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Document 52001IE0721

Avis du Comité économique et social sur le thème "La situation de la nature et de la protection de la nature en Europe"

OJ C 221, 7.8.2001, p. 130–137 (ES, DA, DE, EL, EN, FR, IT, NL, PT, FI, SV)

52001IE0721

Avis du Comité économique et social sur le thème "La situation de la nature et de la protection de la nature en Europe"

Journal officiel n° C 221 du 07/08/2001 p. 0130 - 0137


Avis du Comité économique et social sur le thème "La situation de la nature et de la protection de la nature en Europe"

(2001/C 221/22)

Le 13 juillet 2000, le Comité économique et social a décidé, conformément à l'article 23, paragraphe 3, de son règlement intérieur, d'élaborer un avis sur le thème susmentionné.

La section "Agriculture, développement rural, environnement", chargée de la préparation des travaux en la matière, a émis son avis le 11 mai 2001 (rapporteur: M. Ribbe).

Lors de sa 382e session plénière des 30 et 31 mai 2001 (séance du 30 mai 2001), le Comité économique et social a adopté le présent avis à l'unanimité.

1. Objectif et structure de l'avis d'initiative

1.1. Par cet avis d'initiative, le Comité entend apporter sa contribution aux discussions actuellement en cours dans l'Union européenne concernant la situation de la nature, des paysages, la protection de la nature en Europe sur un plan général, et l'intégration de la protection de la nature dans d'autres domaines politiques en particulier.

1.2. Le chapitre 2 relève l'importance du patrimoine naturel européen et souligne le besoin d'une coordination en matière de protection de la nature de la part de l'Union européenne. Le chapitre 3 traite ensuite de la mise en oeuvre des directives européennes en la matière. Le chapitre 4, qui constitue le coeur du présent avis, examine la cohérence de la politique européenne. La question qui se pose est de savoir si les politiques européennes accordent désormais davantage d'importance à la protection de la nature que cela n'a été le cas les années précédentes et quelles améliorations sont absolument indispensables. Les réflexions contenues dans cet avis se concentrent sur les domaines dans lesquels l'Union européenne a une influence déterminante.

1.3. Il est indéniable que la nature est influencée par des interventions de nature très diverse, telles que l'urbanisation, les activités de loisirs, les travaux d'excavation, l'agriculture et la sylviculture, le développement des transports et des infrastructures, la construction de canaux, les retenues et les dérivations d'eau, pour n'en citer que quelques-unes. Le Comité entend se concentrer dans le présent avis sur la politique agricole commune, par le biais de laquelle l'Europe exerce une influence considérable sur le mode d'utilisation des sols et, par conséquent, sur l'état de conservation de la nature. Intégrer la protection de la nature dans l'agriculture est fondamental, précisément parce que 44 % des terres européennes, ainsi que de grandes parties des zones concernées par le projet Natura 2000, font l'objet d'une exploitation agricole.

2. La situation de départ pour la protection de la nature européenne

2.1. L'Europe ne dispose pas seulement d'un patrimoine culturel d'une richesse exceptionnelle. Les différents paysages cultivés et naturels représentent un patrimoine naturel remarquable. La grande diversité des différents types de paysages ainsi que de la faune et de la flore qu'ils abritent fait tout le charme et l'intérêt du continent. Leur conservation est devenue un enjeu central pour la sphère politique et administrative et pour les citoyens.

2.1.1. Cela étant, la protection de la nature n'est pas uniquement un but en soi. La nature est un fondement indispensable de la vie et de l'économie et constitue une ressource importante pour les activités économiques. Elle est également à la base de nombreuses activités sportives, de loisirs et de détente, elle conditionne la santé publique et sert de base à certaines thérapies médicales.

