28.4.2007   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 97/6


Avis du Comité économique et social européen sur la «Communication de la Commission: enrayer la diminution de la biodiversité à l'horizon 2010 et au-delà — Préserver les services écosystémiques pour le bien-être humain»

COM(2006) 216 final

(2007/C 97/03)

Le 22 mai 2006, la Commission européenne a décidé, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur la proposition susmentionnée.

La section spécialisée «Agriculture, développement rural, environnement», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 25 janvier 2007 (rapporteur: M. RIBBE).

Lors de sa 433e session plénière des 15 et 16 février 2007 (séance du 15 février), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 137 voix pour, 7 voix contre et 5 abstentions.

1.   Synthèse des conclusions et recommandations du Comité

1.1

Dans leur description de la situation, le CESE et la Commission sont mus par la même conviction: la conservation de la biodiversité est une tâche nécessaire et essentielle qui ne représente pas seulement un engagement éthique et moral. Il existe aussi suffisamment de raisons économiques qui justifient une action plus rapide et plus efficace. Les pertes économiques imputables au déclin des services écosystémiques se chiffrent aujourd'hui déjà à plusieurs centaines de milliards d'euros, un gaspillage que nos économies ne peuvent pas se permettre.

1.2

En Europe, la disparition des espèces est le résultat de millions de décisions réfléchies qui ont été prises au cours des dernières décennies, quasiment toutes dans le cadre de la législation existante. Les mesures illégales n'exercent qu'une influence marginale sur le déclin de la biodiversité.

1.3

En dépit des promesses politiques, force est de constater que malheureusement, la diminution de la biodiversité se poursuit. Cette diminution n'est pas due à une incapacité à appréhender le problème de la disparition des espèces, mais résulte bel et bien d'une absence de volonté politique de faire appliquer pour de bon des mesures jugées nécessaires depuis longtemps déjà. À cet égard, les expériences engrangées dans le domaine du réseau Natura 2000 sont révélatrices.

1.4

Dans sa Communication, la Commission définit très bien les raisons à l'origine de cette situation. Elles résident entre autres dans «la mauvaise gouvernance et l'incapacité des économies traditionnelles à reconnaître la valeur économique du capital naturel et des services écosystémiques». À cela s'ajoute le fait que les arguments éthiques et moraux en faveur de la conservation de la biodiversité ne font pas véritablement pencher la balance lorsqu'il s'agit de prendre des décisions en matière d'aménagement du territoire ou d'élaboration de politiques. Tous ces éléments font qu'aujourd'hui, la situation s'est aggravée.

1.5

Le fossé énorme qui sépare les ambitions de la réalité doit être comblé si l'on ne veut pas risquer de perdre en crédibilité.

1.6

Le CESE se félicite de la présentation du plan d'action et reconnaît le caractère judicieux des 160 (!) mesures qui y sont énumérées. Toutefois, la plupart de ces mesures ne sont aucunement nouvelles, mais bien à l'ordre du jour depuis des années. Par conséquent, seul l'avenir nous dira si, en présentant ce programme d'action, les hommes politiques trouveront enfin la force de réaliser les «changements fondamentaux qui s'imposent»ou si, une fois encore, ils aborderont un problème épineux de politique sociale, mais en se contentant de promesses verbales, comme le craignent de nombreux écologistes.

1.7

La critique essentielle que le CESE fait à la Communication de la Commission concerne le fait que celle-ci ne se soit pas posé la question stratégique formulée dans son avis exploratoire du 18.5.2006 (1); cette question consiste à se demander pourquoi un tel abîme sépare les ambitions, les déclarations d'intention et la réalité en matière de conservation de la biodiversité. Le CESE déplore que ce problème n'ait quasiment pas été abordé, que ce soit dans la Communication de la Commission ou dans le plan d'action.

1.8

Le CESE estime dès lors qu'il est très important de donner la priorité au domaine politique no 4, à savoir «la base de connaissances», afin que les citoyens et les hommes politiques prennent conscience des conséquences véritables de leurs actes.

1.9

Il convient de prendre en considération la nécessité d'aider les pays voisins de l'UE à renforcer la protection de la biodiversité et d'éviter que l'UE et ses différents États membres cofinancent des projets qui puissent contribuer à accélérer la diminution de la biodiversité dans les pays européens non membres de l'UE.

