31994D0118

94/118/CE: Décision de la Commission, du 21 décembre 1993, concernant l'octroi pour l'Irlande d'une aide au groupe Aer Lingus (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi) (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

Journal officiel n° L 054 du 25/02/1994 p. 0030 - 0041


DÉCISION DE LA COMMISSION du 21 décembre 1993 concernant l'octroi pour l'Irlande d'une aide au groupe Aer Lingus (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi) (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (94/118/CE)

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa,

ayant mis les parties intéressées, conformément aux dispositions de l'article susmentionné, en demeure de présenter leurs observations, et compte tenu de ces observations,

considérant ce qui suit:

I Conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité, les autorités irlandaises, par une lettre datée du 12 août 1993 et enregistrée par le secrétariat général de la Commission le 2 septembre 1993, ont notifié à la Commission, sur demande écrite de cette dernière, leur intention d'apporter sur une période de trois ans au groupe Aer Lingus (ci-après dénommé « Aer Lingus ») des capitaux pour un montant de 175 millions de livres irlandaises.

Cette injection de capitaux fait partie d'un plan de restructuration intitulé « Une stratégie pour l'avenir » (ci-après dénommé « le plan ») que les autorités irlandaises ont joint à leur notification. Les autorités irlandaises ont approuvé le plan le 6 juillet 1993 et autorisé le ministre irlandais des finances, en qualité d'actionnaire, à apporter 175 millions de livres irlandaises à Aer Lingus. Cet apport devrait s'effectuer de la façon suivante: 75 millions seraient versés en 1993, 50 millions en 1994 et 50 millions en 1995.

L'échéancier et le montant de l'apport de capital dépendent du respect des conditions suivantes:

a) un accord doit être conclu avec les syndicats irlandais appropriés pour réduire de 50 millions de livres irlandaises les dépenses annuelles d'Aer Lingus;

b) des documents doivent prouver de façon satisfaisante que les mesures proposées ont été intégralement mises en oeuvre;

c) la Commission doit officiellement approuver la stratégie et l'apport proposés.

Cet apport a pour but de réduire le poids de la dette d'Aer Lingus et d'aider le groupe à ramener, dans un délai acceptable, son taux de couverture de l'intérêt et son ratio d'endettement à des niveaux raisonnables.

Les autorités irlandaises ont, dans leur notification, expressément reconnu que l'apport envisagé de capitaux à Aer Lingus est une aide au sens de l'article 92 du traité, en soutenant toutefois qu'elle pouvait être considérée comme compatible avec le marché commun en vertu de l'article 92 paragraphe 3 point a), en tant qu'aide régionale, et de l'article 92 paragraphe 3 point c) en tant qu'aide destinée à faciliter le développement de certaines activités.

Le 13 octobre 1993, la Commission a décidé d'engager la procédure visée à l'article 93 paragraphe 2 du traité au sujet de l'apport envisagé de capitaux, à hauteur de 175 millions de livres irlandaises, à Aer Lingus. Eu égard à la gravité des difficultés financières dans lesquelles la compagnie se débattait à l'époque de la notification, la Commission a jugé, en vertu du principe de l'investisseur en économie de marché, que l'apport de capitaux contenait des éléments d'aide au sens de l'article 92 paragraphe 1, une interprétation que le gouvernement irlandais n'a, au surplus, pas contestée. Les principales raisons de l'ouverture de la procédure résident dans les doutes que la Commission nourrissait au sujet de divers aspects du plan de restructuration et de son incidence sur la concurrence. La Commission voulait en particulier recevoir l'assurance que:

- les réductions de coûts, qui impliquent un certain nombre de mesures telles que le plan de réduction des effectifs négocié avec les syndicats, seront réalisées comme prévu,

- les deuxième et troisième tranches de l'aide ne seront versées que si la société a atteint des objectifs bien précis, en particulier en ce qui concerne l'amélioration de la productivité,

- l'aide est la dernière pour la période en cause,

- les objectifs fixés dans le plan adopté par Aer Lingus pour l'aéroport de Shannon ne portent pas atteinte à la viabilité du plan,

- l'aide ne servira pas à reporter les difficultés d'Aer Lingus sur ses concurrents et, plus particulièrement, n'aura pas de répercussions inacceptables sur le jeu de la concurrence sur certaines lignes, telles que la ligne Dublin-Londres, où le trafic est important et la concurrence vive,

- l'aide ne servira pas à renforcer la position d'Aer Lingus dans une mesure contraire à l'intérêt commum pour les opérations au sol dans les aéroports irlandais,

- la restructuration de l'entreprise en quatre divisions distinctes sera soumise aux droits de timbres et aux droits de constitution qui frappent les opérations similaires en Irlande.

Par une lettre du 20 octobre 1993, la Commission a porté sa décision à la connaissance du gouvernement irlandais et l'a mis en demeure de présenter ses observations. Cette lettre a été publiée au Journal officiel (1) et les autres États membres ainsi que les parties intéressées ont également été invités à présenter leurs observations conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 2 du traité.

II Les autorités irlandaises ont présenté leurs observations dans des lettres des 24 novembre et 9 et 13 décembre 1993, dans un fax du 8 décembre 1993 ainsi qu'au cours de différentes réunions tenues avec les fonctionnaires compétents de la direction générale VII de la Commission à Dublin et à Bruxelles. Les autorités irlandaises n'ont pas contesté l'analyse juridique et économique qui a amené la Commission à considérer l'accord de capitaux juridique et économique qui a amené la Commission à considérer l'accord de capitaux comme une aide au sens de l'article 92 paragraphe 1 et à ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2. Elles ont répondu à toutes les questions qui nécessitaient un complément d'informations posées par la Commission en engageant la procédure. Le gouvernement irlandais a ainsi:

1) en ce qui concerne la réduction des coûts, confirmé à la Commission qu'il n'effectuera l'apport en capitaux que s'il a acquis la certitude qu'Aer Lingus a réellement réduit ses coûts de 50 millions de livres irlandaises et pu faire établir par un expert indépendant que cette réduction des coûts a été intégralement réalisée. Le gouvernement irlandais a en outre informé la Commission que le programme de réduction des coûts a été négocié entre la compagnie et les syndicats et qu'Aer Lingus a maintenant les mains libres pour mener à bien ce programme de réduction nécessaire des coûts de 50 millions de livres irlandaises;

2) en ce qui concerne la subordination du paiement des deuxième et troisième tranches de l'aide à la réalisation de certains objectifs précis, pris l'engagement d'informer la Commission du déroulement du programme de restructuration, de l'évolution de la situation financière et économique du groupe Aer Lingus et de ses divisions ainsi que de la réalisation des engagements contractés dans sa correspondance antérieure avec la Commission au sujet des améliorations de productivité. Le gouvernement irlandais s'est également engagé à fournir ces informations quatre semaines au moins avant le paiement des deuxième et troisième tranches de l'aide en 1994 et 1995 afin de donner à la Commission la possibilité de formuler les observations qu'elle estimerait nécessaires;

