7.10.2006   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 242/20


Avis du contrôleur européen de la protection des données sur la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires (COM(2005) 649 final)

(2006/C 242/14)

LE CONTRÔLEUR EUROPÉEN DE LA PROTECTION DES DONNÉES,

vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 286,

vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 8,

vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

vu le règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données, et notamment son article 41,

vu la demande d'avis formulée par la Commission conformément à l'article 28, paragraphe 2, du règlement (CE) no 45/2001, reçue le 29 mars 2006,

A ADOPTÉ L'AVIS SUIVANT:

I.   Introduction

Consultation du CEPD

1.

Par lettre datée du 29 mars 2006, la Commission a transmis au CEPD la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires. Le CEPD estime que le présent avis devrait être mentionné dans le préambule du règlement.

La proposition dans son contexte

2.

Le CEPD accueille favorablement cette proposition, dans la mesure où elle vise à faciliter le recouvrement transfrontière de créances alimentaires au sein de l'UE. Son champ d'application est vaste: les matières traitées concernent la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération. Le présent avis ne portera que sur les dispositions ayant une incidence sur la protection des données à caractère personnel, et en particulier celles qui ont trait à la coopération et à l'échange d'informations permettant de localiser le débiteur et d'évaluer son patrimoine ainsi que celles qui se rapportent au créancier (chapitre VIII et annexe V).

3.

Plus précisément, la proposition prévoit la désignation d'autorités centrales nationales pour faciliter le recouvrement des créances alimentaires par l'échange d'informations utiles. Le CEPD convient que l'échange de données à caractère personnel doit être autorisé dans la mesure où il est nécessaire pour localiser le débiteur et évaluer son patrimoine et ses revenus, mais dans le respect intégral des exigences découlant de la directive 95/46/CE sur la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel (considérant 21). Il se félicite dès lors de la mention faite (au considérant 22) du respect de la vie privée et familiale et de la protection des données personnelles, consacrés par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

4.

La proposition prévoit aussi un mécanisme permettant d'échanger des informations sur le débiteur et le créancier d'aliments en vue de faciliter l'établissement et le recouvrement des créances alimentaires. À cette fin, des autorités centrales nationales seront désignées, qui seront chargées de traiter les demandes d'information transmises par les autorités judiciaires nationales (d'autres États membres) et, pour y répondre, de recueillir des données à caractère personnel auprès des différentes administrations et autorités nationales. La procédure type se déroulera comme suit: un créancier déposera une demande auprès d'une juridiction; à la demande de cette dernière, l'autorité centrale nationale enverra une demande aux autorités centrales de l'État membre requis (au moyen du formulaire figurant à l'annexe V); lesdites autorités centrales réuniront les informations demandées et répondront à l'autorité centrale demanderesse, qui transmettra alors les informations à la juridiction qui les avait demandées.

5.

Dans le présent avis, le CEPD entend promouvoir le respect du droit fondamental à la protection des données à caractère personnel, tout en veillant à ce que l'efficacité des mécanismes proposés en vue de faciliter le recouvrement transfrontière des créances alimentaires soit préservée.

6.

Dans cette double perspective, il est avant tout nécessaire d'analyser le contexte de la proposition, en s'attachant aux particularités des obligations alimentaires. Disons d'emblée que les obligations alimentaires constituent une matière très complexe, car elles recouvrent des situations diverses: les créances peuvent concerner des enfants, des époux ou des ex-époux, voire des parents ou des grands-parents. En outre, les créances alimentaires reposent sur des situations non statiques, et elles peuvent être administrées par des parties tant privées que publiques (1).

7.

Cette complexité, confirmée par l'analyse d'impact de la Commission (2), s'accroît encore compte tenu des énormes différences entre les 25 États membres dans ce domaine. En effet, les règles de fond et de procédure diffèrent sensiblement sur les questions concernant l'établissement des obligations alimentaires, leur évaluation et leur durée, les pouvoirs d'enquête des tribunaux, etc.

8.

Certaines dispositions de la proposition reflètent déjà la diversité des situations créant des obligations alimentaires. Par exemple, le considérant 11 et l'article 4, paragraphe 4, traitent expressément des obligations alimentaires à l'égard d'un enfant mineur, tandis que le considérant 17 et l'article 15 établissent une distinction entre, d'une part, les obligations envers les enfants et les adultes vulnérables et entre époux ou ex-époux et, d'autre part, les autres types d'obligations alimentaires.

