51998AC0115

Avis du Comité économique et social sur la «Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux»

Journal officiel n° C 095 du 30/03/1998 p. 0069


Avis du Comité économique et social sur la «Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux» () (98/C 95/17)

Le 30 octobre 1997, le Conseil a décidé, conformément aux dispositions de l'article 100 A du Traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social sur la proposition susmentionnée.

La section de l'environnement, de la santé publique et de la consommation, chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a élaboré son avis le 6 janvier 1998 (rapporteur: M. Hernández Bataller).

Lors de sa 351e session plénière des 28 et 29 janvier 1998 (séance du 29 janvier), le Comité économique et social a adopté par 99 voix pour, 14 voix contre et 7 abstentions l'avis suivant.

1. Introduction

1.1. La directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (), excluait de la notion de «produit» - en ce qui concerne son champ d'application - les matières premières agricoles et les produits de la chasse. Par «matières premières agricoles», elle entendait en effet les produits du sol, de l'élevage et de la pêcherie, à l'exclusion des produits ayant subi une première transformation.

1.2. Cette exception, qui ne figurait pas dans la proposition de directive initialement présentée par la Commission, a été introduite lors de son élaboration à la demande du Parlement européen.

1.3. La directive 85/374/CEE établit un système de responsabilité civile du producteur pour les dommages causés par des produits défectueux que l'on peut résumer essentiellement comme suit:

- il est établi une responsabilité objective ou sans faute, d'où la nécessité pour la victime de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, mais non la faute;

- un produit est considéré comme défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu, du moment de la mise en circulation du produit. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un produit plus perfectionné a été mis en circulation postérieurement à lui;

- le terme «dommage» désigne le dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles, ainsi que le dommage causé à une chose ou la destruction d'une chose, autre que le produit lui-même, sous déduction d'une franchise de 500 écus;

- l'action en réparation devra se prescrire dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur; les droits conférés à la victime s'éteignent à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit même qui a causé le dommage;

- la responsabilité du producteur ne peut être limitée ou écartée à l'égard de la victime par une clause limitative ou exonératoire de responsabilité;

- il est prévu des causes bien déterminées d'exonération de responsabilité («défense du producteur»);

- tout État membre peut prévoir que la responsabilité globale du producteur pour les dommages résultant de la mort ou de lésions corporelles et causés par des articles identiques présentant le même défaut est limitée à un montant qui ne peut être inférieur à 70 millions d'écus;

- le Conseil, sur proposition de la Commission, procède tous les cinq ans à l'examen et, le cas échéant, à la révision des montants du plafond d'indemnisation et de la franchise fixés par la présente directive, en fonction de l'évolution économique et monétaire dans la Communauté.

1.4. En 1991 déjà, le Comité économique et social, dans son avis sur «L'achèvement du marché intérieur et la protection des consommateurs» (), déclarait: «Le Marché intérieur ne peut fonctionner effectivement que dans la mesure où le consommateur a confiance en la sécurité des produits qu'on lui offre. À cette fin, il est important de mener une politique cohérente de sécurité des produits, dont un des aspects relève de la responsabilité pour produits défectueux. À ce titre, le Comité invite la Commission à entamer des travaux en vue d'étendre le champ d'application de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, dans le but d'y inclure les produits agricoles et les risques de développement. En outre, le principe de la libre circulation des produits exige que soit mis en place un fonds européen d'indemnisation des victimes de produits défectueux».

1.4.1. Dans son avis sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) (), le Comité économique et social réaffirmait la nécessité d'examiner l'efficacité de la directive 92/59/CEE sur la sécurité générale des produits et de revoir la directive 85/374/CEE sur la responsabilité du fait des produits défectueux afin de l'étendre aux produits agricoles et aux risques qui y sont liés.

1.5. Le Parlement européen, dans sa résolution du 19 février 1997 sur les conclusions de la commission temporaire d'enquête sur l'ESB (), invitait la Commission à donner suite aux recommandations contenues dans le rapport de la commission d'enquête temporaire sur l'ESB afin d'introduire sans retard les mesures correspondantes en matière législative, d'organisation et de personnel.