3) en ce qui concerne la nature finale de l'aide, affirmé à la Commission que l'aide actuellement accordée à Aer Lingus était la dernière pour la période de retructuration et déclaré qu'il n'avait pas l'intention d'en accorder d'autres à Aer Lingus à l'avenir;

4) déclaré que la nouvelle stratégie envisagée pour l'aéroport de Shannon répond aux intérêts commerciaux et financiers de la compagnie qui l'a librement retenue parmi plusieurs options allant du statu quo (débouchant à terme sur une fermeture) à l'intégration totale à une compagnie américaine. Les prévisions financières correspondantes reposent sur des hypothèses extrêmement prudentes. Le gouvernement irlandais est convaincu, au vu des chiffres les plus récents sur l'évolution du trafic entre l'Irlande et les États-Unis, que la nouvelle stratégie produira de très bons résultats financiers. Il a affirmé à la Commission qu'il n'avait jamais imposé à Aer Lingus de desservir la ligne Shannon-Boston en basse saison. Il a en outre affirmé que Boston est un marché particulier pour Aer Lingus et que la suppression du service d'hiver aurait un impact négatif sur le service été, en particulier dans le cadre du trafic d'affaires et de fret;

5) en ce qui concerne l'incidence de l'aide sur les échanges communautaires, déclaré qu'elle n'a pas et n'aura pas de répercussions sur la gestion commerciale de la compagnie. Le gouvernement irlandais affirme que l'apport de capital ne sera pas utilisé pour subventionner des lignes déficitaires et qu'il fera obligation à la compagnie, après sa restructuration, d'exploiter les grandes catégories de lignes de façon commercialement viable. Le plan ne sera en outre pas expansionniste et ne donnera pas à Aer Lingus les moyens d'élargir sa part du marché communautaire aux dépens de ses concurrents. Aer Lingus n'étoffera pas sa flotte (2) pendant la durée de sa restructuration, si ce n'est qu'elle pourrait avoir besoin d'appareils supplémentaires pour desservir les lignes transatlantiques pendant la haute saison d'été au cas où elle remplacerait ses B-747-100 actuels par des appareils plus petits. Aer Lingus n'a pas l'intention de modifier la structure générale de ses activités au cours de sa période de restructuration, ne vise pas à élargir sa part de marché et poursuivra ses activités dans une optique exclusive de profit.

Le gouvernement irlandais a confirmé que l'argent reçu servira dans sa totalité à couvrir les coûts du programme de restructuration et à réduire les dettes d'Aer Lingus afin de redresser sa position financière. Il a également affirmé que, pendant la durée du programme, Aer Lingus n'achètera pas d'actions d'une autre compagnie communautaire.

Les autorités irlandaises déclarent que les nouvelles divisions, et notamment Aer Lingus Express, nées de la restructuration envisagée du groupe deviendront, une fois mises en place, des entités légales distinctes et fonctionneront comme telles. Les comptes de ces sociétés seront, pour en assurer la transparence, contrôlés séparément.

Pour ce qui est d'Aer Lingus Express, le gouvernement irlandais a informé la Commission que la mise en place de ce département à faible coût n'avait à l'heure actuelle pas encore été décidée. Il lui a apporté l'assurance qu'Aer Lingus Express ne commencerait à fonctionner qu'au moment où la compagnie pourrait apporter la preuve (en fournissant notamment un compte des coûts et recettes) que ce département peut réaliser des bénéfices sur un marché où la concurrence est vive et les coûts sont réduits au minimum. Il a aussi rappelé que, s'il était créé avant la terme de la période de restructuration, le département Aer Lingus Express exercera ses activités en utilisant la flotte actuelle d'Aer Lingus.

Le gouvernement irlandais déclare que les taux de remplissage enregistrés sur la ligne Dublin-Londres prouvent qu'il n'y a pas de surcapacité sur cette ligne et que le double fait que deux autres compagnies envisagent de la desservir, d'une part, et que le nombre de passagers transportés par les compagnies maritimes a augmenté de 8 % entre 1992 et 1993, d'autre part, autorise à conclure à une insuffisance des capacités aériennes.

Le gouvernement irlandais affirme toutefois que la capacité ne sera pas augmentée en 1994 et 1995. Il déclare ainsi à ce propos que le nombre de sièges offerts à la vente sur les services réguliers assurés par Aer Lingus en 1994 ne dépassera pas 3,42 millions sur les lignes Irlande/Royaume-Uni, dont 1,43 million pour la ligne Dublin/Heathrow. Ces chiffres reflètent la capacité en sièges d'Aer Lingus pendant les douze mois précédant la notification de l'aide. Le gouvernement irlandais a informé la Commission que des experts indépendants, codésignés par l'Irlande et la Commission vers la mi-1994, évalueront les résultats enregistrés par la compagnie avant cette date ainsi que ceux auxquels on peut s'attendre pour la fin de l'année. Il précise aussi que le nombre de sièges indiqué ci-dessus sera revu si la croissance du marché Royaume-Uni/Irlande le justifie et que, simultanément, un expert indépendant évaluera la croissance réelle et prévisible du marché en 1995 pour qu'Aer Lingus puisse augmenter ses capacités proportionnellement au développement du marché global;

6) déclaré qu'Aer Lingus ne dispose pas de l'exclusivité des droits pour les opérations au sol dans les aéroports irlandais. Toutes les compagnies peuvent effectuer elles-mêmes leurs opérations au sol dans les aéroports irlandais et Aer Lingus n'assure qu'une très faible part des opérations au sol d'autres compagnies;

7) donné à la Commission l'assurance que, en vertu du droit irlandais, aucun droit de timbre ou droit de constitution ne sera dû sur la restructuration et l'apport en capital.

