Avis du Comité économique et social sur le «Livre vert - Vivre et travailler dans la société de l'information: Priorité à la dimension humaine»
Journal officiel n° C 206 du 07/07/1997 p. 0010
Avis du Comité économique et social sur le «Livre vert - Vivre et travailler dans la société de l'information: Priorité à la dimension humaine» (97/C 206/03) Le 2 août 1996, la Commission a décidé de consulter le Comité économique et social, en vertu de l'article 198 du Traité instituant la Communauté européenne, sur le livre vert susmentionné. La section de l'industrie, du commerce, de l'artisanat et des services, qui était chargée de la préparation des travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 4 avril 1997 (rapporteur: M. Burnel). Lors de sa 345e session plénière des 23 et 24 avril 1997, (séance du 23 avril 1997) le Comité économique et social a adopté par 107 voix pour, 3 voix contre et 5 abstentions le présent avis. 1. Regards sur le présent 1.1. Alors que la Commission publie un Livre vert sur les technologies de l'information et de la communication, est rendue publique l'étude Booz Allen et Hamilton réalisée à la demande de la Présidence néerlandaise. Ce rapport fait notamment état des retards de l'Union européenne en matière de TIC, qu'il s'agisse des performances de ses industries des matériels ou des logiciels ou de l'usage de ces technologies. Exemples: Parmi les 20 premières entreprises produisant des matériels ou des logiciels, 2 seulement sont européennes: SAP et Software A.G. L'Union européenne n'a été performante que dans les secteurs actuellement les moins rentables: commutation, télécommunication mobile, semi-conducteurs spécialisés. 1 personne sur 10 dispose d'un ordinateur aux États-Unis contre 1 sur 20 dans les principaux pays d'Europe. 90 % des élèves européens quittent le système scolaire sans jamais avoir touché un ordinateur. Toutefois, sur ce dernier point, il faut noter que si les universités américaines ont une avance particulièrement notable, l'équipement des établissements de niveau inférieur est moindre. 1.2. En matière de TIC, un véritable fossé économique et culturel sépare donc aujourd'hui l'Union européenne de ses compétiteurs nord-américains et asiatiques. Tergiverser, disputer ou chercher des boucs émissaires ne servirait à rien. Le facteur temps et rapidité de réaction décisionnelle est l'une des données très fortes de la compétitivité, et en conséquence du développement, des entreprises. «En attendant que l'herbe pousse, le cheval risque de mourir de faim!» Le Livre vert vient donc à point nommé. 1.3. L'Union européenne ne doit, ni ne peut - eu égard aux enjeux et à leurs conséquences - se tenir pour battue. En unissant leurs savoirs et leurs savoir-faire, les Européens ont démontré leurs compétences et leur efficacité en matière de recherche scientifique, d'applications technologiques et de productions de hautes qualité et fiabilité. 1.4. S'il devait se produire une panne d'enthousiasme et une régression et, à plus forte raison, une absence de dynamisme, eu égard aux conséquences engendrées, il importerait qu'elles fussent comblées. 2. Les lecteurs du Livre vert ne risquent-ils pas de rester sur leur faim? 2.1. Le titre du Livre vert met en appétit. Priorité sera donnée à la dimension humaine. La page de l'Europe des marchands est tournée. Une page que l'on tourne n'est pas nécessairement un livre que l'on ferme. La société de l'information annonce un humanisme nouveau. Vive l'Europe des citoyens, l'Europe des connaissances, du travail, des droits et des chances solidairement partagés ! Qui pourrait être contre ? 2.2. Le Livre vert contient beaucoup d'éléments avec lesquels le CES est d'accord. Toutefois, il est au regret de constater que: 2.2.1. Trop peu de place n'est faite à la vie quotidienne sur laquelle les TIC exercent une force de séduction prégnante, avec en perspective des marchés énormes, et donc des emplois. D'autres évolutions pointent à l'horizon; d'autres suivront. Le progrès n'a jamais connu de moratoire. 2.2.2. Si des pistes sont, ici et là ouvertes, pratiquement trop peu de suggestions concrètes sont faites quant aux moyens pour les parcourir. Pour utile et important que soit l'exposé des motivations philosophiques, celles-ci ont besoin d'être concrétisées si l'on veut apporter une réponse crédible aux inquiétudes, aux attentes et aux besoins des citoyens, tandis que le Monde bouge vite et fort. C'est l'occasion de rappeler que le CES a déjà demandé la réalisation d'études destinées à évaluer le besoin d'investissement et l'impact sur l'emploi, de la mise en oeuvre et de l'exploitation des autoroutes de l'information et des nouveaux services (). 