9.

Les considérations qui précèdent doivent aussi être dûment prises en compte pour aborder les questions relatives à la protection des données à caractère personnel, en particulier pour évaluer le caractère proportionné de l'échange d'informations. En effet, les différents types d'obligations alimentaires peuvent, à l'égard des juridictions nationales, mettre en jeu des compétences différentes pour demander des informations; ils peuvent aussi déterminer quelles sont les données à caractère personnel pouvant être traitées et échangées dans un cas donné — et cette constatation est d'autant plus importante que la proposition en cause ne vise pas à harmoniser les législations des États membres sur les obligations alimentaires.

Le choix d'un système centralisé

10.

Comme déjà indiqué, la proposition prévoit un système permettant d'échanger des informations; cet échange se fera indirectement, par le biais des autorités centrales nationales, et non directement entre les juridictions. Ce choix, qui n'est pas neutre du point de vue de la protection des données, devrait être dûment justifié. En effet, les transferts supplémentaires d'informations entre les juridictions et les autorités centrales, ainsi que leur conservation temporaire par ces dernières, augmenteront les risques en termes de protection des données à caractère personnel.

11.

Selon le CEPD, lorsque la Commission évalue les différents choix de mesures qui s'offrent à elle, elle devrait examiner de manière systématique et plus précise — tant lors de la première analyse d'impact qu'au cours de la mise au point de la proposition — l'incidence de chacun des choix possibles sur la protection des données à caractère personnel et les garanties éventuelles à prévoir. En particulier, dans le cadre de la proposition en question, il est essentiel que les dispositions régissant l'activité des autorités centrales délimitent exactement leurs tâches et définissent clairement le fonctionnement du système.

II.   Les liens avec le cadre juridique actuel en matière de protection des données

12.

Le CEPD fait observer que, dans le cadre de la proposition examinée, il faut non seulement tenir compte de la complexité des dispositions nationales concernant les obligations alimentaires, mais aussi veiller au plein respect des législations nationales sur la protection des données à caractère personnel, adoptées en application de la directive 95/46/CE.

13.

En effet, la proposition prévoit que les autorités centrales nationales auront accès aux données à caractère personnel détenues par différentes administrations et autorités nationales. Ces données — qui ont été collectées par différentes autorités pour des finalités autres que le recouvrement de créances alimentaires — seront rassemblées par les autorités centrales nationales pour être ensuite transmises à l'autorité judiciaire d'un État membre qui les a demandées, par le biais de l'autorité centrale désignée par ledit État. Du point de vue de la protection des données, cette procédure soulève différents types de questions: le changement dans l'objet du traitement, le fondement juridique du traitement effectué par les autorités centrales nationales et la définition des règles de protection des données applicables au traitement ultérieur des données qui sera effectué par les autorités judiciaires.

Changement dans l'objet du traitement

14.

Un des principes de base de la protection des données à caractère personnel est la limitation de l'objet du traitement, en vertu duquel les données à caractère personnel doivent être «collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités» (article 6, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE).

15.

Toutefois, un changement dans l'objet du traitement des données à caractère personnel pourrait être justifié au titre de l'article 13 de la même directive, qui énonce quelques exceptions à ce principe général: au paragraphe 1, le point f) (exercice de l'autorité publique) ou le point g) (protection de la personne concernée ou des droits et libertés d'autrui) pourraient en particulier justifier en l'espèce une exception au principe de la limitation de l'objet du traitement et autoriser ces administrations ou autorités nationales à transmettre les données à caractère personnel demandées à l'autorité centrale nationale.

16.

Cependant, l'article 13 précité exige que ces exceptions soient nécessaires et qu'elles soient fondées sur des mesures législatives. Par conséquent, soit le règlement proposé — du fait qu'il sera directement applicable — doit être considéré comme suffisant pour satisfaire aux exigences de l'article 13, soit les États membres devront adopter une législation particulière. Dans l'un ou l'autre cas, le CEPD recommande vivement que la proposition énonce expressément et clairement que les administrations et autorités nationales concernées ont l'obligation de fournir aux autorités centrales nationales les informations demandées. De la sorte, cette transmission de données à caractère personnel sera clairement nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle les administrations nationales concernées sont soumises et aura pour fondement l'article 7, point c), de la directive 95/46/CE.

Fondement juridique du traitement de données à caractère personnel par les autorités centrales nationales

17.