III Le gouvernement britannique, plusieurs concurrents d'Aer Lingus desservant les lignes Royaume-Uni/Irlande, en particulier Ryanair et British Midland, et d'autres parties intéressées ont présenté des observations sur cette affaire. Toutes ces parties ont approuvé la décision de la Commission d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 et soulevé un certain nombre de questions liées en partie aux doutes exprimés dans cette décision. Les tierces parties craignaient ainsi toutes que l'aide accordée à Aer Lingus n'altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Leurs craintes peuvent se résumer comme suit:

- la restructuration d'Aer Lingus, et plus particulièrement la création d'Aer Lingus Express, peut faire subsister ou créer des surcapacités sur certaines lignes Royaume-Uni/Irlande. L'apport en capitaux donnerait à Aer Lingus les moyens de maintenir sa capacité sur ces lignes ou de l'augmenter en offrant des tarifs non rentables. L'aide pourrait aussi lui permettre d'ouvrir de nouvelles lignes ou de reprendre la desserte de lignes abandonnées. La création de cette surcapacité pénaliserait les concurrents qui verraient faiblir leurs taux de chargement et elle les contraindrait à ramener leurs tarifs à des niveaux non rentables ou même à cesser leur activité (3),

- Aer Lingus peut user de l'aide pour fixer ses tarifs à un niveau où ils ne couvrent pas les coûts. Pratiquée sur les lignes intracommunautaires, cette politique tarifaire permettrait à Aer Lingus de concurrencer des compagnies qui sont plus efficientes ou offrent un service moins cher sur la même ligne,

- les relations financières entre les différentes composantes du groupe Aer Lingus pourraient souffrir d'un certain manque de transparence. Certaines des parties intéressées affirment que la restructuration d'Aer Lingus donnera naissance à une compagnie bon marché (Aer Lingus Express) qui ne volera pas de ses propres ailes, mais sera soutenue par des subventions croisées. Le bradage des prix sur des lignes où les coûts jouent un rôle prépondérant risque de mettre à mal la position concurrentielle des concurrents et même de contraindre certains d'entre eux à cesser leur activité,

- Aer Lingus peut user de l'aide pour acheter de nouvelles participations dans des compagnies communautaires,

- le privilège dont Aer Lingus jouit sur les aéroports irlandais et les conditions fiscales dans lesquelles sa restructuration a été opérée soulèvent quelques préoccupations mineures.

En outre, le syndicat d'Aer Lingus (CRC) est également intervenu dans la procédure pour affirmer que l'apport de capitaux n'était pas une aide et pouvait, en tout état de cause, être autorisé sans condition en vertu des dispositions de l'article 92 paragraphe 3 points a) et c).

Tous ces commentaires ont été transmis au gouvernement irlandais, qui a répondu, dans le cadre de la procédure, aux arguments invoqués.

IV Aer Lingus se copose de deux sociétés, Aer Lingus plc et Aerlinte Eireann plc. Ces deux sociétés partagent les mêmes fonds propres, la même direction et le même conseil d'administration, et leurs comptes sont consolidés.

Mis à part les services de transport aérien, les principales activités du groupe sont:

a) la fourniture de services aux compagnies aériennes (maintenance, opérations au sol et autres services annexes à l'aviation). La principale filiale s'appelle TEAM Aer Lingus (ci-après dénommée « TEAM »). Cette société emploie environ 2 000 personnes et propose aux compagnies aériennes divers services, la révision des éléments d'aéronefs et une assistance mécanique;

b) l'activité hôtelière. Aer Lingus possède et gère, sous le nom de Copthorne, plusieurs hôtels situés dans les principales villes du Royaume-Uni et dans certaines villes européennes, notamment Paris et Bruxelles;

c) la gestion d'un portefeuille commercial. Aer Lingus gère un portefeuille de sociétés actives dans le domaine des services informatiques, des systèmes de production automatisés et de la fourniture de services au personnel, et détient également une participation minoritaire dans la société de location d'aéronefs GPA.

Le transport aérien est l'activité centrale du groupe, et de loin la plus importante. Aer Lingus est l'une des plus petites ex-« compagnies de pavillon » de la Communauté. Elle exploite 29 avions en service régulier. Le gorupe emploie environ 12 700 personnes, dont 5 000 travaillent dans le secteur aérien. Le chiffre d'affaires du groupe s'élevait pour l'exercice budgétaire 1992/1993 à 817 millions de livres irlandaises (522 millions de livres irlandaises pour la seule compagnie aérienne).

Aer Lingus est le principal fournisseur de services aériens à l'intérieur, à destination et au départ de l'Irlande. Les principaux itinéraires desservis par Aer Lingus sont, par ordre d'importance: Irlande-Londres (c'est la ligne la plus fréquentée, avec 2 980 000 passagers transportés en 1992/1993, et une part de marché de 61 % pour Aer Lingus. Toutefois, la part de marché sur la liaison Londres-Dublin, après une brusque chute, n'était plus que de 46 % d'avril à septembre 1993), Irlande/Europe continentale, Irlande/Royaume-Uni hors Londres, et enfin les liaisons transatlantiques (New York et Boston sont les deux seules destinations). Aer Lingus propose essentiellement des services aériens à courte distance, et même les services à destination de l'Amérique du Nord sont les itinéraires les plus courts exploités par un transporteur communautaire. Par conséquent, la flotte de la compagnie est principalement composée de B-737, acquis à la fin des années 1980 et au début des années 1990; il s'agit donc d'une flotte à courte distance extrêmement récente. En revanche, les services transatlantiques sont assurés par trois B-747-100 de 1970/1971, que la compagnie compte remplacer d'ici 1995/1996. Dans l'ensemble, Aer Lingus dispose d'une des flottes les plus récentes d'Europe (moyenne d'âge: 5,3 ans).

Après neuf années de bénéfices, Aer Lingus a commencé à subir des pertes en 1991/1992. Pour l'exercice budgétaire 1991/1992, le groupe a enregistré une perte avant impôts de 3,1 millions de livres irlandaises et une perte nette de 11,8 livres irlandaises. Pour l'exercice 1992/1993, la perte nette s'est élevée à 188 millions de livres irlandaises. Elle est principalement imputable aux mauvais résultats d'exploitation, aux coûts de restructuration et à la passation par pertes et profits des actions détenues au sein de GPA, à la suite de l'effondrement des titres de la société il y a un an, qui a contribué aux pertes de 1992/1993 à hauteur de 44 millions de livres irlandaises et a amputé les réserves de la compagnie de 69,6 millions de livres irlandaises (4). Par ailleurs, ce résultat négatif est également dû aux mauvais résultats enregistrés par les autres activités. L'activité « services » a vu son bénéfice avant impôts et résultat exceptionnel chuter de 14 millions de livres irlandaises environ en 1991/1992 à 6 millions de livres irlandaises une année plus tard. En 1992/1993, TEAM a enregistré une perte avant impôts de 2,5 millions de livres irlandaises, alors qu'elle avait réalisé un bénéfice de plus de 3 millions de livres irlandaises l'année précédente.

Cependant, les problèmes les plus graves d'Aer Lingus sont liés à la compagnie aérienne. Celle-ci est déficitaire depuis 1989/1990 et a enregistré des pertes avant impôts de 42 millions de livres irlandaises en 1990/1991, 38 millions de livres irlandaises en 1991/1992 et 50 millions de livres irlandaises en 1992/1993 (auxquelles s'ajoutent 60 millions de livres irlandaises de charges exceptionnelles, couvrant notamment les coûts de restructuration et la passation par profits et pertes de sa participation dans GPA). Par rapport à certains grands concurrents européens, le transporteur irlandais se trouve dans une situation particulièrement précaire.