2.2. La grande diversité de la faune et de la flore est le résultat non seulement de conditions naturelles très diverses, mais également d'une exploitation adaptée. Quantité d'espèces et d'écosystèmes dépendent directement du mode d'exploitation des sols. La présence d'un grand nombre d'espèces nécessitant aujourd'hui une protection renforcée n'a été rendue possible que grâce aux modes de production agricole des siècles passés, extensifs selon les critères actuels. "L'Europe" présente cependant une bien trop grande diversité pour que l'on puisse parler, pour la nature et les paysages, de conditions comparables et transférables, d'où la tout aussi grande diversité des exigences en matière de protection de la nature. Ainsi se trouve-t-on confronté, dans les grandes étendues sylvestres de Scandinavie, à des conditions et problèmes différents de ceux des Highlands écossais, des Alpes, de l'Estrémadure espagnole aride ou de certains États ou régions où l'on pratique souvent une agriculture intensive(1).

2.3. La préservation de la nature et de sa diversité est une tâche qui doit être assumée également et avant tout par les États membres et les régions, ainsi qu'au niveau des collectivités territoriales. Il est également du devoir de chaque citoyen de s'engager en faveur de la protection de la nature et de l'environnement. Les nombreux exemples positifs émanant déjà de particuliers, d'organisations de protection de la nature et d'agriculteurs montrent que nombreux sont ceux qui prennent fait et cause pour la protection de la nature et des paysages. Il s'agit là typiquement d'une mission à mener à bien selon une approche "de bas en haut", à condition toutefois de l'accompagner de mesures politiques. C'est pourquoi un engagement coordonné au niveau européen également est non seulement utile mais absolument obligatoire. Le succès de la protection de la nature en Europe passe en effet obligatoirement par une coordination au niveau supérieur de la part de l'Union européenne.

2.3.1. La nécessité d'une telle coordination résulte d'une part du fait que de nombreuses espèces ne sont pas liées à un habitat régional unique mais migrent, parfois sur des milliers de kilomètres, entre leurs quartiers d'été et d'hiver. La nature ne connaît pas de frontières. La préservation d'un grand nombre d'espèces, comme par exemple la grue migratrice, ne pourra être couronnée de succès que si l'on protège non seulement les lieux de couvaison et quartiers d'été, dans l'Europe du nord par exemple, mais également les quartiers d'hivernage, en Espagne par exemple. De plus, comme des voyageurs se déplaçant à pied ou en voiture, les espèces migratrices ont besoin, pendant leur migration entre les quartiers d'été et d'hiver, non seulement de lieux de repos, mais aussi d'emprunter des corridors. L'Europe sert en outre de quartier d'hiver pour les oiseaux migrateurs asiatiques dont la nidification a lieu en Sibérie, mais c'est aussi un lieu de nidification pour les oiseaux migrateurs dont les zones d'hivernage se trouvent en Afrique. La protection de la nature en Europe influe donc également à bien des égards sur la biodiversité dans les régions extra-européennes.

2.3.2. Une coordination au niveau de l'UE s'impose également en raison du fait que, quand bien même un certain nombre d'espèces animales et végétales ne se trouvent pas dans toutes les régions d'Europe, elles n'en font pas moins partie de la culture européenne. En d'autres termes, leur protection n'est pas dans l'intérêt d'un seul État mais de l'Europe toute entière, tout comme il est communément accepté que certains monuments culturels nationaux bénéficient des efforts communautaires pour leur protection. À titre d'exemple, on peut citer le plus grand oiseau d'Europe capable de voler, l'outarde barbue (Otis tarda), dont les quelques exemplaires restants se trouvent surtout dans la péninsule ibérique; ces oiseaux, au nombre de 15000 environ en Espagne et de 200 à 300 au Portugal, représentent près de la moitié de la population mondiale. On pourrait également mentionner l'ours brun, le loup, le lynx, le bison, un grand nombre de chiroptères ou encore d'insectes [par exemple le Damier de la succise(2), l'Azuré des paludes(3) ou la Rosalie des Alpes(4)]. La protection de ces espèces nécessite des mesures particulières qui auront souvent pour effet de maintenir une agriculture traditionnelle, non compétitive dans les conditions de concurrence actuelles.

