52014DC0278

RAPPORT DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL concernant l'application de la directive sur les redevances aéroportuaires /* COM/2014/0278 final */


1.            Introduction

Les redevances aéroportuaires sont payées par les usagers d'aéroport (les compagnies aériennes) pour l’utilisation des installations aéroportuaires. Elles concernent l’atterrissage, le décollage, le balisage et le stationnement des aéronefs ainsi que la prise en charge des passagers et du fret, et financent en partie ou entièrement la fourniture de pistes et des zones connexes de même que les aérogares pour les passagers et le fret. Même si les redevances aéroportuaires sont perçues auprès des compagnies aériennes, c'est en définitive le passager ou le client de fret aérien qui les assume car elles se retrouvent dans le prix final facturé.

La part des redevances aéroportuaires dans les coûts totaux des compagnies aériennes varie en fonction du type de transporteur et des aéroports desservis[1]. Ces redevances représentent environ la moitié des recettes moyennes des aéroports[2], et sont plus que jamais contrôlées car les compagnies aériennes connaissent actuellement une situation difficile au niveau des coûts. Les redevances aéroportuaires sont également liées au niveau de service offert aux passagers. Pour les vols à bas prix et court-courriers notamment, le niveau des redevances aéroportuaires pourrait figurer parmi les facteurs déterminants lorsque les compagnies aériennes choisissent quelles liaisons elles vont exploiter. La disponibilité d'infrastructures aéroportuaires de qualité à des prix compétitifs pour tous les types de compagnies aériennes est clairement fondamentale pour la réussite du secteur de l’aviation dans l’UE.

La directive sur les redevances aéroportuaires[3], que les États membres étaient tenus de transposer dans leur droit national pour le 15 mars 2011, est un cadre communautaire juridique spécifique de l'UE pour les redevances aéroportuaires qui s'applique à tous les aéroports de l’Espace économique européen et de Suisse dont le trafic annuel dépasse cinq millions de mouvements de passagers et, au moins, à l’aéroport le plus important de chaque État membre. La directive couvre ainsi quelque 70 aéroports de l’UE et représente près de 80 % du trafic des passagers dans l’UE. Ce groupe représente une grande variété des aéroports, allant des aéroports de taille moyenne qui jouent un rôle économique social majeur dans leur région respective aux plates-formes aéroportuaires les plus importantes qui relient des destinations dans le monde entier. La directive établit des principes communs pour la perception des redevances aéroportuaires et vise à cet égard les objectifs suivants: assurer une plus grande transparence sur la manière dont les redevances aéroportuaires sont calculées; garantir que les aéroports n’induisent pas de discrimination entre les compagnies aériennes dans l’application des redevances aéroportuaires (sauf si des considérations d’ordre public bien définies le justifient); établir des consultations régulières entre les aéroports et les compagnies aériennes, et mettre en place, dans chaque État membre, une autorité de supervision indépendante (ASI) chargée de régler les litiges entre les aéroports et les compagnies aériennes sur le niveau des redevances aéroportuaires et de contrôler la bonne application des mesures prises par les États membres pour se conformer à la directive.

Dans le présent rapport, la Commission donne un aperçu de l’application de la directive dans les États membres et fait part de constatations spécifiques concernant d'éventuels problèmes de mise en œuvre, avec un suivi potentiel en vue d'une analyse future. Le rapport s’appuie sur une étude récente menée à cet effet pour la Commission[4]. Cette étude examine si la directive a pu avoir un quelconque impact sur les pratiques en matière de redevances aéroportuaires et comprend également une vaste consultation des parties concernées afin de recueillir leurs points de vue sur la mise en œuvre de la directive, les résultats obtenus et les domaines à surveiller. Ces parties prenantes englobent les autorités de supervision indépendantes instituées par la directive, les autres autorités compétentes dans les États membres, les différents organismes de gestion des aéroports ainsi que les compagnies aériennes et leurs associations représentatives.

2.            Évolution du marché

Au cours des dernières décennies, les aéroports de l’UE ont connu une transformation importante qui a également une incidence sur la fixation des redevances aéroportuaires. Alors que les autorités publiques avaient coutume de considérer les plates-formes aéroportuaires et les aéroports de plus petite taille comme étant avant tout des infrastructures permettant de satisfaire à des besoins de connectivité, ces aéroports sont en train de devenir des entreprises qui sont censées réaliser des bénéfices et attirer des investisseurs privés.