Comme certaines autres compagnies aériennes, Aer Lingus est touchée de plein fouet par la crise qui sévit dans le secteur, ainsi que par les profondes mutations structurelles issues de la libéralisation.

La situation ne devrait pas s'améliorer dans un avenir proche. Si des mesures de restructuration ne sont pas prises rapidement, on estime que les pertes avant impôts et résultat exceptionnel s'élèveront à 58 millions de livres irlandaises en 1993/1994 (64 millions de livres irlandaises pour la compagnie aérienne).

Ces résultats ont eu un impact négatif très grave sur la situation financière d'Aer Lingus. Les fonds propres ont diminué de 361 millions de livres irlandaises en 1991/1992 à 93 millions de livres irlandaises en 1992/1993. La dette nette du groupe a augmenté de 494 millions de livres irlandaises en 1991/1992 à 539 millions de livres irlandaises en 1992/1993. Le ratio d'endettement à long terme a augmenté de 378 %, passant de 1,37 en 1991/1992 à 5,18 en 1992/1993.

En raison de ses mauvais résultats, Aer Lingus fait donc face à une sérieuse crise financière.

Pour une large part, les problèmes du groupe semblent liés à des facteurs externes, auxquels se sont ajoutés d'importants facteurs internes qui sont développés ci-après. Parmi les premiers, il convient de mentionner la structure même des marchés sur lesquels Aer Lingus se positionne et qui sont largement dominés par les transports de loisir.

Le marché intérieur du groupe est très réduit et généralement déficitaire. En fait, le gouvernement irlandais a l'intention d'imposer des obligations de service public pour soutenir les principales liaisons intérieures.

À la suite d'un accord conclu entre les gouvernements britannique et irlandais, le principal marché d'Aer Lingus, à savoir la liaison Irlande/Royaume-Uni, s'est considérablement libéralisé depuis 1986. La déréglementation et la désignation par le gouvernement irlandais d'autres transporteurs irlandais ont abouti à l'accroissement de la capacité et de la concurrence sur les itinéraires reliant l'Irlande au Royaume-Uni. British Airways s'est retirée du marché Londres/Dublin en 1991 en raison des faibles perspectives de bénéfices. Aer Lingus a dû affronter une rude concurrence de la part des transporteurs privés (tels que British Midland et Ryanair) opérant à faible coût. Cette concurrence a diminué les rendements et les marges d'exploitation du groupe. Pour faire face à la situation, Aer Lingus a réduit à la fin de 1992 sa capacité sur plusieurs liaisons communautaires. La réduction la plus importante a concerné l'itinéraire Dublin-Londres, où la compagnie a diminué sa capacité de 20 %. Pour cela, elle a cessé d'exploiter la liaison Dublin/Gatwick et a réduit le nombre de ses vols entre Dublin et Heathrow.

La concurrence accrue sur les itinéraires Royaume-Uni/États-Unis a sérieusement compromis la position de la société sur le marché nord-atlantique. Les géants américains proposent de nouveaux services au départ et à destination de Londres, ainsi que des vols directs pour les États-Unis à partir des villes septentrionales du Royaume-Uni, comme Manchester et Glasgow, proches de l'Irlande. Par conséquent, la proportion des usagers utilisant des vols indirects à destination de l'Irlande s'est accrue de 40 % à 55 % en 1992. La situation concurrentielle de la compagnie sur le marché nord-américain s'est également détériorée en raison de la politique menée par le gouvernement irlandais vis-à-vis de l'aéroport de Shannon, qui dessert les régions de l'ouest et du centre-ouest du pays. Cette politique, en vertu de laquelle tout vol transatlantique au départ et à destination de l'Irlande devait faire escale à Shannon, remonte à l'époque où l'arrêt y était nécessaire pour des raisons techniques. Elle a été maintenue pendant près de 50 ans pour préserver l'emploi et contribuer au développement de cette région de l'ouest et du centre-ouest de l'Irlande. Cependant, cette politique a eu également pour effet d'interdire à Aer Lingus de proposer des vols directs au départ de Dublin, où la compagnie a son siège. L'arrêt obligatoire à Shannon a empêché Aer Lingus de faire de Dublin une plaque tournante, a occasionné des dépenses supplémentaires et a fait perdre au groupe des passagers sur les itinéraires Dublin/États-Unis, ce qui a eu une influence négative non négligeable sur les résultats globaux de la compagnie aérienne. En effet, ces dernières années, Aer Lingus a perdu annuellement près de 10 millions de livres irlandaises sur le trafic transatlantique.

La crise que traverse le groupe s'explique également par le programme de renouvellement de la flotte mis en oeuvre à la fin des années 1980 sur la base de prévisions économiques trop optimistes, comme ce fut le cas pour beaucoup d'autres compagnies aériennes. La flotte se faisant aussi vieillissante, de nouveaux avions ont donc été livrés dès la fin de 1987 et tout au long de la crise, jusqu'en avril 1993. Ces achat ont dû être financés au moyen de prêts à taux d'intérêt élevés, au moment même où l'économie mondiale entrait dans une phase de récession.

Aer Lingus souffre également d'une structure de coûts élevés et d'une productivité relativement faible, qui peut être largement améliorée. Ce manque de productivité est particulièrement problématique si l'on garde à l'esprit que la compagnie opère principalement dans le secteur du transport de loisir, où la pression sur les rendements est élevée. La société se trouve donc dans une situation difficile, handicapée par des rendements faibles et une productivité peu élevée qui entament ses résultats d'exploitation.

Le caractère saisonnier de l'activité constitue un problème supplémentaire.

Les autorités irlandaises ont joint à la notification un plan pour restaurer la situation financière et la viabilité d'Aer Lingus. Ce plan vise essentiellement à restructurer le secteur des transports aériens, qui constitue l'activité de base du groupe. Cet objectif prévoit de:

a) éclater le groupe en quatre divisions opérationnelles:

- Aer Lingus continuera à exploiter les itinéraires actuels, nationaux ou à destination du Royaume-Uni et de l'Europe occidentale,

- Aer Lingus Shannon, situé à l'aéroport de Shannon, gérera les itinéraires transatlantiques à destination des États-Unis,

- Aer Lingus Express, transporteur dont les coûts et les tarifs seront faibles, sera principalement présent sur les lignes reliant l'Irlande au Royaume-Uni, où la concurrence est acharnée,

- les filiales et les sociétés de soutien (TEAM par exemple) constitueront des centres de profit indépendants, responsables de leur propre structure de coûts;

b) modifier les règles en ce qui concerne l'escale à Shannon. Selon les dispositions du nouveau plan, la flotte transatlantique sera entièrement stationnée à Shannon. Shannon continuera à être directement reliée à New York et à Boston (deux vols hebdomadaires directs sur Boston en hiver, portés à six en été, avec des correspondances pour Dublin toute l'année, et un vol quotidien direct sur New York, l'été uniquement). De plus, un service reliant Shannon à Dublin puis à New York, sans autres escales, sera exploité toute l'année;

c) réduire les coûts annuels du groupe d'environ 50 millions de livres irlandaises. Cet objectif sera atteint en diminuant la masse salariale et les frais généraux. 34 millions de livres irlandaises seront économisés sur la masse salariale (qui représente 80 % des coûts variables d'Aer Lingus). À cette fin, 1 530 licenciements (soit 12 % des effectifs du groupe) pourraient être nécessaires (1 280 licenciements au sein de la compagnie aérienne et 250 au sein de TEAM);

d) vendre les éléments de l'actif qui ne correspondent pas à l'activité de base du groupe, en particulier la chaîne d'hôtels Copthorne, évaluée à 235 millions de livres irlandaises dans le rapport annuel de 1991/1992 (en ne tenant pas compte de la dette y associée).