2.2.3. Dans le Livre vert, les TIC sont l'occasion d'ouvrir ou de rouvrir des débats de fond qui, du reste, ne seront jamais clos, eu égard à leur importance essentielle. Il n'est pas étonnant que la Commission fasse rappel, par exemple, de l'organisation du travail, de l'éducation et de la formation, de la santé et de l'accès aux soins, du vieillissement et de ses conséquences, de l'importance de l'aménagement humanisé et du développement du territoire ... S'agissant de thèmes qui conditionnent le respect de la dignité des êtres humains et la qualité de la vie, et qui mettent en cause des valeurs et des principes fondamentaux, la logique commanderait que tous ces sujets fussent abordés au principal et d'une manière directe, sans atermoiement, mais que l'on veillât, chaque fois, à intégrer au débat l'incidence des TIC en tant que moyens avec toutes les forces positives et les risques qu'ils pourraient présenter afin d'essayer de les conjurer ou d'atténuer leurs effets par avance. 2.2.4. Ainsi en est-il pour la rénovation du dialogue social et de ses institutions à laquelle le Livre vert porte une attention particulière. Certes, tout est dans tout, mais on ne peut pas déférer à une technologie un rôle initiateur qui relève de la responsabilité, de l'autorité et de la sagesse des partenaires sociaux, et du droit. 2.2.5. En outre, le dialogue social peut contribuer à sensibiliser l'opinion publique et les administrations aux potentialités innovatrices inhérentes au développement des TIC. Le manque relatif de services dans certaines régions est l'un des indices significatifs d'une situation de sous-développement social, économique et culturel. Pour remédier à cette situation, il y a lieu de faire appel à tous les moyens existants, y compris au dialogue social, pour développer «une culture des services» dans la société et dans les administrations. 3. La Commission lance une consultation 3.1. À la suite du colloque de Dublin, la Commission a ouvert une consultation parmi les organisations avec lesquelles elle est en relation habituelle. Pour large que soit ce panel, il n'englobe malheureusement pas l'ensemble des représentations nationales de tous les acteurs concrètement intéressés. Le CES le regrette, comme il regrette que les relais nationaux n'aient pas toujours fonctionné. Il s'étonne, en raison de la nature du sujet et de ses impacts, qu'il n'y ait pas eu d'écho médiatique au Livre vert. 3.2. La Commission sollicite aussi l'expression directe des citoyens. N'eût-il pas été préférable, d'un point de vue pédagogique - la Commission a un souci pédagogique réel -, de recourir à l'entremise de tous les corps intermédiaires () ? Sans risquer un effet de prisme, il y aurait eu gain en efficacité et temps. 3.3. Le CES est très intéressé à connaître les résultats de cette consultation. Il souhaite qu'un retour soit prévu vers les organismes et les personnes qui auront répondu à l'appel de la Commission. 4. Ni déification ni diabolisation 4.1. Toutes technologies, comme la langue d'Esope, peuvent être les meilleures ou les pires choses. Par nature, une technologie est un moyen moralement et politiquement neutre. 4.2. Les TIC portent l'empreinte de l'intelligence des hommes, sans avoir elles-mêmes la moindre responsabilité. La machine exécute. C'est un abus humoristique que d'incriminer la faute de l'ordinateur! 5. Les impacts des TIC sur l'emploi 5.1. Les rédacteurs du Livre vert sont relativement optimistes quant aux appuis que les TIC pourraient apporter à la création d'emplois. Dans les premiers temps de son introduction, toute technologie nouvelle d'importance contribue généralement à supprimer des emplois puis à en créer. Pour diverses raisons, les remplacements ne se font ni nombre par nombre ni à l'identique. 5.2. À terme, dans l'Union européenne, les TIC seront créatrices d'emplois, à condition que les conditions des marchés soient favorables: offre et demande, d'où l'importance, par exemple, de la recherche, de la formation initiale et permanente, de la prévision des besoins en personnels. À quels emplois préparer et combien ? 