22.5.2012   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 143/23


Avis du Comité économique et social européen sur les «Conséquences sociales de la nouvelle législation en matière de gouvernance économique» (avis d'initiative)

2012/C 143/05

Rapporteure: Mme BISCHOFF

Le 14 juillet 2011, conformément aux dispositions de l’article 29, paragraphe 2 de son règlement intérieur, le Comité économique et social européen a décidé d’élaborer un avis d’initiative sur le thème:

"Conséquences sociales de la nouvelle législation en matière de gouvernance économique" (avis d’initiative).

La section spécialisée "Emploi, affaires sociales, citoyenneté", chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 25 janvier 2012.

Lors de sa 478e session plénière des 22 et 23 février 2012 (séance du 22 février), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 232 voix pour, 8 voix contre et 9 abstentions:

1.   Conclusions et recommandations

1.1   L'Europe doit parler d'une seule voix, agir avec plus de rapidité et moins de timidité, et appliquer les recettes adéquates pour contrer de manière convaincante la plus grave crise du secteur financier, de l'économie et de confiance depuis la création de l'Union européenne.

1.2   Le CESE salue l'approche adoptée par les gouvernements, qui s'efforcent de corriger les tares congénitales de la zone euro et de lancer les éléments d'une nouvelle architecture permettant une gouvernance économique européenne. Il s'agit là d'une nécessité, car les instruments et procédures appliqués jusqu'à présent n'ont pas atteint leur objectif de réduire l'endettement et les déséquilibres macroéconomiques. Toutefois, cette nouvelle architecture de la gouvernance économique européenne doit préserver les droits démocratiques des États membres et de leurs parlements librement élus, au même titre que l'autonomie des partenaires sociaux et leur liberté de conclure des négociations collectives.

1.3   Si la gouvernance économique européenne (GEE) se concentre sur la politique économique, elle affectera principalement les structures sociales, en contraignant les États à procéder à certaines réformes sous la menace de sanctions (semi-) automatiques. Le Comité préconise un assainissement intelligent et durable des finances publiques qui garantisse les investissements sociaux nécessaires, afin d'éviter les asymétries sociales.

1.4   Certaines des mesures d'austérité d'ores et déjà mises en œuvre ou prévues exerceront un impact négatif, par exemple sur les citoyens et les entreprises, lorsqu'on opère des coupes sombres dans les allocations de services sociaux ou les mesures en faveur du marché de l'emploi dispensées aux groupes vulnérables et que l'on réduit l'infrastructure sociale nécessaire, comme par exemple les soins à l'enfance ou encore la formation, ce qui aura des répercussions négatives sur l'accès aux services et la qualité de ces derniers, portant ainsi gravement atteinte à la qualité de vie de ces groupes vulnérables.

1.5   Le CESE relève les conflits intrinsèques entre les objectifs de la stratégie Europe 2020 et ceux de la gouvernance économique européenne. La mise en œuvre du semestre européen et du "six-pack" ne doivent pas saper les objectifs tels que la réduction de la pauvreté dans le cadre de la stratégie Europe 2020, par exemple. Il convient en conséquence de vérifier si chacune des mesures n'augmente pas la pauvreté.

1.6   Le CESE affirme qu'il est impératif d'évaluer les conséquences sociales de la nouvelle législation en matière de gouvernance économique et demande en particulier:

1)

d'adopter un "pacte d'investissement social";

2)

d'associer largement et en temps utile les organisations représentatives de la société civile, en particulier les partenaires sociaux en raison de leur fonctions et compétences spécifiques, à l'ensemble des mesures;

3)

de convoquer une convention en vue de définir une stratégie axée sur le progrès social dans le cadre des modifications du traité restant en suspens;

4)

d'assurer un "plan de sauvetage social" par le biais d’une "gouvernance sociale" équivalente;

5)

de garantir et de promouvoir la liberté des partenaires sociaux de conclure des négociations collectives;

6)

d'exploiter de nouvelles sources de recettes en vue d'assainir les budgets publics;

7)

d'accroître l'efficacité et la pertinence de la dépense publique et de lutter davantage encore contre l'évasion fiscale.