Le fondement juridique du traitement de données à caractère personnel par les autorités centrales nationales doit faire l'objet des mêmes réflexions. En effet, une fois désignées ou mises en place en application de la proposition, ces autorités devront collecter, organiser et transmettre ultérieurement des données à caractère personnel.

18.

Ce traitement pourrait avoir pour fondement l'article 7, point c) ou point e), de la directive 95/46/CE puisqu'il serait nécessaire au respect des obligations légales (énoncées dans la proposition) auxquelles les autorités centrales nationales seront soumises ou à l'exécution d'une mission d'intérêt public dont elles seront investies.

Traitement par les autorités judiciaires et applicabilité de la directive 95/46/CE

19.

En ce qui concerne le traitement ultérieur par les autorités judiciaires, il faut tenir compte de la base juridique du règlement. Les articles 61 et 67 ayant été insérés dans la sphère du traité CE par le traité d'Amsterdam, le champ d'application de la directive 95/46/CE, qui exclut les activités qui ne relèvent pas du champ d'application du droit communautaire, ne couvre ce domaine que depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. Ce domaine n'étant pas couvert par la directive au moment de son adoption, il est probable que tous les États membres n'ont pas encore intégralement mis en œuvre les règles de protection des données à l'égard des activités des autorités judiciaires civiles: l'harmonisation des législations nationales sur la protection des données, dans ce domaine en particulier, est loin d'être réalisée. Entre-temps, la Cour de justice a confirmé, dans l'arrêt Österreichischer Rundfunk  (3), que la directive 95/46/CE avait un champ d'application étendu et que seules des exceptions précises à ses principes de base pouvaient être admises. Elle a établi en outre une liste de critères, utiles aussi pour l'examen de la présente proposition: elle a déclaré en particulier qu'une ingérence dans la vie privée, telle qu'une exception aux principes de la protection des données qui est fondée sur un objectif d'intérêt public, doit être proportionnée, nécessaire, prévue par la loi et prévisible.

20.

Le CEPD fait observer qu'il serait éminemment souhaitable d'indiquer clairement et expressément que les règles sur la protection des données découlant de la directive 95/46/CE s'appliquent intégralement. Un nouveau paragraphe pourrait être ajouté à cette fin à l'article 48, qui traite des relations et des conflits éventuels avec d'autres instruments communautaires sans toutefois mentionner la directive 95/46/CE.

La base juridique de la proposition

21.

La question de la base juridique proposée donne l'occasion de rappeler certaines remarques déjà formulées dans des avis antérieurs (4).

22.

En premier lieu, la base juridique permet au Conseil de décider de soumettre cette matière à la procédure de codécision plutôt qu'à une décision prise à l'unanimité. Le CEPD exprime à nouveau sa préférence pour la procédure de codécision, mieux à même de garantir une pleine participation de toutes les institutions et la prise en compte complète du droit fondamental à la protection des données à caractère personnel.

23.

En second lieu, en vertu de l'article 68 du traité CE, la Cour de justice n'a toujours en ce domaine que des pouvoirs limités, en particulier en ce qui concerne les questions préjudicielles. Il est donc d'autant plus important de veiller à ce que les dispositions de la proposition soient rédigées clairement — également lorsqu'il s'agit de questions relatives à la protection des données à caractère personnel — pour assurer une application uniforme du règlement proposé.

Possibilité d'échanges futurs de données à caractère personnel avec des pays tiers

24.

La proposition actuelle ne prévoit pas d'échanges de données à caractère personnel avec des pays tiers, mais une coopération internationale est expressément envisagée dans l'exposé des motifs. Dans ce contexte, il est utile de mentionner les négociations en cours de la Conférence de La Haye sur le droit international privé en vue d'une nouvelle convention globale concernant le recouvrement international des créances alimentaires.

25.

Il va sans dire que cette coopération internationale va vraisemblablement instaurer des mécanismes permettant d'échanger des données à caractère personnel avec des pays tiers. À cet égard, le CEPD souhaite insister à nouveau sur le fait que ces échanges ne devraient être autorisés que si le pays tiers garantit un niveau suffisant de protection des données à caractère personnel ou si le transfert relève de l'une des dérogations prévues par la directive 95/46/CE.

III.   Limitation de l'objet du traitement

26.

Dans le contexte de la proposition examinée, il convient d'accorder une attention particulière au principe de base qu'est la limitation de l'objet du traitement.

27.

