Avis du Comité économique et social européen sur la "Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/81/CEE et la directive 92/82/CEE en vue d'instituer un régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles et de rapprocher les accises de l'essence et du gazole" (COM(2002) 410 final — 2002/0191 (CNS))
Journal officiel n° C 085 du 08/04/2003 p. 0133 - 0137
Avis du Comité économique et social européen sur la "Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/81/CEE et la directive 92/82/CEE en vue d'instituer un régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles et de rapprocher les accises de l'essence et du gazole" (COM(2002) 410 final - 2002/0191 (CNS)) (2003/C 85/28) Le Conseil, en date du 4 septembre 2002, a décidé, conformément à l'article 262 du Traité instituant la Communauté européenne, de saisir le Comité économique et social européen d'une demande d'avis sur la proposition susmentionnée. La section spécialisée "Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale", chargée de préparer les travaux en la matière, a adopté son avis le 26 novembre 2002 (rapporteur: M. Levaux). Lors de sa 396e session plénière des 22 et 23 janvier 2003 (séance du 23 janvier), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 67 voix pour, 29 voix contre et 6 abstentions. 1. Introduction 1.1. La proposition de directive a pour objet de: "découpler les régimes de taxation des carburants réservés aux usages professionnels de ceux réservés aux usages privés" et de "tendre, à terme, vers une fiscalité du gazole professionnel harmonisée à la hausse. Cela limitera les distorsions de concurrence entre les opérateurs". 1.2. Pour atteindre ces objectifs, la Commission propose de modifier deux directives qui constituent depuis 1992 un système de taxation communautaire des huiles minérales: - la directive 92/81/CEE concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises, - la directive 92/82/CEE concernant le rapprochement des taux d'accises. Ces directives, déjà modifiées par la directive 94/74/CE, prévoient un taux d'imposition minimal pour chaque huile minérale, en fonction de son utilisation, comme carburant ou pour un usage industriel et commercial ou pour le chauffage. 1.3. La Commission constate que les taux minima d'accises n'ont pas été réévalués depuis 1992 et que les taux d'accises réels pratiqués sont très différents selon les États membres. Pour le gazole, ils s'étalent de 245 à 750 EUR pour 1000 litres. 1.3.1. Aussi la Commission propose: d'une part un relèvement important et progressif du taux d'accises pour le "gazole professionnel" en instituant un taux pivot fixé à 350 EUR pour 1000 litres, le taux minimal étant aujourd'hui de 245 EUR. - Une marge de fluctuation autour de ce taux pivot de plus ou moins 100 EUR pour tenir compte des écarts actuels entre les États membres. - Une indexation annuelle du taux pivot sur l'indice harmonisé des prix à la consommation (EU-15) de l'année précédente. Cette indexation est limitée à 2,5 %. - Une réduction annuelle et progressive de cette marge de fluctuation pour parvenir en 2010 à un taux harmonisé. 1.3.2. D'autre part, un relèvement du taux minimal appliqué aux carburants à usage non professionnel, dans le sens d'un alignement du taux du gazole sur celui de l'essence. 1.4. La Commission, dans l'exposé des motifs et considérants relatifs à la proposition de directive, développe plusieurs arguments dont: - la nécessité de réduire les distorsions de concurrence dans les transports routiers de marchandises et de passagers, - la protection de l'environnement, - la modicité du coût des mesures proposées sur l'industrie, sur les citoyens, sur les pays candidats et sur la sécurité juridique, au regard des effets économiques, budgétaires et environnementaux. 2. Observations générales 2.1. Le Comité a toujours encouragé les politiques qui visent à favoriser l'ouverture des marchés et une libre concurrence équilibrée. Il encourage donc toutes les mesures qui ont pour objet de réduire ou supprimer les distorsions de concurrence qui procurent des avantages injustifiés à certains opérateurs. C'est l'objet de la présente proposition de directive et le Comité soutient donc les objectifs de la Commission sous réserve des observations ci-après. 