51995AC0321

AVIS DU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL sur le "Rapport Economique Annuel 1995"

Journal officiel n° C 133 du 31/05/1995 p. 0042


Avis sur le Rapport économique annuel 1995

(95/C 133/11)

Le 21 décembre 1994, la Commission a saisi le Comité économique et social d'une demande d'avis sur le Rapport économique annuel 1995.

La section des affaires économiques, financières et monétaires, chargée de préparer les travaux en la matière, a adopté son avis le 7 mars 1995 (rapporteur : M. Ramaekers).

Le Comité économique et social, lors de sa 324e session plénière (séance du 30 mars 1995), a adopté l'avis suivant à une large majorité, 5 voix contre et 4 abstentions.

1. Introduction

1.1. Le Comité économique et social se réjouit que la Commission ait sollicité son avis sur le Rapport économique annuel 1995, marquant ainsi sa volonté d'associer les partenaires sociaux aux « Grandes orientations des politiques économiques des États membres et de la Communauté ».

1.2. En effet, depuis l'entrée en vigueur du Traité de l'Union européenne le 1er novembre 1993, le rapport économique annuel n'est plus envoyé au Conseil pour approbation. Le rôle de la Commission en matière de coordination des politiques économiques s'en trouve sensiblement réduit puisqu'il se limite désormais à formuler des recommandations que le Conseil peut éventuellement modifier, alors qu'auparavant la Commission disposait d'un droit d'initiative exclusif et présentait, après avis du Parlement et du Comité économique et social, des propositions que le Conseil ne pouvait modifier qu'à l'unanimité.

1.3. Cette nouvelle procédure a également pour conséquence que l'avis du Comité économique et social, élaboré antérieurement à la demande du Conseil, n'est plus obligatoire aujourd'hui. En outre, l'article 103 du Traité CE prévoit en son paragraphe 2 que le Parlement européen est informé des « Grandes orientations » par le Conseil, mais il n'est pas fait mention du Comité économique et social.

1.4. À plusieurs reprises, et encore récemment au Sommet d'Essen, le Conseil a rappelé l'importance du dialogue social dans les profondes mutations structurelles que devra réussir l'Europe pour créer de nouveaux emplois, renforcer sa place dans l'économie mondiale tout en préservant les objectifs sociaux du modèle européen. La réussite du projet européen s'appuie sur un vaste consensus obtenu par de larges concertations entre gouvernements et partenaires sociaux. C'est pourquoi le Comité insiste, dans la perspective de la révision institutionnelle des Traités en 1996, pour être obligatoirement consulté dans le cadre de l'élaboration des « Grandes orientations des politiques économiques » prévues à l'article 103 du Traité CE.

2. Le Rapport économique annuel 1995 : constats et perspectives

2.1.

Le constat d'une reprise vigoureuse, mais de nature différente selon les pays membres

2.1.1. Après la récession économique des années 1992 et 1993, la plus profonde depuis plusieurs décennies ( P 0,4 % de variation annuelle), les pays de la Communauté ont renoué en 1994 avec une croissance vigoureuse, supérieure aux prévisions (2,6 % de variation annuelle du PIB).

2.1.2. L'économie européenne a profité de la vigueur de la reprise sur ses principaux marchés à l'exportation. La demande extérieure a également été soutenue par l'amélioration de la compétitivité des entreprises, résultat des gains de productivité, des politiques de modération salariale.

2.1.3. Le dynamisme des exportations s'est communiqué aux investissements qui se sont accrus dans les secteurs tournés vers les marchés extérieurs. Les dépenses d'investissement se sont accrues de 2,5 % en 1994 malgré la forte hausse des taux d'intérêt à long terme intervenue en cours d'année : l'amélioration de la situation financière des entreprises et la reprise des échanges entre pays de la Communauté semblent avoir compensé l'effet du niveau élevé du coût du capital sur la formation intérieure brute de capital fixe.

2.1.4. La hausse de la consommation privée a été plus timide; néanmoins, elle a augmenté de 1,5 % alors que le revenu disponible réel est resté quasiment au même niveau. Cette progression résulte ainsi d'une baisse du taux d'épargne des ménages qui, souligne la Commission, traduit le regain de confiance des consommateurs et le léger recul du taux de chômage.