1.10

Le CESE adhère au concept de coresponsabilité de l'UE au niveau mondial que décrit la Commission. Alors que l'UE et les États membres consacrent moins de 0,004 % de leurs ressources économiques aux mesures globales visant le développement et la conservation de la biodiversité, leur part de responsabilité dans la destruction de la biodiversité au niveau mondial est de plus en plus grande (voir par exemple la destruction des forêts tropicales). À l'avenir, les évolutions sur le marché des biocarburants risquent d'aggraver encore la situation.

1.11

Le CESE déplore que le plan d'action n'existe que sous forme d'«annexe technique »et qu'il ne soit disponible qu'en anglais, sous forme de document SEC séparé. Le CESE invite la Commission à faire traduire le plan d'action dans toutes les langues officielles et à veiller à ce qu'il soit diffusé largement, aussi bien par le biais d'internet qu'en version imprimée.

1.12

La mise en œuvre du plan d'action doit être supervisée par le groupe d'experts en biodiversité. Le CESE estime qu'il est indispensable d'associer plus largement la société civile.

2.   Éléments essentiels et contexte du document de la Commission

2.1

Déjà en 1998, dans sa stratégie en faveur de la biodiversité, l'UE avait attiré l'attention sur l'ampleur énorme prise par la diminution de la biodiversité. À la suite de cela, en 2001, les chefs d'État et de gouvernement se sont fixés pour objectif de mettre un terme à l'appauvrissement dramatique de la biodiversité (dans l'UE) d'ici 2010 (2). Lors de ce sommet, les chefs d'Etat et de gouvernement ont également assuré aux Européens qu'ils veilleraient à restaurer les habitats et les systèmes naturels.

2.2

Dans cette Communication qui présente un plan d'action pour la conservation de la biodiversité, la Commission décrit une fois encore avec force détails et de manière impressionnante la situation qui prévaut actuellement dans le domaine de la conservation de la biodiversité ou plus exactement dans celui de sa diminution persistante. Comme en témoignent également toutes les études de l'agence européenne pour l'environnement ainsi que la «liste rouge »des espèces animales et végétales menacées qui est dressée au plan national, cette -diminution demeure extrêmement inquiétante. Dans sa Communication, la Commission constate que l'objectif qui consiste à enrayer la diminution de la biodiversité à l'horizon 2010 est encore loin d'être atteint et que la tendance persistante à la diminution ne pourra être inversée qu'en «modifiant radicalement les politiques et les pratiques».

2.3

La Commission indique ensuite que «le rythme et l'étendue de la mise en œuvre ont été insuffisants»; elle demande que «l'Union européenne et les États membres accélèrent la mise en œuvre» faute de quoi on risquerait «de ne pas atteindre l'objectif global de 2010».

2.4

De l'avis de la Commission, il serait doublement problématique de ne pas atteindre cet objectif. En effet, la conservation de la biodiversité n'est pas seulement une obligation éthique et morale vis-à-vis de la nature, mais elle est aussi judicieuse et nécessaire d'un point de vue purement économique. La Communication décrit précisément comment les services écosystémiques tels «la production de nourriture, de carburant, de fibres et de médicaments, la régulation du cycle de l'eau, de la composition de l'air et du climat, le maintien de la fertilité des sols et le cycle des éléments nutritifs»reposent sur la biodiversité. Au niveau mondial, «environ deux tiers des écosystèmes du globe sont en déclin»; les pertes financières qui en découlent — et qu'il est malaisé de chiffrer — sont estimées dans la Communication de la Commission à «plusieurs milliards d'euros».

2.5

La Communication de la Commission pose également la question de savoir ce qui a été fait jusqu'à présent et quels objectifs ont été atteints. À cet égard, elle décrit non seulement la situation dans l'UE, mais aussi celle qui prévaut à l'échelle planétaire, et met en lumière la coresponsabilité de l'UE au niveau mondial.

2.6

La question de savoir ce qu'il convient de faire à l'avenir est au cœur de la Communication. À cet égard, la Commission a élaboré un plan d'action de l'UE (uniquement sous forme d'annexe, en tant que document SEC) qui identifie quatre grands domaines politiques, définit dix objectifs prioritaires et énumère quatre «grandes mesures de soutien».