Grâce à cette nouvelle stratégie, Aer Lingus espère renouer avec les bénéfices à partir de 1994/1995, et réduire sa dette nette de 539 millions de livres irlandaises au 31 mars 1993 à 102 millions de livres irlandaises au 31 mars 1997.

L'éclatement d'Aer Lingus en quatre divisions indépendantes devrait permettre au groupe d'accroître sa souplesse et d'assurer une meilleure visibilité sur les profits et les pertes.

V L'article 92 du traité dispose que les aides accordées par les États membres ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou la production de certains biens sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres.

Dans le cas présent, les autorités irlandaises ont prévu d'injecter, en trois tranches, 175 millions de livres irlandaises dans la société publique Aer Lingus, par la voie d'une augmentation de capital.

Le traité consacre le principe de la neutralité à l'égard du régime de propriété en vigueur dans les États membres et le principe d'égalité des entreprises publiques et privées (article 222). En vertu de ces principes, l'action de la Commission ne peut désavantager ou favoriser les pouvoirs publics lorsqu'ils procèdent à des apports en capitaux à des entreprises. Cependant, la Commission doit contrôler les apports de fonds publics dont bénéficent certaines sociétés, pour empêcher que les États membres ne faussent le jeu de la concurrence au sein du marché commun par des aides d'État.

La Commission estime que, en cas d'apport de fonds publics, il n'y a pas aide si certains actionnaires participent à l'opération au prorata de leurs participations. Il est essentiel en outre que ces participations trouvent une justification économique (5). Or, la présente affaire ne peut être examinée en vertu de ce principe puisque Aer Lingus, à l'exception des actions déposées en garantie par le directoire, est détenue à 100 % par l'État irlandais.

Pour décider s'il s'agit d'une aide d'État, la Commission fondera son jugement sur le principe de l'« investisseur privé guidé par les critères du marché ». Selon ce principe, il n'y a pas d'aide d'État si l'apport est réalisé dans des circonstances qui seraient acceptables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché (6).

La Cour de justice a précisé que le comportement de l'investisseur privé, auquel doit être comparée l'intervention de l'investisseur public, doit, au moins, être celui d'un holding privé ou d'un groupe privé d'entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, et guidé par des perspectives de rentabilité à long terme (7).

En l'espèce, la Commission estime que, au vu de la situation financière particulièrement difficile d'Aer Lingus, aucun investisseur privé n'aurait accepté d'investir dans la compagnie aérienne.

Les autorités irlandaises ont décidé d'intervenir à un moment particulièrement difficile où la compagnie, accablée par les dettes, était menacée de faillite. Au vu de la mauvaise situation financière d'Aer Lingus et de sa crise de liquidités, l'intervention du gouvernement a pour objectif de porter secours à la société et d'en assurer la survie.

La situation financière d'Aer Lingus ainsi que le poids et la structure de sa dette sont tels qu'aucun investisseur privé, guidé par les critères du marché, n'aurait pu espérer obtenir un rendement normal sur le capital investi dans un délai raisonnable.

Cette aide, étant donné le niveau élevé de la concurrence sur les principaux itinéraires exploités par Aer Lingus, pourrait fausser la concurrence entre les transporteurs communautaires. En outre, en raison des caractéristiques intrinsèquement transfrontalières du secteur concerné, qui par essence a une vocation internationale, cette aide affecte le commerce entre les États membres. C'est particulièrement le cas du marché Royaume-Uni/Irlande, libéralisé en 1986. Le marché le plus important d'Aer Lingus se caractérise par des volumes de trafic très élevés et une concurrence très vive. L'aide pourrait avoir des répercussions plus fortes sur les échanges et les concurrents d'Aer Lingus sur ce marché géographiquement délimité à cause de sa spécificité.

La Commission est donc d'avis que le projet d'apport de capital à Aer Lingus, notifié par les autorités irlandaises conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité, relève de l'article 92 paragraphe 1.

L'aide accordée à Aer Lingus ne peut pas être considérée comme compatible avec le marché commun selon l'article 92 paragraphe 2 du traité puisqu'elle ne correspond à aucune des hypothèses prévues par les dispositions de ce paragraphe.

L'article 92 paragraphe 3 points a) et c) prévoit des dérogations pour les aides destinées à favoriser ou à faciliter le développement de certaines régions. Les autorités irlandaises soutiennent que l'aide peut être autorisée en vertu des dispositions de l'article 92 paragraphe 3 point a), en qualité d'aide régionale. Cette affirmation s'appuie sur l'hypothèse que l'Irlande est, au sein du Fonds européen de développement régional, une région d'objectif no 1, puisqu'elle constitue une région désavantagée avec un produit intérieur brut par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Les autorités irlandaises font valoir qu'un réseau de transports efficace est d'une telle importance pour l'économie du pays que l'Irlande ne peut pas prendre le risque de dépendre de compagnies aériennes étrangères. Si Aer Lingus ne survivait pas, le résultat serait catastrophique pour l'économie irlandaise, que ce soit au niveau du réseau des transports, de l'industrie, du commerce, du tourisme, de l'emploi et de l'aviation irlandaise en général.

La Commission ne partage pas l'opinion des autorités irlandaises quant à l'applicabilité de l'article 92 paragraphe 3 point a) à l'aide octroyée à Aer Lingus. Même si l'Irlande est une région qui relève de l'article 92 paragraphe 3 point a), l'aide étudiée ne propose pas un projet général dont toutes les compagnies aériennes situées en Irlande, et reliant l'île au reste du monde, pourraient bénéficier. Il s'agit d'une mesure ad hoc qui aide le transporteur public à surmonter sa profonde crise financière et maintient Aer Lingus sur le marché. Par conséquent, l'article 92 paragraphe 3 point a) ne peut pas être invoqué en l'espèce.

Quant à l'article 92 paragraphe 3 point b), il est évident que l'aide en question n'est pas destinée à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun, ou à remédier à une perturbation grave de l'économie irlandaise. De toute façon, les autorités irlandaises n'ont pas invoqué cette disposition.

