de Mouammar Kadhafi, la Libye avait le principal arsenal de la rive méridionale de la Méditerranée et qu'elle est devenue, depuis la chute du dictateur, une importante plaque tournante du commerce et du trafic d'armes illicites ainsi que de l'approvisionnement de tous les terroristes et extrémistes de la région du Sahel (Mali, Niger, Nigeria) et des mouvements d'opposition au Soudan, au Tchad et en Syrie;

B.

considérant qu'en février 2011, prenant part au «printemps arabe», les Libyens sont descendus dans la rue, ce qui a constitué un prélude à une guerre civile de neuf mois; que l'OTAN a soutenu les insurgés, victimes d'une répression aveugle de l'État, et que ce soutien a été décisif pour l'éviction du régime de Mouammar Kadhafi;

C.

considérant que la société libyenne a toujours été organisée — avant et surtout après le coup d'État — selon un système tribal; que les alliances tribales au sein des entités ethniques (la majorité arabe et les minorités amazigh, toubou et touareg) continuent de jouer un rôle important dans les troubles que connaît la Libye d'aujourd'hui;

D.

considérant que bon nombre des milices ayant combattu Mouammar Kadhafi étaient infiltrées par des islamistes, lesquels ont progressivement pris le contrôle, et dont certains ont joué un rôle décisif dans le conflit; que les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ont placé les groupes Daech, Ansar al-Charia et Al-Qaida, qui sont tous présents en Libye, au rang des organisations terroristes;

E.

considérant qu'en août 2012, le Conseil national de transition a cédé le pouvoir au Congrès général national, parlement élu qui a désigné un chef d'État provisoire; que pour remplacer le Congrès général national, les électeurs ont élu en juin 2014 un nouveau parlement, la Chambre des représentants, qui s'est établie à Tobrouk; que l'ancien Congrès général national, dominé par les Frères musulmans, s'est à nouveau réuni peu après pour désigner son propre premier ministre, contestant ainsi l'autorité de la Chambre des représentants, tandis que les combats continuaient et que même Tripoli, la capitale, changeait de mains; que les deux parties belligérantes auraient reçu l'aide de puissances extérieures, notamment de l'Égypte, de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis du côté de la Chambre des représentants (Tobrouk), et de la Turquie et du Qatar du côté du Congrès général national (Tripoli);

F.

considérant que, depuis août 2014, ces deux organes politiques (la Chambre des représentants à Tobrouk, reconnue par la communauté internationale, et le nouveau Congrès général national, qui a vu le jour à Tripoli) affirment tous deux administrer le pays, et sont tous deux soutenus par plusieurs milices lourdement armées implantées dans des régions, des villes et des tribus d'origines diverses;

G.

considérant que le vide politique et l'absence de gouvernement stable ont été exploités par Daech, qui compte dans ses rangs des étrangers et des terroristes libyens rentrés au pays après avoir combattu en Iraq et en Syrie; que ces combattants, accompagnés de djihadistes d'autres pays, ont pris la ville de Derna, à l'est de Benghazi, en novembre 2014 et qu'ils ont fait allégeance à Daech; que, depuis lors, ces forces ou leurs alliés se sont implantés le long de pratiquement toute la côte, de Derna à Tripoli, et notamment à El Beïda, Benghazi, Ajdabiya, Abou Grein et Misrata, qu'ils contrôlent entièrement un territoire de plus de 200 km autour de Syrte et qu'ils possèdent également un camp d'entraînement à l'ouest de Tripoli, près de la frontière tunisienne; que Daech a entamé une campagne locale de terreur — par des décapitations, des fusillades et des bombardements — tout en élargissant son territoire, qu'il a pris le contrôle du réseau routier et qu'il peut empêcher les déplacements entre l'est et l'ouest du pays;

H.

considérant que la Libye est devenue le centre des principales forces de Daech en dehors du Proche-Orient et qu'en constituant pour Daech une tête de pont sur la rive méridionale de la Méditerranée, elle constitue la plus grave menace pour les pays voisins du Sahel et du Sahara ainsi que pour l'Europe au moyen d'actions terroristes;

I.

considérant que, depuis le 4 janvier 2016, Daech mène de grandes offensives contre d'importantes installations pétrolières en Libye, en vue d'élargir son trésor de guerre et de contrôler les immenses installations pétrolières d'Al-Sidra, de Ras Lanouf et de Marsa el Brega, dans l'est du pays, en endommageant les principales infrastructures sur lesquelles se fondent les ressources économiques de la Libye et en mettant en péril des revenus essentiels pour la reconstruction du pays;

J.

considérant que le rôle de la Libye en tant que lieu de transit dans la traite des êtres humains à destination des frontières de l'Europe méridionale s'est encore accentué depuis que le pays a plongé dans l'anarchie; que la Libye continue à accueillir des centaines de milliers de migrants et de demandeurs d'asile de différentes nationalités, dont beaucoup vivent dans des conditions dramatiques et constituent donc une cible pour les trafiquants;

K.