2.   Une nouvelle architecture pour surmonter la crise

2.1   Le traité de Lisbonne a renforcé la dimension sociale de l’Europe, a inscrit dans le marbre l’objectif d’une économie sociale de marché, et a rendu les droits sociaux fondamentaux juridiquement contraignants et obligatoires les analyses d’impact social pour l’ensemble des projets et des initiatives de l’Union européenne (UE). Le Comité économique et social européen insiste depuis longtemps sur l’idée qu’une économie sociale de marché doit associer compétitivité et justice sociale. La dynamique économique et le progrès social ne sont pas antinomiques mais sont étroitement liés (1).

2.2   Le CESE se réjouit qu’avec sa nouvelle stratégie Europe 2020, l’Union se soit accordée sur la nécessité de développer une croissance intelligente, durable et inclusive.

2.3   L’Union européenne subit actuellement la crise la plus sérieuse depuis sa création. Les turbulences financières se sont aggravées dans de nombreux pays jusqu’à engendrer une crise profonde des principes fondamentaux de l’économie, de la politique sociale et de l’endettement. Les institutions européennes sont par ailleurs confrontées à la paralysie et à un déficit de confiance. L’Europe doit parler d’une seule voix, agir avec plus de rapidité et moins de timidité, et appliquer les recettes adéquates.

2.3.1   Tandis que les programmes d’économies et les plans de sauvetage attirent tous les regards, les mesures indispensables pour améliorer la "gouvernance économique" et pour augmenter la croissance demeurent fragmentaires et peu transparentes, et le débat sur les avantages et les inconvénients d’une intégration approfondie reste au point mort.

2.3.2   Des voix s'élèvent de plus en plus fréquemment quant à la possible évolution de cette crise de confiance en une crise de la démocratie, craignant, notamment, l'effet de sanctions à cet égard. Le CESE souligne que les parlements nationaux élus au suffrage universel direct doivent déterminer librement les budgets et la composition des gouvernements dans le cadre de leurs compétences et de leurs responsabilités.

2.3.3   Le CESE a déjà souligné dans plusieurs avis d’initiative que la crise actuelle revêtait désormais la forme d’un test de résistance particulier pour l’Europe. La politique d'austérité provoque des troubles sociaux dans de nombreux pays et alimente les sentiments anti-européens ou nationalistes.

2.4   La réaction politique de l’Union et des gouvernements nationaux face à la crise dite de la dette, engendrée notamment par la déréglementation massive des marchés financiers dans le sillage de la crise financière de ces dernières années, a consisté à mener des programmes d’économies à marche forcée dans le but de rassurer les marchés financiers. Le Comité s'est déjà félicité, à plusieurs reprises, qu'en dépit des oppositions farouches à ce projet, la Commission européenne ait présenté des propositions relatives à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières et d'obligations de stabilité (2).

2.5   Dans le même temps, des initiatives ont été lancées pour essayer de corriger certaines des tares congénitales de la zone euro et avancer vers une nouvelle architecture permettant une gouvernance économique européenne (GEE). L’objectif consistera, à l’avenir, à mieux coordonner la politique économique, à observer et à contrôler les budgets de manière plus stricte et à accroître la compétitivité (3). Le Parlement européen a approuvé à l’automne 2011 cinq règlements et une directive (le "six-pack") destinés à réformer la gouvernance économique européenne.

2.5.1   Le projet de gouvernance économique contenu dans le "six-pack" repose sur trois piliers:

le renforcement du pacte de stabilité et de croissance actuel. La procédure de déficit excessif (PDE) prévoit des règles complémentaires et bien plus strictes sur la réduction de la dette et des déficits publics. Elle enjoint aux États membres de ramener le niveau actuel de la dette au plafond de 60 % fixé par le traité de Maastricht au cours des vingt prochaines années, indépendamment du cycle conjoncturel. Cette mesure a un caractère procyclique, potentiellement préjudiciable à la croissance et à l'emploi;

la mise en place d’une "procédure concernant les déséquilibres excessifs": il s’agit d’un processus politique totalement nouveau, devant être conduit au niveau européen, dont l’objectif est de repérer et de corriger les déséquilibres macro-économiques susceptibles de menacer la stabilité de la monnaie unique;