2.2. Le Comité constate que si la directive prend en compte la situation des pays candidats à l'adhésion, elle n'évoque pas la concurrence des pays tiers tels la Russie, l'Ukraine, la Turquie, etc. 2.2.1. Le Comité suggère que la Commission mette en place un dispositif semblable à celui pratiqué par la Suisse(1), en instaurant aux frontières de l'Union élargie une redevance à payer par les poids lourds étrangers pour l'utilisation des réseaux routiers de l'UE. 2.3. Cependant le Comité tient à rappeler que la disparité des taux d'accises n'est pas la seule source de distorsion de la concurrence en matière de transports routiers. Ainsi des différences continuent à exister entre les États membres en matière de salaires et, parfois, dans le domaine de la durée effective du travail et des temps de conduite, car des contrôles restent insuffisants. 2.3.1. S'agissant des accises, comme la Commission le précise, elles ne constituent qu'une partie des taxes appliquées aux carburants. Pour supprimer les effets d'une fiscalité protéiforme la Commission rappelle: "Le Livre blanc Transports horizon 2010: l'heure des choix propose d'instaurer une tarification progressive de l'usage des infrastructures des transports et de renforcer la cohérence du système fiscal en proposant d'ici 2003 une taxation unique pour le carburant professionnel pour le transport routier ...". 2.3.2. Le Comité considère en effet qu'il est urgent de mettre en place un système fiscal cohérent portant sur l'ensemble des taxes et droits d'accises appliqués au carburant professionnel. La présente proposition d'harmonisation des droits d'accises devrait faire partie du projet de taxation unique rappelé ci-dessus. 2.4. Les recettes correspondant à ces droits étant affectées aux États et aux Régions, l'harmonisation ne pourrait se faire qu'à la hausse, mais le Comité regrette que la non-augmentation depuis 1992 du taux minimal communautaire ait accentué les divergences entre États comme on le constate aujourd'hui. Cela conduit à proposer un taux pivot pour le gazole de 350 EUR (augmentation de 42 % par rapport au taux minimal de 245 EUR). Le Comité comprend la nécessité de cette augmentation qui procurera à une majorité d'États et de Régions des rentrées fiscales supplémentaires dont l'utilisation devrait être réservée aux financements des travaux de transfert du transport routier vers d'autres modes plus respectueux de l'environnement tel que définis dans ce Livre blanc. 2.5. La Commission suggère que l'augmentation des droits d'accises devrait, en renchérissant les coûts de transport, contribuer à une réduction du trafic. Le Comité tient, sur ce point, à préciser que le transport de marchandises et des personnes répond à des besoins qui s'expriment par une demande croissante de trafic imposée par les échanges (Livre blanc Transports horizon 2010). Ces échanges sont considérés par ailleurs comme un signe de bonne santé économique et, à l'heure de l'élargissement, ils ne peuvent que croître. Dans ces conditions, l'augmentation des droits d'accises ne devrait pas diminuer la demande de transport mais procurer des ressources supplémentaires permettant, sous réserve qu'elles soient affectées à cet usage, d'en diminuer les effets environnementaux négatifs. 2.6. Comme il l'a de longue date et de nombreuses fois indiqué dans ses avis, le Comité est favorable à un transfert du transport routier longue distance des marchandises vers d'autres modes de transport moins consommateurs d'énergies polluantes, tel que le rail, les voies navigables et les autoroutes de la mer. 2.6.1. Il profite du présent avis pour rappeler que la mise en oeuvre des orientations du "Livre blanc sur les transports à l'horizon 2010: l'heure des choix" devrait être accélérée. 2.7. En s'appuyant sur le souhait de la Commission de mettre en oeuvre le principe du "pollueur-payeur", le Comité suggère, pour être efficace, d'utiliser ces ressources supplémentaires prélevées sur les "pollueurs" pour "payer" de nouvelles infrastructures permettant d'éviter, à moyen terme, les engorgements générateurs de pollution. 