Ce processus a impliqué la transformation des aéroports publics en sociétés commerciales et, dans certains cas, leur privatisation. Cette situation peut être imputée à diverses évolutions. Tout d’abord, le rôle de l’État dans la fourniture des infrastructures de transport est en train de changer puisque celui-ci a abandonné sa fonction de prestataire pour devenir un catalyseur. Ensuite, les aéroports, qui sont souvent rentables, sont aujourd’hui considérés comme exerçant une activité commerciale. Enfin, les autorités publiques ont cherché à attirer les investisseurs privés pour élargir les infrastructures et pour générer des revenus pour l’État. Bien que toujours essentiellement détenus par les pouvoirs publics[5], les aéroports de l'ensemble de l'UE connaissent aujourd'hui un engagement croissant de la part des investisseurs privés.

Cependant, étant donné le caractère stratégique des infrastructures aéroportuaires, les États membres ont généralement conservé un certain degré d’intérêt direct ou de contrôle. Pour ce faire, ils ont conservé la propriété directe ou concédé l’exploitation des aéroports, et/ou établi un système de régulation économique (nationale). Ce dernier cas s'observe notamment dans les États membres où sont situées les grandes plateformes aéroportuaires en raison de leur qualité de «prescripteurs de prix»[6].

Dans le même temps, on constate que dans certains aéroports, généralement plus petits, le pouvoir de négociation entre les aéroports et les compagnies aériennes est en train de se déplacer en faveur des compagnies aériennes avec la croissance des transporteurs à bas prix. Grâce à leur flexibilité, ces derniers peuvent changer non seulement les liaisons qu'ils desservent, mais aussi les aéroports dans lesquels ils basent leurs avions. Les compagnies aériennes analysent en permanence les performances de leurs liaisons existantes en vue de rechercher de nouvelles destinations et d’accroître l’attrait et la rentabilité de leurs activités. Cela a pour effet d’introduire une concurrence entre des aéroports situés dans des lieux géographiques différents et d'augmenter la pression exercée sur les gestionnaires des aéroports pour qu'ils offrent des conditions plus favorables, notamment par une réduction des redevances aéroportuaires. En outre, l'excès de capacité aéroportuaire a également entraîné une concurrence entre les aéroports, accroissant encore le pouvoir de négociation des compagnies aériennes dans certains cas. Les aéroports affirment qu’ils doivent faire face à une concurrence croissante[7], qui n'est pas seulement due à l’incidence des compagnies à bas prix dans les aéroports régionaux. En tout état de cause, l’intensité de la concurrence entre aéroports semble varier et dépend, dans une large mesure, de facteurs locaux. Les compagnies aériennes font valoir que les passagers ont plutôt tendance à changer de compagnies aériennes que d'aéroports, en fonction des produits de transport aérien en concurrence.

3.            Réalisation des objectifs de la directive

Au début de 2013, tous les États membres avaient notifié leur transposition complète de la directive. Mais la transposition formelle n’est qu’une première étape. L'application correcte de la directive dans la pratique et son impact sur les exploitants d’aéroport, sur les compagnies aériennes et sur l’ensemble du secteur aéronautique revêtent également une grande importance. À ce stade précoce, la Commission estime qu’un certain nombre des principaux objectifs de la directive ont déjà été atteints. Certains problèmes spécifiques se posent néanmoins en ce qui concerne sa transposition et son application dans plusieurs États membres, qui devront être résolus en attirant l’attention des États membres sur les problèmes recensés et en recourant au besoin à la procédure d’infraction. Le présent chapitre analyse les éléments les plus importants suivants de la directive:

· la consultation régulière des usagers d'aéroport par les gestionnaires d'aéroport sur l'application du système de redevances, sur le niveau des redevances et sur la qualité du service fourni (article 6 de la directive) et la consultation des usagers d’aéroport sur les plans relatifs aux nouveaux projets d’infrastructures (article 8 de la directive);