En ce qui concerne la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) pour les « aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques », la Commission peut en effet considérer certaines aides liées à des projets de restructuration comme compatibles avec le marché commun si elles remplissent un certain nombre de critères (8). Ces critères doivent être considérés en gardant à l'esprit les deux principes énoncés à l'article 92 paragraphe 3 point c): l'aide doit être nécessaire du point de vue de la Communauté, pour développer l'activité et elle ne doit pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun (9).

Le mémorandum no 2 interprète ces critères dans le cadre du secteur de l'aviation et précise que la Commission peut, conformément aux dispositions de l'article 92, décider d'autoriser dans certains cas les aides destinées à des compagnies qui se trouvent dans une situation financière difficile, sous réserve que certaines conditions soient réunies:

a) les aides doivent faire partie d'un programme approuvé par la Commission, visant à assainir la compagnie afin que celle-ci puisse, dans des délais raisonnables, poursuivre ses activités sans autre aide,

b) les aides en question ne doivent pas avoir pour effet de transférer les difficultés d'un État membre au reste de la Communauté,

c) les aides de ce type doivent être conçues de manière à être transparentes et contrôlables.

Compte tenu de la concurrence accrue, et en particulier de la libéralisation progressive des transports aériens, résultant du troisième train de mesures (10), la Commission doit s'en tenir à une stricte politique de contrôle des aides d'État afin d'éviter qu'elles aient des effets contraires à l'intérêt commun.

Les autorités irlandaises invoquent la dérogation visée à l'article 92 paragraphe 3 point c) pour l'aide notifiée. Selon elles, l'injection de capital, qui fait partie d'un programme exceptionnel de restructuration financière visant à restaurer la viabilité de la compagnie à brève échéance, devrait bénéficier de la dérogation, puisqu'elle constitue une aide destinée à promouvoir le développement de certaines activités économiques. Cette intervention devrait permettre à la compagnie de faire face à ses difficultés financières héritées du passé et de financer l'inévitable période de transition qui l'amènera à la viabilité. De plus, la restructuration financière du groupe n'altérera pas les conditions des échanges entre les États membres dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Au contraire, l'aide aura pour effet de préserver et de promouvoir la concurrence en maintenant un service aérien fiable et de bonne qualité entre l'Irlande et ses partenaires communautaires, grâce à la survie d'Aer Lingus.

Il est indéniable qu'Aer Lingus, à l'instar de quelques autres transporteurs communautaires publics, a été forcée de créer des emplois, de maintenir le prix des billets à des niveaux peu élevés et, en général, de prendre en charge des obligations qu'elle n'aurait pas assumées si elle n'avait tenu compte que de ses seuls intérêts commerciaux.

Les critères établis à l'article 92 paragraphe 3 point c) ont été systématiquement vérifiés afin d'apprécier la compatibilité de l'aide à la restructuration apportée à Aer Lingus:

1) La Commission a vérifié si l'aide était justifiée par la situation dans laquelle se trouve l'industrie des transports aériens.

À la fin de 1993, l'industrie aéronautique de la Communauté semble avoir surmonté l'essentiel de la crise économique, déclenchée par la guerre du Golfe en 1990 et aggravée par la récession économique mondiale. La plupart des compagnies aériennes s'inscrivent en net recul, ou enregistrent une stagnation des recettes et des bénéfices, la crise ayant été plus longue que prévu. Toutefois, le trafic passagers a augmenté de 14 % en 1992 (compagnie AEA), ce qui fait plus que compenser la perte de trafic subie l'année précédente. Cette tendance s'est confirmée en 1993, le nombre de passagers transportés en service régulier ayant augmenté d'environ 9 % par rapport à 1992.

Malgré cette croissance du trafic, les résultats financiers de la plupart des compagnies aériennes de la Communauté laissent toujours à désirer. L'une des principales raisons est que les avions commandés à la fin des années 1980, sur la base de prévisions trop optimistes, sont en train d'être livrés et d'être mis en service. En conséquence, la capacité offerte a crû plus rapidement que la demande et, pour de nombreuses compagnies aériennes, les coefficients de remplissage restent toujours en deçà du seuil de rentabilité. Pour remplir leurs avions, les compagnies aériennes sont obligées de proposer des tarifs promotionnels, surtout durant la saison d'hiver. Le recul du trafic d'affaires, consécutif à la récession économique, contribue pour une large part à la baisse des bénéfices et contribue, lui aussi, aux résultats médiocres enregistrés par la plupart des compagnies aériennes de la Communauté.

Cela étant, les perspectives pour l'industrie aéronautique restent plutôt positives à plus long terme. Si l'économie générale parvient à se redresser, les compagnies aériennes devraient enregistrer de meilleurs résultats au cours des deux prochaines années. La surcapacité semble être un phénomène passager qui pourrait être surmonté d'ici 1995. À cet égard, il convient de noter que certains analystes prévoient même, à la suite de la croissance de la demande du trafic passagers et du retrait en grand nombre d'aéronefs atteints par la limite d'âge au cours des années 1990, une insuffisance de la capacité d'ici 1997 (11).

Aussi, la Commission ne pense pas que le marché aéronautique de la Communauté se trouve dans une situation de surcapacité structurelle générale; cette conclusion vaut a fortiori pour le marché Royaume-Uni/Irlande, libéralisé sept ans plus tôt que le marché communautaire et marqué par des niveaux de trafic supérieurs à ceux de la moyenne communautaire. En tout état de cause, la restauration de la viabilité financière et économique d'Aer Lingus ne passe pas obligatoirement par des réductions de capacité. En fait, la flotte d'Aer Lingus qui consiste, comme nous l'indiquions précédemment, en vingt-neuf appareils affectés au service régulier, ne paraît pas excessive au vu des différents marchés desservis par la compagnie.

En ce qui concerne l'intérêt commun et compte tenu des éléments qui précèdent, la Commission estime que la restructuration d'Aer Lingus contribuera au développement de l'activité des transports aériens dans une région périphérique de la Communauté. La Commission reconnaît l'importance d'Aer Lingus, qui est le plus gros transporteur aérien irlandais et qui assure, traditionnellement, les liaisons entre l'Irlande et le reste de la Communauté et entre l'Irlande et les États-Unis. L'information recueillie dans le cadre de la procédure de l'article 93 paragraphe 2 a permis à la Commission de constater que le plan est suffisamment bien structuré et vise à une restructuration radicale de la compagnie aérienne. Celle-ci aura des effets positifs sur l'économie irlandaise et servira les intérêts de la Communauté dans son ensemble.

Compte tenu de ce qui précède, la Commission estime que la restructuration en profondeur d'Aer Lingus contribue au développement du secteur du transport aérien d'un point de vue communautaire.

2) La Commission a vérifié si l'aide est liée à la restructuration d'Aer Lingus.

