21.10.2016   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 389/13


Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Impact sur les principaux secteurs industriels (ainsi que sur l’emploi et la croissance) de l’éventuel octroi à la Chine du statut d’économie de marché (aux fins des instruments de défense commerciale)»

(avis d’initiative)

(2016/C 389/02)

Rapporteur:

M. Andrés BARCELÓ DELGADO

Corapporteur:

M. Gerald KREUZER

Le 21 janvier 2016, le Comité économique et social européen (CESE) a décidé, conformément à l’article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d’élaborer un avis d’initiative sur le thème:

«Impact sur les principaux secteurs industriels (ainsi que sur l’emploi et la croissance) de l’éventuel octroi à la Chine du statut d’économie de marché (aux fins des instruments de défense commerciale)»

(avis d’initiative).

La commission consultative des mutations industrielles (CCMI), chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 22 juin 2016.

Lors de sa 518e session plénière des 13 et 14 juillet 2016 (séance du 14 juillet 2016), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 194 voix pour, 4 voix contre et 3 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Il peut difficilement être admis que la Chine opère dans des conditions d’économie de marché, étant donné qu’elle ne remplit pas quatre des cinq critères fixés par la pratique de la Commission européenne, ni ne reflète le règlement de base [règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil].

1.2.

Le CESE reconnaît, bien que les conclusions divergent selon les sources, que la perte des outils qui nous permettent de garantir un commerce libre et équitable avec la Chine entraînerait la destruction d’une quantité inacceptable de centaines de milliers d’emplois.

1.3.

Les disparitions de postes se concentreraient en particulier dans certains territoires et secteurs, qui s’en trouveraient lourdement pénalisés, tels que l’aluminium, les bicyclettes, la céramique, les électrodes, les ferroalliages, le verre, le papier, les panneaux solaires, l’acier et les pneumatiques. Il est dès lors recommandé de réaliser de nouvelles études sectorielles et géographiques.

1.4.

Les secteurs touchés sont essentiellement producteurs ou consommateurs de biens intermédiaires; il est donc peu probable que la réduction des mesures antidumping profite aux consommateurs privés.

1.5.

À court terme, les secteurs industriels qui consomment des produits faisant l’objet d’un dumping bénéficieraient de l’entrée d’importations subventionnées. À moyenne échéance, toutefois, ils pourraient à leur tour être mis en péril puisque la Chine encourage, elle aussi, les secteurs situés en aval, à forte valeur ajoutée. À cet égard, son bilan médiocre dans le domaine des droits de propriété industrielle constitue également une menace.

1.6.

Une fois détruits, les emplois industriels sont rarement recouvrés. Si les personnes concernées parviennent à retrouver un emploi, il y a de forts risques qu’elles perçoivent une rémunération inférieure et occupent une fonction qui ne leur permette pas de valoriser leurs compétences. Le remplacement, dans l’industrie, de postes de travail de qualité par des emplois précaires et faiblement rémunérés risque en outre d’accroître les inégalités dans notre société.

1.7.

Le CESE estime dès lors que l’octroi à la Chine du statut d’économie de marché mettrait gravement en péril la base industrielle de l’Union européenne et l’emploi dans le secteur manufacturier européen. Cela aurait des répercussions négatives sur les perspectives relatives à la relance de l’industrie européenne grâce à des emplois stables et de haute qualité et à l’introduction, ainsi qu’à la diffusion, de l’innovation technologique et de la recherche et du développement (R & D) — autant de facteurs essentiels pour garantir l’existence en Europe d’un système économique et social dynamique et durable.

1.8.

Dans ce contexte, accorder le statut d’économie de marché à la Chine représenterait un risque grave pour les zones industrielles et les systèmes de production locaux des petites et moyennes entreprises (PME), dont la production serait menacée par les pratiques de concurrence déloyale de la Chine. L’Europe risquerait de perdre la production reposant sur la spécialisation des PME ainsi que les petits emplois hautement spécialisés qui constituent l’épine dorsale de sa structure manufacturière.

1.9.

Le CESE invite le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne à promouvoir une concurrence internationale équitable, comme un moyen de défendre activement ces emplois et les valeurs de la société européenne, et à stimuler les revenus et la prospérité au sein de l’Union européenne.

1.10.