2.4. La diversité de la faune et de la flore a connu ces dernières années un déclin extrême et rapide. La rapidité désastreuse de ce processus est particulièrement préoccupante: en l'espace de quelques années ou dizaines d'années, certaines espèces ont déjà disparu, d'autres sont fortement menacées d'extinction, d'autres encore sont en péril ou exposées à un risque potentiel. Un tout petit nombre d'espèces seulement, vivant à proximité des établissements humains, ont été capables de s'adapter aux conditions changeantes et voient leur population s'accroître. Mais de manière générale, l'état de la nature et de la protection de la nature en Europe sont très préoccupants. Malgré quelques succès retentissants ayant permis de stabiliser certaines espèces (par exemple la protection des rapaces en Europe centrale), force est de constater que les mesures prises ces dernières années ne se sont malheureusement montrées que partiellement efficaces et n'ont pu ni stopper, ni renverser fondamentalement la tendance générale, qui est négative. L'Agence européenne de l'environnement écrit, dans son deuxième rapport sur la situation de l'environnement en Europe (1999): "Les espèces sauvages vivant en Europe continuent d'être sérieusement menacées et le nombre des espèces en déclin augmente ... Dans de nombreux pays, cette menace pèse sur près de 50 % des espèces connues de vertébrés ... Plus d'un tiers des espèces d'oiseaux en Europe a (...) déjà amorcé un déclin".

2.5. Les causes de cette tendance sont très diverses. La principale menace réside aujourd'hui sans aucun doute dans la réduction, voire la disparition totale, des biotopes des animaux et des plantes. Sur un plan historique, la chasse directe de certaines espèces (ours, loups, lynx) a joué un plus grand rôle que ce n'est le cas maintenant, mais aujourd'hui, la chasse directe de ces animaux reste encore dans une certaine mesure problématique. Le recul des biotopes adaptés, entre autres à cause des constructions, de l'évolution des pratiques d'exploitation agricole et forestière, de l'apport de substances nocives, du découpage des grands espaces, par exemple par les axes de communication, les infrastructures touristiques (notamment dans les régions côtières), etc., n'est pas encore stoppé. Bien au contraire: on continue à construire, à assécher les zones humides, à irriguer les terres sèches, à provoquer des problèmes d'eutrophisation par un apport excessif d'engrais sur des sites pauvres en substances nutritives, etc. À côté des responsabilités locales et nationales, c'est la politique agricole et structurelle mise en oeuvre au niveau de l'UE, trop exclusivement axée sur la production et la croissance, qui a été et dans bien des cas est encore à l'origine d'un grand nombre de ces changements négatifs. Entre-temps, un certain nombre d'États membres ont introduit des mesures qui n'ont toutefois pas pu infléchir les tendances négatives imposées d'en haut.

2.5.1. La politique de la pêche est à l'origine de problèmes dont la portée a jusqu'ici été sous-estimée. Sous la pression économique croissante, les grandes flottes de pêche ont recours à des méthodes de pêche de plus en plus radicales. Il n'est pas rare de prendre dans les chaluts des espèces menacées de tortues de mer ou de mammifères marins telles que le phoque moine (Monachus monachus), d'autres espèces de phoques, de petits cétacés ou des dauphins. En revanche, les méthodes de pêche traditionnelles, plus "douces", comme la pêche au thon pratiquée en Espagne à l'aide de lignes, peuvent difficilement survivre économiquement(5). L'utilisation pour la pêche des eaux stagnantes et courantes est également source de conflits, dans la mesure où elle entre en concurrence avec des espèces piscivores (telles que la loutre) ou nuit à la qualité des eaux, par exemple à travers l'eutrophisation induite par l'apport d'aliments et d'engrais ainsi que par les eaux résiduaires urbaines et industrielles, les déversements de chaux, l'empoissonnement en espèces étrangères, la création d'étangs, etc.