l’application effective du pacte de stabilité et de la procédure concernant les déséquilibres excessifs, assortie de sanctions véritablement dissuasives. En effet, si des recommandations visant à rationaliser les décisions politiques nationales ont été formulées par l’Europe depuis la signature du traité de Maastricht, la nouveauté consiste ici à accompagner ces recommandations de sanctions quasi "automatiques" à l’encontre des pays membres de la zone euro qui ne s’y conformeraient pas, grâce à l’introduction du vote à la "majorité inversée", une pratique à tout le moins discutable, dans la mesure où il s'agit d'une procédure entièrement nouvelle, qui n'est pas couverte par le traité jusqu'à présent. Concrètement, la proposition de la Commission de sanctionner à hauteur de 0,1 ou 0,2 % de son PIB annuel un État membre qui n’a pas suivi ses recommandations est adoptée, à moins qu’une majorité qualifiée au Conseil des ministres des Finances n’en décide autrement dans un délai de dix jours. En rendant les sanctions bien plus systématiques, cette mesure force les États membres à mieux tenir compte des recommandations politiques formulées au niveau européen.

2.5.2   Le 23 novembre 2011, la Commission européenne a ajouté deux nouveaux règlements au "six-pack": le premier vise à renforcer la surveillance des États membres qui connaissent de graves difficultés quant à leur stabilité financière, le second s'attache à suivre et à corriger les projets de plans budgétaires des États membres. Le premier élargira, renforcera et approfondira les recommandations politiques par pays destinées aux États soumis à un programme d'ajustement macroéconomique. En cas de non respect de ce dernier, le règlement prévoit une suspension du versement des aides au titre des Fonds structurels et du Fonds social européen. Le second texte renforce la compétence de la Commission européenne en matière de supervision des procédures budgétaires nationales, imposant aux États membres de mettre en place des règles concernant l'ampleur des déficits budgétaires. Ces deux règlements auraient pour effets d'accroître la pression exercée par les autres États membres et de renforcer une procyclicité intrinsèque aux conséquences notoires.

2.5.3   Le dispositif dit du "semestre européen", qui s’étale sur les six premiers mois de l’année, a pour objectif d’éviter les orientations contradictoires dans les politiques budgétaires des États membres et d’effectuer un suivi de la mise en œuvre des objectifs de la stratégie Europe 2020. Cette procédure vise à s’assurer que les grands objectifs européens seront effectivement intégrés en temps utile à la planification budgétaire nationale, en amont du vote des parlements nationaux concernant l’exercice budgétaire à venir. La GEE se concentre avant tout sur les politiques économiques, mais elle affectera surtout les dispositifs sociaux, en forçant les États membres à réformer ces outils face à la menace de sanctions (semi-) automatiques.

3.   Les conséquences sociales de la nouvelle législation

3.1   En cette quatrième année de crise économique et financière, les perspectives pour l’emploi et l’activité en Europe continuent de se détériorer. Comme le montrent les derniers chiffres (4), l’Union compte 23 millions de personnes sans emploi et le taux de chômage s’élevait, en septembre 2011, à 9,7 % dans l’UE à 27 et à 10,2 % dans la zone euro, en hausse en glissement annuel. Entre 2008 et 2011, le taux de chômage des jeunes a augmenté de 15,5 % à 21,4 % et le taux d'inactivité de 55,6 % à 56,9 %. En Grèce et en Espagne, presqu'un jeune sur deux est sans emploi (5). Ceci représente un total de plus de 5 millions de jeunes chômeurs qui ne suivent aucun enseignement ni aucune formation. L'amélioration de la situation (+ 1,5 million d'emplois) enregistrée à la mi-2011 n'a pas permis de compenser les pertes massives subies pendant la crise. Les hausses des niveaux d'emploi ont été principalement dues à l'augmentation des contrats temporaires et des emplois à temps partiel.

3.2   Par ailleurs, les perspectives de croissance économique ont été considérablement revues à la baisse et, dans les prévisions d’automne pour 2011-2013 qu’elle a récemment publiées, la Commission reconnaît que "la relance de l’économie européenne s’est interrompue" et qu’aucune amélioration des mauvais chiffres du chômage ne s’annonce à l’horizon (6).

3.3   La crise bancaire mondiale de 2007-2009 a naturellement conduit à la situation actuelle d’une crise de la dette souveraine, les pouvoirs publics ayant injecté des ressources considérables dans le sauvetage des banques et dans les garanties d’État pour maintenir le système monétaire à flot. L’endettement moyen a progressé en conséquence, passant de 60 à 80 % du PIB, ce qui réduit fortement la marge de manœuvre des stabilisateurs automatiques et des autres politiques contracycliques. Cela signifie que ce sont le marché du travail et les politiques sociales qui paieront le plus lourd tribut au processus de résolution. Les différentes initiatives européennes ont toutes pour point commun d’utiliser les salaires comme principale variable d’ajustement, par le biais d’une réduction et d’une déflation salariales.