Si la défense de ces emplois européens et des investissements connexes se justifie du point de vue économique, elle favorise aussi la durabilité sociale et environnementale. La délocalisation de la production, depuis des sites européens hautement efficaces sur le plan de l’utilisation des ressources et de l’énergie vers une économie chinoise reposant sur le charbon, frustrerait les ambitions que nous nourrissons en matière de changement climatique et de développement durable. Le respect des droits des travailleurs et des droits de l’homme reste, lui aussi, problématique en Chine.

1.11.

Ces mesures de défense doivent respecter le droit européen et les traités internationaux. Elles devraient également contraindre les tiers à appliquer les accords et tenir compte des négociations menées avec les principaux partenaires commerciaux, tels que les États-Unis. Des instruments de défense commerciale (IDC) efficaces permettent de garantir une concurrence équitable. Ils sont indispensables à l’avenir de l’industrie européenne et pour contribuer à l’objectif consistant à relever à 20 % la part de l’industrie dans le PIB.

1.12.

Tant que la Chine ne respectera pas les cinq critères de l’Union européenne requis pour obtenir le statut d’économie de marché, la Commission européenne devrait recourir à une méthode non standard pour les enquêtes en matière de dumping et de subventions concernant les importations provenant de Chine, au titre de ce qui reste de la section 15 du protocole d’accession de la Chine à l’OMC.

1.13.

La conservation de capacités industrielles dans l’Union européenne est fondamentale pour établir de solides réseaux de recherche et développement, qui revêtent une importance capitale pour la croissance future et l’émergence de solutions aux «grands défis sociétaux» auxquels nous sommes confrontés (vieillissement, énergie, climat, soins de santé et mobilité).

1.14.

Les PME ne disposent pas des ressources nécessaires pour engager des initiatives antidumping ou collaborer pleinement aux enquêtes de la Commission européenne. Le CESE préconise d’adopter une approche simplifiée dans les secteurs au sein desquels les PME sont représentées de manière significative.

1.15.

Reconnaissant l’importance stratégique de cette question, le présent avis constitue le début et non la fin de l’engagement du CESE. Le Comité a l’intention de développer un engagement continu et préconise la création d’un projet du CESE sur le statut d’économie de marché pour la Chine afin de se doter des moyens de suivre ce dossier au nom de la société civile. Il y a lieu de prévoir des ressources adéquates à cette fin.

2.   Introduction

2.1.

Dans le cadre des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un État peut imposer, en sus des droits de douane, des droits antidumping sur les produits en provenance de pays tiers si une enquête démontre que lesdits produits entrent dans l’État concerné à des prix inférieurs à ceux pratiqués au niveau national, portant ainsi préjudice à l’industrie locale. Lorsque la Chine a adhéré à l’OMC en décembre 2001, un accord transitoire conclu dans le cadre de son adhésion lui a permis d’être traitée, dans les procédures antidumping, comme un pays ne fonctionnant pas dans les conditions d’une économie de marché si les entreprises chinoises ne peuvent apporter la preuve qu’elles exercent leurs activités conformément aux principes d’une économie de marché. Le statut d’État ne fonctionnant pas dans le cadre d’une économie de marché actuellement assigné à la Chine offre la possibilité, en vue de calculer la marge de dumping, de prendre pour référence les prix pratiqués dans un pays analogue plutôt que les prix nationaux (qui, dans les économies non marchandes, sont maintenus à un niveau artificiellement bas par l’intervention de l’État). Le recours aux méthodologies applicables aux pays ne disposant pas d’une économie de marché est décrit à l’article 15 du protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC, mais la disposition 15(a)(ii) expirera toutefois en décembre 2016. Ce fait forcera la Commission européenne à changer la méthodologie déterminant la comparabilité des prix dans le cadre des dossiers de lutte contre le dumping.

2.2.

Le présent avis du CESE s’attache essentiellement à décrire l’impact sur l’industrie et l’emploi dans l’Union européenne de l’éventuel octroi à la Chine du statut d’économie de marché et d’un changement de méthodologie en matière d’instruments de défense commerciale. Cette démarche est indépendante de la controverse juridique, le Comité estimant que cette question est de la plus haute importance pour l’industrie européenne et les emplois connexes.

2.3.

