28.7.2012   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

L 202/17


DÉCISION DU CONSEIL

du 23 juillet 2012

adressée à l’Espagne portant mesures spécifiques pour renforcer la stabilité financière

(2012/443/UE)

LE CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 136, paragraphe 1, point b), en liaison avec l’article 126, paragraphe 6,

vu la proposition de la Commission européenne,

considérant ce qui suit:

(1)

L’article 136, paragraphe 1, point b), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit la possibilité d’élaborer des orientations de politique économique spécifiques pour les États membres dont la monnaie est l’euro.

(2)

Dans la recommandation sur le programme national de réforme de l’Espagne pour 2012 et portant avis sur le programme de stabilité de l’Espagne pour la période 2012-2015 (1), le Conseil a recommandé que l’Espagne prenne des mesures pour «mettre en œuvre la réforme du secteur financier, et en particulier compléter la restructuration en cours du secteur bancaire en remédiant à la situation des établissements faibles restants, présenter une stratégie globale pour traiter efficacement les actifs historiques des bilans des banques, et définir une position claire relative au financement et à l’utilisation des dispositifs de protection».

(3)

En Espagne, dans les années 2000, l’abondance et le faible coût du financement extérieur ont alimenté une demande intérieure financée par le crédit et un boom des actifs, en particulier dans le secteur immobilier. L’éclatement de la bulle des secteurs de l’immobilier et de la construction ainsi que la récession économique qui en a découlé ont nui au secteur bancaire espagnol. Ainsi, à l’exception de quelques grands établissements de crédit diversifiés sur le plan international, les banques espagnoles n’ont plus guère accès à un financement abordable sur les marchés de gros et sont donc devenues très dépendantes du refinancement par l’Eurosystème. En outre, les abaissements de notations, par leurs répercussions sur la disponibilité des sûretés, ont fortement limité la capacité d’emprunt des banques.

(4)

La contraction significative de l’économie ces dernières années, qui a une incidence très négative sur l’emploi et sur l’évolution du chômage, a fortement détérioré la position budgétaire de l’Espagne. Selon la version actualisée des prévisions du printemps 2012 des services de la Commission, le déficit public devrait s’établir à 6,3 % du PIB en 2012, par rapport à un déficit attendu de 5,3 % du PIB dans le programme de stabilité de 2012 et dans le projet de loi budgétaire de 2012. La dette publique brute a augmenté pour atteindre 68,5 % du PIB en 2011, et, selon la version actualisée des prévisions du printemps 2012 des services de la Commission, elle devrait même atteindre, dans l’hypothèse de politiques inchangées, 80,9 % du PIB en 2012 et 86,8 % en 2013 dépassant ainsi ces deux années-là la valeur de référence du traité. Les risques liés au scénario macroéconomique et aux objectifs budgétaires, ainsi qu’aux mesures supplémentaires de sauvetage financier, pourraient causer une nouvelle augmentation de la dette publique. Étant donné ces éléments, le 10 juillet 2012, le Conseil a adressé une recommandation à l’Espagne au titre de la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) afin qu’elle mette un terme à la situation actuelle de déficit excessif en 2014 au plus tard.

(5)

Pour résoudre les problèmes du secteur bancaire, les autorités espagnoles ont pris un certain nombre de mesures importantes. Ces mesures visent à assainir le bilan des banques, à relever les exigences minimales de fonds propres, à restructurer le secteur des caisses d’épargne et à rehausser nettement les exigences de provisionnement pour les prêts liés à la promotion immobilière et pour les biens saisis à la suite d’impayés. Cependant, ces mesures n’ont pas suffi à atténuer la pression des marchés.