2.5.2. La disparition dramatique d'espèces et de ressources génétiques ne s'observe pas seulement en milieu sauvage, mais aussi dans le domaine des races d'animaux de rente et des variétés végétales. Un grand nombre des races anciennes d'animaux domestiques, adaptées aux conditions régionales, ont déjà disparu ou sont en voie d'extinction. La raréfaction de certaines variétés de céréales et de légumes est également problématique. Les organisations de protection de l'environnement, qu'elles soient publiques ou privées, ne prêtent pas suffisamment attention à ce problème. Bien que l'on voie actuellement les opinions évoluer à cet égard et que quelques initiatives aient par exemple été prises dans le cadre des programmes agri-environnementaux, il reste encore beaucoup à faire. On note toutefois que ce secteur peut également offrir des perspectives économiques, par exemple grâce à la commercialisation d'anciennes races d'animaux domestiques (telles que le porc de race allemande "Schwäbisch-Hällisches Schwein", le porc domestique ibérique).

2.6. La diversité des types d'habitat et des espèces a conduit il y a déjà plus de 100 ans de cela à découper l'Europe en régions biogéographiques déterminées et à examiner, pour chacune d'elles, quels sont les types d'habitats et les espèces les plus importants (au plan européen) pour ces régions, lesquels doivent bénéficier en conséquence d'une protection particulière. Sur la base des travaux scientifiques préparatoires, un découpage de l'Europe en zones biogéographiques a été inséré à l'article 1er point c) de la directive sur la faune, la flore et les habitats naturels.

2.7. Pour faire face à la situation critique que connaît la protection de la nature, les États membres, la Commission et en particulier la Direction générale Environnement ne se sont pas contentés de créer (et de faire appliquer) des directives, mais ont également développé dès le début des années 70 des stratégies particulières(6) et intégré la protection de la nature dans d'autres domaines politiques.

3. Le droit européen en matière de protection de la nature et sa mise en oeuvre

3.1. Deux directives essentielles pour la protection de la nature ont été adoptées au niveau européen au cours des dernières décennies: la directive sur la protection des oiseaux (79/409) en 1979, puis la directive sur la faune, la flore et les habitats naturels (92/43) en 1992. Ces deux directives posent les conditions préalables fondamentales pour la protection d'importants types d'habitats et d'espèces animales et végétales menacés en Europe, le but étant de créer, entre autres, un réseau européen des zones à protéger les plus significatives (Natura 2000). Ces deux directives sont des outils essentiels pour la mise en oeuvre de la Convention sur la diversité biologique signée par les États membres et l'Union européenne (Convention sur la biodiversité, Rio 1992).

3.2. Le Comité souligne le fait que la directive sur la protection des oiseaux et la directive sur la faune, la flore et les habitats naturels représentent un ensemble de normes juridiques d'une importance cruciale(7). Il est clair que les destructions massives opérées parmi les espèces animales et végétales, sans cesse décrites par les autorités nationales chargées de la protection de la nature et par les institutions européennes et dénoncées par les écologistes, n'ont pas pour origine des lacunes juridiques.

3.3. Il est vrai que la mise en oeuvre de ces directives au plan national laisse souvent à désirer et est parfois insuffisante, aussi bien en ce qui concerne la notification des zones de protection Natura 2000 qu'en ce qui concerne la gestion des zones protégées et à protéger.

3.4. Dans son avis relatif à l'"évaluation globale du 5e programme communautaire d'action en matière d'environnement"(8), le Comité soulignait déjà que "le fait que les États membres - par le biais du Conseil - arrêtent des réglementations en matière d'environnement, qu'ils ne mettent ensuite même pas en oeuvre chez eux et/ou qu'ils n'appliquent que contraints et forcés (à la suite d'une plainte de la Commission UE), est préjudiciable à la protection de l'environnement et impossible à porter à la connaissance du public, que l'on souhaite soi-disant sensibiliser aux questions d'environnement." Il citait notamment comme "exemples caractéristiques" les directives importantes relatives à la protection de la nature, celles sur la protection des oiseaux et sur la protection de la faune, de la flore et des habitats naturels.