Le Parlement européen a approuvé à une large majorité une résolution appelant à l’adoption d’une méthodologie non standard qui soit compatible avec le protocole d’accession de la Chine, tout en étant en mesure d’établir de manière effective un cadre pour un commerce libre et équitable.

3.   Observations générales

3.1.

Dans le domaine de l’économie, le CESE formule les observations suivantes:

3.2.

La Chine a enregistré au cours des quinze dernières années une croissance sans précédent, qui a bouleversé le paysage industriel et commercial de la planète. Le modèle de croissance chinois a été bâti autour de l’investissement, une activité qui représentait 46 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2015 selon le Fonds monétaire international. Ce chiffre est supérieur à la part de l’investissement dans les autres économies développées, telles que l’Union européenne (19 %) et les États-Unis (20 %).

3.3.

L’ampleur et la rapidité des changements observés ont été, dans une large mesure, le résultat de l’intervention de l’État. Le CESE reconnaît que la Chine n’est pas une économie de marché au sens où l’entend l’Union européenne, et il existe un consensus général à ce sujet en dehors de l’institution. Comme le signale la Banque mondiale, «l’État est massivement et directement intervenu dans l’allocation des ressources au moyen de contrôles administratifs, de la régulation des prix, de l’octroi de garanties, de lignes directrices en matière de crédit, d’un contrôle généralisé des institutions financières (1) et des politiques réglementaires».

3.4.

L’on peut citer de nombreux exemples illustrant les excès du développement chinois. La Chine a consommé 6,6 milliards de tonnes de ciment entre 2011 et 2013, soit plus que les États-Unis tout au long du XXe siècle (4,4 milliards de tonnes). Autrement dit, elle a utilisé, en trois ans, autant de ciment qu’il en a fallu pour bâtir les États-Unis un siècle durant. Outre la question de l’utilisation inefficace des ressources, ce sont d’énormes capacités industrielles qui ont été mises en place pour produire une telle quantité de matériaux en si peu de temps.

3.5.

La Chine a commencé à transformer son modèle en direction d’une hausse de la consommation et d’une croissance axée sur les services. L’économie fait face à un ralentissement, ce qui signifie qu’une part substantielle de la production des industries lourdes chinoises ne trouvera pas de clients au niveau national.

3.6.

La Chambre de commerce européenne en Chine signale que des surcapacités significatives sont déjà apparues dans des filières telles que l’acier brut, l’aluminium, le ciment, les substances chimiques, la construction navale, le raffinage, le verre plat, le papier et le carton. Le gouvernement chinois reconnaît cette situation et a décidé de réduire ses capacités de production d’acier brut de 100 à 150 millions de tonnes d’ici à 2020 (2), et sa production de charbon de 500 millions de tonnes au cours de la même période (3).

3.7.

Indépendamment de la volonté affichée, la réduction des capacités totales représentera une tâche de longue haleine. Les usines qui ont fermé leurs portes ces dix dernières années ont été remplacées par d’autres, plus modernes et productives, et le problème n’a fait que s’amplifier. La demande des ménages pour les biens intermédiaires ne prendra jamais le relais de la demande industrielle.

3.8.

Le processus qui a permis à l’Union européenne de résoudre ce problème, dans les années 1980 et 1990, fut long et laborieux, et il n’existe pas non plus de solution rapide pour la Chine.

3.9.

Par conséquent, l’effet combiné de surcapacités et d’une faible demande intérieure aboutit à une production excédentaire, qui s’efforce ensuite de trouver sa place sur les marchés internationaux.

3.10.

Le CESE renvoie aux données concernant les exportations chinoises.

3.10.1.

D’après l’OMC, la Chine est le premier exportateur de produits manufacturés dans le monde, avec une part de marché de 18 %. Ce chiffre a progressé de 20 % depuis 2010. En 2014, les exportations chinoises ont augmenté de 6 %, alors que dans le reste du monde elles ont reculé de 3,5 %. Si l’on considère la période 2010-2014, cette hausse s’est établie à 49 % en Chine, à un rythme deux fois supérieur au niveau mondial.

3.10.2.