5.3. L'étude déjà citée de Booz Allen et Hamilton avance que, dans les divers secteurs des TIC, si l'Union européenne avait connu des taux de croissance identiques à ceux des États-Unis, 1 million d'emplois auraient été créés, sans toutefois en préciser les caractéristiques. Pour la période 1990-1995, le taux de croissance a été de 9,3 % aux États-Unis et de 2,4 % dans l'Union européenne. 5.4. Un observatoire européen de l'emploi, intégrant, en continu, les effets positifs et négatifs des TIC, se révélerait très utile pour aider à la prise de décisions prédictives. 5.5. Les TIC sont accusées de favoriser les délocalisations d'activités. Dans la mesure où elles participent à réduire, avec d'autres moyens, les distances et les durées, ce n'est pas faux. En revanche, elles aident aussi à la rénovation des zones nationales et européennes en difficulté et à sauver ou créer des emplois. Là où le bât blesse c'est dans le cas de certains transferts hors Union européenne. Si les TIC exercent alors un rôle d'accompagnement, elles ne sont pas les premiers arguments plaidant en faveur de ces délocalisations. 5.6. Les TIC sont à l'origine du télétravail, qui apporte à certaines personnes une solution à leur situation, mais qui peut avoir aussi l'inconvénient de créer ou accentuer les traumatismes de l'isolement préjudiciables à la santé physique et psychologique et sources de charges. D'où l'importance d'une information objective et des conseils adaptés à chaque cas. 5.7. Elles ont également permis la création de nouvelles formes de vente à domicile qui posent surtout des problèmes à certaines clientèles qu'il faut protéger contre des démarches abusives et des décisions trop rapides. Les organisations de consommateurs ont un rôle important à exercer: pédagogie, information, défense. 5.8. Tout ce qui participe, au travail comme dans la vie quotidienne, à réduire les relations interpersonnelles n'est jamais très bon. 5.9. En matière d'utilisation de certains types de TIC, les PME n'ont pas les moyens dont disposent les grandes entreprises. Or les PME sont créatrices d'emplois; elles doivent développer leur présence à l'exportation; elles interviennent souvent en tant que fournisseurs de grandes entreprises. Le CES émet deux souhaits: d'une part, qu'en matière de TIC, les PME soient aidées dans les domaines du conseil, de la formation et des équipements et, d'autre part, que soit étudiée la possibilité de créer entre elles et des entreprises expérimentées, des formules de partenariat. 6. Formation, information: deux réponses aux besoins, inquiétudes et espoirs 6.1. L'ignorance suscite la peur ou nourrit l'illusion. La connaissance est libératrice et facteur d'intégration sociale, professionnelle et civique. 6.1.1. Le CES a donc toujours plaidé en faveur des formations données le plus tôt possible, adaptées et actualisées. Il rejoint le Livre vert dans ses préoccupations et ses propositions. 6.1.2. Les TIC doivent alors être intégrées à tous les cycles d'enseignement dans les programmes et en tant que moyens. 6.1.3. L'harmonie relationnelle entre les générations participe de l'équilibre familial et social au plus large sens du mot. On constate que certaines technologies de l'information et de la communication, par leur novation et la rapidité de leur introduction et de leur développement, troublent des couches de la population, notamment les personnes âgées, même cultivées, jusqu'à accentuer chez elles des sentiments d'isolement. C'est un réel problème qu'un effort pédagogique et une information adaptés peuvent contribuer à atténuer, voire à évacuer par une action de démystification. Certes, il y va du bonheur des personnes et de leur droit d'accéder au progrès, mais aussi de la cohésion de la société et de l'intérêt général, lorsque l'on sait que l'isolement physique et psychologique est l'une des causes de l'accentuation de troubles dont le traitement thérapeutique est souvent coûteux. Le rôle des associations réunissant les personnes âgées et isolées et l'action des services spécialisés sont à encourager. Ici encore, intérêt des personnes et intérêt général se rencontrent. 6.1.4. L'information participe de la culture, de la liberté et de la qualité de la vie. Elle doit satisfaire aux règles déontologiques et du pluralisme et respecter les consciences. 