1.5.1. Le Parlement sollicitait, parmi d'autres mesures législatives demandées à la Commission, que soit présentée au plus tard en septembre 1997 une proposition de modification de la législation communautaire relative à la responsabilité des produits, afin que les produits primaires soient inclus dans son champ d'application.

1.5.2. En réponse notamment à la résolution parlementaire susmentionnée, la Commission a publié un Livre vert sur les «Principes généraux de la législation alimentaire dans l'Union européenne» (), qui recensait une série d'objectifs de base pour la législation alimentaire communautaire, dont la réalisation exige que l'approche réglementaire couvre l'ensemble de la chaîne alimentaire («de l'étable à la table»), ce qui soulève la question de l'application à la production agricole primaire du principe de la responsabilité civile des producteurs en cas de produits défectueux, prévue dans la directive 85/374/CEE.

1.5.3. Dans ce Livre vert était prévue la possibilité de modifier la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux en incluant dans son champ d'application les matières premières agricoles non transformées. Néanmoins, il était considéré que cette extension ne permettrait pas de se passer de règles appropriées en matière de sécurité des produits et de systèmes efficaces de contrôle officiel, mais qu'il s'agirait d'une mesure complémentaire.

1.5.4. Le Comité, dans son avis sur le Livre vert susmentionné (), s'est à nouveau déclaré favorable à l'extension aux produits agricoles primaires non transformés du domaine d'application de la directive 85/374/CEE.

2. Proposition de la Commission

2.1. Les objectifs de la proposition consistent à accroître le niveau de protection des consommateurs contre les dommages causés à leur santé ou à leurs biens par un produit défectueux, et à poursuivre le rapprochement des législations nationales en matière de responsabilité civile du fait des produits défectueux, initié en temps opportun.

2.1.1. Ces objectifs entrent dans le cadre de l'objectif stratégique de mettre le marché unique au service de tous les citoyens, tel que prévu par la Commission dans son Plan d'action pour le marché unique ().

2.1.2. En outre, la mesure proposée se révèle opportune pour accroître la confiance des consommateurs de tout type de produit mis en circulation dans le marché unique, dans la mesure où il s'agit d'une action relevant d'une compétence exclusive de la Communauté: l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

2.2. La proposition de la Commission consiste à supprimer l'exception relative «aux matières premières agricoles et aux produits de la chasse», prévue à l'article 2 de la directive 85/374/CEE. La notion de «produits agricoles» est celle prévue à l'article 38, premier paragraphe, seconde phrase, du Traité CE, et couvre les produits repris à l'annexe II dudit traité.

2.2.1. Ainsi, l'ensemble des règles de la directive 85/374/CEE s'appliqueront aux producteurs agricoles: la charge de la preuve concernant le dommage, le défaut et le lien de causalité sur la victime; la responsabilité solidaire en cas de plusieurs responsables; la notion de défaut; les causes d'exonération de responsabilité prévues à l'article 7 (); les dommages couverts; les délais de prescription de l'action et de l'extinction de la responsabilité; l'impossibilité d'écarter ou de réduire la responsabilité; et la non-affectation d'autres régimes légaux de la responsabilité (contractuelle, non contractuelle).

2.3. La proposition détermine l'application des nouvelles règles aux matières premières agricoles et aux produits de la chasse qui ont été mis en circulation à partir du moment où la directive doit être appliquée, ce qui implique que l'acte n'a pas d'effet rétroactif.

3. Observations générales

3.1. Le Comité accueille avec satisfaction la proposition de directive de la Commission, qui répond à la demande réitérée dans plusieurs avis d'inclure les matières premières agricoles et les produits de la chasse dans le champ d'application de la directive 85/374/CEE.

3.2. Le Comité partage l'avis de la Commission, selon lequel les attentes sociales au regard d'une protection de la santé accrue tout au long de la chaîne alimentaire sont au coeur des revendications des citoyens européens. Il considère comme une priorité l'approbation de mesures visant à accroître la confiance des consommateurs telles que la proposition de directive à l'examen.

3.2.1. La réalisation des objectifs de la politique agricole commune doit tenir compte des exigences d'intérêt général, comme la protection des consommateurs ou de la santé et de la vie des personnes, exigences que les institutions communautaires doivent respecter dans l'exercice de leurs pouvoirs.