2.6.1

Le premier domaine politique est consacré à «la biodiversité dans l'Union européenne». Il énumère d'emblée cinq des dix objectifs prioritaires, à savoir:

préserver les principaux habitats et espèces de l'Union européenne;

préserver et rétablir la biodiversité et les services écosystémiques dans les zones rurales de l'Union européenne non protégées;

préserver et rétablir la biodiversité et les services écosystémiques dans l'environnement marin de l'Union européenne non protégé;

renforcer la compatibilité du développement régional et territorial avec la biodiversité dans l'Union européenne et

réduire sensiblement les effets des espèces allogènes envahissantes et des génotypes allogènes sur la biodiversité dans l'Union européenne.

2.6.2

Le deuxième domaine politique se penche sur la question de «l'UE et la biodiversité dans le monde». En effet, la diminution de la biodiversité ne se limite pas au territoire de l'UE. D'une part, dans le cadre du droit international, l'UE et les États membre se sont engagés en faveur de la protection de la biodiversité au niveau mondial et, d'autre part, ils ont une part de responsabilité dans les évolutions observées à l'échelle planétaire, par le biais de leurs relations commerciales. Le deuxième domaine énumère trois autres objectifs prioritaires, à savoir:

renforcer sensiblement l'efficacité de la gouvernance internationale en faveur de la biodiversité et des services écosystémiques;

renforcer sensiblement le soutien à la biodiversité et aux services écosystémiques dans l'aide extérieure de l'Union européenne et

réduire sensiblement les effets du commerce international sur la biodiversité et les services écosystémiques dans le monde.

2.6.3

Le troisième domaine politique recouvre le thème «biodiversité et changement climatique». Il formule l'objectif suivant:

soutenir l'adaptation de la biodiversité au changement climatique.

2.6.4

Dans le quatrième domaine politique, la Communication et le plan d'action examinent «la base de connaissances» et formule le dixième et dernier objectif prioritaire qui consiste à:

renforcer sensiblement la base de connaissances pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité, dans l'Union européenne et dans le monde.

2.6.5

Les quatre grandes mesures de soutien consistent à:

assurer un financement adéquat;

renforcer le processus décisionnel communautaire;

créer des partenariats et

améliorer l'éducation, la sensibilisation et la participation du public.

3.   Observations générales sur le contenu de la Communication de la Commission

3.1

Le CESE se félicite de la Communication et du plan d'action qui ont été présentés le 22 mai 2006, soit quatre jours après l'adoption d'un avis exploratoire du CESE sur le thème «La campagne de l'UE pour la conservation de la biodiversité: position et contribution de la société civile». Le CESE constate que dans les deux documents, l'analyse de la situation actuelle et des causes qui sont à l'origine de celles-ci se recoupent quasiment entièrement.

3.2

Le CESE constate que les différentes causes à l'origine de la diminution des espèces et des biotopes — par exemple l'intensification de l'utilisation des sols ou l'abandon d'habitats jusque là utilisés de manière extensive, l'imperméabilisation des sols, le mitage etc. — sont connues depuis des années, comme en témoignent diverses publications scientifiques. Elles résultent elles-mêmes de décisions et de mesures prises par des acteurs économiques, ou de choix politiques opérés dans le cadre de la législation existante; les mesures illégales ne représentent qu'une menace relativement faible pour la biodiversité. Ce sont donc des décisions politiques, des décisions de fond, réfléchies et prises en toute légalité qui entraînent la diminution de la biodiversité; elles s'appuient souvent sur les choix et les instruments financiers de l'UE, des États membres et des communes, ou en découlent.

3.3

Le CESE et la Communication de la Commission sont du même avis, tant en ce qui concerne la description de la situation et l'analyse que pour ce qui est des arguments en faveur de la conservation de la biodiversité. Dans sa Communication, la Commission avance des arguments d'ordre éthique, moral et économique; dans son avis exploratoire, le CESE parle de «valeur intrinsèque »et de «valeur utilitaire »des paysages et de la biodiversité.

La biodiversité entre ambition politique et réalité

3.4

La Communication à l'examen s'ajoute à une longue liste de documents politiques qui annoncent une intention d'enrayer la diminution de la biodiversité. À maintes reprises, des promesses politiques ont été faites en ce sens, récemment encore, lors de la réunion des ministres européens de l'environnement qui s'est tenue en décembre 2006 et au cours de laquelle la Communication de la Commission a été approuvée.