3.4   Le CESE estime que cette évolution présente des risques, à la fois pour la santé économique globale de l’Europe et pour son tissu social. Comme l'a souligné le Comité de la protection sociale dans son rapport sur l'impact social de la crise économique, les mesures d'austérité mises en œuvre ou prévues exerceront un impact sur l'inclusion sociale, en opérant des coupes sombres dans les allocations et l'offre dispensées aux groupes vulnérables, tels que les personnes handicapées. Ceci aura des répercussions négatives sur l'accès aux services publics et la qualité de ces derniers, avec des conséquences négatives pour les citoyens et les entreprises (7). Des taux d’intérêt élevés empêchent presque certainement les États membres de réduire leur déficit budgétaire et leur endettement. Par exemple, en Grèce, le budget de l’État enregistre un excédent primaire depuis le printemps 2011 mais les déficits continuent de se creuser en raison du poids insoutenable de la charge des taux d’intérêt trop élevés de la dette.

3.5   Les mesures d’austérité, qui précisément mettent en danger les investissements sociaux nécessaires, renforceront encore la spirale infernale. En l’absence de toute nouvelle source de croissance, la réduction des dépenses concomitantes exerce une influence négative sur les recettes budgétaires, avec par exemple une baisse des rentrées fiscales et une hausse des prestations sociales versées au titre du chômage. Les déficits budgétaires risquent de se creuser encore davantage, avec à la clef des réactions potentiellement désastreuses de la part des marchés financiers, qui surveillent attentivement l’évolution de la situation dans l’ensemble des États membres.

3.5.1   En outre, les mesures d’austérité qui freinent la demande finale dans un État membre peuvent entraîner des retombées négatives dans les autres pays, créant une spirale infernale. Ce phénomène peut se produire soit au long de la chaîne de valeur ajoutée au sein du marché unique, soit dans le cadre des échanges commerciaux. Le lancement simultané de plans d’austérité dans plusieurs États obscurcit encore davantage les perspectives de croissance et pourrait déclencher un cercle vicieux se traduisant par des incertitudes concernant l’investissement, dans les domaines de l'éducation, la formation, la recherche et l'innovation notamment, ainsi que l’emploi et la consommation.

3.6   Lors de la conception et de la mise en œuvre de mesures de gouvernance de l'UE, le Comité estime nécessaire de vérifier soigneusement si et dans quelle mesure il existe un rapport entre les évolutions économiques négatives des États membres et des régions, les déséquilibres sur les marchés, les processus de concentration économique et les abus de marché perpétrés par de grands groupes commerciaux. De l'avis du CESE, il conviendrait, pour y remédier, de prendre par exemple des contre-mesures fiscales efficaces et coordonnées et de les intégrer dans les mesures d'assainissement. En parallèle, il y aurait lieu de renforcer la compétitivité des PME, au même titre que la production industrielle destinée à l'exportation. Il conviendrait que ces actions soient accompagnées des mesures structurelles nécessaires pour préserver la croissance et la création d'emplois.

3.7   Le Comité regrette que toutes les politiques afférentes soient structurellement partiales et introduisent un parti-pris structurel asymétrique. Dans une lettre, le commissaire Olli REHN livre le point de vue de la Commission sur les déséquilibres de la zone euro. Les problèmes que peuvent poser des déficits extérieurs abyssaux y sont signalés, alors que les excédents importants et persistants de la balance courante ne sont pas vus comme une menace pour la cohésion de la monnaie unique (8). La redéfinition des positionnements concurrentiels part du principe que ce sont les pays qui accumulent de la dette pour financer leur déficit extérieur qui posent problème, tandis que ceux qui enregistrent des excédents sont encouragés à poursuivre dans cette voie.

3.8   Pour élaborer son tableau de bord des "déséquilibres macroéconomiques", la Commission définit les indicateurs de manière telle qu’une évolution des salaires dans les différents secteurs économiques est immédiatement signalée et mise sous observation, alors que les États membres qui s’orientent vers une stratégie de stagnation des rémunérations ne seront tout simplement pas contrôlés. L’idée fait également son chemin d’établir des "comparaisons relatives", en comparant l’évolution du coût salarial unitaire à celle des principaux concurrents. Ce type de comparaison peut servir à déceler toute évolution divergente de la compétitivité, mais ne doit cependant pas amener à évaluer systématiquement les hausses de salaires de manière négative et de faibles niveaux de salaires et d'accords salariaux de manière positive. Il faut au contraire faire de l'évolution de la productivité et de l'inflation le critère de référence pour l'évolution salariale.

