22.12.2012   

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Journal officiel de l'Union européenne

L 356/90


DÉCISION DE LA COMMISSION

du 20 décembre 2012

autorisant l’Espagne à prolonger la suspension temporaire de l’application des articles 1er à 6 du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union en ce qui concerne les travailleurs roumains

(2012/831/UE)

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

vu l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (1), et notamment son article 23 et le paragraphe 7, deuxième alinéa, de l’annexe VII, partie 1, intitulée «Libre circulation des personnes»,

vu la demande présentée par l’Espagne le 13 décembre 2012,

considérant ce qui suit:

(1)

L’Espagne appliquait pleinement, depuis le 1er janvier 2009, les articles 1er à 6 du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (2) à l’égard des ressortissants roumains lorsque, le 22 juillet 2011, se référant à de graves perturbations sur son marché du travail, elle a informé la Commission conformément à l’annexe VII, partie 1, paragraphe 7, troisième alinéa, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (ci-après l’«acte d’adhésion de 2005»), qu’elle avait décidé ce même jour de réimposer des restrictions concernant l’accès des travailleurs roumains à son marché du travail. Le règlement (CEE) no 1612/68 a été codifié et remplacé par le règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (3), qui est entré en vigueur le 16 juin 2011.

(2)

Le 28 juillet 2011, l’Espagne a demandé à la Commission, conformément à l’annexe VII, partie 1, paragraphe 7, deuxième alinéa, de l’acte d’adhésion de 2005, de déclarer que l’application des articles 1er à 6 du règlement (UE) no 492/2011 soit totalement suspendue en ce qui concerne les travailleurs roumains sur l’ensemble du territoire espagnol et dans tous les secteurs. En réponse à cette demande, la Commission a autorisé l’Espagne, par sa décision 2011/503/UE (4), à limiter le libre accès du marché du travail espagnol pour les travailleurs roumains jusqu’au 31 décembre 2012, sous certaines conditions. Cette décision est entrée en vigueur le 12 août 2011.

(3)

L’Espagne a demandé à la Commission, par lettre du 13 décembre 2012, de prolonger la suspension de l’application des articles 1er à 6 du règlement (UE) no 492/2011 jusqu’au 31 décembre 2013 en ce qui concerne les travailleurs roumains.

(4)

L’Espagne justifie sa demande par le fait que les deux raisons sur lesquelles se fonde la décision 2011/503/UE persistent: les graves perturbations sur son marché du travail, qui touchent tous les secteurs et régions et la situation sur le marché du travail des citoyens roumains résidant en Espagne, ainsi que le risque qu’un afflux incontrôlé de travailleurs roumains augmente la pression sur le marché du travail espagnol.

(5)

L’Espagne a présenté des statistiques indiquant que la situation économique et la situation du marché du travail se sont encore dégradées depuis la mi-2011, engendrant des niveaux record de chômage et de chômage des jeunes, et ses prévisions économiques annoncent une contraction du PIB en 2012 et 2013 et une nouvelle augmentation du chômage. De plus, l’Espagne affirme que les perturbations sur son marché du travail, qui représentent une menace sérieuse pour les niveaux d’emploi, sont généralisées et ne se limitent pas à une région ou à un secteur particulier.

(6)

L’Espagne fournit également des données statistiques indiquant que le nombre de ressortissants roumains en Espagne a continué d’augmenter (malgré les restrictions sur le libre accès au marché du travail pour les travailleurs roumains) et qu’ils étaient 913 405 en septembre 2012; que la part de ressortissants roumains qui contribuent au système de sécurité sociale a diminué; que les ressortissants roumains inscrits comme demandeurs d’emploi et ceux percevant des allocations de chômage sont relativement nombreux, quoique leur nombre soit en recul, et que le taux de chômage des ressortissants roumains est plus élevé que la moyenne. L’Espagne conclut que la situation actuelle de son marché du travail affecte sa capacité à absorber de nouveaux flux de travailleurs roumains.