Certes, si les autorités centrales et les juridictions nationales doivent être autorisées à traiter des informations pertinentes dans le but de faciliter le recouvrement de créances alimentaires pour remplir leurs fonctions comme il se doit, ces informations ne doivent pas être utilisées pour des finalités incompatibles.

28.

Dans le texte actuel, la définition et la limitation des objectifs font l'objet des articles 44 et 46.

29.

L'article 44 décrit les objectifs particuliers pour lesquels les administrations et autorités nationales doivent fournir des informations aux autorités centrales concernées: localiser le débiteur, évaluer son patrimoine, identifier son employeur et recenser les comptes bancaires dont il est titulaire.

30.

Le CEPD insiste sur la nécessité de disposer d'une définition complète et précise des objectifs pour lesquels les données à caractère personnel sont traitées: il s'agit d'un point essentiel. Dans cette perspective, il y a lieu de mieux définir la finalité qu'est la «localisation du débiteur». En effet, aux fins de l'exécution d'une obligation alimentaire, la localisation du débiteur doit être entendue comme faisant référence à un lieu présentant un certain degré de stabilité (par exemple, la résidence, le centre d'intérêt, le domicile, le lieu de travail) — comme le précise l'annexe V, qui mentionne l'adresse du débiteur — plutôt qu'à un lieu où se trouve le débiteur à un moment donné (comme, par exemple, une localisation temporaire obtenue par des données de géolocalisation ou de GPRS). L'utilisation de ces dernières données doit être exclue. En outre, une clarification du concept de localisation contribuera aussi à circonscrire le type de données à caractère personnel pouvant être traitées conformément à la proposition (voir les points 35 à 37 ci-après).

31.

Le CEPD fait en outre observer que la proposition prévoit aussi la possibilité d'échanger des données à caractère personnel relatives au créancier (voir article 41, paragraphe 1, point a) i)). Il suppose que ce type d'informations est collecté et traité en vue d'évaluer la capacité financière du créancier, ce qui peut, dans certains cas, être utile pour évaluer une créance alimentaire. Quoi qu'il en soit, il est essentiel qu'ici aussi, la proposition précise et définisse expressément les finalités pour lesquelles des données relatives au créancier sont traitées.

32.

Le CEPD se félicite de la présence de l'article 46, et en particulier de son paragraphe 2, qui traite de l'utilisation ultérieure des informations collectées par les autorités centrales nationales: cette disposition indique clairement que les informations transmises par les autorités centrales aux juridictions ne peuvent être utilisées que par une juridiction et uniquement pour faciliter le recouvrement d'une créance alimentaire. La possibilité de les envoyer aux autorités compétentes pour notifier ou signifier des actes ou aux autorités compétentes pour procéder à l'exécution d'une décision est, elle aussi, proportionnée.

IV.   Caractère nécessaire et proportionné du traitement des données à caractère personnel

33.

Selon la directive 95/46/CE, les données à caractère personnel doivent être «adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement» (article 6, paragraphe 1, point c)). En outre, leur traitement doit être nécessaire notamment «au respect d'une obligation légale» ou «à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique» (article 7, points c) et e)).

34.

En contradiction avec ces principes, la proposition examinée définit la quantité minimale d'informations auxquelles les autorités centrales auront accès, et ce, au moyen d'une liste non exhaustive d'administrations et d'autorités nationales. En effet, l'article 44, paragraphe 2, prévoit que les informations comprennent «au moins» celles qui sont détenues par les administrations et autorités qui sont compétentes, dans les États membres, en matière d'impôts et taxes, de sécurité sociale, de registres de population, de registres de propriété, d'immatriculation des véhicules à moteur et de banques centrales.

35.

Pour le CEPD, il est nécessaire de définir plus précisément tant la nature des données à caractère personnel pouvant être traitées conformément au règlement envisagé que les autorités dont les bases de données sont accessibles.

36.

En tout premier lieu, il convient de limiter le type de données à caractère personnel qui seront accessibles en vertu du règlement proposé. L'article 44, paragraphe 2, devrait prévoir un maximum bien défini — et non un simple minimum — pour limiter la quantité des informations accessibles. C'est pourquoi le CEPD recommande de modifier cette disposition, soit en supprimant les mots «au moins», soit en prévoyant d'autres limitations pour les informations pouvant être transmises en vertu du règlement proposé.

37.