7. Dans le secteur des TIC, l'Union européenne doit prendre toute sa place 7.1. Le CES insiste sur l'importance de l'analyse des besoins des entreprises et des citoyens. Il importe qu'au-delà de l'analyse et des constats, l'Union européenne prenne - dans la concertation et solidairement - des initiatives fortes faute de quoi le risque sera grand de voir imposer à la société européenne, par la mondialisation de l'économie de la production des biens et des services, des solutions détestables tant du point de vue économique que culturel ou éthique. 7.2. Le CES rappelle ses remarques et positions antérieures notamment sur l'importance du rapprochement et la mise en commun des moyens de production audiovisuelle: - avis sur la révision de la directive «Télévision sans frontières [plus particulièrement les points 2.2, 3.16 et suivants (1)] (1) JO n° C 309 du 13. 11. 1995.»; - avis sur le programme média II (). D'autre part, la création - à l'instar de ce qui existe en de nombreux États - d'une instance d'observation et de régulation audiovisuelle justifiée par les nouvelles conditions de diffusion et de réception. La solution n'est pas dans la répression. Elle est dans l'éducation et dans le dialogue auxquels cette instance contribuerait. 7.3. Dans son avis rendu à la quasi-unanimité le 23 février 1995 sur la communication de la Commission «Vers la société de l'information en Europe: un plan d'action», le CES estimait «que le calendrier proposé pour la libéralisation des infrastructures (de télécommunication) par la Commission ne peut être raisonnablement appliqué sans avoir clairement défini la notion de service universel, ses enjeux, ses mécanismes de sauvegarde, son développement et son financement». 7.3.1. Il ajoutait: «le Comité soutient la Commission dans les mesures qu'elle envisage pour l'installation d'un cadre réglementaire clair et stable, mais insiste pour que des mesures d'ouverture à la concurrence ne se réalisent qu'après avoir adopté ce cadre, notamment en matière de concurrence, de concentration des médias, de respect de la vie privée, de propriété intellectuelle, de protection électronique et du financement d'un service universel auparavant défini de façon précise, englobant un spectre le plus large possible des services avancés de télécommunication. Le Comité attire l'attention sur l'importance fondamentale de la notion de service universel. C'est d'elle que dépendront les possibilités d'accès des nouveaux services d'information et de communication pour les citoyens européens. La richesse de l'offre d'information et de communication dépendra de la définition du service universel qui déterminera si l'exclusion sociale peut être évitée». 7.3.2. Le CES constate, au moment où son avis est demandé sur le Livre vert, que le contenu du service universel est à peine en passe d'être précisé et que son financement, au-delà d'un service universel frileusement conçu, ne sera pas à la charge des opérateurs. En matière d'exclusion sociale, les craintes du CES ne risquent-elles pas malheureusement d'être prophétiques? 7.4. Le CES approuve le plaidoyer conclusif du Livre vert sur la nécessité de conforter le pluralisme dans toutes ses expressions et à tous les niveaux. Aussi suggère-t-il que des dispositifs légers permettent d'animer un débat qui, eu égard aux enjeux et à la rapidité des évolutions, devrait être permanent. La politique ne doit pas suivre, avec retard, les innovations technologiques au risque de ne pas les rattraper mais, si possible, les prévoir et toujours les accompagner. 8. Rien ne se fera sans la volonté politique des décideurs ... 8.1. ... sachant qu'elle est largement fonction du courage politique des citoyens, la citoyenneté s'exerce au-delà de la démarche électrice. Elle s'exprime, chez chaque citoyen, dans sa volonté de participer, au regard de toutes ses responsabilités et fonctions, aux débats dont les résultats vont conditionner sa vie. Le débat sur les TIC fournit à chacun une occasion exemplaire d'exercer les droits de la citoyenneté et les devoirs du civisme. Bruxelles, le 23 avril 1997. Le Président du Comité économique et social Tom JENKINS () Avis du CES sur la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions - Vers la société de l'information en Europe: un plan d'action - JO n° C 110 du 2 mai 1995. () Organisations professionnelles, syndicales, mutualistes, coopératives, familiales et de parents d'élèves, de consommateurs et d'usagers, de jeunes, de personnes âgées, de personnes handicapées, culturelles ... () JO n° C 108 du 29. 4. 1995.