(6)

En février 2011, les autorités espagnoles ont relevé le ratio de fonds propres minimal obligatoire («capital principal») à 8 % des actifs bancaires pondérés en fonction des risques; les banques devaient se conformer à cette nouvelle règle pour septembre 2011. Pour les banques plus dépendantes du financement de gros et caractérisées par un accès limité au marché, le ratio de fonds propres minimal a été porté à 10 %. En février et en mai 2012, de nouvelles dispositions législatives ont imposé aux banques de constituer des provisions et des réserves de fonds propres plus importantes pour faire face aux éventuelles pertes sur les prêts productifs et non productifs liés au stock d’actifs accumulés durant la bulle des secteurs de la construction et de l’immobilier. Le volume total prévu de ces nouvelles exigences de provisionnement se montait à environ 84 milliards d’EUR.

(7)

En avril 2012, la contribution financière brute totale de l’État espagnol (à l’exclusion des garanties pour l’émission d’obligations) s’élevait à environ 15 milliards d’EUR. L’aide en fonds propres a été fournie par l’intermédiaire du Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires (FROB), doté d’un capital de 15 milliards d’EUR, dont 9 milliards d’EUR avaient déjà été libérés. L’État a aussi apporté sa garantie à des émissions d’obligations prioritaires de banques, à hauteur de 86 milliards d’EUR environ (dont quelque 58 milliards d'EUR encore exigibles). Malgré la capacité résiduelle du FROB qui s’élève à trois fois sa dotation en capital, le soutien que peut apporter le secteur public ne suffira pas à constituer un garde-fou suffisamment solide en vue de l’assainissement systémique du secteur bancaire qui est exigé.

(8)

Les inquiétudes quant à la nécessité d’une nouvelle recapitalisation du secteur bancaire ont accru la pression du marché sur les obligations d’État espagnoles. Les rendements sur les obligations souveraines ont atteint, fin juin et début juillet 2012, des taux nettement supérieurs à 500 points de base, ce qui augmente le coût de financement de l’État espagnol. Cette charge d’intérêts accrue rend encore plus difficiles l’assainissement des finances publiques et la correction du déficit excessif en Espagne. Dès lors, une restructuration et une recapitalisation globales du secteur bancaire sont importantes pour réduire la pression sur les finances publiques.

(9)

Le 25 juin 2012, les autorités espagnoles ont officiellement demandé une assistance financière dans le contexte de la restructuration et de la recapitalisation en cours du secteur bancaire espagnol. Cette aide est demandée au titre de l’assistance financière du Fonds européen de stabilité financière pour la recapitalisation des établissements financiers. Cette aide est subordonnée au respect de conditions visant spécifiquement le secteur financier, comme le prévoit le protocole d’accord négocié entre le gouvernement espagnol et la Commission, en concertation avec la Banque centrale européenne (BCE) et l’Autorité bancaire européenne (ABE) et avec l’assistance technique du Fonds monétaire international (FMI). Il s’agira notamment de conditions visant spécifiquement le secteur bancaire, conformément aux règles relatives aux aides d’État, et de conditions horizontales. Parallèlement, l’Espagne devra respecter intégralement les engagements qu’elle a pris et les obligations qui lui incombent au titre de la PDE, ainsi que les recommandations l’invitant à lutter contre les déséquilibres macroéconomiques qui lui ont été adressées dans le cadre du semestre européen.

(10)

Renforcer la résilience à long terme du secteur bancaire de l’Espagne est essentiel pour préserver la stabilité financière de ce pays et limiter la contagion des tensions financières à d’autres économies de la zone euro, et ainsi éviter des effets négatifs sur le fonctionnement de l’économie et de l’Union économique et monétaire. Les mesures importantes prises à ce jour pour remédier à ces problèmes n’ont pas été tout à fait suffisantes. Il est donc nécessaire de prendre de nouvelles mesures. En particulier, l’Espagne devrait mettre en œuvre des mesures spécifiques supplémentaires pour résoudre effectivement la question des actifs historiques, rétablir le financement par le marché, réduire la dépendance des banques par rapport aux aides de trésorerie de la banque centrale et renforcer les mécanismes de détection des risques et de gestion des crises.