Désignation des zones protégées

3.5. Le CES critique le retard pris dans la notification et la désignation des zones protégées. Le fait que, 22 ans après l'adoption de la directive sur la protection des oiseaux, il subsiste encore entre la Commission et les États membres des désaccords quant à sa mise en oeuvre et son application correctes, constitue un chapitre particulièrement regrettable de l'histoire de la protection de la nature en Europe. La Commission ne peut que constater, encore et toujours, "une insuffisance en nombre et en superficie des ZPS (zones de protection spéciale)" dans plusieurs États membres, (alors que la désignation de ces zones aurait dû être terminée dès 1981), ce qui oblige la Commission à privilégier "la poursuite de procédures d'infractions générales contre cette insuffisance globale, plutôt que de poursuivre l'absence de protection de chaque site individuel"(9). De même, la transposition au plan juridique et technique de la directive sur la faune, la flore et les habitats naturels par les États membres a pu laisser et laisse encore fortement à désirer. Le calendrier arrêté parallèlement à la directive par les ministres nationaux de l'environnement pour la constitution du nécessaire réseau de zones protégées, le réseau "Natura 2000", n'a absolument pas été respecté, ce qui est hautement préjudiciable à l'objectif réellement poursuivi, celui de la conservation et de la sauvegarde des habitats importants et de la préservation d'espèces animales et de variétés végétales rares.

3.5.1. Il existe toutefois, dans ce domaine, des différences considérables entre les différents États membres. Certains États se sont déjà acquittés d'une grande part de leurs obligations, quand bien même ils l'ont fait avec retard, et ont déjà procédé dans une large mesure aux notifications des zones protégées. D'autres en revanche se distinguent négativement, bien que là aussi des progrès aient heureusement pu être constatés au cours des semaines et des mois passés.

3.5.2. Une mesure très efficace s'est avérée être la précision apportée par la Commission, selon laquelle les paiements en provenance des Fonds structurels, y compris ceux prévus par le règlement (CE) n° 1257/1999 relatif au développement rural, ne pourront s'effectuer que lorsqu'il aura été amplement établi par des notifications suffisantes que les projets (co)financés par l'Union européenne ne sont pas susceptibles d'avoir des conséquences négatives sur les zones potentiellement concernées par la directive sur la faune, la flore et les habitats naturels (FFH). Même si le gel des paiements - quel que soit le jugement politique que l'on porte sur lui - n'a pas été mis à exécution de manière généralisée jusqu'ici, il a fait bouger les choses en ce qui concerne les notifications des zones(10). Le Comité souligne à ce propos que par exemple les paiements effectués au titre du règlement 1257/1999 représentent une importante source de revenus pour les agriculteurs. D'où l'importance de procéder rapidement à la notification des zones, afin que les agriculteurs n'aient pas à souffrir financièrement de l'inertie des autorités.

3.6. Les raisons des retards observés dans la mise en oeuvre des directives sont multiples. Elles résident, entre autres, dans la résistance que l'on rencontre sur place de la part d'utilisateurs du sol concurrents qui s'opposent à la détermination et au classement des zones protégées. Les communes craignent de subir des restrictions en matière d'urbanisation ou d'implantation de zones industrielles, les responsables de la planification des transports redoutent des problèmes pour leurs futurs tracés, les agriculteurs - déjà confrontés aux contraintes de l'urbanisation croissante et à ses conséquences (zones constructibles, routes, équipements de loisirs, etc.) - se sentent restreints dans leur activité et craignent des obstacles à leur développement ultérieur.