3.9   Le Comité tient en particulier à exprimer ses inquiétudes concernant les gouvernements qui se sont engagés à prendre des mesures et à adopter des orientations dans des domaines sur lesquels ils n’ont pas véritablement d’influence. Le règlement du Parlement européen et du Conseil sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques prévoit des mécanismes d’alerte, au centre desquels se trouvent le tableau de bord et ses indicateurs (article 3). Ces derniers définissent les seuils, à la fois plancher et plafond, des déséquilibres macroéconomiques intérieurs et extérieurs à partir desquels la procédure pour déséquilibres excessifs est déclenchée. Parmi ces indicateurs figure également le coût unitaire de la main-d’œuvre, bien qu'il résulte avant tout des négociations collectives autonomes entre partenaires sociaux et ne relève pas en tant que tel de la politique économique des États.

3.10   Le Comité estime donc que les partenaires sociaux doivent être partie prenante à la mise en œuvre du règlement, à la fois au niveau national et au niveau de la zone euro. Quelle que soit la forme que prendra l’institutionnalisation de la participation des partenaires sociaux, le Comité souligne que l’autonomie de ces derniers ne doit pas être remise en cause et que les conventions 87 et 98 de l’OIT doivent être pleinement respectées. De surcroît, le respect des objectifs généraux de l’Union européenne, et en particulier le progrès social et l’avancement vers une harmonisation des politiques sociales européennes, doivent constituer un pan essentiel de ce processus, de même que les droits sociaux fondamentaux qui procèdent de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (article 51, paragraphe 1).

3.11   En période de difficultés et de bouleversements socio-économiques, il importe que les organisations sociales participent aux processus, mais aussi à la mise en œuvre des mesures de gouvernance et d'assainissement. Elles apportent des contributions précieuses en matière de formation, de prévention, d'emploi, et de paix sociale fondée sur le respect de la dignité humaine et la solidarité sociale.

4.   Conséquences sociales des mesures prises par les États membres

4.1   Le CESE exprime ses plus vives inquiétudes concernant les conséquences sociales de la crise actuelle, particulièrement marquées dans la plupart des États membres. Il recommande d'imprimer aux réformes structurelles une orientation favorable à la croissance et à l'emploi. Garantir et promouvoir les droits des travailleurs et les droits sociaux fondamentaux exerce un impact positif sur la productivité économique dans son ensemble. Par principe, il convient de s'attacher à garantir la capacité d'action des gouvernements au moyen de recettes fiscales suffisantes et à lutter résolument contre la fraude fiscale.

4.1.1   Le CESE s’inquiète de constater l’existence de divergences croissantes au niveau national et régional. Cette évolution menace fortement le processus d’intégration car, pour la première fois, la cohésion économique et sociale au sein de l’Union à périmètre constant est en net recul. Auparavant, l’aggravation des divergences économiques et sociales était toujours temporaire et liée à l’adhésion de nouveaux États membres.

4.2   Dans son rapport sur l’impact social de la crise, le Comité de la protection sociale parvient à la conclusion suivante: "La crise économique et financière a entraîné une détérioration significative de la situation sociale de pans importants de la population, et en particulier chez les jeunes, les travailleurs embauchés pour une durée déterminée et les migrants. Dans tous les pays, les chômeurs font partie des groupes les plus exposés à la pauvreté" (9). L’agitation sociale et les protestations observées en Grèce, en Espagne, ainsi qu'en beaucoup d'autres États membres, sont les conséquences de cette situation.

4.3   Le dernier sondage Eurostat pour 2011 montre également que les citoyens de l’UE sont inquiets et qu’ils constatent une montée de la pauvreté:

Une majorité importante et en hausse d'Européens pensent que la pauvreté s'aggrave. Lorsqu'on leur demande si la pauvreté a augmenté ou diminué au cours des trois dernières années, 87 % des Européens affirment qu'elle a augmenté. L'opinion selon laquelle la pauvreté s'est aggravée au cours des trois dernières années est largement plus prononcée qu'à l’automne 2010. Seuls 22 % des Européens pensent que les efforts déployés pour lutter contre la pauvreté sont suffisants (10).