considérant que la situation des droits de l'homme continue à se détériorer partout dans le pays, où les détentions arbitraires, les enlèvements, les exécutions sommaires, les tortures et les violences à l'encontre de civils, de journalistes, de fonctionnaires, de personnalités politiques et de défenseurs des droits de l'homme constituent une réalité tragique; que, le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a saisi la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Libye; que la CPI reste compétente pour enquêter sur les violations des droits de l'homme commises dans le pays et poursuivre les responsables; que, le 27 juin 2011, la CPI a délivré des mandats d'arrêt contre Mouammar Kadhafi et Seïf Al-Islam Kadhafi, et que les autres suspects ne sont pas détenus par la Cour; que les autorités libyennes ont exigé qu'ils soient jugés par la justice libyenne;

L.

considérant que la voie politique du dialogue libyen a associé les principaux membres du processus de démocratisation en Libye, y compris des membres de la Chambre des représentants, du Congrès général national et du Conseil national de transition; que d'autres parties prenantes indépendantes telles que les conseils municipaux, les partis politiques, les chefs tribaux et les organisations de femmes ont contribué à promouvoir une véritable réconciliation;

M.

considérant que l'accord politique libyen vise à garantir les droits démocratiques du peuple libyen, et à mettre en place un gouvernement de consensus fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, et à donner des moyens d'action aux institutions publiques telles que le gouvernement d'union nationale; que, compte tenu des problèmes que connaît la Libye, il n'y a plus de temps à perdre pour mettre en place le gouvernement d'union nationale qui œuvrera en faveur de tous les Libyens et qui jettera les bases de la paix, de la stabilité, de la reconstruction et du développement du pays;

N.

considérant que le 25 janvier 2016, la Chambre des représentants libyenne (établie à Tobrouk) a rejeté le gouvernement d'unité soutenu par les Nations unies, tout en approuvant parallèlement l'accord politique libyen, qui fournit un point de départ pour une transition politique dans le pays;

O.

considérant que la sécurité et la stabilité politique en Libye sont absolument indispensables, non seulement pour les Libyens, mais aussi pour la sécurité de toute la région et de l'Union européenne;

1.

se félicite de l'accord politique libyen signé le 17 décembre 2015 avec le soutien des Nations unies; apporte son soutien total au Conseil présidentiel et félicite le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Martin Kobler, pour tous les efforts fournis;

2.

regrette le rejet de la première proposition de gouvernement unifié par la Chambre des représentants de Tobrouk; invite les deux principaux organes libyens à avaliser cet accord, qui représente une étape essentielle dans la mise en œuvre de l'accord politique libyen et qui répond à la volonté d'engager le pays sur le chemin de la paix et de la stabilité et de défendre tous les citoyens libyens; demande instamment à la Chambre des représentants et à sa présidence de faire preuve d'un esprit de compromis et de poursuivre le débat sur la composition du conseil des ministres en vue de l'approbation du gouvernement d'union nationale conformément à l'accord politique libyen;

3.

reconnaîtra et soutiendra le gouvernement d'union nationale constitué par consensus entre les partis libyens comme étant le seul gouvernement légitime de Libye; souligne que la Libye est maître du processus politique et qu'il importe que celui-ci demeure ouvert à tous, notamment par la participation constructive des conseils tribaux, la participation positive des femmes et de la société civile et les contributions positives des acteurs politiques locaux à la modification et à l'adoption, le moment venu, d'une constitution qui respecte la démocratie, les droits de l'homme et les libertés civiles;

4.

appelle la communauté internationale, les Nations unies, les États membres de l'Union européenne, de l'Union africaine et de la Ligue arabe à se préparer à aider les Libyens à assurer la réussite de l'application de l'accord; attend des États membres et des institutions internationales qu'ils n'aient de contacts officiels qu'avec les parties à l'accord politique libyen; demande à l'Union européenne d'imposer des sanctions ciblées telles que des interdictions de voyage et des gels des avoirs à l'encontre des personnes et des organisations qui boycottent l'accord politique libyen;

5.

regrette la guerre par procuration en cours entre groupes sunnites étrangers; demande aux acteurs régionaux de ne prendre aucune mesure qui risquerait d'exacerber les clivages et de compromettre la transition vers une Libye stable, ouverte et démocratique, et de déstabiliser les pays voisins; maintient son fort engagement à l'égard de la souveraineté, de l'intégrité territoriale, de l'unité nationale et de la transition démocratique de la Libye;

6.

condamne les attentats terroristes déstabilisateurs de Daech visant le peuple libyen, notamment les minorités, ainsi que les infrastructures pétrolières d'Al-Sidra et de Ras Lanouf, ainsi que tout acte visant à perturber le processus de stabilisation du pays; demande qu'une coalition internationale s'attaque à la présence de plus en plus importante de Daech en Libye, qui déstabilise le pays et menace non seulement les pays du Sahel et du Sahara voisins, mais aussi l'Union européenne;

7.