2.8. C'est pourquoi le Comité demande à la Commission de profiter de l'harmonisation des taxes et droits d'accises à la hausse pour ouvrir une voie novatrice permettant de résoudre "le casse-tête" du financement des infrastructures (Livre blanc Transports horizon 2010 - 2e partie - chapitre II), en créant "un fonds européen d'infrastructures" recevant des recettes pérennes (par exemple: 1 cent par litre de carburant, soit 10 EUR par tonne). Ces recettes - indépendantes de celles qui seront issues des redevances kilométriques d'usage des infrastructures prévues dans une prochaine directive cadre - seront utilisées pour doter annuellement ce "Fonds européen d'infrastructures". Elles seront collectées par les États et reversées chaque année au budget de l'Union. Ce fonds accordera ses aides, sous forme soit de subventions soit de bonifications des taux d'emprunts, aux projets prioritaires visés par ce "Livre blanc Transports" dont la mise à jour est prévue pour 2004. 2.9. L'ensemble des recettes sur le gazole professionnel, y compris celles générées pour ce fonds, proviendrait des reversements par les États membres du surplus futur des taxes et droits d'accises collectées et correspondant à la différence constatée annuellement entre les taux réellement pratiqués des taxes et droits d'accises dans les différents États membres et ceux du tableau inséré à l'article 3.2 de l'exposé des motifs de la proposition de directive. En EUR pour 1000 litres (février 2002) >TABLE> 2.9.1. À titre d'exemple, avec une assiette portant sur une consommation totale de gazole et d'essence pour les transports, marchandises et personnes d'environ 300 millions de tonnes par an (source Eurostat) et avec un prélèvement pour le seul "Fonds européen d'infrastructures" de 10 EUR par tonne, la recette annuelle s'élèverait à 3 milliards EUR par an, permettant de disposer en 30 ans de 90 milliards EUR. 2.10. La gestion de ce fonds pourrait être confiée à la Banque européenne d'Investissements qui subventionnerait à l'aide de ce fonds les projets prioritaires arrêtés par la Commission et approuvés par le Parlement et le Conseil, soit en bonifiant les taux d'emprunts accordés, soit en octroyant des garanties financières aux réalisateurs des projets. 3. Observations particulières 3.1. Concernant les considérants de la proposition de directive, le Comité approuve l'ensemble des considérants qui constituent un argumentaire détaillé en faveur de la proposition mais suggère que le délai transitoire prévu jusqu'en 2010 soit réduit de 1 ou 2 ans. 3.2. Le Comité, à la suite de sa proposition permettant d'ouvrir une voie nouvelle pour résoudre - comme l'a fait la Suisse - le "casse-tête" du financement des infrastructures de transports, suggère que la Commission prévoie dans les considérants un alinéa supplémentaire qui pourrait être libellé de la façon suivante: "La réalisation des projets prioritaires prévus dans le Livre blanc sur 'la politique européenne des transports à l'horizon 2010: l'heure des choix' nécessite de pouvoir disposer de financements importants mobilisables. À cet effet, profitant de la hausse des taxes et droits d'accises jusqu'en 2010, chaque État réservera sur ces taxes une recette de 10 EUR par tonne, soit 1 cent par litre sur tous les carburants consommés pour le transport des personnes et des marchandises. Cette recette pérenne sera reversée dans un fonds spécial d'infrastructures créé dans le budget de l'Union européenne. Les sommes collectées chaque année seront utilisées pour les seuls projets prioritaires proposés par la Commission lors de la révision du Livre Blanc prévue en 2004. Selon la nature du projet et le respect de certains critères (développement durable, rentabilité économique, apport du financement par les États concernés, etc.), ce fonds accordera une subvention complémentaire et, si nécessaire, une bonification du taux des emprunts, lesquels seraient alors à souscrire auprès de la Banque européenne d'Investissements chargée de la gestion de ce fonds." 3.3. Article 1 de la proposition de directive: Approbation. 