· la transparence de la part du gestionnaire d'aéroport en ce qui concerne les éléments servant de base pour la fixation des redevances, y compris les exigences en matière de flux d’informations à l'intention et en provenance des usagers d'aéroport (article 7 de la directive);

· la non-discrimination entre les usagers d’aéroport (article 3 de la directive);

· la mise en place d’une autorité de supervision indépendante (ASI) dans chaque État membre chargée d’assurer la bonne application des dispositions de la directive et d'intervenir en cas de litige relatif aux redevances aéroportuaires (articles 6 et 11 de la directive);

· la flexibilité permettant aux gestionnaires d'aéroport d’offrir des services différenciés aux compagnies aériennes (article 10 de la directive).

La directive s’appuie sur les politiques relatives aux redevances aéroportuaires définies depuis 1974 par l’Organisation de l’aviation civile internationale[8]. Elle doit être vue dans le contexte des accords bilatéraux pertinents relatifs aux services aériens, rédigés conformément aux clauses types de l’OACI, en vertu desquels l’UE et ses États membres sont en principe tenus de permettre aux compagnies aériennes des pays tiers de bénéficier de conditions de concurrence équitables, sur une base d'égalité, pour la fourniture de services internationaux de transport aérien. Dans ce contexte, les accords globaux de transport aérien conclus avec les États-Unis et le Canada, par exemple, contiennent également des dispositions spécifiques concernant les droits d’usage, y compris les redevances aéroportuaires, afin notamment de veiller à ce que ces redevances soient raisonnables et reflètent le coût de la fourniture des services en cause.

3.1         Consultation

Les parties intéressées expriment des avis divers concernant les dispositions en matière de consultation. Même si bon nombre d’aéroports disposaient déjà d'un mécanisme de consultation, la directive a apporté une  plus grande clarté sur les délais et le format de la consultation. C'est parfois la transposition de la directive qui a rendu la consultation obligatoire, comme c'est le cas par exemple pour les aéroports de Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Slovénie, Espagne et Suède. De plus, la directive a imposé des procédures de consultation obligatoire pour la première fois dans les aéroports du Royaume-Uni relevant de la directive qui, jusque-là, n’avaient pas été soumis à la réglementation économique appliquée dans les aéroports britanniques les plus grands.

Les compagnies aériennes s’interrogent sur l'application des modalités de consultation, arguant que les aéroports devraient coopérer davantage avec les compagnies aériennes, plutôt que de se limiter à leur fournir des informations. Les compagnies aériennes souhaitent que leur avis soit non seulement écouté, mais également suivi. Un autre problème soulevé concerne le calendrier de la procédure de consultation et les délais serrés dans lesquels les usagers d'aéroport doivent réagir dans certains États membres.

La satisfaction des compagnies aériennes à l'égard de la consultation varie en fonction de l’État membre de l’aéroport. Alors que les compagnies aériennes utilisant les grands aéroports au Royaume-Uni et aux Pays-Bas sont généralement satisfaites de la procédure de consultation, cette dernière est critiquée par les compagnies aériennes en Espagne, en Italie, en Grèce et en Hongrie, notamment en ce qui concerne le délai accordé pour répondre et le fait que la consultation prend souvent plutôt la forme d’une séance d’information.

Du côté des aéroports, ceux qui ont une base plus large d'usagers d’aéroport (Amsterdam Schiphol, Heathrow, aéroports de Paris et Francfort) sont généralement satisfaits de la procédure de consultation et estiment utile de disposer d’orientations codifiées au niveau de l’UE. Certains aéroports plus petits relevant de la directive, en revanche, se déclarent préoccupés par les formalités de la procédure et par la charge administrative liée à l’organisation d’une procédure formelle de consultation. Plusieurs aéroports critiquent l’incertitude engendrée par le faible degré de participation des compagnies aériennes et par les procédures de recours concernant les redevances aéroportuaires, sans limite dans le temps pour les compagnies aériennes. La directive impose également aux aéroports de consulter les usagers d’aéroport avant la finalisation des plans relatifs aux nouveaux projets d’infrastructure, sans préciser toutefois la procédure à suivre ni les exigences minimales.