Les données du Bureau national des statistiques chinois montrent que les produits pour lesquels la croissance a été la plus élevée en 2014 sont le zinc et les alliages de zinc (+2 360 %), le coton (+ 100 %), le coke (+ 82 %), les diodes et les autres semi-conducteurs (+ 61 %), ainsi que l’acier laminé (+ 50 %). Depuis 2010, les exportations de coton, d’acier laminé et de diodes et autres semi-conducteurs ont doublé, tandis que les ventes de coke, de zinc et d’alliages de zinc ont triplé en volume.

3.10.3.

Cette tendance à la hausse des exportations devrait se poursuivre dans les quelques années à venir, étant donné que les projections indiquent une contraction de la demande intérieure chinoise. Si les instruments de défense commerciale européens sont sensiblement moins protecteurs que ceux de nos partenaires commerciaux, les exportations chinoises actuellement destinées à l’ALENA ou au Japon pourraient être détournées vers l’Union européenne.

3.10.4.

Ce modèle de croissance alimenté par les exportations a creusé un lourd déficit de 137 milliards d’EUR (48,8 milliards d’EUR en 2000) dans la balance commerciale des biens européenne, les importations de l’Union européenne en provenance de Chine étant deux fois plus importantes que ses exportations vers ce pays.

3.10.5.

Tel est le contexte dans lequel la Chine a lancé l’initiative «Une ceinture, une route» visant à créer une infrastructure de transport (ferroviaire, autoroutier et maritime) dans la zone eurasienne. Le but est avant tout de permettre aux entreprises chinoises, dans des conditions anticoncurrentielles, d’accéder aux marchés eurasiens impliqués dans cette initiative et de les utiliser comme nouveaux marchés pour ses secteurs à production excédentaire. L’octroi du statut d’économie de marché représenterait un risque considérable pour les entreprises européennes situées dans les États membres participant à l’initiative «Une ceinture, une route».

3.11.

Quelques faits concernant les pratiques de dumping:

3.11.1.

Cet envol des exportations chinoises a été rendu possible, en partie, par l’application de pratiques déloyales, comme l’attestent les nombreux recours pour dumping qui ont été formés en vertu des règles de l’OMC.

3.11.2.

La Chine est le pays le plus touché par les mesures antidumping. Elle a fait l’objet de 34 % des enquêtes commerciales et s’est vu imposer 667 mesures. Rien qu’en 2015, 76 mesures antidumping étaient en vigueur ou avaient été engagées à son encontre.

3.11.3.

Dans 67 % des cas, les recours antidumping adoptés contre la Chine étaient liés à des secteurs tels que le textile et l’habillement, la céramique et le verre, les métaux communs, le plastique, les machines et les équipements électriques, ainsi que l’industrie pétrochimique. L’année dernière, 79 % des mesures imposées à la Chine visaient ces domaines d’activité.

3.11.4.

Alors que l’Union européenne est l’un des acteurs les plus actifs du commerce mondial, puisqu’elle prend part à 15,8 % des échanges totaux, seulement 133 mesures antidumping ont été prononcées à son encontre, ce qui représente 7 % des dossiers ouverts dans le monde. À l’inverse, 47 % de ces recours visent la Chine, qui, rien qu’en 2015, a été sanctionnée dans trois affaires.

4.   Observations spécifiques concernant les destructions d’emplois en Europe

4.1.    Secteurs directement touchés:

4.1.1.

D’un point de vue théorique, l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine aurait des effets néfastes sur la prospérité européenne. La libéralisation des échanges revêt pour l’Union européenne une importance capitale. Elle s’accompagne d’effets de réseau positifs, même si, invariablement, certains secteurs s’en trouvent pénalisés.

4.1.2.

Le CESE signale qu’il ne s’agit pas, dans le cas présent, d’un processus de négociation consistant à lever des barrières des deux côtés. La Chine ne donnerait rien en retour, tandis que l’Union européenne s’amputerait unilatéralement de sa capacité à corriger la distorsion de concurrence occasionnée par le soutien déloyal de l’administration centrale et des pouvoirs locaux chinois.

4.1.3.

Le CESE a constaté que des emplois industriels avaient déjà été transférés à l’étranger. Entre 2000 et 2014, les industries européennes ont perdu 6,7 millions de travailleurs, soit 12 % des 56,3 millions qu’elles comptaient initialement. Au cours de la même période, l’indice du volume des importations a progressé de 144 %. Des travaux de recherche menés aux États-Unis, où le secteur industriel est plus modeste que dans l’Union européenne, montrent qu’entre 1999 et 2011, la pénétration accrue des importations chinoises a détruit quelque 985 000 emplois industriels (4).