2.1.5. Le Comité s'interroge néanmoins sur la vigueur de la reprise et relève que celle-ci s'appuie en partie sur des phénomènes à caractère temporaire.

2.1.5.1. Comme l'observe le rapport de la Commission, après deux années de récession profonde, la forte croissance enregistrée en 1994 s'appuie sur certains « phénomènes de rattrapage » : ainsi, la formation de stock a contribué pour un demi-point de pourcentage au taux de croissance du PIB en 1994 (soit une contribution équivalente à celle de la formation brute de capital fixe); quant à la consommation privée, elle a été essentiellement soutenue par les dépenses en biens de consommation durables des ménages qui s'expliquent en partie par un phénomène de rattrapage de la « demande non satisfaite » durant les années de récession.

2.1.5.2. Ensuite, le Comité observe que les résultats en termes de consommation privée restent très mitigés et que dans les États où cette reprise a été perçue elle était bien souvent soutenue par des incitants fiscaux (cf. en France notamment, avec l'instauration des « primes Balladur » pour le remplacement des vieilles voitures) ou des mesures budgétaires à caractère temporaire destinées à atténuer les effets de la récession (cf. Danemark). Bien que les enquêtes indiquent un regain de confiance, celle-ci ne semble pas se traduire par un net redressement des dépenses de consommation dans l'ensemble de la Communauté.

2.1.6. D'une façon générale, le Comité relève que la nature de la reprise diffère selon les pays membres : ainsi, on peut distinguer ceux où la demande intérieure, investissements et/ou consommation privée, s'est sensiblement redressée (France, Danemark, Irlande et Allemagne) de ceux où la demande intérieure est restée atone et dont la croissance s'appuie toujours sur un développement des exportations (Belgique, Pays-Bas) soutenues parfois par des dévaluations (Espagne, Italie, Portugal). La Grande-Bretagne constitue, quant à elle, un cas particulier : la croissance des exportations, soutenue depuis deux ans par les dépréciations successives de la livre, s'est communiquée à la consommation privée et aux investissements.

2.2.

Des progrès dans la convergence

2.2.1. Les résultats en matière de convergence réelle, appréciée par le PIB par tête, restent mitigés : la position relative de l'Irlande s'est améliorée, alors qu'elle reculait pour le Portugal et la Grèce et qu'elle stagnait pour l'Espagne.

2.2.2. La reprise, malgré sa vigueur, n'a pas provoqué de dérapage inflationniste (le déflateur du PIB s'est chiffré à 2,7 % en 1994) : des taux d'utilisation encore relativement faibles, la politique de modération salariale, les hausses de productivité, ainsi que l'affaiblissement du dollar ont contribué à ralentir l'inflation.

2.2.3. Ces bonnes performances sont communes à la quasi-totalité des États membres. On a ainsi assisté à l'amélioration de la convergence en matière d'inflation qui s'est elle-même répercutée sur les taux de changes et les taux d'intérêt à long terme, ces derniers restant toutefois très élevés au regard des perspectives d'inflation.

2.2.4. Sous l'effet de la reprise, les déficits budgétaires se sont réduits de façon automatique. Le Comité estime néanmoins que les gouvernements ne doivent pas se satisfaire de ces améliorations conjoncturelles, au risque de répéter l'erreur commise dans la seconde moitié des années 80. Il invite les gouvernements à profiter de l'environnement économique favorable pour procéder aux ajustements budgétaires structurels nécessaires afin de retrouver des niveaux d'endettement public supportables à moyen terme, sans pour autant mettre en péril le bien-être social. Le Comité est conscient que cette tâche est d'autant plus délicate dans les pays où les niveaux des prélèvements fiscaux sont importants.

2.3.