La Commission considère que la confiance des usagers d'aéroport dans la procédure de consultation est essentielle. Il est donc important que ceux-ci puissent raisonnablement escompter que leur avis sera entendu et pris en compte, conformément aux dispositions pertinentes de la directive. Pour garantir les effets pratiques de ces dispositions, cela peut signifier, selon le cas, que la consultation devrait être organisée de manière à garantir un degré d’interaction adéquat (y compris, par exemple, la notification préalable des réunions ou des délais accordés pour réagir). La Commission attache également de l’importance à un engagement constructif des compagnies aériennes dans la procédure de consultation.

Les plaintes reçues par la Commission concernant le financement de l'expansion des grandes infrastructures à Dublin et à Rome démontrent combien il est important que le système de consultation fonctionne bien, étant donné l’incidence sur les futures redevances aéroportuaires. La consultation sur les nouvelles infrastructures concerne aussi la question du préfinancement des infrastructures, le système selon lequel les usagers d’aéroport d'aujourd’hui doivent s'acquitter de redevances plus élevées dans le but de financer des infrastructures de demain (au lieu d'une levée de fonds au moyen de l’émission de nouveaux fonds propres ou par l’emprunt, par exemple). Des recherches menées pour la Commission indiquent que le préfinancement est possible dans la majorité des États membres, bien que les conditions applicables y soient généralement peu claires. La Commission a repéré deux États membres (Portugal et Pays-Bas) dont la législation indique clairement que les aéroports ne peuvent pas financer les infrastructures de cette manière. Parmi les autres États membres, qui autorisent probablement le préfinancement, la Commission en a repéré neuf qui emploient des règles spécifiques. Il n'est pas facile de savoir dans quelle mesure les lignes directrices adoptées par l’OACI, détaillant un certain nombre de garanties qui devraient s’appliquer en cas de recours au préfinancement, sont appliquées de manière uniforme. Il pourrait être nécessaire d'étudier plus attentivement l'introduction de moyens supplémentaires et plus spécifiques pour garantir une consultation adéquate et assurer une plus grande transparence dans le cadre de la directive.

3.2         Transparence

Le bon fonctionnement des consultations sur les redevances aéroportuaires suppose que les usagers d’aéroport consultés aient accès à des informations suffisantes pour être en mesure d’apporter une contribution. Les usagers d'aéroport, les aéroports et les États membres apprécient les précisions apportées par l’article 7 de la directive en ce qui concerne la transparence, mais les compagnies aériennes ont tendance à trouver que les exigences de la directive sont trop générales. Elles critiquent notamment le niveau de détail trop élevé des informations à fournir sur les coûts et regrettent que la directive ne demande pas de fournir des informations sur les activités commerciales des aéroports. Les compagnies aériennes considèrent également que les renseignements fournis ne sont peut-être pas suffisamment détaillés pour leur permettre de déterminer si les redevances sont en rapport avec les coûts.

La satisfaction des compagnies aériennes en ce qui concerne la transparence des informations diffère selon les aéroports et selon les États membres. De manière générale, les usagers d’aéroport sont satisfaits de la situation dans les aéroports britanniques et à Amsterdam Schiphol, où ils estiment que les informations sont communiquées d’une manière transparente et régulière.

En ce qui concerne les aéroports dont les compagnies aériennes ne sont pas satisfaites, ces dernières pointent l’application des exigences en matière de transparence dans des aéroports situés en Italie, Hongrie, Belgique, Allemagne, Grèce, Lettonie, Espagne, Suède, Finlande et à Chypre. Les usagers d’aéroport ont indiqué que le manque de données détaillées sur les coûts était la préoccupation commune la plus fréquente dans ces cas.

En principe, la directive permet aux États membres de choisir entre un système de caisse unique et un système de caisse double pour la tarification de leurs aéroports. Dans le système de caisse unique, on détermine les redevances aéroportuaires en tenant compte de l'ensemble des recettes de l'aéroport, y compris celles qui proviennent d’activités non aéronautiques telles que le commerce de détail et les parcs de stationnement. Dans le système de double caisse, on sépare les recettes aéronautiques des recettes non aéronautiques et seules les premières entrent en compte lors de la détermination des redevances aéroportuaires. Ce système a généralement la préférence des aéroports, car les activités non aéronautiques n'ont pas de caractère de monopole. Il existe également des systèmes hybrides. Les compagnies aériennes sont généralement en faveur de la caisse unique parce qu'elle fait baisser les redevances aéroportuaires demandées aux compagnies aériennes, qui amènent les passagers à l’aéroport et qui génèrent de ce fait les recettes non aéronautiques.