(11)

Dans le cadre de cette stratégie globale, il est essentiel de traiter le problème des actifs historiques en exigeant, pour les banques aidées, une séparation claire entre leurs actifs problématiques et leur bilan. Ce principe devrait s’appliquer en particulier aux prêts liés à la promotion immobilière et aux biens saisis à la suite d’impayés. Cette dissociation dissiperait tout doute qui subsisterait quant à la qualité du bilan d’une banque, ce qui permettrait à celle-ci de mieux remplir sa fonction d’intermédiation financière.

(12)

En outre, améliorer ainsi la transparence du bilan des banques peut faciliter la réduction ordonnée de leur exposition au secteur immobilier, contribuer au rétablissement du financement par le marché et réduire leur dépendance par rapport aux aides de trésorerie de la banque centrale.

(13)

Pour que le secteur bancaire espagnol dispose d’un cadre solide, il est nécessaire de renforcer les mécanismes de détection des risques et de gestion des crises. Pour être efficace, la stratégie retenue devrait consister en des changements visant à renforcer le cadre de réglementation et de surveillance, sur la base des enseignements tirés de la crise financière. En outre, la gouvernance des entreprises devrait être améliorée pour correspondre aux bonnes pratiques internationales,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

1.   La Commission, en concertation avec la BCE, l’ABE et le FMI, a arrêté avec les autorités espagnoles les conditions visant spécifiquement le secteur financier dont est assortie l’assistance financière. Ces conditions sont fixées dans le protocole d’accord, à signer par la Commission et les autorités espagnoles. Les modalités financières sont fixées dans une convention d’assistance financière.

L’Espagne recapitalise son système bancaire de façon adéquate et le restructure en profondeur. À cet égard, l’Espagne élabore, en coordination avec la Commission européenne et en concertation avec la BCE, une stratégie pour la structure, le fonctionnement et la viabilité futurs des banques espagnoles qui déterminera comment assurer la capacité de celles-ci à fonctionner sans soutien supplémentaire de l’État. Cette stratégie sera précisée dans le protocole d’accord, qui décrira plus en détail les conditions prévues dans la présente décision.

2.   Les principales composantes de cette stratégie sont une réforme des segments faibles du secteur bancaire espagnol et un renforcement des cadres de réglementation et de surveillance de ce secteur.

3.   La réforme des segments faibles du secteur bancaire espagnol comportera les trois axes suivants:

a)

détermination des besoins en fonds propres de chaque banque, par un examen global de la qualité des actifs du secteur bancaire et par un test de la résistance de chaque banque fondé sur cet examen de la qualité. Sur la base des résultats des tests de résistance, les banques qui ont besoin d’une injection de capitaux seront divisées en trois groupes. Chaque groupe sera soumis à l’obligation de présenter des plans de restructuration et de résolution, ainsi que toutes les mesures complémentaires et ultérieures nécessaires, conformément au protocole d’accord;

b)

recapitalisation, restructuration et/ou résolution ordonnée des banques les plus fragiles, selon des plans visant à remédier à tout manque de capitaux décelé lors du test de résistance. Ces plans seront fondés sur les principes de la viabilité, de la réduction maximale du coût pour les contribuables (répartition de la charge) et de la limitation des distorsions de concurrence. À cette fin, l’Espagne adoptera une législation pour i) permettre la mise en œuvre de plans concernant les créances subordonnées, y compris les formes obligatoires de répartition de la charge, et ii) améliorer le cadre de résolution des défaillances d’établissements bancaires afin d’intégrer les pouvoirs pertinents du FROB et du Fonds de garantie des dépôts en matière de résolution, en tenant compte de la proposition de réglementation de l’Union européenne relative à la gestion des crises et la résolution des défaillances bancaires, y compris des instruments spéciaux pour la résolution des défaillances des banques non viables;

c)

séparation des actifs des banques qui bénéficient d’une aide publique à la recapitalisation et transfert des actifs dépréciés à une société de gestion de portefeuille extérieure, pour réaliser leur valeur de long terme. L’Espagne, en étroite concertation avec la Commission, la BCE et l’ABE, et avec l’assistance technique du FMI, élaborera un cadre législatif global pour l’établissement et le fonctionnement de la société de gestion de portefeuille, afin que celle-ci soit pleinement opérationnelle d’ici à novembre 2012.