3.5

Le CESE se doit malheureusement de constater que trop souvent, un fossé énorme sépare les ambitions et la réalité et il va sans dire que l'opinion publique le perçoit. À la fin du mois de décembre par exemple, les ministres de la pêche ont fixé pour le cabillaud des taux de capture qui, de l'avis de tous (!) les biologistes marins, sont beaucoup trop élevés et qui risquent fort d'entraîner l'effondrement des stocks. On a malgré tout parlé d'un «bon résultat», ce qui peut signifier deux choses: soit que les différentes parties concernées n'ont pas la même analyse du problème et du lien de cause à effet, soit que l'on aborde certes la question, mais que l'on continue tout de même à mener délibérément une politique qui entraîne la perte de la biodiversité.

3.6

Dans l'intervalle, le Comité a relevé ce problème dans toute une série d'avis qu'il a élaborés sur ce thème et a mis en garde contre le risque de perte de crédibilité auquel on s'expose en menant une telle politique.

3.7

La Commission et le CESE ne sont manifestement pas du même avis sur la question de savoir dans quelle mesure la population au sens large, les responsables politiques et les principaux acteurs économiques ont saisi et évalué l'ampleur du problème de la diminution de la biodiversité. Leur avis diffère également dans une large mesure sur ce qui est mis en œuvre sur le plan politique pour remédier à cette diminution. À cet égard, le CESE ne doute pas que le problème que représente la perte de la biodiversité n'a pas été bien saisi. Loin de lui l'idée de vouloir prêter à quelque citoyen ou quelqu'homme politique que ce soit l'intention de prendre des décisions dans le but délibéré d'affaiblir la biodiversité. Il semble toutefois que chacun ait beaucoup de difficultés à vraiment évaluer l'impact de ses propres décisions sur le long terme et, le cas échéant, à en tirer des conclusions. Un autre exemple caractéristique de cette situation est celui des actions de bonification qui ont été réalisées en 2004-2006 dans les nouveaux États membres, et notamment en Pologne, et qui y sont programmées pour la période 2007-2013 dans le cadre des programmes de développement rural. L'action de «gestion des ressources hydrauliques agricoles», qui a été financée sur fonds communautaires, se ramène pour l'essentiel à des opérations d'aménagement technique de vallées de cours d'eau. Elle débouche sur toute une série de retombées négatives, au premier rang desquels figure la diminution de la biodiversité, et, malheureusement, la réalisation et la programmation de telles actions touchent également des sites potentiels du réseau Natura 2000.

3.8

La Commission mentionne le fait que les questions relatives à la conservation de la biodiversité joueraient un rôle important dans la stratégie de Lisbonne aussi. Par ailleurs, dans son avis sur la présente Communication, le CdR aussi «accueille favorablement les conclusions du Conseil des 23 et 24 mars 2006 qui invitent à intégrer les objectifs de 2010 aux politiques définies dans le cadre de l'agenda de Lisbonne». Le CESE doute fort que ce soit le cas. Il se doit plutôt de constater que dans le contexte de la «politique économique», le rôle et l'importance de la biodiversité ne sont pris en compte que de manière marginale. Comme le révèle une étude des documents relatifs à la stratégie de Lisbonne, des concepts tels la «biodiversité »ou la «protection de la nature »n'apparaissent qu'en marge, si tant est qu'ils apparaissent, et cette constatation vaut aussi pour les programmes nationaux de réforme.

3.9

Dans sa Communication, la Commission mentionne à juste titre la «mauvaise gouvernance et l'incapacité des économies traditionnelles à reconnaître la valeur économique du capital naturel et des services écosystémiques». Si cette valeur était véritablement reconnue et si, par conséquent, les «coûts externes »étaient internalisés, le problème ne se poserait pas sous cette forme.