Les perspectives à court terme (1995/1996)

2.3.1. À court terme, la consolidation de la croissance européenne est fondamentalement conditionnée par la reprise de la demande privée intra-européenne. En effet, le Rapport économique annuel prévoit une croissance ralentie de la demande extérieure, en particulier aux États-Unis où les resserrements progressifs de la politique monétaire commencent à marquer leurs effets. À cet égard, le Comité manifeste sa préoccupation quant à une dépréciation ultérieure du dollar face aux monnaies européennes, sous les effets de la crise mexicaine et de l'endettement persistant des ménages américains. Si le tassement du dollar entraîne une baisse du prix des matières premières, il affecte aussi la compétitivité des entreprises européennes non seulement vis-à-vis des États-Unis, mais aussi vis-à-vis de tous les pays dont les monnaies sont liées au dollar.

2.3.2. La Commission prévoit que les investissements devraient être le moteur de la croissance en 1995 et 1996 (+ 6 %), alors que la consommation, qui représente près des deux tiers du PIB de la Communauté, augmenterait également au cours des deux prochaines années mais de façon plus modérée (de 2 % et 2,5 % respectivement en 1995 et 1996).

2.3.3. Le Comité souligne néanmoins que deux obstacles majeurs doivent tempérer l'optimisme ambiant :

2.3.3.1. La situation sur le marché de l'emploi reste stationnaire. La Commission reconnaît que, malgré la croissance, le taux de chômage ne s'est pas réduit de 1993 à 1994; l'emploi suivant la croissance avec un certain décalage, le chômage a même continué d'augmenter dans les premiers mois de 1994, pour finalement se tasser en fin de période. Sur l'ensemble de l'année 1994, le taux de chômage se chiffre à 10,9 % de la population active civile contre 10,6 % en 1993. Par ailleurs, la Commission souligne que le rythme de croissance attendu pour 1995 et 1996 (soit environ 3 %) sera insuffisant pour réduire sensiblement le chômage compte tenu de l'accroissement de l'offre de travail; par conséquent, le taux de chômage, bien qu'en recul, devrait se maintenir à des niveaux très élevés dans les années à venir (on prévoit encore 10,4 % en 1995 contre 8,8 % en 1991).

2.3.3.2. Les incertitudes quant à l'évolution des taux d'intérêt, principalement les taux à long terme.

2.3.3.2.1. Les taux courts, après une réduction continue depuis le début de 1993, semblent avoir atteint un niveau plancher : en particulier, le maintien par la Bundesbank de la fourchette de croissance de la masse monétaire M3 entre 4 et 6 % pour 1995 indique qu'elle n'estime plus nécessaire d'appuyer la reprise par un relâchement de sa politique monétaire. En outre, le resserrement progressif de la politique monétaire américaine laisse peu de marge de manoeuvre aux Banques centrales européennes. Le Comité économique et social insiste pour que cette marge de manoeuvre soit néanmoins exploitée de façon progressive, et autant que le permettra l'objectif de stabilité des changes.

2.3.3.2.2. À cet égard, le Comité s'interroge sur les possibilités de découplage des politiques monétaires américaines et européennes. En effet, ces dix dernières années, on a assisté à une expansion très vive des flux de capitaux qui a considérablement réduit l'autonomie des gouvernements dans la conduite de leur politique monétaire. La variabilité des taux de change a augmenté et se détache des fondamentaux. Dans ce contexte, sans une meilleure coordination économique internationale, les banques centrales ne pourront, à elles seules, assurer un cadre crédible de stabilité des changes.

2.3.3.2.3. Mais le soutien de la reprise par le biais de la demande intérieure, en particulier les investissements, comme le prévoit la Commission, suppose tout d'abord que la hausse des taux longs qui s'est produite en 1994, ne se répète plus en 1995. Ceci suppose la mise en place d'un cadre crédible de stabilité des prix basé sur une politique monétaire prudente et la poursuite des efforts en matière d'assainissements budgétaires. La politique d'assainissement budgétaire reste par ailleurs nécessaire afin d'éviter que la hausse des investissements ne se heurte à une pénurie d'épargne au niveau national ce qui risquerait de faire pression sur les taux longs et de se répercuter à terme sur les équilibres extérieurs.