4.   En outre, afin de doter son secteur bancaire d’un cadre solide, l’Espagne renforce les cadres de réglementation et de surveillance ainsi que la gouvernance dans ce secteur. La stratégie et les conditions, qui sont précisées de manière exhaustive dans le protocole d’accord, comprennent, entre autres, les mesures suivantes:

a)

les établissements de crédit espagnols sont tenus de relever à 9 % au moins leur ratio de fonds propres de base de catégorie 1, conformément à la définition du capital établie dans le cadre de l’exercice de recapitalisation mené par l’ABE;

b)

à partir du 1er janvier 2013, les établissements de crédit espagnols sont tenus d’appliquer la définition des fonds propres inscrite dans le règlement sur les exigences de fonds propres;

c)

le cadre juridique en matière de provisions pour pertes sur crédit est réexaminé. En particulier, sur la base des enseignements tirés de la crise financière, les autorités espagnoles formulent des propositions pour réformer le cadre permanent en la matière, compte tenu des mesures temporaires mises en place au cours des mois précédents et du cadre comptable de l’Union européenne;

d)

l’indépendance opérationnelle de Banco de España est encore renforcée; conformément aux recommandations et aux normes internationales, les pouvoirs de sanction et d’octroi de licences du ministère de l’économie pour le secteur bancaire lui sont attribués;

e)

les procédures de surveillance de Banco de España sont encore améliorées, sur la base d’un audit interne;

f)

les dispositifs de gouvernance des organismes qui constituent le filet de sécurité financier (le FROB et le Fonds de garantie des dépôts) sont réexaminés afin d’éviter tout conflit d’intérêts;

g)

les règles en matière de gouvernance du secteur des caisses d’épargne et des banques détenues par des caisses d’épargne sont renforcées;

h)

la législation en matière de protection des consommateurs et de valeurs mobilières est modifiée afin de limiter la vente par les banques de titres de dette subordonnée (ou de titres non couverts par le Fonds de garantie des dépôts) à la clientèle de détail non qualifiée, et son respect est davantage contrôlé par les autorités;

i)

des mesures sont prises pour réduire autant que possible le coût de la restructuration du secteur bancaire pour les contribuables. Après avoir réparti les dettes entre les détenteurs de fonds propres, les autorités espagnoles imposent des mesures de répartition de la charge aux détenteurs de capital hybride et aux titulaires d’emprunts subordonnés au sein des banques recevant des capitaux publics;

j)

le niveau des rémunérations des membres du conseil d’administration et de surveillance de toutes les banques ayant bénéficié d’une aide d’État est plafonné;

k)

le registre du crédit public est amélioré.

5.   Les autorités communiquent à la Commission, à la BCE, à l’ABE et au FMI, dans de strictes conditions de confidentialité, les données nécessaires pour assurer la surveillance du secteur bancaire.

6.   La Commission, en concertation avec la BCE et l’ABE, vérifie à intervalles réguliers, au moyen de missions et de rapports périodiques établis par les autorités espagnoles, sur une base trimestrielle, que les conditions dont est assortie l’aide financière sont bien respectées. Les activités du FROB dans le cadre du programme font l’objet d’un contrôle régulier.

Article 2

Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision.

Fait à Bruxelles, le 23 juillet 2012.

Par le Conseil

Le président

C. ASHTON


(1)  JO C 219 du 24.7.2012, p. 81.