3.10

Déjà dans son avis exploratoire mentionné ci-dessus, le CESE avait observé qu'à l'heure actuelle, les conflits entre les stratégies qui visent à promouvoir la croissance économique et celles qui visent à promouvoir la biodiversité tendent à s'aggraver. Aujourd'hui, la croissance économique est trop souvent assimilée de manière trop indifférenciée à l'augmentation des quantités produites; la conservation de la biodiversité est susceptible de constituer un obstacle à ce type de croissance économique ou de l'entraver. Ainsi, dans la plupart des cas, lorsqu'il s'agit par exemple de prendre des décisions de fond ou qui concernent l'aménagement du territoire, la protection de la nature et la biodiversité ne sont pas considérées comme une chance pour le développement économique, mais plutôt comme un obstacle ou une entrave. C'est aussi la seule explication à la «pression »que l'on continue à exercer, parfois même avec encore plus de vigueur, sur la directive FFH de l'UE, sur la directive relative aux oiseaux et sur le réseau Natura 2000 que celles-ci ont permis d'élaborer. Même si à l'heure actuelle, M. Dimas, Commissaire à l'environnement, est contre une modification des directives mentionnées (3), les choses sont claires: la protection de la nature est souvent considérée comme un obstacle à l'utilisation des sols ou comme un frein au développement, mais très rarement comme une base pour le développement économique. Qui plus est, les coûts ou engagements financiers qui découlent de la mise en œuvre du réseau Natura 2000 par exemple sont considérés comme une charge et non comme un investissement dans l'avenir; il arrive aussi que les fonds nécessaires aux différents financements ne soient pas débloqués.

3.11

Outre cette perception «économique »de la protection de la nature et de la biodiversité, qui est totalement contraire à l'argument économique que la Commission avance en faveur de la biodiversité, il existe un second problème qui a été créé par les responsables de la protection de la nature eux-mêmes et qui a entraîné l'exacerbation du conflit avec les propriétaires ou les exploitants fonciers. À plusieurs reprises, le CESE a fait observer que la façon dont le réseau NATURA 2000 a été planifié et les modalités selon lesquelles il est actuellement mis en œuvre illustrent de manière exemplaire comment on peut échouer en matière de protection de la nature. En effet, des ministres critiquent parfois soudainement au niveau national ou régional les bases juridiques qu'ils ont eux-mêmes créées des années auparavant. Il arrive aussi que les agriculteurs ne touchent pas les compensations promises par les hommes politiques. Parfois encore, des décisions sont prises sans consulter les propriétaires ou les exploitants fonciers concernés, alors qu'il conviendrait de les associer à ce processus. Une protection de la nature de ce type perd sa crédibilité et rend les citoyens méfiants.

3.12

Nombreux sont pourtant les exemples qui montrent que dans le cadre d'une coopération basée sur le bon sens, on pourrait arriver à des résultats remarquables si la politique et l'administration tenaient bel et bien leurs promesses et si de véritables partenariats étaient mis en place.

Les décisions financières de l'UE: un exemple négatif

3.13

Les décisions financières qui ont été prises lors du sommet européen de décembre 2005 au sujet des perspectives financières 2007-2013 impliquent une réduction des fonds alloués au second pilier de la PAC qui revêt pourtant une importance essentielle pour la préservation de la biodiversité. Ces choix montrent qu'en dépit des déclarations d'intention et des objectifs formulés, la biodiversité est sacrifiée sur l'autel des priorités politiques. Lorsque, six mois après le sommet européen au cours duquel ces décisions financières ont été prises, la Commission explique dans le plan d'action que le fait d'«assurer un financement adéquat»pour Natura 2000 fait partie des quatre grandes mesures de soutien, elle nourrit une ambition certes justifiée sur le fond et la forme, mais qui est malheureusement en décalage avec la réalité politique, ce qui met en lumière le fossé qui s'est creusé entre les paroles et les actes.

3.14

Le CESE a fait observer à plusieurs reprises que le financement du second pilier de la PAC était insuffisant, surtout depuis qu'il recouvre des domaines supplémentaires tels le financement du réseau Natura 2000 ou la mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau. Que doit penser le citoyen d'une politique qui est manifestement aussi contradictoire et qui provoque des conflits sur le terrain?

3.15

Par conséquent, le CdR a tout à fait raison lorsque, dans son avis, il plaide «pour qu'une part importante des ressources soit allouée à l'agriculture durable et à la conservation du paysage lors de la révision des perspectives financières 2007-2013, prévue en 2008».