Sans émettre d'avis à ce stade pour ou contre un système particulier, la Commission estime néanmoins qu'il pourrait être nécessaire, dans certains cas, de demander une surveillance plus stricte de la part des autorités de supervision indépendantes pour assurer le respect des principes fondamentaux de la directive dans le cas des aéroports appliquant le système de double caisse, en tenant compte du contexte économique dans lequel les aéroports exercent leurs activités et de la possibilité de définir leurs tarifs dans un environnement concurrentiel. Par exemple, il peut être approprié de veiller à ce que le coût des mesures incitatives destinées à stimuler le trafic aérien dans un aéroport soit traité de manière à ne pas avoir d’incidence sur les redevances payées par les compagnies aériennes qui ne bénéficient du programme. Par ailleurs, la Commission considère qu’en règle générale, tout changement de système pour passer de la caisse unique à la caisse double ou vice versa représente une modification fondamentale du système des redevances, dans la mesure où il pourrait avoir une incidence notable sur le niveau des redevances appliqué. Un tel changement devrait s'accompagner d’une consultation avec possibilité de recours à l’autorité de supervision indépendante, conformément aux dispositions pertinentes de la directive, qui prévoient la consultation lorsqu'il est proposé de modifier le niveau ou le système de redevances.

3.3         Non-discrimination des redevances aéroportuaires et des systèmes d’incitation

La non-discrimination dans l’application des redevances aéroportuaires entre les usagers des aéroports est d’une importance capitale. Elle n’empêche toutefois pas la modulation des redevances, pour autant que celle-ci soit conforme aux exigences fixées à l’article 3 de la directive. Autrement dit, la modulation doit se justifier par des motifs d’intérêt public et d’intérêt général, y compris d’ordre environnemental, et les critères utilisés à cette fin doivent être pertinents, objectifs et transparents. Bien que les aéroports affirment qu'il n’y a pas de discrimination dans l’application de ces modulations, les compagnies aériennes se plaignent de la grande variété des redevances qui, selon elles, induit une discrimination entre les usagers des aéroports.

La modulation des redevances pour des raisons environnementales, par exemple en matière d’émissions et de nuisances sonores, est un phénomène généralisé qui ne semble pas controversé. Il en va de même pour la modulation relative aux heures de pointe et aux heures creuses, appliquée par un nombre limité d’aéroports. La modulation des redevances aéroportuaires pour des raisons environnementales risque de devenir de plus en plus importante en raison de la pression visant à améliorer les performances de l’aviation dans ce domaine.

La modulation des redevances en fonction de la destination (intérieure ou UE) des vols fait l'objet d'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne[9]. Dans ses arrêts, la Cour a dit pour droit que les taxes ou redevances discriminatoires étaient contraires à la libre prestation de services établie dans le règlement (CE) n° 1008/2008[10]. Dans la mesure où des redevances différenciées ne se justifient pas en vertu de l’article 3 (questions d’intérêt public et d’intérêt général, y compris d’ordre environnemental), elles pourraient être considérées comme rendant la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre. La Commission a reconnu que les passagers soumis à des contrôles frontaliers peuvent générer des coûts plus élevés que les autres passagers, ce qui justifie une redevance plus élevée par passager[11]. Sous réserve du respect des exigences de l’article 3 et de la nécessité de garantir le respect du principe de proportionnalité, la modulation pourrait donc s’appliquer entre destinations Schengen et non Schengen.

La modulation des redevances aéroportuaires visant à augmenter le trafic, fondée sur de nouvelles liaisons, sur une augmentation de la fréquence et/ou sur le nombre de passagers («mécanismes incitatifs») est, en revanche, controversée parmi les parties prenantes. Les transporteurs aériens réguliers, y compris régionaux, considèrent que les remises de volume et de croissance pour les liaisons nouvelles et existantes favorisent les transporteurs à bas coûts et les nouveaux venus. Par ailleurs, les remises pour les passagers en correspondance dans les aéroports-pivots sont impopulaires auprès des transporteurs à bas coûts, qui n’offrent généralement pas de correspondances. Ces remises peuvent être significatives; elles s'élèvent par exemple à plus de 50 % à Amsterdam Schiphol. La mesure dans laquelle ces remises de correspondance sont accordées sur une base purement économique n’est pas toujours claire.