Non seulement les autorités, mais aussi le type de données pouvant être traitées devraient faire l'objet d'une limitation. En effet, les données à caractère personnel détenues par les autorités énumérées dans la proposition actuelle risquent de différer énormément d'un État membre à l'autre: dans certains d'entre eux, par exemple, les registres de population peuvent aller jusqu'à contenir des empreintes digitales. En outre, en raison de l'interconnexion croissante des bases de données, les autorités publiques peuvent être considérées comme «détenant» un nombre toujours plus grand de données à caractère personnel, qui sont parfois extraites de bases de données contrôlées par d'autres autorités publiques ou des parties privées (5).

38.

Une autre préoccupation importante a trait à certaines catégories particulières de données. La proposition à l'examen pourrait en effet conduire à collecter des données sensibles: par exemple, les informations fournies par des institutions de sécurité sociale peuvent dans certains cas révéler l'appartenance syndicale ou l'état de santé. Ces données à caractère personnel sont non seulement sensibles mais, dans la plupart des cas, elles ne sont en outre pas nécessaires pour faciliter le recouvrement de créances alimentaires. C'est pourquoi le traitement de données sensibles devrait être exclu par principe, conformément à l'article 8 de la directive 95/46/CE. Toutefois, dans les cas où ce traitement serait nécessaire pour un motif d'intérêt public important, la législation nationale ou une décision de l'autorité de contrôle compétente peut prévoir des dérogations à l'interdiction générale, sous réserve de garanties appropriées (paragraphe 4 du même article 8).

39.

La définition actuelle des types de données à caractère personnel auxquelles les autorités centrales peuvent accéder est tellement générale qu'elle permet même le traitement de données biométriques, comme des empreintes digitales ou des données relatives à l'ADN, dans les cas où ces données sont détenues par les administrations nationales énumérées à l'article 44, paragraphe 2, de la proposition. Comme le CEPD l'a déjà fait valoir dans d'autres avis (6), le traitement de ces catégories de données, qui peuvent certes être utilisées pour localiser ou identifier une personne, peut entraîner des risques particuliers et peut aussi, dans certains cas, révéler des informations sensibles sur la personne concernée. C'est pourquoi il estime que le traitement de données biométriques — qui pourrait être considéré comme acceptable pour, par exemple, établir un lien de parenté — serait disproportionné au regard de la finalité qu'est l'exécution d'obligations alimentaires et ne devrait donc pas être autorisé.

40.

En second lieu, le principe de proportionnalité devrait servir à déterminer, au cas par cas, quelles sont, dans la masse des informations potentiellement disponibles, les données à caractère personnel devant être traitées en pratique. Les autorités centrales et les juridictions nationales ne devraient en effet être autorisées à traiter des données à caractère personnel que dans la mesure où ce traitement est nécessaire, dans un cas donné, pour faciliter l'exécution d'une obligation alimentaire (7).

41.

C'est pourquoi le CEPD recommande de mettre l'accent sur ce critère de proportionnalité en remplaçant, à l'article 44, paragraphe 1, les termes «informations permettant de faciliter» par les termes «informations nécessaires pour faciliter, dans un cas donné,».

42.

Le principe de proportionnalité est déjà dûment pris en compte dans d'autres dispositions. Ainsi, l'article 45 prévoit qu'une juridiction peut demander à tout moment des informations en vue de localiser le débiteur, c'est-à-dire les informations strictement nécessaires pour engager une procédure judiciaire, tandis que d'autres données à caractère personnel ne peuvent être demandées que sur la base d'une décision rendue sur des questions ayant trait à des obligations alimentaires.

43.

Le CEPD souhaite aussi attirer l'attention du législateur sur le fait que, comme il l'a déjà mentionné, le règlement proposé n'est pas limité au recouvrement de créances alimentaires relatives à des enfants, mais s'étend aux créances alimentaires d'époux ou d'ex-époux et aux obligations alimentaires relatives à des parents ou grands-parents.

44.

À ce sujet, le CEPD rappelle que, pour chaque type d'obligation alimentaire, il peut être nécessaire de mettre en balance les intérêts particuliers en présence et, partant, de déterminer la mesure dans laquelle le traitement de données à caractère personnel est proportionné dans le cas d'espèce.

V.   Proportionnalité de la durée de conservation

45.

Selon l'article 6, point e), de la directive 95/46/CE, des données à caractère personnel doivent être conservées pendant une durée n'excédant pas celle qui est nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. La proportionnalité est donc aussi le principe de base permettant d'apprécier la durée de conservation de données à caractère personnel.