2.3.4. Dans ce contexte, le pronostic de la Commission concernant le redressement de la consommation privée financée par des réductions de la proportion des revenus consacrée à l'épargne des ménages, apparaît optimiste. Outre la situation stationnaire sur le marché du travail, différents éléments semblent indiquer 1) que la croissance des revenus réels disponibles pourrait s'atténuer, dans certains États membres, sous l'effet de modifications de la politique budgétaire et 2) que des modifications de la répartition des revenus tendront à faire augmenter, en agrégat, l'épargne des ménages provenant de leur revenu disponible. Plus particulièrement, parmi les facteurs susceptibles de maintenir, voire d'augmenter, les taux d'épargne, citons a) les efforts supplémentaires en termes d'assainissement des finances publiques qui devront être consentis par de nombreux États membres; ensuite, b) les incertitudes pesant sur les régimes de protection sociale, en particulier les pensions; c) le maintien de rendements réels élevés sur les marchés obligataires, et enfin, d) le déséquilibre croissant entre les revenus du travail et ceux de la propriété, ces derniers se caractérisant par une plus faible propension à consommer. À ce sujet, le Comité s'inquiète des implications que le déséquilibre croissant et persistant entre les revenus du travail d'une part et les revenus financiers d'autre part, pourrait avoir sur la cohésion sociale et la pérennité de la croissance à plus long terme.

2.3.5. En conclusion, si le Comité se félicite du regain de croissance et des performances en matière d'inflation des pays de la Communauté, il souligne que les préalables d'une croissance soutenue en 1995 et 1996 ne semblent pas acquis : en particulier en raison du caractère temporaire de certains phénomènes à l'origine de la croissance en 1994, de la persistance d'un chômage élevé ainsi que des perspectives de ralentissement de la croissance du pouvoir d'achat des ménages, voire de stagnation de celui-ci. En outre, tout en acceptant le fait que la politique monétaire nationale des États membres répond avant tout au souci de maintenir l'inflation à un faible niveau, le Comité s'inquiète des implications économiques et sociales du maintien des taux d'intérêt à long terme à des niveaux élevés.

3. Les politiques pour transformer la reprise conjoncturelle en processus durable à moyen terme

3.0.1. Malgré la reprise de l'activité économique, le chômage ne régresse pas suffisamment. Ainsi, les défis relevés il y a un an par le Livre blanc « Croissance, compétitivité, emploi » et les Grandes orientations des politiques économiques des États membres et de la Communauté, définies dans la Recommandation du Conseil du 22 décembre 1994, restent donc d'actualité. Il s'agit de mettre en oeuvre les politiques macro et micro-économiques qui permettront de transformer la reprise conjoncturelle en phénomène durable à moyen terme et de renforcer le contenu en emplois de la croissance afin de réduire le chômage de façon substantielle d'ici l'an 2000.

3.1.

Un cadre macro-économique pour une croissance soutenue et non inflatoire

3.1.1. Le cadre macro-économique doit fournir un juste équilibre entre la stabilité des prix - nécessaire pour renforcer la compétitivité de l'économie européenne, conserver la rentabilité des investissements et faciliter la réduction des charges de la dette publique - et le soutien de la croissance nécessaire pour accroître l'emploi.

3.1.2. Le maintien d'une croissance soutenable à moyen terme nécessite de créer un environnement favorable aux investissements. Ceux-ci, soutenus jusqu'à présent par l'expansion de la demande extérieure et une bonne rentabilité, sont conditionnés par la baisse des taux d'intérêt à long terme et une reprise graduelle de la consommation s'appuyant sur un retour de la confiance des consommateurs. À moyen terme, celle-ci dépendra de l'amélioration de la situation sur le marché du travail. À court terme, les politiques salariales devraient profiter de la marge de manoeuvre résultant de la baisse considérable des taux d'inflation et des importants gains de productivité réalisés ces deux dernières années.

3.1.3. Le rétablissement de la demande intérieure, en particulier la consommation privée, est d'autant plus important que les secteurs non exportateurs n'ont pas encore profité de la relance. Or, ces derniers comptent un grand nombre de petites et moyennes entreprises non directement soumises à la concurrence internationale et dont le potentiel de création d'emplois apparaît le plus important.