La Commission encouragera le partage d’expérience entre les États membres, afin de promouvoir les bonnes pratiques, en tenant compte de la possibilité, pour les aéroports, de fixer leurs tarifs sur la base de critères économiques et dans le respect des dispositions de la directive. Il convient d’atteindre un équilibre entre la volonté, d'une part, d’octroyer aux aéroports un niveau approprié de liberté commerciale, au profit des aéroports, mais aussi des compagnies aériennes et des passagers, et, d'autre part, de sauvegarder la position des transporteurs qui n'ont pas nécessairement le pouvoir de modérer les tarifs des aéroports. L’amélioration de la transparence des mécanismes d’incitation pourrait constituer une première étape importante.

3.4         Procédure de recours et autorités de supervision indépendantes

La directive a clarifié la situation en imposant l'instauration d'une autorité de supervision indépendante (ASI) dans chaque État membre, même si cette mise en place a parfois pris du temps. Cependant, avec l'instauration, à la fin de l’année 2013, de l’Autorità di regolazione dei Trasporti en Italie, dernier État membre à désigner son ASI, tous les États membres ont désormais franchi cette étape. Le modèle le plus courant, choisi par la grande majorité des États membres, consiste à confier les missions d'ASI aux administrations de l’aviation existantes. Certains États membres les ont confiées aux organes de régulation existants (par exemple l’Irlande, le Royaume-Uni, la Suède, la Finlande) et deux États membres les ont attribuées aux autorités de la concurrence (Pays-Bas, Espagne). Les compagnies aériennes, en particulier, se félicitent que la directive prévoie clairement une procédure de recours en cas de désaccord sur la fixation des redevances aéroportuaires, mais il reste à voir comment le rôle des autorités de surveillance indépendantes évoluera. Les aéroports sont quant à eux préoccupés par l’augmentation du nombre de procédures de recours introduites par les compagnies aériennes auprès de l’ASI et par leur effet suspensif. Le principal problème concernant les recours semble être que la directive ne prévoit pas expressément de délai réglementaire pour l'introduction de ceux-ci par les compagnies aériennes, tout comme elle ne prévoit pas explicitement l’effet suspensif desdits recours, ce qui pourrait avoir pour effet de freiner les investissements dans les infrastructures.

L’une des principales questions soulevées, notamment au sein des compagnies aériennes, est le sentiment que l'ASI manque d’indépendance. En particulier, la définition du degré d’indépendance requis de l’ASI est ressentie comme imprécise et suscite dès lors des préoccupations dans le cas des États membres détenant une participation publique dans les aéroports, lorsque l’ASI est un ministère ou lorsque le ministère exerce un certain contrôle politique ou administratif sur l’ASI. L’indépendance effective de l’ASI, en conformité avec les exigences de l’article 11 de la directive, est d’une importance cruciale, notamment pour que le processus de consultation et de recours puisse fonctionner correctement. Le manque d’indépendance compromet la réalisation des objectifs de la directive.

Dans les cas où les États membres ont transposé l'article 6, paragraphe 5, point a), prévoyant que les redevances aéroportuaires sont déterminées ou approuvées par l'ASI elle-même plutôt que par l'entité gestionnaire d'aéroport, les règles relatives aux recours définies aux paragraphes 3 et 4 dudit article ne s'appliquent pas. Cela signifie généralement que la seule voie de recours en cas de désaccord est d'entamer une procédure contentieuse devant les juridictions nationales compétentes conformément aux dispositions applicables du droit national. Les compagnies aériennes estiment que cela pose problème car le coût de telles procédures peut être prohibitif. Un nombre important d'États membres, comme l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, la France, la Hongrie, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont choisi de recourir à la possibilité offerte par l'article 6, paragraphe 5, point a), de la directive pour une partie ou la totalité des aéroports situés sur leur territoire et couverts par la directive.