3.16

La Commission énonce elle aussi un objectif en soi justifié lorsqu'elle demande de «veiller à ce que les fonds communautaires pour le développement régional bénéficient à la biodiversité plutôt que d'y nuire»et d'«établir des partenariats entre les responsables de la planification et du développement en faveur de la biodiversité». Le CESE soutient expressément cette ambition que la Commission a formulée à plusieurs reprises. Mais, là aussi, le fossé qui sépare les déclarations d'intention (justifiées) et les pratiques politiques quotidiennes est manifeste parce que, sur le principe, rien n'a changé. Comme par le passé, on continue à construire des infrastructures (en partie cofinancées par l'UE) dans des zones extrêmement précieuses du point de vue de la protection de la nature et, malgré les mesures de compensation ou de remplacement nécessaires qui sont prises en faveur de la protection de la nature — voir la description de la situation dans l'UE —, au bout du compte, il en résulte tout de même une diminution de la biodiversité.

3.17

Le CESE estime par ailleurs que ce que l'on attend des fonds structurels — à savoir qu'ils ne nuisent pas à la biodiversité-, doit valoir pour toutes les dépenses de l'UE, si celle-ci entend satisfaire à l'exigence qu'elle s'est imposée de mener une politique cohérente.

3.18

Par conséquent, le CESE voit une possibilité d'agir au niveau de tous les domaines où l'UE a une responsabilité, de par ses compétences. C'est le cas de la politique agricole par exemple. Mais comme le montre la situation actuelle, les dispositions juridiques en vigueur ne permettent pas de conserver la biodiversité sur une grande échelle. Et, si les paiements agricoles sont «uniquement »subordonnés au respect des lois existantes, on s'aperçoit rapidement que cela ne contribue pas à promouvoir la biodiversité.

3.19

À l'heure actuelle, tels qu'ils sont conçus, les paiements directs aux agriculteurs, qui constituent la part essentielle du budget agricole, n'ont pas vocation à promouvoir la biodiversité, mais à préparer les agriculteurs aux défis qui se poseront sur les marchés mondiaux. Cependant, le CESE a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le «modèle agricole européen», qui englobe entre autres la conservation de la biodiversité, n'est pas compatible avec les conditions du marché mondial. On ne peut pas rendre les agriculteurs compétitifs sur le marché mondial et dans le même temps leur demander de promouvoir la biodiversité.

3.20

Voilà pourquoi le Comité avait déclaré que «tant que les conditions régnant sur le marché mondial s'opposent à la mise en œuvre généralisée d'une agriculture compatible avec la protection de la nature, c'est à la politique de mettre en œuvre des efforts particuliers pour contrer les tendances négatives»ou encore qu'on pourrait par exemple «relever le niveau des aides consacrées aux mesures agro-environnementales afin de rallier tous les agriculteurs de l'Union européenne à des méthodes de production respectueuses de l'environnement» (4). Là encore, on ne dépasse guère le stade des belles paroles.

3.21

Il ne fait aucun doute qu'en matière de protection de la biodiversité, la situation politique est fondamentalement différente de celle qui prévaut dans d'autres domaines d'action tels, par exemple, la politique financière ou encore la politique de stabilité. Dans ces deux domaines où un certain nombre d'instruments (par exemple les critères de Maastricht) permettent de suivre le cap qui a été fixé, la Commission tente d'imposer une politique claire (en se heurtant parfois à de vives résistances). Jusqu'à présent, l'engagement en faveur de la conservation de la biodiversité va rarement au-delà des belles paroles.

3.22

Voilà pourquoi, dans son avis exploratoire, le CESE s'est interrogé sur le contexte social à l'origine d'une situation où tout le monde plaide en faveur de la conservation de la biodiversité, mais où celle-ci diminue malgré tout de manière dramatique. Le CESE est arrivé à la conclusion que la société (et un grand nombre d'hommes politiques) n'ont pas été suffisamment sensibilisés à la valeur intrinsèque et la valeur utilitaire de la biodiversité. Or, si les deux arguments en faveur de la conservation de la biodiversité ne sont pas vraiment complètement acceptés et compris, alors aucune politique ne peut être efficace dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle le CESE avait demandé à ce que les décideurs politiques s'emploient à communiquer la nécessité de conserver la biodiversité. Le plan d'action que l'UE a présenté aborde certes cette question dans le quatrième domaine politique et dans les «grandes mesures de soutien», mais n'entre pas suffisamment dans les détails.