3.1.4. À plus long terme, il serait néfaste pour la croissance et l'emploi de négliger le rôle de la demande intérieure en mettant en oeuvre des politiques agissant exclusivement sur l'offre.

3.1.5. Le Comité économique et social observe que la coordination des politiques budgétaire, salariale et monétaire s'est améliorée ces dernières années. La maîtrise des budgets et le maintien des taux d'accroissement des salaires réels en deçà des taux d'accroissement de la productivité ont permis un relâchement de la politique monétaire tout en maintenant l'inflation à des niveaux très faibles au regard des taux de croissance réalisés en 1994.

3.1.5.1. À cet égard, les mesures prises dans certains pays membres afin de rendre les banques centrales indépendantes favoriseront la stabilité monétaire et constituent un élément positif dans la mise en place d'un cadre crédible de stabilité des prix.

3.1.5.2. Si des mesures supplémentaires s'imposent pour réduire les composantes structurelles des déficits budgétaires et favoriser ainsi la baisse des taux d'intérêts à long terme et les investissements, le Comité économique et social exprime néanmoins ses doutes quant à la capacité de certains pays membres à respecter les objectifs et les échéances imposés par la stratégie de convergence, tout en préservant les niveaux de croissance enregistrés en 1994. Il reconnaît toutefois que cela ne doit pas remettre en cause les principes de coordination, de contrôle et d'encouragement des politiques macro-économiques des États membres nécessaires à la cohésion européenne. Mais cette même cohésion ne risque-t-elle pas d'être mise en péril par l'étroitesse des marges de manoeuvre nationales en matière de régulation conjoncturelle ? De par les contraintes qu'ils imposent aux populations de certains États membres, les critères définis par le Traité de Maastricht sont aujourd'hui un enjeu électoral de taille. Les récentes perturbations sur les marchés des changes européens et les écarts de taux d'intérêt à court comme à long terme entre les monnaies composant le « noyau dur » du Système monétaire européen et les monnaies dites faibles (lire italienne, peseta, escudo portugais) ne reflètent-ils pas ce nouveau risque financier de nature politique ?

3.1.6. En conclusion, le Comité économique et social insiste pour que les fruits de la croissance soient répartis de façon à renforcer la demande intérieure et améliorer la situation du marché du travail, sans créer de tensions inflationnistes.

3.1.6.1. En particulier, il faut éviter que les politiques de modération salariale exercent des effets inhibiteurs sur la croissance. Ces politiques doivent être gérées en prenant en compte les considérations politiques et sociales. Si les salaires prennent trop de retard par rapport aux revenus du capital, l'économie s'expose à des phénomènes de rattrapage et des conflits sociaux préjudiciables pour la croissance et l'emploi.

3.1.6.2. La politique économique devrait également fixer un cadre permettant d'opérer une redistribution afin de garantir le pouvoir d'achat des ménages à bas revenus qui sont aussi ceux dont la propension à consommer est la plus forte. Afin d'éviter d'alourdir les coûts du facteur travail ou de contrecarrer les politiques d'assainissement budgétaire, l'ensemble des revenus devraient participer à l'effort de solidarité envers les victimes de la crise.

3.2.

Une politique commerciale prônant la coopération

3.2.1. Face à la globalisation et la concurrence de plus en plus forte, le Comité économique et social, reprenant les termes du Président Jacques Delors, plaide pour une économie européenne ouverte mais non « offerte ». Dans cette optique, le Comité se félicite du fait que les résultats de l'Uruguay Round aient été ratifiés par les pays membres de l'Union européenne. Par ailleurs, avec la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce au 1er janvier 1995, le système de relations multilatérales est aujourd'hui revitalisé et adapté à la globalisation de l'économie. Dans le cadre de la nouvelle institution, l'Union européenne devra veiller à renforcer le système multilatéral d'échanges. En particulier, les relations d'échanges des pays industrialisés sont à réglementer sur base de la réciprocité et il convient de contrecarrer les tendances aux pratiques d'interventions unilatérales et d'échanges bilatéraux discriminatoires encore trop nombreuses et d'obtenir le décloisonnement des marchés nationaux. Le Comité souhaite que l'Union européenne contribue à un règlement de ces problèmes dans le cadre de l'OMC afin d'établir des conditions de concurrence internationale réellement équitables.