3.4. Article 2 de la proposition de directive: Approbation sous réserve du contenu de l'article 5 dont le Comité demande la création ci-dessous. 3.5. Le Comité demande à la Commission de créer un article 3 pour la définition, le fonctionnement et la mise en oeuvre d'un "Fonds européen d'infrastructures", tel qu'il l'a, ci-dessus, défini. 3.6. L'article 3 de la proposition de directive devient l'article 4 que le Comité approuve. 3.7. Le Comité demande la création d'un article 5, pour suivre la mise en oeuvre de la directive notamment sur: - la mise en oeuvre du dispositif d'harmonisation des taux d'accises sur 10 ans, avec un bilan au bout de 5 ans, prévoyant notamment un examen particulier de la situation des nouveaux États membres suite à l'élargissement au 1er janvier 2004 et de l'application du principe d'indexation du taux pivot, prévu à l'article 2 de la directive. - le suivi de la constitution du Fonds européen d'infrastructures et de l'utilisation des taxes et droits d'accises collectées pour réaliser les projets prioritaires. Pour ces deux dispositifs de suivi le Comité demande à être associé. 3.8. L'article 4 devient l'article 6 que le Comité approuve. 3.9. L'article 5 devient l'article 7 que le Comité approuve. 4. Conclusions 4.1. Le Comité approuve dans son ensemble les dispositions de la directive en y ajoutant les propositions qu'il a détaillées ci-dessus et qui se résument en 4 mesures: - Diminuer de 1 à 2 ans le délai transitoire pour parvenir à un taux pivot en 2008 ou 2009. - Instaurer, au profit du budget européen, un dispositif de redevances - similaire au système suisse - appliqué aux camions étrangers franchissant les frontières de l'UE. - Créer un fonds européen d'infrastructures, alimenté par une taxe européenne d'un cent par litre (environ 10 EUR par tonne, soit 3 milliards EUR par an) et par les redevances perçues sur les camions étrangers. - Confier la gestion des 3 milliards EUR ainsi collectés et des produits des redevances des camions étrangers à la BEI pour qu'elle subventionne et bonifie les emprunts permettant la réalisation des projets prioritaires d'infrastructures de transport, arrêtés par le Parlement et le Conseil en 2004. Bruxelles, le 23 janvier 2003. Le Président du Comité économique et social européen Roger Briesch (1) Cf. "Livre blanc sur la politique européenne des transports à l'horizon 2010: l'heure des choix" (COM(2001) 370 final, Chapitre II "Casse-tête du financement" paragraphe C). ANNEXE à l'avis du Comité économique et social européen Les amendements suivants on étés mis au vote conjointement et rejetés au cours des débats (article 54, alinéa 3, du Règlement intérieur): Paragraphe 2.1 Remplacer la fin de la dernière phrase (après "les objectifs de la Commission") par le texte suivant: "... Mais il estime que le moment n'est pas encore venu de prendre position au sujet des propositions concrètes de la Commission visant à harmoniser la fiscalité relative au gazole. En outre, il reste de nombreuses questions essentielles de principe et d'ordre pratique qui n'ont pas fait l'objet d'une discussion suffisamment approfondie dans la proposition de la Commission." Exposé des motifs Présenté oralement. Paragraphe 2.1.1 Ajouter nouveau paragraphe: "Le Comité estime que le moment n'est pas venu de prendre position sur la proposition de la Commission pour les motifs suivants: - une décision ne saurait être prise en ce qui concerne la proposition de directive relative au régime fiscal pour le gazole aussi longtemps que la directive-cadre attendue sur la tarification des infrastructures n'est pas connue et qu'elle n'a pas été analysée; - la Commission ne montre pas comment le système proposé de découplement des taxes sur le gazole à usages professionnels de celles grevant les usages privés pourrait fonctionner dans la pratique; - la Commission a sous-estimé les questions de principe importantes qui sont soulevées dans la proposition visant à abandonner un taux minimum au profit d'un taux pivot ou harmonisé." Exposé des motifs Présenté oralement. Résultat du vote Voix pour: 40, voix contre: 58, abstentions: 5.