(7)

Conformément à l’annexe VII, partie 1, paragraphe 7, deuxième alinéa, de l’acte d’adhésion de 2005, un État membre peut demander à la Commission de déclarer, au plus tard deux semaines après que celle-ci a été saisie de la demande, que l’application des articles 1er à 6 du règlement (UE) no 492/2011 soit totalement ou partiellement suspendue dans une région ou dans une profession donnée.

(8)

L’analyse des données économiques sous-tendant la décision 2011/503/UE montrait que l’Espagne faisait effectivement face à de graves perturbations sur son marché du travail, caractérisées par un taux de chômage qui est de loin le plus élevé dans l’Union européenne (les données mensuelles d’Eurostat sur le chômage pour juin 2011 indiquent un taux de 21 %, contre 9,4 % en moyenne dans l’Union européenne et 9,9 % dans la zone euro) et qui est particulièrement considérable chez les jeunes (45,7 % en juin 2011), ainsi que par une reprise économique lente (selon les données d’Eurostat, la croissance du PIB au premier trimestre 2011 par rapport au trimestre précédent n’était que de 0,3 %, contre 0,8 % dans l’Union européenne et la zone euro). Cette reprise est en outre entravée par les turbulences financières internationales qui contraignent l’Espagne à introduire de nouvelles compressions budgétaires aux fins d’un assainissement des finances publiques, ce qui pourrait avoir d’autres conséquences négatives à court terme pour les perspectives de croissance économique du pays. La baisse de l’emploi était générale et touchait l’ensemble des régions et des secteurs de production. Les données de l’enquête sur les forces de travail pour la période comprise entre 2008 et 2010 témoignaient également d’une baisse générale du niveau d’emploi de 9 % — culminant même à 33 % dans le secteur de la construction — qui touche toutes les régions et oscille entre 6 % au Pays basque et 13 % dans la Communauté valencienne.

(9)

En conséquence, la Commission a estimé que l’Espagne a fourni des éléments de preuve montrant que cette dernière connaissait des perturbations généralisées sur son marché du travail qui avaient une incidence grave sur le niveau d’emploi dans l’ensemble des régions et des secteurs et qui étaient susceptibles de persister dans un avenir proche.

(10)

En outre, l’analyse effectuée par la Commission en 2011 a établi que les ressortissants roumains résidant en Espagne étaient fortement touchés par le chômage, à un taux qui dépasse 30 % (source: données de l’enquête sur les forces de travail d’Eurostat, premier trimestre 2011). Malgré une certaine diminution causée par la récession économique, les flux de ressortissants roumains arrivant en Espagne demeuraient importants, bien que la demande de main-d’œuvre y fût basse. Le nombre de ressortissants roumains résidant habituellement en Espagne a augmenté, passant de 388 000 au 1er janvier 2006 à 823 000 au 1er janvier 2010 (source: statistiques migratoires d’Eurostat).

(11)

L’analyse des données économiques disponibles à l’heure actuelle montre que le marché du travail en Espagne reste fortement perturbé. La récession continue d’avoir une plus grande incidence sur l’emploi en Espagne que dans d’autres États membres et les données montrent que la tendance s’est accentuée tout au long de 2011 et durant les premiers trimestres de 2012. En octobre 2012, le taux de chômage y était d’environ 26,2 % (21,3 % en juin 2011) contre 10,7 % en moyenne dans l’Union européenne en octobre 2012 (et 9,5 % en juin 2011). De plus, le taux de chômage des jeunes est extrêmement élevé et atteint 55,9 % en octobre 2012 contre 23,4 % en moyenne dans l’Union européenne (source: données mensuelles d’Eurostat sur le chômage).

(12)

Il est probable que la situation économique défavorable et ses conséquences négatives sur le marché de l’emploi persistent. Selon les prévisions économiques de la Commission européenne, le PIB de l’Espagne devrait se contracter en 2012 et en 2013 (– 1,4 % pour les deux années) avant de remonter légèrement en 2014 (+ 0,8 %), et le taux de chômage devrait, selon les prévisions, continuer à augmenter et atteindre 26,6 % en 2013 (avant de revenir à 26,1 % en 2014). La baisse de l’emploi a continué à affecter tous les secteurs économiques. Entre le deuxième trimestre 2011 et le troisième trimestre 2012, l’emploi en Espagne a enregistré un recul d’environ 980 000 personnes (soit – 5,4 %) (source: Eurostat, enquête sur les forces de travail). Si le secteur de la construction a affiché la plus forte baisse (– 293 000, soit – 20,5 %), l’emploi dans l’agriculture, l’industrie manufacturière et le secteur des services a également diminué. En outre, les niveaux de chômage élevés touchent toutes les régions (de 12,0 % au Pays basque à 30,4 % en Andalousie en 2011, source: Eurostat, enquête sur les forces de travail) et les perturbations sur le marché du travail ne se limitent donc pas à une région déterminée.