46.

Pour ce qui est des autorités centrales, le CEPD accueille favorablement l'article 46, paragraphe 1, de la proposition, en vertu duquel celles-ci doivent détruire l'information après l'avoir communiquée à la juridiction.

47.

En ce qui concerne les autorités compétentes pour notifier ou signifier un acte ou pour procéder à l'exécution d'une décision (paragraphe 2 du même article), le CEPD suggère de remplacer les termes «dès qu'elles en ont fait usage» par la mention du temps nécessaire auxdites autorités pour exécuter les tâches liées aux finalités pour lesquelles l'information a été collectée.

48.

Quant aux autorités judiciaires, le CEPD fait valoir qu'elles doivent pouvoir conserver des informations aussi longtemps que nécessaire eu égard à la finalité pour laquelle elles sont collectées ou sont traitées ultérieurement. Dans le cas des obligations alimentaires, en effet, une information sera vraisemblablement nécessaire assez longtemps dans certains cas, afin que le juge soit à même de réévaluer régulièrement le bien-fondé du moyen de droit justifiant l'obligation alimentaire et de calculer adéquatement son montant. Selon les informations fournies par la Commission, une obligation alimentaire est acquittée pendant huit ans en moyenne dans l'UE (8).

49.

C'est pourquoi le CEPD préférerait une durée de conservation souple mais proportionnée plutôt qu'une limitation stricte d'un an fixée a priori (actuellement proposée à l'article 46, paragraphe 3), durée qui risque de se révéler trop courte dans certains cas au regard des finalités envisagées du traitement. Il propose dès lors de supprimer la phrase fixant le délai de conservation à un an maximum: les autorités judiciaires devraient pouvoir traiter des données à caractère personnel aussi longtemps qu'elles en ont besoin pour faciliter le recouvrement de la créance alimentaire en cause.

VI.   Information du débiteur et du créancier

50.

L'obligation de fournir des informations à la personne concernée est l'expression d'un des principes de base de la protection des données, consacré aux articles 10 et 11 de la directive 95/46/CE. En outre, l'information des personnes concernées revêt ici une importance d'autant plus grande que la proposition établit un mécanisme au moyen duquel des données à caractère personnel sont collectées et utilisées pour différentes finalités, pour être ensuite transférées et traitées en passant par un réseau comprenant des administrations nationales, différentes autorités centrales nationales et des juridictions nationales. C'est pourquoi le CEPD insiste sur la nécessité de prévoir qu'un avis complet et détaillé sera donné en temps opportun pour informer dûment la personne concernée de tous les divers transferts et traitements auxquels ses données à caractère personnel sont soumises.

51.

Dans cette perspective, le CEPD est satisfait de l'obligation prévue par l'article 47 de la proposition de fournir des informations au débiteur. Il faudrait toutefois l'assortir d'un délai. Par ailleurs, le CEPD fait observer qu'il est essentiel de fournir aussi des informations suffisantes au créancier lorsque des données à caractère personnel le concernant sont échangées.

52.

L'exception en vertu de laquelle l'information du débiteur peut être différée lorsqu'elle risque de porter préjudice au recouvrement effectif d'une créance alimentaire est proportionnée, compte tenu également de la durée maximale de cet ajournement (pas plus de 60 jours) fixée par l'article 47.

53.

Une dernière remarque porte sur l'annexe V, qui contient le formulaire de demande de communication d'informations: l'information à donner au débiteur y est actuellement présentée comme une option, qui peut être retenue en cochant la case appropriée. En réalité, la fourniture des informations doit être présentée comme un choix par défaut; par contre, il faudrait ne demander une intervention expresse (par exemple, cocher la case «ne pas informer») que dans les cas exceptionnels où l'information ne peut être fournie temporairement.

VII.   Conclusions

54.

Le CEPD accueille favorablement la proposition présentée dans la mesure où elle vise à faciliter le recouvrement transfrontière de créances alimentaires au sein de l'UE. La proposition ayant un champ d'application étendu, elle doit être examinée dans son contexte. Le CEPD recommande en particulier de tenir dûment compte de la complexité et de la diversité des obligations alimentaires, des différences importantes entre les législations des États membres dans ce domaine et des obligations relatives à la protection des données à caractère personnel découlant de la directive 95/46/CE.

55.