4.1.4.

Les destructions de postes ont touché non seulement les industries de base, mais aussi celles qui sont plus novatrices. L’industrie de la téléphonie mobile de pointe a disparu. Dans une industrie aussi cruciale pour notre avenir que celle des panneaux photovoltaïques, 34 fabricants ont déposé leur bilan entre 2010 et 2012, deux ont quitté le secteur de l’énergie solaire, cinq ont arrêté tout ou partie de leur production et trois ont été rachetés par des investisseurs chinois (5).

4.1.5.

Les secteurs particulièrement exposés à ces risques sont ceux qui revêtent une importance stratégique dans les plans quinquennaux de la Chine: l’aluminium, les bicyclettes, la céramique, le verre, les équipements automobiles, le papier et l’acier.

4.1.6.

Des analyses d’impact ont été réalisées par différentes institutions. La Commission européenne a commandé une étude à ce sujet, mais, ce document n’ayant pas été publié, le CESE n’a pas été en mesure d’examiner sa position concernant cette question urgente.

4.1.7.

L’Economic Policy Institute donne une estimation du préjudice occasionné et considère qu’entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois sont menacés dans l’Union européenne. Cette estimation s’appuie sur un modèle intégrant les ressources entrantes et sortantes ainsi que les pertes directes (secteurs directement touchés par la hausse des importations), les pertes indirectes (les industries de fourniture et de transformation au service des secteurs directement touchés) et les pertes liées à la réaffectation des dépenses (découlant de la réduction des revenus et des dépenses des ménages). Le principal défaut de cette étude est qu’elle examine les effets de l’ensemble des importations chinoises, même dans des secteurs qui sont loin d’être affectés.

4.1.8.

Si l’on considère seulement les secteurs concernés par les mesures antidumping, les pertes d’emplois directes et indirectes s’établiraient entre 0,5 et 0,9 million de postes. D’après ce rapport, les industries vulnérables à un afflux de produits faisant l’objet d’un dumping abritent au total 2,7 millions d’emplois.

4.1.9.

L’étude ne calcule pas l’effet produit par la réaffectation des dépenses dans ces seuls secteurs. Elle montre en revanche que les emplois menacés dans les secteurs concernés par les mesures antidumping représentent 60 % des postes de travail dans les industries manufacturières. Si les effets indirects et ceux de la réaffectation des dépenses s’appliquaient dans les mêmes proportions, entre 1,1 et 2,1 millions d’emplois pourraient disparaître.

4.1.10.

Un second rapport reprend trois études commandées par des associations de producteurs sidérurgiques de l’ALENA concernant les effets économiques probables, dans leurs pays, de l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine. Ce document conclut que si les trois États de l’ALENA lui accordaient ce statut, la demande de main-d’œuvre chuterait à hauteur de 15 à 32 milliards de dollars (USD), essentiellement aux États-Unis. Il en résulterait un recul de l’emploi estimé entre 0,4 et 0,6 million de postes.

4.1.11.

Les deux études prennent appui sur des modèles d’équilibre général sur le plan macroéconomique. En revanche, si des analyses de ce type étaient réalisées individuellement pour des zones économiques telles que l’Union européenne ou l’ALENA, le CESE considère que l’octroi unilatéral du statut d’économie de marché à la Chine entraînerait de manière presque certaine un recul direct de la prospérité, en détruisant à tout le moins des centaines de milliers d’emplois, et le nombre de personnes qui seraient obligées de trouver une autre façon de gagner leur vie se rapprocherait plus vraisemblablement du million d’individus.

4.1.12.

En vue d’évaluer la probabilité que ces destructions d’emplois ne se produisent, le CESE met en avant plusieurs effets importants:

le dumping des importations ne touche pas uniquement les produits faisant actuellement l’objet de mesures antidumping. D’autres actions sont à l’étude, que ce soit par la Commission européenne ou par les producteurs. L’on constate également un effet d’entraînement au niveau des produits: une fois qu’une mesure antidumping est imposée, il y a de fortes chances pour que les exportateurs concernés réorientent leurs efforts d’exportation vers des produits non couverts par ladite mesure,

l’effet exercé sur d’autres produits du même secteur par les prix dont le niveau est bas en raison des importations faisant l’objet d’un dumping,

les capacités manufacturières, une fois perdues, ne sont jamais recouvrées, puisque l’ensemble de l’écosystème autour d’une industrie donnée est, lui aussi, voué à disparaître.