Le plan de restructuration soumis par les autorités irlandaises couvre une période limitée dans le temps, comprise entre la mi-1993 et 1995. Le principal objectif du plan est de recentrer les activités d'Aer Lingus sur le transport aérien en se défaisant des autres activités non liées au transport. Dans l'hypothèse où Aer Lingus réussirait à mener à bien la restructuration envisagée dans le plan, elle devrait pouvoir devenir une compagnie efficiente, susceptible de restaurer sa viabilité à long terme dans un délai raisonnable. L'aide s'élève à 175 millions de livres irlandaises, payable en trois tranches. Aer Lingus utilisera 75 % de la première tranche (75 millions de livres irlandaises) pour financer les départs volontaires et le solde pour réduire son endettement. Les deuxième et troisième tranches ne seront libérées que si, comme l'exige le gouvernement irlandais, Aer Lingus parvient à atteindre les objectifs fixés dans le plan en matière de réduction des coûts. Par ailleurs, le gouvernement irlandais s'est engagé à n'accorder aucune autre aide à Aer Lingus durant la période de restructuration. Le gouvernement irlandais a également déclaré qu'il n'entend plus accorder d'autres aides à l'avenir. Dans ces conditions, il est incontestable que l'injection de capital est directement liée à la restructuration de la compagnie aérienne.

3) La Commission a vérifié dans quelle mesure l'aide est proportionnée au problème qu'elle est censée résoudre de manière à limiter au maximum la distorsion de concurrence et à ne pas affecter les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

Le montant de l'aide (175 millions de livres irlandaises) apparaît adéquat et proportionné à l'objectif poursuivi, c'est-à-dire financer la transition et restaurer la viabilité commerciale de la compagnie aérienne. Ces 175 millions de livres irlandaises serviront à financer les départs volontaires et à réduire l'endettement. Le capital injecté dans Aer Lingus n'entraînera pas une surcapitalisation de la compagnie. Au contraire, il relèvera ses ratios financiers vers des niveaux plus prudents et contribuera, ainsi, à rétablir l'équilibre financier. Le groupe Aer Lingus financera principalement sa propre recapitalisation au moyen de ressources propres et, en particulier, par la vente des hôtels Copthorne (12).

La stratégie poursuivie par Aer Lingus dans son plan de restructuration n'est pas surexpansionniste. Le gouvernement irlandais a informé la Commission que le groupe Aer Lingus n'étendra pas sa flotte d'exploitation (telle que définie ci-dessus) durant la période de restructuration et qu'elle n'entend pas changer la structure générale de son exploitation durant ce même laps de temps. Aer Lingus, comme l'a d'ailleurs confirmé le gouvernement irlandais, ne vise pas à accroître ses parts de marché et ses activités sont axées sur la réalisation de bénéfices.

Toutefois, la Commission doit s'assurer que l'aide n'aura pas d'effets néfastes sur les échanges communautaires en portant préjudice à la position concurrentielle de certains concurrents d'Aer Lingus sur le marché Royaume-Uni/Irlande. Ce marché connaît actuellement des taux d'utilisation des capacités très élevés et se caractérise par l'entrée en lice de nouveaux transporteurs « régionaux ». En outre, comme le Royaume-Uni tourne peu à peu le dos à la récession, les perspectives de trafic à moyen et long terme sont optimistes pour toutes les liaisons de et vers le Royaume-Uni. C'est tout particulièrement le cas du marché Royaume-Uni/Irlande où la demande, d'origine essentiellement locale, est très forte.

À la lumière de ce qui précède, et compte tenu du fait que la concurrence des prix, qui est féroce sur le marché Royaume-Uni/Irlande, a poussé les coefficients de remplissage à des niveaux supérieurs à la moyenne communautaire, la Commission ne considère pas que ce marché est actuellement touché par une surcapacité. La Commission ne partage pas l'avis de certaines tierces parties selon lequel les niveaux de capacité, sur l'ensemble du marché Royaume-Uni/Irlande ou sur certaines de ses liaisons, sont artificiellement élevés. Selon ces parties, ces liaisons seraient touchées par une surcapacité si Aer Lingus ne poursuivait pas sa politique de bas tarifs, contraire au principe de rentabilité économique. Ces affirmations sont fondées sur de simples hypothèses et non sur une analyse économique approfondie de la demande. Toutefois, la Commission reconnaît que sur un marché dynamique, caractérisé par une concurrence intense, le risque de surcapacité est toujours existant. La Commission estime dès lors que les garanties données par le gouvernement irlandais sont de nature à éviter que l'aide puisse être utilisée, par exemple, pour évincer de petits concurrents ou porter la capacité à des niveaux inacceptables sur le marché Royaume-Uni/Irlande.

En conséquence, la Commission prend acte des garanties fournies par le gouvernement irlandais selon lesquelles Aer Lingus n'augmentera pas la capacité (exprimée en nombre de sièges offerts) pendant toute la durée du programme de restructuration, que ce soit sur l'ensemble du marché Royaume-Uni/Irlande, ou sur la liaison Dublin-Londres Heathrow, au-delà du niveau atteint durant les douze mois précédant la notification et les fonds versés seront exclusivement utilisés conformément aux dispositions du plan de restructuration. Toutefois, en cas de croissance du trafic sur ce marché géographique particulier, Aer Lingus conserverait le droit d'accroître la capacité.

La Commission estime que les garanties du gouvernement irlandais sont nécessaires pour éviter que l'aide n'affecte les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun et pour permettre à Aer Lingus de se livrer à une concurrence libre et loyale dans le marché commun, compte tenu de la demande existante et de la croissance future du marché.

4) La Commission a vérifié dans quelle mesure les préoccupations qu'elle a exprimées dans sa décision d'ouverture de la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2 étaient fondées.

Hormis la question relative aux effets de l'aide sur les échanges, qui a été examinée ci-dessus, la Commission est satisfaite des garanties fournies par le gouvernement irlandais concernant les autres points énumérés dans la lettre annonçant l'ouverture de la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2. La présente décision est dès lors adoptée sur la base des hypothèses suivantes:

- la réduction des coûts, envisagée dans le plan de restructuration, est une condition essentielle du versement des deuxième et troisième tranches de l'aide,

- la réduction des coûts fera l'objet d'un audit distinct, effectué par un consultant indépendant,

- la compagnie est parvenue à un accord avec les syndicats concernant les réductions d'effectifs,

- la nouvelle stratégie poursuivie à l'aéroport de Shannon a été librement choisie par la compagnie et reflète ses préoccupations commerciales,

- le gouvernement irlandais s'abstiendra d'accorder toute autre aide à Aer Lingus durant la période de restructuration,

- la restructuration de la compagnie, en vertu de la loi irlandaise, n'est pas soumise aux droits de timbres et aux droits de constitution et cette exemption ne constitue pas un privilège individuel ou sectoriel accordé à Aer Lingus.