3.2.2. Face à la multiplication des accords régionaux préférentiels et d'accord de coopération conclus sur le continent américain et dans le sud-est asiatique, la politique commerciale de la Communauté doit développer ses échanges commerciaux avec les économies des pays tiers les plus proches de la zone communautaire, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) et ceux de la zone méditerranéenne. La stratégie de « pré-adhésion » des PECO, officiellement lancée par le Sommet européen d'Essen, constitue un pas en avant considérable dans le processus de rapprochement et de développement de ces économies. La décision de permettre un meilleur accès au marché communautaire des produits en provenance de ces pays doit s'accompagner d'une aide au développement économique et social. Outre l'engagement financier, il conviendrait d'exercer une participation active à la reconstruction, un rôle de conseil dans différents domaines tels que techniques, administratifs, éducatifs afin de permettre à ces pays de surmonter les difficultés qu'ils rencontrent dans leur transition vers l'économie de marché.

3.2.3. Si la priorité à la coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale se révèle hautement justifiée, il ne faudrait pas pour autant négliger les pays du bassin méditerranéen avec lesquels les interdépendances d'ordre énergétique, environnemental, de migrations ou d'investissements sont encore bien plus fortes. Si ces pays n'ont pas vocation d'intégration, il appartient toutefois à l'UE d'aider à leur décollage économique afin d'éviter que des écarts croissants de prospérité n'accentuent l'instabilité politique et sociale de ces régions.

3.2.4. Enfin, à plus court terme, l'Europe devrait profiter de la vigueur des marchés porteurs d'Asie du sud-est. En effet, ces pays font preuve d'un dynamisme croissant qui est en partie à l'origine des bons résultats observés en matière d'exportations en 1994. Pour les deux années à venir, la Commission prévoit que les taux de croissance réelle des importations des économies dynamiques d'Asie devraient se maintenir à des taux supérieurs à 12 %.

3.2.5. Si le Comité plaide pour un environnement international ouvert, seul susceptible de donner à terme une nouvelle impulsion à la croissance via une meilleure redistribution des richesses mondiales, il regrette néanmoins que les impératifs culturels, sociaux ou environnementaux des pays n'aient pas été pris en considération dans l'élaboration des règles d'échanges multilatérales.

3.2.5.1. En particulier, pour le Comité, l'ouverture des échanges doit contribuer au progrès social dans les pays qui s'industrialisent. Or, les règles du GATT ne permettent pas actuellement l'application des conventions conclues dans le cadre de l'OIT. Par conséquent, le Comité insiste pour que ces questions sociales soient traitées en priorité par la nouvelle Organisation mondiale du commerce en collaboration avec le BIT et que la ratification des conventions de l'OIT soit encouragée.

3.2.5.2. Par ailleurs, dans le cadre du Comité Commerce et Environnement, le Comité souhaite que l'UE s'efforce de parvenir à l'établissement et à l'application effective de critères pour la protection de l'environnement qui ne soient pas discriminatoires au niveau du commerce international.

3.3.

Profiter de la reprise pour mettre en oeuvre les réformes structurelles améliorant la compétitivité et le contenu en emplois de la croissance

3.3.1. La Commission estime entre 3 et 3,5 % par an, les niveaux de croissance soutenable de l'économie européenne jusqu'à la fin du siècle, ce qui permettrait de réduire le chômage à environ 7 % de la population active européenne. L'objectif de 5 % fixé par le Livre Blanc ne pourra être atteint sans pallier aux faiblesses structurelles de l'économie européenne en termes de compétitivité et de fonctionnement du marché du travail.