(13)

En conséquence, la Commission estime que l’Espagne a fourni des éléments de preuve montrant que cette dernière continue à connaître des perturbations généralisées sur son marché du travail qui ont une incidence grave sur le niveau d’emploi dans l’ensemble des régions et des secteurs et qui sont susceptibles de persister dans un avenir proche.

(14)

En outre, l’analyse effectuée par la Commission montre que, depuis que l’Espagne a réintroduit des restrictions à l’accès au marché du travail pour les travailleurs roumains, le nombre de ressortissants roumains en Espagne a continué de croître, bien qu’à un rythme plus lent qu’auparavant: selon les statistiques espagnoles en matière de migrations, il a augmenté de 11 970 personnes (soit une augmentation de 1,3 %) entre le 30 septembre 2011 (901 435) et le 30 septembre 2012 (913 405), tandis qu’il a augmenté de 83 975 personnes (soit + 10,3 %) entre le 30 septembre 2010 (817 460) et le 30 septembre 2011 (901 435). Le taux de chômage des ressortissants roumains en Espagne reste très élevé: il était de 36,4 % au troisième trimestre 2012 (source: Eurostat, enquête sur les forces de travail).

(15)

Il est donc probable que la pleine application de la législation de l’Union relative à la libre circulation des travailleurs resterait un facteur de pression supplémentaire sur le marché du travail espagnol en ce qu’elle permettrait un afflux incontrôlé de travailleurs roumains.

(16)

Afin de rétablir la situation sur le marché du travail espagnol, il y a donc lieu d’autoriser l’Espagne à continuer à en limiter temporairement le libre accès pour les travailleurs roumains. Comme les dispositions transitoires de l’acte d’adhésion de 2005, qui autorisent des restrictions concernant l’accès au marché du travail des ressortissants roumains – dont fait partie la clause de sauvegarde –, expirent le 31 décembre 2013, cette autorisation ne peut s’étendre au-delà de cette date.

(17)

Les restrictions relatives à l’accès au marché du travail constituent une dérogation au principe fondamental du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à savoir la libre circulation des travailleurs. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, de telles mesures doivent être interprétées et appliquées de façon restrictive.

(18)

Il est à ce jour approprié de continuer à appliquer des restrictions à toutes les activités salariées sur l’ensemble du territoire espagnol ainsi qu’à tous les secteurs, compte tenu de la situation actuelle particulière du marché du travail espagnol et étant donné les effets de déplacement et autres répercussions potentielles entre régions et secteurs que pourrait causer une restriction sélective. Le champ d’application de la dérogation peut toutefois être réduit dans le cas où la Commission établirait que les informations pertinentes qui ont conduit à accorder cette dérogation ont changé ou que ses effets s’avèrent être plus restrictifs que son objectif ne l’impose, notamment pour ce qui est des activités salariées nécessitant un diplôme universitaire ou des qualifications équivalentes.

(19)

De même, bien qu’il soit actuellement jugé approprié de maintenir les restrictions autorisées par la présente décision jusqu’à la fin de la période transitoire, soit jusqu’au 31 décembre 2013, afin qu’elles aient l’effet envisagé sur le marché du travail espagnol, cette période peut être écourtée si la Commission estime que les informations pertinentes qui ont mené à l’adoption de la présente décision ont changé ou que ses effets s’avèrent être plus restrictifs que son objectif ne l’impose.

(20)

À cette fin, l’Espagne fournira à la Commission, chaque trimestre, les données statistiques nécessaires à l’évaluation de l’évolution du marché du travail par secteur d’activité et par profession. Le premier rapport trimestriel sera présenté avant le 31 mars 2013.