4.4   Le CESE s'inquiète vivement qu'en raison des conséquences sociales de la lutte contre la crise, l’Europe risque de se retrouver toujours plus divisée et perde de ce fait le soutien de ses citoyens. L'Europe doit cependant regagner leur confiance.

4.5   Le Comité estime indispensable de mettre tout en œuvre pour que les mesures d’économie n'augmentent pas le risque de pauvreté. Il faut procéder à une analyse d’impact social efficace, afin d’établir comment il est sera possible d’atteindre l’objectif de faire sortir au moins 20 millions de personnes de la pauvreté et de l’exclusion sociale au cours de la prochaine décennie dans un contexte qui a évolué, et afin de définir les mesures nécessaires à cet effet. L'aggravation de la pauvreté a son envers: l'augmentation des patrimoines et des profits, phénomène que favorisent, dans certains États membres, des stratégies fiscales et budgétaires inadéquates. L'architecture de la gouvernance économique européenne et la mise en œuvre du semestre européen ne peuvent déboucher sur une augmentation de la pauvreté ou la non-réalisation de l'objectif de réduction de la pauvreté dans le cadre de la stratégie globale Europe 2020.

5.   Nécessité d’analyses fouillées d’impact social

5.1   Le CESE a indiqué en 2011 que la clause sociale horizontale (CSH, article 9 TFUE), représentait une innovation fondamentale qui engage l’Union dans la mise en œuvre de ses politiques (11).

5.2   Le CESE a déjà indiqué à cet égard que la CSH devait être appliquée aux grands domaines et à l’architecture d’ensemble de la nouvelle gouvernance socio-économique de l’UE approuvée par le Conseil européen en 2010 dans le cadre de la stratégie Europe 2020 (12). Le semestre européen fait partie de ces dispositifs, tout comme le paquet de mesures dit du "six-pack", le "pacte pour l’euro plus" et les mécanismes de sauvetage.

5.3   Le CESE met l’accent sur le fait que les mesures prises pour faire face à la crise ne doivent en aucun cas porter atteinte aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux. Par ailleurs, il conviendrait de définir quelles mesures pourraient être prises dans un délai d’un an en vue de garantir le respect des droits fondamentaux (13).

5.4   Le Comité de la protection sociale et la Commission européenne se sont associés pour déplorer que trop peu de pays aient jusqu’à présent réalisé des analyses d’impact social concernant les mesures de rééquilibrage budgétaire (14).

5.5   Le CESE met l’accent sur le fait qu’il est nécessaire et urgent de procéder à une analyse d’impact des conséquences sociales de la nouvelle législation sur la gouvernance européenne. L'UE s'est engagée à promouvoir l'inclusion sociale. Cette ambition s'est non seulement traduite par la définition d'objectifs quantitatifs, mais également par un ancrage qualitatif dans le traité, avec les droits sociaux fondamentaux. La qualité de vie des citoyens est directement en cause, et il convient d'en tenir compte et de le mettre en évidence, tant sous l'angle quantitatif que qualitatif, dans le cadre des analyses d'impact. Les propositions législatives n’ont fait l’objet que d’un nombre très limité d’analyses d’impact, dans le cadre desquelles les conséquences sociales ne jouaient qu’un rôle secondaire et dont les résultats n’ont souvent pas été pris en considération (15).

6.   L'Europe a besoin d'un pacte d'investissement social

6.1   Étant donné que la nature et l’ampleur des atteintes directes et indirectes portées aux acquis, aux structures et aux droits sociaux sont encore inconnues, il est nécessaire d’établir un cadre global – sur la base d’une analyse d’impact social circonstanciée et indépendante – qui associe plus étroitement entre eux les éléments suivants:

6.1.1   La participation étendue et en temps utile des partenaires sociaux à l’ensemble des mesures

6.1.1.1

L’ensemble des mesures existantes et à venir ne doit être mis en œuvre qu’après consultation extensive des partenaires sociaux. Cette exigence procède notamment de l’article 152 du TFUE. Cette disposition vaut tout particulièrement pour les mesures d’économie présentées comme des ajustements purement économiques ou budgétaires mais qui visent à dégrader le domaine social. Pour illustrer la nécessité de la participation des partenaires sociaux, l'on peut évoquer l'engagement de la "task-force" européenne en Grèce. En outre, il convient que les organisations sociales et les organisations non gouvernementales participent pleinement et en temps utile à toutes les mesures.