souligne que la porosité des frontières libyennes et l'absence de contrôle politique central ont largement facilité la prolifération et le trafic d'armes ainsi que la libre circulation des groupes armés libyens et étrangers; s'inquiète des retombées du conflit libyen sur la sécurité de ses voisins immédiats, notamment l'Égypte et la Tunisie, mais aussi l'Algérie; estime que l'Union européenne doit se servir de ses instruments en matière de diplomatie et de politique étrangère, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ainsi que d'autres politiques, telles que celles concernant le commerce et la coopération, pour encourager les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord à participer de manière positive au processus de transition en Libye;

8.

estime que la reprise économique est une étape essentielle vers la transition démocratique en Libye; soutient pleinement les nouvelles autorités libyennes dans leur lutte contre le terrorisme afin de garantir la protection nécessaire du peuple libyen et des infrastructures critiques pour l'économie;

9.

rappelle le rôle central de la dimension parlementaire pour une solution politique à la crise; souligne que les organes du Parlement européen et ses députés peuvent partager leur expérience institutionnelle avec les acteurs de la scène libyenne afin de les soutenir dans leur recherche d'un dialogue politique inclusif;

10.

se déclare gravement préoccupé par le sort des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés en Libye, dont la situation déjà intolérable continue à se dégrader; demande une plus grande participation de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à la coordination des efforts des Nations unies; invite l'Union européenne et ses États membres à faire face à la spirale des flux de migrants et de réfugiés en provenance d'Afrique du Nord, et notamment de Libye; demande aux autorités libyennes et aux milices de garantir un accès extérieur aux centres de détention, notamment ceux où sont placés des migrants;

11.

prie la Commission et le Service européen pour l'action extérieure, qui coordonne les actions entreprises par les États membres en Libye, de concentrer leur soutien sur le renforcement de l'État et des institutions et, en coopération avec les États membres, les Nations unies, l'OTAN et les partenaires régionaux, d'aider à réformer le secteur de la sécurité et d'aider à la création, sous le contrôle du gouvernement d'union nationale, de forces armées et de forces de police efficaces qui soient en mesure de contrôler l'ensemble du territoire et des eaux de la Libye, et de garantir la sécurité de ses frontières; souligne que l'Union devrait également se fixer pour priorité d'aider à réformer le système judiciaire libyen, ainsi que d'autres domaines cruciaux pour la gouvernance démocratique;

12.

soutient les actions menées par l'opération militaire de l'Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale (EU NAVFOR MED opération SOPHIA) pour endiguer la crise de la migration et lutter contre les passeurs qui exploitent les migrants; rappelle que le succès de cette opération est directement lié à la pérennité du dialogue politique en Libye et au retour indispensable de la paix et de la stabilité dans le pays; appelle de ses vœux un accord avec le gouvernement d'union nationale qui permette à la mission de l'Union de mener les opérations nécessaires dans les eaux territoriales libyennes;

13.

se félicite de ce que l'Union européenne ait déjà mis à disposition un montant de 100 millions d'EUR et soit prête à apporter un soutien immédiat dans les domaines qui seront désignés comme prioritaires avec le nouveau gouvernement libyen d'union nationale dès que celui-ci aura été constitué; appelle l'Union européenne et les Nations unies à prévoir une assistance au renforcement de l'État, à la sécurité et au maintien de la paix ainsi qu'à l'organisation de formations à la mise en place de structures d'urgence et de réaction en cas de catastrophe, au respect des droits de l'homme et à l'état de droit;

14.

demande aux États membres de ne pas agir seuls mais de soutenir la VP/HR dans la formulation d'une stratégie globale, en coordination avec l'UNSMIL et les autorités libyennes, pour appuyer la transition et le nouveau gouvernement libyen; estime qu'une réforme du secteur de la sécurité et la mise en œuvre de programmes de désarmement, démobilisation et réintégration sont prioritaires pour le pays, et demande à la Commission, à la VP/HR ainsi qu'aux États membres de se tenir prêts à apporter l'aide nécessaire dans ces domaines si le nouveau gouvernent en faisait la demande;

15.

souligne, toutefois, qu'il importe que la communauté internationale augmente le financement de l'aide humanitaire pour répondre aux besoins les plus urgents des personnes qui ont été gravement touchées par le conflit en Libye; souligne la nécessité de dégager des fonds pour aider les organisations humanitaires à mieux évaluer la situation et à améliorer la réponse qu'elles apportent aux besoins sur le terrain; demande aux États membres d'honorer leurs engagements vis-à-vis du Fonds d'affectation spéciale d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique;

16.

charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à l'Union pour la Méditerranée, à la Ligue des États arabes, au Conseil de l'Union africaine et au secrétaire général des Nations unies.


(1)  JO C 51 E du 22.2.2013, p. 114.

(2)  JO C 419 du 16.12.2015, p. 192.

(3)  Textes adoptés de cette date, P8_TA(2014)0028.

(4)  Textes adoptés de cette date, P8_TA(2015)0010.

(5)  Textes adoptés de cette date, P8_TA(2015)0272.