3.6.1. En particulier, le conflit entre protection de la nature et agriculture a largement contribué, ces dernières années, au retard pris dans la notification des zones protégées. Ce type de conflit résulte d'une mauvaise compréhension des différentes étapes de la procédure prévue par la directive sur les habitats naturels, qui comporte une phase de désignation des zones par les États membres, sur la base de critères exclusivement scientifiques, un processus de sélection par la Commission, toujours selon une approche scientifique, et enfin la phase de désignation proprement dite des zones. Étant donné que la première phase, celle de la présélection selon des critères scientifiques, s'est faite sans la participation du public, les intéressés ont eu l'impression que la décision était adoptée sans prendre l'avis des propriétaires fonciers et des utilisateurs des sols concernés. La conclusion en est qu'il y a lieu de procéder à de larges consultations à un stade antérieur déjà et non pas seulement lors de la désignation des zones et de l'examen des plans de gestion. Car en ne faisant pas participer les citoyens et en procédant à des opérations de classement de zones difficilement compréhensibles(11), les organismes publics de protection de la nature ne se sont pas fait des amis, bien au contraire: la résistance s'accroît, et dans l'esprit des gens, la protection de la nature prend une connotation négative.

3.6.2. Une information suffisante des propriétaires fonciers et des utilisateurs des sols sur les conséquences de la désignation des zones intégrées au réseau Natura 2000 a jusqu'ici fait largement défaut. N'étant pas associés à ce processus et étant de ce fait dans l'incertitude quant aux conséquences de cette désignation pour l'utilisation et l'exploitation futures de ces sols, ceux-ci se sont montrés assez réticents. Ces résistances devraient s'atténuer grâce aux compensations financières accordées à l'issue de la phase I, comme le prévoit la directive FFH, dans les "zones de protection spéciale" désignées, aux agriculteurs pour les obligations en termes de protection de la nature qui leur sont imposées à la demande de la société. Le CES, instance de dialogue de la société civile organisée, voit dans cet aspect un outil fondamental pour améliorer l'acceptation de la protection de la nature.

Gestion des zones protégées

3.7. Avec le développement - certes lent - des zones protégées, l'accent est mis dans une mesure croissante sur la gestion proprement dite de ces zones, conformément à l'article 6 de la directive FFH (établissement de mesures de conservation, mesures visant à éviter la détérioration des habitats naturels, examen de la compatibilité des plans ou projets avec les objectifs de conservation fixés pour le site concerné, mise en oeuvre des plans et projets ayant une incidence négative dans des conditions très strictes). Il y a lieu là encore de régler autant que possible les conflits potentiels grâce à un dialogue avec les intéressés - en s'appuyant sur la législation environnementale existante et, si des plans de gestion sont nécessaires, de les arrêter d'un commun accord. Le CES souligne que la directive FFH permet à cet égard, grâce aux dispositions de son article 6, une bien meilleure prise en compte des intérêts économiques que ce n'est le cas de la directive communautaire sur la protection des oiseaux.

Recommandations pour la mise en oeuvre des directives européennes sur la protection de la nature(12)

3.8. Le CES est d'avis que les difficultés rencontrées lors de la mise en oeuvre de ces deux directives ne doivent en aucun cas conduire à remettre en question les directives mêmes, à les amputer d'une partie de leur contenu ou à ne pas les appliquer intégralement.

3.9. Le CES en appelle aux États membres pour qu'ils satisfassent enfin aux obligations fixées par la directive 92/43/CEE concernant sa transposition correcte en droit national (en Allemagne par exemple) et la présentation de listes nationales complètes des zones retenues sur la base de critères pertinents(13). Ce n'est qu'à cette condition que la Commission pourra dresser une liste des zones d'importance communautaire, de sorte que les États membres puissent, comme le prévoit la directive, classer ces zones en zones de protection spéciale d'ici 2004 au plus tard. À cet égard, le Comité accueille favorablement les procédures d'infraction introduites par la Commission à l'encontre de certains États membres et encourage cette dernière à poursuivre strictement ces procédures légales. Il invite également les États membres concernés à se conformer enfin à l'obligation d'une notification suffisante des zones européennes de protection des oiseaux, conformément à la directive 79/409/CEE sur la protection des oiseaux(14).