3.23

Le CESE ne souhaite pas répéter ici ce qu'il a déjà mentionné dans son avis du 18 mai 2006. Il ne peut qu'inviter la Commission, le Conseil et le Parlement à relire cet avis. La tournure dramatique que prend la diminution de la biodiversité n'est un secret pour personne et résulte en grande partie d'actions légales. L'UE a certes pris un certain nombre de mesures, mais elles ne sont pas efficaces, notamment parce qu'elles ont été mise en œuvre sans conviction, si tant est qu'elles l'aient été. Par ailleurs, comme par le passé, de nombreuses décisions continuent à être prises en dépit du fait qu'elles soient contreproductives.

4.   Observations particulières

4.1

Un plan d'action qui présente plus de 160 propositions différentes pour améliorer la situation révèle d'emblée des lacunes dans de nombreux domaines politiques et à toutes sortes de niveaux. Dans le même temps, il convient de se poser la question de savoir si toutes les mesures de ce plan d'action ont la même importance et si elles doivent toutes être prises simultanément. Cela ne sous-entend pas pour autant que le CESE soit contre une quelconque mesure de ce plan. Il doute simplement que ces mesures puissent vraiment être mises en œuvre sérieusement.

4.2

Le CESE estime qu'il est d'une importance essentielle d'aborder le quatrième domaine politique sans délai et de manière globale: il est urgent de consolider la base scientifique dont on dispose pour savoir quelle est l'importance réelle de la biodiversité et quelles sont, sur le long terme, les conséquences des différentes décisions pour la biodiversité. En effet, ce n'est que si l'on dispose d'un niveau de connaissances suffisant et si celui-ci est véritablement accepté par les hommes politiques et par la société que l'on se sentira impliqué. Le fait de se sentir concerné s'avère nécessaire sur le plan politique si l'on entend effectuer, «dans les politiques et les pratiques», les «modifications radicales»que la Commission juge nécessaires. Il est difficile de trancher la question de savoir si, à l'heure actuelle, ce sont les connaissances ou les idées qui font défaut, ou si ce sont plutôt la volonté politique ou encore la capacité à mettre en œuvre ces mesures.

4.3

L'UE sera clairement jugée en fonction de sa capacité à tenir les engagements qu'elle a pris dans le plan d'action et qui consistent notamment à revisiter sa politique sectorielle, mais aussi sa politique des dépenses. Les décisions financières prises en décembre ont mis le doute dans l'esprit de nombreux intéressés qui se demandent si ce revirement est sérieux. Au vu des rares succès enregistrés dans le passé, même quand rien -pas même les intérêts économiques- ne faisait obstacle à une meilleure protection de la biodiversité, leur scepticisme n'en devient que plus grand.

4.4

A titre d'exemple, citons la chasse: ce problème n'est pas du tout mentionné dans le document de la Commission, bien qu'il revête une importance considérable pour un grand nombre d'espèces menacées. Dans l'UE-27, en Suisse et en Norvège, environ 102 millions d'oiseaux sont abattus ou capturés chaque année. Parmi eux, on compte quelque 37 millions d'oiseaux chanteurs. Ces chiffres ont été obtenus à partir de statistiques de chasse. Une chose est sûre: les grandes pertes dues à la chasse aux oiseaux migrateurs sont un important facteur de mortalité.

4.5

Dans ces conditions, on pourrait et on devrait faire en sorte de protéger des espèces telles que le vanneau huppé, la bécassine, la sarcelle d'été, l'alouette des champs, la caille, la tourterelle et la bécassine sourde, toutes des espèces d'oiseaux en déclin, que ce soit sur tout le territoire européen ou dans certaines régions d'Europe. Il est à noter que dans la plupart des pays d'Europe, la chasse aux oiseaux migrateurs n'est un passe-temps que pour une faible minorité de la population. La chasse n'est pas motivée par des raisons économiques, mais uniquement par le plaisir qu'on y trouve. En dépit de cela, — ou justement à cause de cela —, aucune amélioration n'a été constatée jusqu'à présent. On constate régulièrement combien il est difficile de changer ce type d'habitudes, et à quel point il est plus difficile encore de réaliser les «changements fondamentaux qui s'imposent».

4.6

L'île grecque de Tilos est un exemple positif remarquable des effets que peut avoir une interdiction de la chasse. Depuis 1993, on ne chasse plus sur cette île, ce qui a entraîné une augmentation énorme de la biodiversité et de la population des espèces. L'UE a encouragé cette évolution, notamment par le biais d'un projet LIFE.