3.2.2. L'instauration effective d'un marché unique suppose que des garanties suffisantes soient établies en matière de santé publique d'où la nécessité de contrôles adéquats de la qualité. Cette prise en considération des aspects relatifs à la santé publique n'est pas uniquement liée à la nécessité concrète d'accroître ou, dans le cas présent, de rétablir la confiance des consommateurs afin que le marché puisse fonctionner normalement. Elle se base essentiellement sur les droits de la personne, qui sous-tendent l'ensemble de la législation communautaire.

3.2.3. La proposition de directive devrait renforcer la protection de la santé publique qui figure expressément parmi les objectifs définis par le Traité.

3.2.4. Dans le domaine de la protection de la santé, le Comité considère que l'application du principe de précaution doit être prioritaire.

3.3. Dans le cadre de l'application du principe de libre circulation des marchandises, il y a lieu de tenir compte des exigences inhérentes en particulier à la protection de la santé et de la vie humaines, avec éventuellement comme conséquence l'adoption de mesures appropriées afin de garantir une protection adéquate de la santé publique. En particulier, le Comité est favorable à l'existence d'une réglementation portant sur l'obligation de commercialiser exclusivement des produits sûrs et sur la responsabilité de réparer les dommages causés par les produits défectueux.

3.4. La proposition de directive complétera l'harmonisation du marché intérieur et évitera les distorsions de la concurrence entre les producteurs assujettis à des régimes différents en fonction du lieu de commercialisation du produit. C'est pourquoi le Comité se déclare favorable à la disparition de la discrimination entre les producteurs qui existe dans la Communauté.

3.5. L'extension du champ d'application de la directive 85/374/CEE, proposée par la Commission, pourrait impliquer une hausse du niveau de protection des consommateurs, dès lors que:

- qu'elle permettra aux consommateurs d'invoquer des motifs de réclamation pour responsabilité objective (ou sans faute) inexistants à l'heure actuelle qui renforceront leur position juridique afin de satisfaire leurs intérêts légitimes de mieux garantir leurs droits économiques et d'obtenir une réparation des dommages causés par les produits défectueux;

- elle favorisera le respect de l'obligation générale de sécurité de ces produits dans la mesure où cette dernière est applicable à l'ensemble de la chaîne alimentaire, depuis la production primaire jusqu'à la vente du produit fini au consommateur;

- elle facilitera la localisation du responsable de la mise en circulation du produit agricole primaire défectueux («traçabilité du produit»), étant donné qu'au cas où ce producteur ne pourrait être identifié, chaque fournisseur du produit sera considéré comme son producteur.

3.6. Par ailleurs, le Comité estime que la directive proposée ne comportera vraisemblablement pas de charges additionnelles pour les producteurs concernés et, à la lumière de l'expérience acquise quant au fonctionnement de la directive 85/374/CEE, qu'elle n'entraînera vraisemblablement pas une augmentation significative du nombre de réclamations ni des primes d'assurance.

3.6.1. Le Comité demande à la Commission de s'assurer, lors de l'élaboration du cadre réglementaire communautaire des assurances, du fait que les nouveaux risques liés à l'évolution du marché (par exemple concernant les organismes génétiquement modifiés) puissent être assurés.

3.7. Le Comité estime qu'une fois cette proposition adoptée, il faudrait procéder à un examen global du système établi par la directive 85/374/CEE, compte tenu de l'état actuel du droit communautaire et des rapports d'application.

3.7.1. Cet examen global devrait faire l'objet d'un Livre vert, afin que l'ensemble des acteurs économiques et sociaux puissent en prendre connaissance.

3.7.2. Un tel examen devrait avoir un impact en particulier sur la charge de la preuve, les risques de développement, les limites économiques et les délais de prescription de certains produits.

Bruxelles, le 29 janvier 1998.

Le Président du Comité économique et social

Tom JENKINS

() JO C 337 du 7.11.1997, p. 54.

() JO L 210 du 7.8.1985.

() JO C 339 du 31.12.1991, paragraphe 5.3.4.

() JO C 295 du 7.10.1996.

() JO C 85 du 17.3.1997.

() COM(97) 176 final.

() JO C 19 du 21.1.1998.

() CSE(97) 1 final du 4 juin 1997.

() Parmi lesquelles, au point d), le fait «(...) que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives émanant des pouvoirs publics (...)».