(21)

La décision d’autoriser l’Espagne à continuer à imposer des restrictions sur le libre accès des ressortissants roumains à son marché du travail est prise à certaines conditions, afin de garantir que ces restrictions sont strictement limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

(22)

Il n’y a donc pas lieu d’autoriser la réintroduction des restrictions à l’égard des ressortissants roumains et des membres de leur famille qui étaient déjà employés sur le marché du travail espagnol ou qui étaient déjà enregistrés en tant que demandeurs d’emploi auprès des services publics de l’emploi en Espagne au 22 juillet 2011, date de notification par l’Espagne des mesures visées au considérant 1.

(23)

Il convient également de respecter les principes régissant les restrictions sur l’accès au marché du travail établis à l’annexe VII, partie 1, de l’acte d’adhésion de 2005, tels que la clause de statu quo et le principe de préférence pour les citoyens de l’Union mentionné à la partie 1, paragraphe 14, de ladite annexe.

(24)

Il y a lieu que le droit des membres de la famille des travailleurs roumains d’être employés en Espagne soit régi mutatis mutandis par les dispositions de l’annexe VII, partie 1, paragraphe 8, de l’acte d’adhésion de 2005.

(25)

Les restrictions des droits d’accès au marché du travail espagnol des ressortissants roumains et des membres de leur famille autorisées par la présente décision sont strictement limitées au champ d’application de cette dernière et ne peuvent en aucun cas s’étendre aux autres droits dont jouissent les ressortissants roumains et les membres de leur famille en vertu du droit de l’Union.

(26)

Aux fins du suivi, il convient que l’Espagne soit tenue de fournir à la Commission des précisions sur les mesures qu’elle aura prises sur la base de la présente décision,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

Aux conditions définies aux articles 2 à 4 de la présente décision, l’Espagne est autorisée à suspendre, jusqu’au 31 décembre 2013, l’application des articles 1er à 6 du règlement (UE) no 492/2011 en ce qui concerne les ressortissants roumains.

Article 2

Sans préjudice des mesures introduites par l’Espagne le 22 juillet 2011 conformément au paragraphe 7, troisième alinéa, de l’annexe VII, partie 1, de l’acte d’adhésion de 2005, la présente décision ne concerne pas les ressortissants roumains et les membres de leur famille:

 

qui étaient employés en Espagne au 12 août 2011, ou

 

qui étaient inscrits en tant que demandeurs d’emploi auprès des services publics de l’emploi en Espagne au 12 août 2011.

Article 3

L’application de la présente décision est soumise mutatis mutandis aux conditions relatives aux dispositions transitoires définies à l’annexe VII, partie 1, de l’acte d’adhésion de 2005.

Article 4

L’Espagne prend toutes les mesures nécessaires pour continuer à suivre de près l’évolution de son marché du travail. Elle fournit à la Commission des données statistiques trimestrielles témoignant de l’évolution du marché du travail par secteur d’activité et par profession. Elle présente son premier rapport trimestriel avant le 31 mars 2013.

En cas d’évolution majeure sur son marché du travail, l’Espagne fournit à la Commission et aux États membres, sans délai, une mise à jour des informations pertinentes qu’elle a fournies pour appuyer sa demande de décision de la Commission et sur la base desquelles la présente décision est adoptée.

Article 5

La présente décision peut être modifiée ou révoquée, notamment si les informations pertinentes visées à l’article 4 et qui ont mené à son adoption ont changé ou si ses effets s’avèrent être plus restrictifs que son objectif ne l’impose.

Article 6

L’Espagne fournit à la Commission des précisions sur les mesures qu’elle a prises sur la base de la présente décision dans les deux mois suivant la réception de cette dernière.

Article 7

La présente décision entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Fait à Bruxelles, le 20 décembre 2012.

Par la Commission

Le président

José Manuel BARROSO


(1)  JO L 157 du 21.6.2005, p. 203.

(2)  JO L 257 du 19.10.1968, p. 2.

(3)  JO L 141 du 27.5.2011, p. 1.

(4)  JO L 207 du 12.8.2011, p. 22.