Les compagnies aériennes se sont également déclarées préoccupées par la passivité de certaines ASI, due peut-être au manque d'expérience ou de ressources humaines. En moyenne, chaque ASI compte une seule personne employée à temps plein pour traiter les questions relatives à la directive, surtout aux procédures de consultation, de supervision et de règlement des litiges. Cela signifie donc que le surcoût administratif que la directive impose aux États membres y est partout considéré comme minimal, bien que le niveau d'activité de chaque ASI soit variable. Les ASI récemment mises en place ayant une visibilité limitée, il est évident qu'elles ont reçu moins de plaintes que les autorités qui traitaient déjà les questions de redevances aéroportuaires avant l'entrée en vigueur de la directive.

La Commission continuera à superviser l'application de la directive en ce qui concerne l'indépendance des ASI mises en place dans les États membres. Par ailleurs, la Commission prend note de l'évolution des modèles de propriété et de gestion observée dans les aéroports relevant de la directive. Dans certains cas, le risque existe que les accords de concession à long terme, en vertu desquels les redevances aéroportuaires sont déterminées pour une longue période, de façon contraignante, par accord du concessionnaire et de l'autorité publique responsable mais sans consultation des usagers d'aéroport, empêchent l'application des dispositions de la directive sur la consultation et l'intervention de l'ASI. La vigilance s'impose pour faire en sorte que, s'agissant des redevances aéroportuaires, la conclusion d'accords de concession ou de partenariat public-privé n'ait pas pour effet de priver les compagnies aériennes des droits que leur confère pleinement la directive ou d'entraîner une quelconque violation des dispositions de cette dernière.

3.5.      Différenciation des services

Les services disponibles dans un aéroport peuvent être adaptés par l'entité gestionnaire de l'aéroport aux besoins des différents usagers d'aéroport et peuvent varier en termes de qualité et, partant, de coût. La directive prévoit qu'un usager d'aéroport souhaitant utiliser les services personnalisés ou un (élément de) terminal dédié doit avoir accès à ce terminal ou à cet élément de terminal et que, lorsque des contraintes de capacité pèsent sur le service différencié, l'accès doit être déterminé sur la base de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires. Cela a fourni aux aéroports un cadre leur permettant d'adapter leur offre aux besoins, parfois divergents en termes de services aéroportuaires, des compagnies aériennes. Il n'est pas rare que les aéroports différencient leurs redevances en conséquence, par exemple en fonction du niveau de service fourni en termes d'aires de stationnement au contact ou de passerelles. Par ailleurs, seul un nombre limité (mais croissant) d'aéroports disposent de terminaux différenciés pour les liaisons nationales ou internationales, ou pour les vols à bas prix ou avec service complet à bord. Dans les terminaux destinés aux compagnies low-cost, les redevances exigées des compagnies aériennes sont parfois nettement moins élevées (jusqu'à 30% dans certains cas).

Les aéroports ont quelquefois rencontré des difficultés pour personnaliser leurs services et définir les critères justifiant la variation des redevances, comme l'exige l'article 10 de la directive. La Commission continuera à superviser l'application de cet article par les États membres afin de définir, si nécessaire, d'éventuelles mesures correctrices.

4.         Conclusions

La directive est entrée en vigueur récemment, et il est donc trop tôt pour établir un bilan définitif concernant son impact, mais il est possible d'en tirer de premières conclusions. Parmi les principaux effets positifs évoqués par les acteurs économiques, on peut citer la transparence accrue avec laquelle les redevances aéroportuaires sont définies dans les plus grands aéroports européens, la meilleure qualité de la consultation, la mise en place d'autorités de supervision indépendantes dans chaque État membre et l'instauration de procédures de recours.

Même si la directive semble avoir notablement contribué à l'amélioration du processus de définition des redevances aéroportuaires dans les grands aéroports européens qu'elle couvre, il faut continuer à superviser son application. Plusieurs procédures d'infraction ont été entamées et la Commission prendra les mesures qui s'imposent dans d'autres cas, en fonction des plaintes reçues ou d'office.