3.3.2. Un objectif prioritaire consiste à exploiter le potentiel économique du marché intérieur par la suppression des entraves aux échanges mais aussi par la réalisation des réseaux transeuropéens dans les secteurs des transports, de l'énergie et des télécommunications. À cet égard, le Comité souhaite que les programmes d'investissement des quatorze grands travaux identifiés comme prioritaires au sommet d'Essen soient rapidement mis en oeuvre afin de ne pas rater l'occasion de stimuler les économies des États membres. Le Comité estime qu'une initiative financière directe de l'Union européenne se justifie non seulement par la dimension transnationale d'un tel projet, mais aussi par les importantes externalités que ces réseaux sont susceptibles de générer pour les économies européennes. Enfin, il y a de fortes probabilités pour qu'une initiative communautaire présente les garanties suffisantes sur les marchés des capitaux, assurant au projet un coût de financement inférieur à celui qui résulterait d'un emprunt national.

3.3.3. Le Comité est conscient que l'amélioration à plus long terme de la compétitivité européenne réside dans des éléments de nature qualitative : elle s'appuie sur le développement d'une industrie performante et innovante investissant dans les marchés porteurs à haute technologie et à fort potentiel de croissance. Dans cette optique, le renforcement de la compétitivité exige des politiques promouvant l'investissement immatériel, et notamment la formation et l'apprentissage, afin que l'Europe puisse tirer pleinement parti du potentiel productif de sa main-d'oeuvre. Il s'agit en particulier d'améliorer la correspondance entre l'offre et la demande en matière de formation professionnelle de façon à répondre aux besoins spécifiques de l'industrie. Des passerelles entre l'école et le monde de l'entreprise doivent être créées et la formation continue et l'apprentissage en entreprise encouragés par des incitants fiscaux.

3.3.4. Ces mutations technologiques nécessiteront la reconversion d'un nombre considérable d'emplois d'un niveau de qualification relativement élevé dans les secteurs à haute productivité et se traduiront par des délocalisations des activités à forte intensité de main-d'oeuvre. C'est pourquoi, comme le souligne le Livre Blanc, il ne faudra pas uniquement se concentrer sur le « comment produire » mais aussi anticiper les nouveaux besoins individuels et collectifs générés par les mutations démographiques, socio-économiques de cette fin de siècle afin d'éviter que la recherche de la compétitivité ne se solde par des pertes nettes d'emplois au niveau de l'économie dans son ensemble.

3.3.5. À cet égard, le Conseil européen réuni à Essen les 9 et 10 décembre 1994 a rappelé l'urgence de la mise en oeuvre de mesures structurelles visant à améliorer la situation de l'emploi. À cette occasion, il a souligné le rôle important qui revient au « dialogue entre les partenaires sociaux et le monde politique » dans la mise en oeuvre de ces mesures. Le Conseil a également énoncé cinq domaines d'action pour lutter contre le chômage en Europe : la promotion des investissements dans la formation professionnelle, l'augmentation du contenu en emplois de la croissance, l'abaissement des coûts salariaux indirects, l'accroissement de l'efficacité de la politique du marché du travail, le renforcement des mesures en faveur des travailleurs les plus menacés.

3.3.5.1. Le Comité est convaincu qu'à plus long terme l'éducation et la formation continue sont les meilleurs moyens d'améliorer la mobilité professionnelle du travailleur, sa capacité à s'adapter aux modifications dues aux progrès technologiques et de faire ainsi correspondre l'offre et la demande de travail. Dans cette optique, l'éducation apparaît non seulement comme un facteur fondamental de la croissance à plus long terme mais aussi comme un élément de répartition des richesses. Les systèmes éducatifs actuels ne permettent cependant plus de répondre aux exigences nouvelles : non seulement pour des raisons budgétaires mais aussi parce que les métiers de demain exigeront une amélioration de la formation tout au long de la vie. Au point 3.3.3 nous avons souligné que l'amélioration des qualifications, nécessaire pour répondre aux défis de la compétitivité, nécessitera d'établir des synergies entre l'école et le monde des entreprises. À cet égard, le Comité se réjouit de la décision de la Commission de procéder rapidement, dans le respect du principe de subsidiarité, à un examen des possibilités d'introduire des incitations en faveur des entreprises et des particuliers pour investir dans la formation continue.