4.1.13.

Du point de vue géographique, le CESE réaffirme que les emplois susceptibles d’être détruits ne sont pas équitablement répartis entre les territoires. La concentration des destructions de postes dans certaines zones pourrait les placer dans des situations critiques, alors que d’autres régions de l’Union pourraient, elles, ne pas être trop lourdement pénalisées. Les pays les plus touchés pourraient perdre jusqu’à 2,7 % de leur main-d’œuvre.

4.1.14.

Souvent, ces emplois se trouvent sur de grands sites industriels dont les liens avec le tissu économique et industriel sont très forts. Des disparitions d’emplois significatives ont été observées récemment dans des secteurs tels que la sidérurgie, où plusieurs milliers d’emplois dépendent d’une seule entreprise, et ont eu un impact social dramatique sur les communautés.

4.1.15.

Le CESE insiste par ailleurs sur la qualité des emplois industriels: les postes de travail dans l’industrie manufacturière sont plus stables et mieux rémunérés en moyenne que dans d’autres secteurs de l’économie. En 2014 (6), la Commission européenne avait souligné que les revenus mensuels des travailleurs de l’industrie manufacturière étaient de 5 % supérieurs à la moyenne globale de l’Union européenne. Aux États-Unis, le salaire hebdomadaire des emplois manufacturiers est de 8 % plus élevé que dans les autres secteurs. Ces rémunérations plus importantes sont le fruit d’une productivité plus forte.

4.1.16.

L’industrie offre des emplois de qualité à des travailleurs qualifiés et semi-qualifiés, pour lesquels il serait très difficile d’obtenir un autre poste à des conditions de travail équivalentes. Le recul de la place occupée par l’industrie contribue en soi à accroître les inégalités dans notre société.

4.1.17.

D’après l’enquête européenne sur les conditions de travail d’Eurofound, l’emploi à temps partiel est beaucoup moins fréquent dans l’industrie manufacturière (12 %) qu’en moyenne dans l’EU-28 (24 %). Les horaires de travail dans ce secteur ont également tendance à être plus réguliers, et les créneaux atypiques sont bien moins courants que dans l’économie de l’Union européenne considérée dans son ensemble (7).

4.1.18.

Le CESE souhaiterait également prévenir le risque d’une dégradation de l’écosystème des connaissances: l’industrie manufacturière est de loin le secteur dans lequel la demande en recherche et développement est la plus forte et on constate une tendance croissante à un approvisionnement en recherche et développement auprès d’entreprises spécialisées dans les services axés sur l’innovation (8). D’après une étude du consortium ECSIP, le contenu en services moyen des marchandises manufacturées qui sont produites dans l’Union européenne atteint presque 40 % de la valeur totale des biens manufacturés finaux. Ces services correspondent essentiellement à la distribution (15 %), au transport et à la communication (8 %), ainsi qu’aux services aux entreprises, dont la part peut s’établir entre moins de 10 % et 20 % d’un État membre de l’Union européenne à l’autre. Cette dernière catégorie comprend des services tels que la recherche et le développement, la publicité et les études de marché, les activités d’ingénierie et les services liés aux technologies de l’information et de la communication.

4.1.19.

Le CESE a déjà émis des avis relevant l’importance de promouvoir des normes réglementaires plus exigeantes en matière de propriété intellectuelle, du fait du non-respect de ces dispositions par certains pays. Il convient de garder ces éléments à l’esprit dans le cadre de l’élaboration de la politique commerciale de l’Union européenne.

4.2.    Secteurs non touchés directement par les IDC:

4.2.1.

Toute évaluation de l’incidence de l’octroi unilatéral à la Chine du statut d’économie de marché doit examiner également les avantages potentiels dans d’autres secteurs, dont bénéficieraient les consommateurs des produits pour lesquels la Chine déploie — ou prévoit de mettre en œuvre — une forte activité manufacturière.