6.1.2   "Pacte d’investissement social"

6.1.2.1

De manière générale, le CESE estime qu’il n’est pas possible de sortir d'une crise de cette ampleur par une politique d'austérité, comme celle appliquée en Grèce et dans d’autres États membres, mais au contraire uniquement par une politique de croissance. Dans le cadre de la gouvernance économique, le CESE propose donc de favoriser des investissements durables dans les qualifications, l’infrastructure et la production et à promouvoir les investissements dans l'économie sociale, l'entrepreneuriat social (16) et les services sociaux.

6.1.2.2

Pour ce faire, il y a lieu de conclure un pacte d'investissement social. Le CESE reprend donc à son compte la recommandation en ce sens de Vandenbrouke, Hemerijk et Palier. Ils considèrent que le principal défi consiste à faire en sorte que les processus d’investissement social à long terme et le rééquilibrage budgétaire à court terme se renforcent mutuellement, à la fois au niveau de l’Union et des États membres. Les objectifs de la stratégie Europe 2020 pourraient créer un cadre permettant d’y parvenir, à la condition qu’un "pacte d’investissement social européen" soit intégré à une politique budgétaire favorable à la croissance et à la réglementation financière. Ceci implique que les nouvelles mesures de supervision macroéconomique et budgétaire doivent s’accompagner d’un "pacte d’investissement social" (17).

Le Comité s'inquiète vivement des conséquences sociales des coupes opérées en particulier sur les petites retraites dans la foulée des mesures de crise adoptées. Il demande à nouveau que la Commission entreprenne les premières démarches en vue d'élaborer une définition paneuropéenne du revenu de retraite adéquat (18).

6.1.3   Exploiter de nouvelles sources de recettes pour les budgets publics

6.1.3.1

Les budgets publics ne pourront pas être mis à contribution pour tout – sauvetages de banques, augmentations des prestations sociales, soutien des entreprises, investissements innovants. L'État doit inévitablement dégager de nouvelles sources de recettes, une mesure qui doit s'accompagner d'une augmentation simultanée de l'efficacité et de la pertinence des dépenses publiques. Le CESE est d'avis que les États membres doivent élargir leur base fiscale, notamment en prélevant une taxe sur les transactions financières, en supprimant les paradis fiscaux, en mettant fin à la concurrence fiscale et en prenant des mesures contre la dissimulation fiscale. Dans le même temps, il y a lieu de placer bien davantage la qualité des investissements au centre des préoccupations, lorsque tous les États membres s'engagent à des investissements sociaux et assainissent leurs budgets grâce à la croissance et aux réformes En outre, une remise à plat générale des systèmes fiscaux s'impose, en prenant dûment en compte la question des contributions des différents types de revenus et de patrimoines (19).

6.1.4   Un "plan de sauvetage social" par le biais d’une "gouvernance sociale" équivalente

6.1.4.1

Sans un "plan de sauvetage social" (Jean-Claude Junker), l’architecture de la gouvernance économique demeure incomplète et représente un pas en arrière, qui entraînerait une dégradation de l’intégration économique et budgétaire de l’Europe, bien loin des aspirations à une économie sociale de marché. Le CESE met tout particulièrement en garde contre ce danger.

6.1.4.2

Le CESE se prononce en faveur d’une action responsable de la part des États dans le domaine économique et social (gouvernance économique et sociale). Le rééquilibrage à court terme doit ainsi être bien plus étroitement associé aux objectifs de la stratégie Europe 2020, qui sont le renforcement de la croissance intelligente, de la cohésion et de l’inclusion sociale.

6.1.4.3

L’UE doit continuer de s’assurer que toutes les mesures économiques et budgétaires respectent pleinement l’esprit des dispositions sociales du droit primaire ainsi que les droits sociaux fondamentaux, et en particulier les droits de négociation collective et de grève, et qu’elles ne se traduisent pas par une dégradation des acquis sociaux.

6.1.5   Une convention doit être convoquée en vue de définir une stratégie axée sur le progrès social dans le cadre des modifications du traité restant en suspens.