4.7

En conclusion, le CESE souhaiterait encore préciser qu'il approuve le concept de responsabilité globale évoqué par la Commission. Il constate cependant que dans ce domaine non plus, l'UE ne mérite pas encore de louanges. Dans sa Communication, la Commission écrit qu'aujourd'hui, «moins de 1 % du total des budgets annuels d'aide au développement de l'Union et des États membres»(ce qui signifie moins de 0,004 % de toutes les dépenses) est consacré aux projets internationaux visant à préserver la biodiversité

4.8

D'un autre côté, on constate que l'UE a une grande part de responsabilité dans la destruction de la biodiversité dans d'autres régions du monde. La Communication cite l'exemple de la destruction des forêts tropicales. Le CESE fait observer que la déforestation est contreproductive tant du point de vue de la protection de la biodiversité que de celui de la protection contre les changements climatiques: la destruction des forêts est responsable de 20 % des émissions de CO2 au niveau mondial!

4.9

Le CESE attire l'attention sur le risque évident que représente, pour l'agriculture et l'élevage, le rapide processus d'érosion des ressources génétiques pour la production alimentaire.

4.10

Le CESE fait part de sa profonde inquiétude et craint que la mise en œuvre de la stratégie de l'UE en faveur des biocarburants par exemple n'entraîne encore une augmentation des destructions massives de forêts tropicales, surtout si l'on utilise des marchandises d'importation, moins chères, au lieu de choisir des produits locaux, fabriqués dans le respect de la nature et de l'environnement. À l'heure actuelle, la Malaisie produit environ 5 millions de tonnes d'huile de palme par an. Pour planter les arbres nécessaires à la production de cette huile, il a fallu déboiser. Entre 1985 et 2000, ces déboisements ont représenté environ 90 % de la destruction de forêts vierges dans le pays. On prévoit de détruire encore 6 millions d'hectares de forêts tropicales en Malaisie et même 16,5 millions en Indonésie pour planter des palmiers à huile. L'huile de palme est destinée à l'exportation. Une centrale de cogénération de la municipalité de Schwäbisch-Hall, en Allemagne, que l'on cite volontiers en exemple pour sa politique énergétique, fonctionne à 90 % à partir d'huile de palme!

4.11

Après ces réflexions sur le fond qui mettent en lumière des approches différentes, le CESE souhaiterait mentionner ici deux éléments importants qui portent sur la forme:

4.11.1

Les milieux concernés n'apprécient pas de devoir compulser différents documents de l'UE pour avoir une bonne vue d'ensemble d'un seul et même domaine politique. Conformément aux indications techniques et administratives qui recommandent de faire en sorte que les documents de la Commission restent concis, le plan d'action qui apparaît en annexe 1 dans la table des matières de la Communication de la Commission n'est pas joint au document. Il est uniquement disponible sous forme de document SEC séparé et, qui plus est, le concept de «plan d'action »n'apparaît même pas sur la page de garde qui ne parle que d'«annexe technique». Par ailleurs, le plan d'action n'est disponible qu'en anglais (il n'existe dans aucune autre langue officielle) et la typographie utilisée fait qu'on peine à le lire. Tout cela est fâcheux. Le CESE invite en conséquence la Commission à faire traduire le plan d'action dans toutes les langues officielles et à veiller à ce qu'il soit diffusé largement, aussi bien par le biais d'internet qu'en version imprimée.

4.11.2

La Commission propose que la mise en œuvre du plan d'action soit supervisée par le groupe d'experts en biodiversité. En ce qui le concerne, le CESE propose d'associer la société civile de manière beaucoup plus étroite, notamment en raison du problème mentionné ci-dessus et présenté de manière détaillée dans l'avis exploratoire, à savoir que les citoyens sont trop peu sensibilisés et ne se sentent par conséquent pas assez «concernés».

Bruxelles, le 15 février 2007.

Le Président

du Comité économique et social européen

Dimitris DIMITRIADIS


(1)  JO C 195 du 18.8.2006, page 96.

(2)  Voir les Conclusions de la présidence, Conseil européen de Göteborg, 15 et 16 juin 2001.

(3)  Le CESE s'en félicite.

(4)  «La situation de la nature et de la protection de la nature en Europe», avis du CESE du 30.5.2001, J.O. C 221 du 7.8.2001, p.130-137.