4.2.2.

Bon nombre des industries qui sont affectées à ce jour fabriquent des biens intermédiaires, c’est-à-dire des biens qui sont transformés et assemblés pour en faire des produits finaux.

4.2.3.

La production industrielle mondiale n’a pas encore retrouvé ses niveaux d’avant la crise financière. Par conséquent, les capacités industrielles sont fortement excédentaires et les consommateurs de produits chinois faisant l’objet de mesures antidumping seraient en mesure de s’approvisionner auprès de pays tiers sans que leur compétitivité n’en soit fortement réduite.

4.2.4.

Si l’on permet à la Chine d’accroître sa part de marché de manière déloyale et de s’arroger un avantage oligopolistique, elle en profitera ensuite, à n’en pas douter, pour relever ses prix, pénalisant ainsi les industries consommatrices dans l’Union européenne. Le pays agit déjà en ce sens pour stimuler ses industries locales. Le Parlement européen (9) présente des preuves attestant que certaines mesures prises pour restreindre le commerce de ressources naturelles pourraient constituer une violation des règles de l’OMC. En 2009, la Chine a lancé son plan de développement 2009-2015 pour les terres rares, imposant des quotas d’exportation à hauteur de 35 000 tonnes par an. L’année suivante, les cours des terres rares chinoises ont triplé. L’on peut également citer l’exemple du marché des produits électroniques, dans le cadre duquel le pays taxe plus lourdement l’exportation des composants que celle des produits finis, afin de protéger l’assemblage local des appareils.

4.2.5.

Ces exemples montrent que la politique mise en œuvre par la Chine promeut les industries à forte valeur ajoutée. Privés de la capacité à former des recours antidumping, des secteurs tels que la production d’équipements ou l’industrie automobile finiraient, eux aussi, par être exposés à une concurrence déloyale. La Chine présente également des antécédents en matière de violation des droits de propriété intellectuelle; en conséquence, même les brevets se révéleraient d’une utilité limitée pour maintenir des industries novatrices sur le territoire de l’Union européenne.

4.2.6.

À long terme, l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine serait également préjudiciable pour toute la chaîne de valeur industrielle, en raison des effets néfastes sur l’innovation. Selon une conception très répandue dans l’Union européenne, l’innovation est le seul moyen pour nos sociétés de concurrencer des acteurs qui agissent sur le seul levier des coûts. Or l’innovation n’a plus lieu désormais dans des laboratoires isolés. À l’inverse, dans une étude réalisée par KPMG, 85 % des répondants, issus de l’industrie mondiale des métaux, ont estimé que l’avenir de l’innovation dans leur organisation passait par les partenariats. Plus des trois quarts ont indiqué qu’ils étaient déjà engagés dans des modèles d’entreprise collaboratifs avec leurs fournisseurs et leurs clients. Il serait donc impossible de concevoir les futures industries novatrices en dehors des réseaux de connaissances.

4.3.    Revenus de l’Union européenne

4.3.1.

À long terme, et indépendamment de l’évolution des différents secteurs, seule une croissance vigoureuse du revenu disponible permettra d’augmenter de manière durable la prospérité de l’Union européenne. Les politiques actuellement menées par la Commission européenne en faveur de l’emploi et de l’investissement reconnaissent cette situation et devraient être prises en considération dans le cadre des décisions prises en réponse à cette problématique.

Bruxelles, le 14 juillet 2016.

Le président du Comité économique et social européen

Georges DASSIS


(1)  Banque mondiale, China Economic Update, juin 2015.

(2)  «Curb to be placed on metal overcapacity» (Réduction prévue des surcapacités sidérurgiques), English.gov.cn, février 2016.

(3)  «Coal capacity guideline issued» (Publication d’une ligne directrice relative aux capacités de production de charbon), English.gov.cn, février 2016.

(4)  Pour des relations commerciales équilibrées entre l’Union européenne et la Chine, groupe des socialistes et démocrates, mars 2016.

(5)  La concurrence loyale, EuProSun.

(6)  Enquêtes européennes sur les conditions de travail.

(7)  Consortium ECSIP, 2014.

(8)  Direction générale des politiques externes du Parlement européen, 2016.

(9)  Direction générale des politiques externes du Parlement européen, Bruxelles, 2015.