Plus précisément, la mise en place d'autorités de supervision jouissant du degré d'indépendance requis par la directive est essentielle pour que les objectifs de cette dernière soient atteints, et le rôle de ces autorités dans tous les États membres constituera une question prioritaire.

La Commission entend également créer un forum d'ASI, qui se réunira régulièrement pour discuter de questions relatives à l'application des dispositions de la directive dans les États membres. L'objectif est d'aider ces ASI à élaborer leurs méthodes de travail et à développer leurs connaissances en partageant expériences et meilleures pratiques. La première réunion aura lieu le 13 juin 2014.

Enfin, il faudra aussi déterminer dans quelle mesure il pourrait s'avérer nécessaire, à l'avenir, de revoir les objectifs sous-tendant la directive en fonction, par exemple, de l'évolution du paysage concurrentiel dans lequel les aéroports s'inscrivent. De même, la Commission devra déterminer si les objectifs de la directive pourraient être mieux atteints par une révision de cette dernière. Quelques-unes des questions précises qui pourraient mériter un examen plus approfondi, comme l'utilisation de systèmes d'incitation ou de services différenciés, sont exposées aux points 3.1 – 3.4 du présent rapport et la Commission fera appel au forum d'ASI pour en revoir les conclusions.

Pour que le secteur de l'aviation de l'UE relève les défis auxquels il est confronté, fournisse des services d'un bon rapport qualité-prix aux passagers et continue à assurer une connectivité intra-européenne et mondiale, il est essentiel que les compagnies aériennes et les passagers disposent de services aéroportuaires compétitifs. Comme les compagnies aériennes de l'UE s'associent toujours plus étroitement avec des compagnies d'autres régions du monde, par des accords de ciel ouvert, des alliances de transporteurs ou d'autres formes de coopération aéronautique, la question de la discrimination entre les usagers d'aéroport prend une importance encore plus grande. Il importe donc de faire en sorte que les redevances aéroportuaires soient appliquées de façon équitable afin que les compagnies aériennes de toutes les nationalités puissent se livrer une concurrence loyale dans les aéroports européens, notamment par souci de connectivité. Il faut aussi permettre aux aéroports d'accroître leurs activités de façon dynamique, ce qui contribuera au développement futur d'un secteur européen de l'aviation compétitif.

[1] Selon un rapport de 2007 d'Airports Council International (ACI) Europe, les redevances aéroportuaires représentent environ 4 à 8 % des frais de fonctionnement des principaux transporteurs de l'UE. Dans un «Economic Briefing» publié en mars 2013, l'IATA indique que l'ensemble des redevances perçues pour l'utilisation des infrastructures représente au total 14,4 % du coût des transports aériens (chiffres de 2011). Selon l'IATA, les redevances aéronautiques facturées par les  aéroports représentent environ deux tiers de ces redevances d'utilisation des infrastructures.

[2] Steer Davies Gleave, Evaluation of Directive 2009/12/EC on airport charges (évaluation de la directive 2009/12/CE sur les redevances aéroportuaires), septembre 2013.

[3] Directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, JO L 70 du 14.3.2009, p. 11.

[4] Steer Davies Gleave, évaluation de la directive 2009/12/CE sur les redevances aéroportuaires, septembre 2013

[5] Selon Airport Council International Europe, 77 % des aéroports appartenaient intégralement au secteur public en 2010, tandis que 9 % étaient entièrement détenus par le secteur privé. Voir le rapport d’Airport Council International (ACI) Europe intitulé «The Ownership of Europe's Airports 2010».

[6] Les plateformes aéroportuaires les plus grandes de l’UE se trouvent au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.

[7] Airports Council International (Europe), «Airport Competition in Europe», juin 2012.

[8] Voir les considérants 9 et 10 de la directive, voir le document «Politique de l’OACI sur les redevances d’aéroport et de services de navigation aérienne» (neuvième édition, 2012)

[9] Arrêt du 26.6.2001 dans l'affaire C-70/99, Commission/Portugal, Rec. p. I- 4845, point 20; arrêt du 6.2.2003 dans l'affaire C-92/01, Stylianakis, Rec. p. I- 1291, points 23 et suivants.

[10] JO L 293 du 31.10.2008, p. 3.

[11] Affaire d’aide d’État E4/2007.