6.1.5.1

Le CESE insiste sur l’organisation d’une convention. Étant donné l’ampleur des modifications du traité qui sont actuellement à l’ordre du jour, l’ouverture d’un grand débat est requise au même titre que la légitimation démocratique. Comme ce fut le cas lors de la dernière convention, les parlements nationaux, le Parlement européen, les partenaires sociaux et le CESE doivent apporter leur contribution. Il faudra faire en sorte, dans le cadre du rapport intermédiaire et de la feuille de route, que ces modifications du traité soient assorties d’une dimension sociale équivalente et que le résultat soit intégré au rapport prévu pour mars sur la nature et l’ampleur des mesures décidées d’un commun accord.

6.1.6   Garantir et promouvoir la liberté des partenaires sociaux de conclure des négociations collectives

6.1.6.1

Le CESE réaffirme qu'à ses yeux, les prescriptions de la Charte des droits fondamentaux s'appliquent à tous les organes et institutions de l'UE. Dès lors, les atteintes à l'autonomie des partenaires sociaux en matière de négociations collectives sont tout à fait inadmissibles et la Commission européenne est tenue d'intenter immédiatement une action à leur encontre. En aucun cas, elle ne peut adresser elle-même aux États membres des recommandations induisant une violation de la Charte des droits fondamentaux. Elle est tout au contraire tenue de tout mettre en œuvre pour garantir le respect de ces droits, mais également pour les promouvoir. La crise sert de pierre de touche de la profondeur de l'ancrage de la culture des droits fondamentaux en Europe (20).

Bruxelles, le 22 février 2012.

Le président du Comité économique et social européen

Staffan NILSSON


(1)  Avis d'initiative du CESE sur l'"Agenda social", JO C 182 du 4.8.2009, p. 65.

(2)  Avis du CESE sur la "Taxe sur les transactions financières", JO C 44 du 11.2.2011, p. 81, et sur l'"Examen annuel de la croissance", JO C 132 du 3.5.2011, p. 26.

(3)  Voir les éléments énumérés dans l’avis du CESE sur l’"Examen annuel de la croissance", JO C 132 du 3.5.2011, p. 26.

(4)  http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-31102011-BP/EN/3-31102011-BP-FR.PDF.

(5)  Rapport conjoint sur l'emploi 2011, COM(2011) 815 final, pp. 2 et 4.

(6)  http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/1331&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr.

(7)  Évaluation conjointe de l'impact social de la crise économique et des réponses politiques en 2010, réalisée par le CPS et la Commission européenne, pp. 9-10.

(8)  Lettre du 4 novembre 2011 adressée à Jan Vincent ROSTOWSKI. Re: traitement des déficits et excédents de la balance courante dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres excessifs.

(9)  Voir la "Mise à jour 2010 de l'évaluation commune du Comité de la protection sociale et de la Commission européenne des conséquences sociales de la crise économique et des réponses politiques apportées", 26 novembre 2010 (16905/10, SOC 793, ECOFIN 786), p. 2.

(10)  Eurobaromètre spécial 377.

(11)  Avis du CESE sut le thème "Renforcer la cohésion et la coordination de l’UE dans le domaine social", JO C 24 du 28.1.2012, p. 29.

(12)  Idem.

(13)  Avis du CESE sur une "Stratégie pour la charte des droits fondamentaux", JO C 376 du 22.12.2011, p. 74.

(14)  Voir la note de bas de page no 9.

(15)  Comme l’a estimé le réseau EAPN en 2011.

(16)  L'entreprise sociale constitue un élément fondamental du modèle social européen. Le CESE est favorable au lancement par la Commission d'un cadre politique et d'un plan d'action visant à promouvoir l'entreprise sociale en Europe et souligne l'importance de leur pleine mise en œuvre aussi bien à l'échelon de l'UE que des États membres. Avis du CESE sur le thème "Entrepreneuriat social et entreprise sociale", JO C 24 du 28.1.2012, p. 1.

(17)  Vandenbroucke, Frank, et al.. The EU needs a social investment pact ("L’UE a besoin d’un pacte d’investissement social"), OSE no 5, 2011, p. 5.

(18)  Avis du CESE sur le "Livre vert – Pensions", JO C 84 du 17.3.2011, p. 38.

(19)  Avis du CESE sur les "Résultats du sommet pour l'emploi" – par. 3.4.2, JO C 306 du 16.12.2009, p. 70.

(20)  Se référer à la note de bas de page no13.