3.3.5.2. À moyen terme, le Comité observe que la diminution des coûts non salariaux du travail, en particulier le travail peu qualifié, apparaît nécessaire afin de stimuler les substitutions favorables à l'emploi. Toutefois, la diminution des prélèvements obligatoires pesant sur les rémunérations du travail ne doit pas remettre en cause les niveaux de protection sociale qui par ailleurs exercent une influence positive sur la croissance et l'emploi via la redistribution des revenus qu'ils opèrent. Au modèle de financement basé sur les salaires, on devra nécessairement substituer un système de financement alternatif plus large. Quels que soient les modes de financement alternatifs retenus, il faudra évaluer leurs implications en termes de redistribution des revenus et leur impact sur la croissance et l'emploi. Enfin, le Comité rappelle qu'il ne pourra pas y avoir d'Union économique et monétaire dans la désunion sociale. Les réformes nécessaires pour assurer la viabilité future des systèmes de protection sociale dans les différents pays devraient être coordonnées afin de contribuer au rapprochement désiré en matière de couverture sociale et d'éviter le « dumping social ».

3.3.5.3. L'aménagement de la durée de travail individuelle constitue certainement une approche intéressante pour augmenter le contenu en emploi de la croissance, à condition qu'elle représente une réelle amélioration de la qualité de vie du travailleur et qu'elle n'entraîne pas de coûts supplémentaires pour l'entreprise. Dans certains secteurs on peut penser que les gains de productivité générés par la réduction du temps de travail, associés à une diminution du coût du capital via l'accroissement de la durée d'utilisation des machines et une baisse des cotisations sociales, puissent dégager une marge de manoeuvre confortable pour la négociation. Le Comité économique et social estime qu'une politique de réduction du temps de travail avec embauches compensatoires constitue une voie où des résultats consensuels favorables à l'emploi peuvent être obtenus.

3.3.5.4. Le développement de services à fort contenu en emplois, dans des activités naturellement protégées de la concurrence internationale, est une autre approche intéressante. Sous l'effet de l'évolution des modes de vie, des mutations démographiques, de l'augmentation des taux d'activité, ... de nouveaux besoins sociaux, encore insatisfaits, sont apparus : gardes d'enfants malades, accompagnement sanitaire et social des personnes âgées, aides aux jeunes en difficultés, suivi scolaire quotidien des élèves, protection de l'environnement et des patrimoines naturels, etc. Il s'agit de services dont l'utilité économique, sociale et culturelle est réelle mais qui ne sont plus ou pas satisfaits. Les entreprises d'économie sociale sont déjà très présentes dans ces nouveaux créneaux d'échanges : par l'insertion et la création d'activités de proximité elles participent activement à la politique globale de lutte contre l'exclusion définie par le Livre blanc. Le développement de l'emploi dans ces secteurs d'activité devrait néanmoins fournir suffisamment de garanties pour éviter la dérégulation sociale et le développement d'emplois précaires. Ces services devront tout d'abord avoir les caractéristiques de vrais emplois et être perçus comme tels par les salariés. Ensuite, il faudra pallier le problème de l'insolvabilité de la demande en modulant les prix de ces services en fonction des revenus, ou en diminuant le prix de vente par une réduction des charges sociales. Parallèlement, le développement de ces services, suppose que l'offre soit structurée et que des standards de qualité soient définis afin de répondre aux attentes des consommateurs.

3.3.5.5. Concernant l'efficacité des politiques de l'emploi, le Comité économique et social se réjouit de l'initiative de la Commission visant à mettre au point des procédures d'évaluation et de suivi. Le Comité relève en effet que les mesures en faveur des groupes à risque se sont souvent traduites par des effets de substitution sans accroissement net de l'emploi.

3.3.5.6. Pour le Comité économique et social, la réorganisation du marché du travail doit préserver les principes d'équité qui caractérisent la société européenne. Dans cette optique, le degré de flexibilité du marché du travail doit rester compatible avec le modèle social européen et ne pas se traduire par une dérégulation sauvage.

Fait à Bruxelles, le 30 mars 1995.

Le Président

du Comité économique et social

Carlos FERRER