En ce qui concerne les opérations au sol dans les aéroports irlandais, la Commission, en l'absence de législation communautaire régissant cette activité, se satisfait des commentaires irlandais et, en particulier, du fait que les tierces parties sont autorisées à effectuer elles-mêmes les opérations au sol dans les aéroports irlandais.

VI À la lumière de ce qui précède, l'aide accordée par le gouvernement irlandais au groupe Aer Lingus sous forme d'une injection de capital destinée à appuyer son programme de restructuration pourrait bénéficier de l'exemption prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité, à condition qu'un certain nombre de conditions soient remplies pour assurer que l'aide n'affecte pas les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

L'aide à la restructuration d'Aer Lingus, accordée sous forme d'une injection de capital d'un montant de 175 millions de livres irlandaises, répartie en trois tranches libérales en 1993, 1994 et 1995, est considérée comme compatible avec le marché commun en vertu de l'article 92 paragraphe 3 point c), à condition que le gouvernement irlandais:

a) respecte ses engagements de ne pas libérer la deuxième et la troisième tranche au cas où Aer Lingus ne parviendrait pas à atteindre l'objectif de réduction des coûts, fixé à 50 millions de livres irlandaises par an, et obtienne d'un vérificateur indépendant la preuve que les réductions de coût ont été intégralement réalisées;

b) respecte ses engagements de soumettre à la Commission un rapport concernant l'avancement du programme de restructuration, l'évolution financière et économique du groupe Aer Lingus et de ses sociétés, et plus particulièrement concernant les gains de productivité visés dans la lettre du 24 novembre 1993. Le rapport sera remis au moins quatre semaines avant la libération des deuxième et troisième tranches de l'aide en 1994 et 1995, de manière à permettre à la Commission, le cas échéant, d'émettre un commentaire;

c) respecte ses engagements de ne plus accorder d'aide au groupe Aer Lingus, que ce soit sous la forme d'une injection de capital ou sous toute autre forme;

d) respecte ses engagements de ne pas étendre la flotte d'exploitation d'Aer Lingus pendant toute la durée du plan de restructuration, si ce n'est sur les liaisons transatlantiques, si la mise en service d'aéronefs supplémentaires peut être nécessaire pour maintenir le niveau de capacité;

e) respecte ses engagements selon lesquels l'entité Aer Lingus Express, si elle est créée, fonctionnera dans le cadre de la flotte d'exploitation d'Aer Lingus;

f) respecte ses engagements selon lesquels, en vertu du plan de restructuration, les activités européennes, les activités transatlantiques, et, si elle est créée, Aer Lingus Express, deviendront des entités juridiques distinctes et seront exploitées comme telles et dotées de comptes vérifiés séparément, afin de permettre une analyse transparente des diverses activités;

g) respecte ses engagements selon lesquels le nombre de sièges offerts à la vente sur les services réguliers d'Aer Lingus ne dépasseront pas, durant l'année civile 1994, 3,42 millions de sièges sur l'ensemble des liaisons Royaume-Uni/Irlande et 1,43 million de sièges sur la liaison Dublin-Londres Heathrow;

h) respecte ses engagements selon lesquels, comme convenu entre la Commission et l'Irlande, des évaluateurs indépendants seront désignés à la mi-1994 pour examiner les performances réelles et futures pour 1994. Si la croissance sur les marchés Irlande/Royaume-Uni le justifie, les chiffres mentionnés au point g) seront corrigés de manière à refléter cette croissance. Par ailleurs, une évaluation indépendante de la croissance du marché et de ses perspectives sera réalisée afin de déterminer la capacité supplémentaire à laquelle Aer Lingus pourrait prétendre pour 1995 compte tenu de la croissance éventuelle du marché global;

i) respecte ses engagements de ne pas s'immiscer dans la gestion d'Aer Lingus pour des raisons autres que commerciales;

j) respecte ses engagements selon lesquels Aer Lingus s'abstiendra d'acquérir, grâce à l'aide, une participation dans tout transporteur aérien de la Communauté.

Article 2

Les engagements visés à l'article 1er restent applicables jusqu'au 31 décembre 1995.

Article 3

L'Irlande est destinataire de la présente décision.

Fait à Bruxelles, le 21 décembre 1993.

Par la Commission

Abel MATUTES

Membre de la Commission

(1) JO no C 291 du 28. 10. 1993, p. 4.

(2) La flotte affectée aux services réguliers se compose de trois B-747-100, six B-737-400, dix B-737-500, six Fokker 50, quatre SAAB-340B. La compagnie peut en outre utiliser deux B-767 en période de pointe ainsi que quatre avions cargo (un B-737 et trois DC8).

(3) Il n'est pas sans intérêt de noter qu'un autre concurrent a déposé, le 19 avril 1993, plainte auprès de la Commission contre Aer Lingus pour violation de l'article 86 du traité. Cette plainte, motivée par la pratique de tarifs abusifs sur la ligne Heathrow-Dublin, est actuellement examinée par la Commission.

(4) Il convient cependant de noter que, en dépit de ce résultat négatif, la décision d'investir dans GPA, prise en 1975, a été largement positive. Les ventes antérieures des actions de GPA et les dividendes versés par la société à Aer Lingus ont permis au groupe de réaliser une plus-value de 70 millions de livres irlandaises par rapport au coût de l'investissement initial.

(5) Voir la communication de la Commisson aux États membres concernant les participations des autorités publiques au capital des sociétés, du 17 septembre 1984, Bulletin des Communautés européennes 9-1984.

(6) Voir la communication de la Commission concernant les participations des autorités publiques op. cit.; Cour de justice, affaires jointes 296 et 318/82, Royaume des Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek contre Commission des Communautés européennes, Recueil 1985, p. 809, point 17 de l'arrêt, p. 823.

(7) Voir l'affaire C-305/89, République italienne contre Commission des Communautés européennes, Recueil 1991, p. I-1603, point 20 des motifs, p. I-1640.

(8) Huitième rapport sur la politique de concurrence, point 176.

(9) Voir l'arrêt de la Cour de justice, du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730/79, Philip Morris contre Commission des Communautés européennes, Recueil 1980, p. 2671.

(10) Règlements (CEE) no 2407/92, (CEE) no 2408/92 et (CEE) no 2409/92 du Conseil - JO no L 240 du 24. 8. 1992, p. 1, 8 et 15.

(11) ESG Aviation Services, voir article dans The Avmark Aviation Economist de septembre 1993, p. 15.

(12) La restructuration devrait faire évoluer le rapport endettement-fonds propres du groupe comme suit: 499 % en 1993/1994, 264 % en 1994/1995, 75 % en 1995/1996 et 41 % en 1996/1997. Ces deux derniers chiffres dépendent principalement de la vente, par Aer Lingus, des hôtels précités durant l'exercice 1995/1996.