En outre, le CEPD estime qu'il est essentiel de clarifier certains aspects du fonctionnement du système, comme le changement de finalité du traitement des données à caractère personnel, le fondement juridique du traitement effectué par les autorités centrales nationales et la définition des règles sur la protection des données applicables au traitement ultérieur par les autorités judiciaires. En particulier, la proposition devrait veiller à ce que les transferts de données à caractère personnel entre les administrations nationales et les autorités centrales nationales et leur traitement par ces dernières et par les juridictions nationales n'aient lieu que s'ils sont nécessaires, s'ils sont clairement définis et s'ils sont fondés sur des mesures législatives, conformément aux critères établis par les règles sur la protection des données, complétés par la jurisprudence de la Cour de justice.

56.

Le CEPD invite aussi le législateur à se pencher en particulier sur les questions de fond suivantes:

Limitation de l'objet du traitement. Il est essentiel de donner une définition complète et précise des finalités pour lesquelles les données à caractère personnel sont traitées. La proposition devrait aussi contenir une définition complète et précise des finalités pour lesquelles des données relatives au créancier sont traitées.

Caractère nécessaire et proportionnel du traitement des données à caractère personnel. Il est nécessaire de définir avec davantage de précision la nature des données à caractère personnel pouvant être traitées en vertu du règlement proposé, ainsi que les autorités dont les bases de données sont accessibles. Non seulement les autorités, mais aussi le type de données pouvant être traitées devraient faire l'objet d'une limitation. La proposition devrait garantir que les autorités centrales et les juridictions nationales ne soient autorisées à traiter des données à caractère personnel que dans la mesure où ce traitement est nécessaire, dans un cas donné, pour faciliter l'exécution d'une obligation alimentaire. En outre, il peut être nécessaire, pour chaque type d'obligation alimentaire, de mettre en balance les intérêts particuliers en présence et, partant, de déterminer la mesure dans laquelle le traitement de données à caractère personnel est proportionné dans le cas d'espèce.

Catégories particulières de données. Par principe, le traitement de données sensibles dans le but de faire exécuter une obligation alimentaire devrait être exclu, sauf s'il est effectué en application de l'article 8 de la directive 95/46/CE. Le traitement de données biométriques serait disproportionné au regard de la finalité qu'est l'exécution d'une obligation alimentaire et ne devrait donc pas être autorisé.

Durée de conservation. Le CEPD préfère une durée de conservation souple mais proportionnée plutôt que la limitation stricte à une durée bien définie fixée a priori, qui risque de se révéler trop courte dans certains cas au regard des finalités envisagées du traitement.

Information du créancier et du débiteur. Un avis complet et détaillé devrait être donné en temps opportun pour informer dûment la personne concernée de tous les divers transferts et traitements auxquels ses données à caractère personnel sont soumises. Il est essentiel de fournir aussi des informations suffisantes au créancier lorsque des données à caractère personnel le concernant sont échangées.

Fait à Bruxelles, le 15 mai 2006.

Peter HUSTINX

Contrôleur européen de la protection des données


(1)  On trouvera une référence à des créances alimentaires payées par des autorités publiques à l'article 16 de la proposition.

(2)  Document de travail des services de la Commission — Analyse d'impact (15 décembre 2005), p. 4 et 5.

(3)  Arrêt du 30 mai 2003 dans les affaires jointes C-465/00, C-138/01 et C-139/01.

(4)  Avis sur la conservation des données du 26 septembre 2005, point 42; avis sur la protection des données dans le troisième pilier du 19 décembre 2005, point 11; avis sur le Système d'information Schengen (SIS II) du 19 octobre 2005, section 9.

(5)  Voir l'avis du CEPD sur l'échange d'informations en vertu du principe de disponibilité du 28 février 2006, points 23 à 27.

(6)  Avis sur le Système d'information Schengen (SIS II) du 19 octobre 2005, section 4.1; avis sur le Système d'information sur les visas (VIS) du 23 mars 2005, section 3.4.

(7)  Tel est aussi le cas des données à caractère personnel fournies par le tribunal demandeur en vue d'identifier le débiteur concerné, comme prévu à l'annexe V, point 4.1. Par exemple, la communication de l'adresse de membres de la famille du débiteur doit être strictement limitée, se faire au cas par cas et en tenant compte du type d'obligation alimentaire concerné.

(8)  Voir document de travail des services de la Commission — Analyse d'impact (15 décembre 2005), p. 10.