3.10. Le Comité demande à la Commission et aux États membres de fournir plus d'explications. Ainsi, l'article 6 de la directive FFH ne doit-il pas être considéré comme un obstacle à toute activité économique et à toute utilisation des sols à l'intérieur et autour des zones Natura 2000. Son but consiste au contraire à assurer la pérennité de telles activités en faisant en sorte qu'elles ne nuisent pas aux objectifs de protection auxquels on entend parvenir grâce au classement. Le fait de fournir des explications ciblées - sur la base d'initiatives existantes telles que le bulletin d'information Natura 2000 de la Commission et le document interprétatif de l'article 6 de la directive FFH - peut venir à bout des craintes éprouvées par les acteurs concernés. Il convient de montrer clairement qu'une politique en faveur de la protection de la nature n'est pas en soi un objectif exclusif, mais joue aussi un rôle économique et social utile en termes de développement durable, par exemple en créant de nouveaux emplois. De nombreux projets ayant par exemple bénéficié de l'aide du programme LIFE démontrent que la directive FFH ne constitue pas un frein, mais favorise souvent des développements favorables. Il y a lieu de mieux faire connaître et échanger de telles expériences positives. L'important est que la protection de la nature donne satisfaction et incite les gens (en tout premier lieu les agriculteurs) à s'engager en ce sens, car les actions dans ce domaine se décident sur le terrain. À cet égard, il est essentiel de mettre à disposition à l'avenir également des outils adéquats pour la protection de la nature en Europe, et ce dans une perspective à long terme, et de les adapter à cet objectif. Cela vaut notamment pour la phase successive prévue par l'Agenda 2000, y compris pour l'instrument LIFE IV, qui doit tout d'abord être confirmé, et en particulier LIFE-Nature, dont la durée et la dotation budgétaire devraient être sensiblement augmentées par rapport à LIFE III.

3.11. C'est pourquoi il convient de renforcer la coopération entre les propriétaires fonciers, les utilisateurs des sols, les écologistes, les consommateurs et les touristes afin de mieux les impliquer, de manière concertée, dans la protection de la nature dans les zones Natura 2000, et d'améliorer leur motivation. Cela suppose également qu'une plus large place soit accordée aux questions relatives à la protection de la nature dans les mesures de formation et d'éducation à l'environnement. De nombreux projets remarquables de formation à l'environnement et de tourisme durable ont précisément été lancés dans des zones européennes de protection des oiseaux.

4. L'intégration de la protection de la nature dans l'agriculture

Introduction

4.1. Le présent chapitre se propose d'examiner dans quelle mesure la protection de la nature est intégrée dans la politique agricole commune (PAC). Considérant deux avis d'initiative adoptés en 1999 par le CES sur les "objectifs agri-environnementaux à poursuivre dans le cadre de l'agriculture multifonctionnelle" et le "modèle agricole européen"(15) ainsi que la communication de la Commission intitulée "Pistes pour une agriculture durable"(16) et le rapport spécial n° 14/00 de la Cour des comptes européenne sur la PAC et l'environnement, le Comité présente des recommandations pour une meilleure intégration de la protection de la nature dans la politique agricole commune. Il opère à cet égard une distinction entre les mesures d'accompagnement et le développement rural (second pilier de la PAC), d'une part, et l'agriculture "traditionnelle" (premier pilier de la PAC), d'autre part.

4.2. L'Agence européenne de l'environnement voit dans certaines formes d'agriculture intensive pratiquées de nos jours une menace importante pour la protection de la nature, parallèlement à d'autres nuisances. On pouvait lire ainsi, dans son 2e rapport sur la situation de l'environnement en Europe, paru en 1999: "La cause principale se trouve dans les limitations du biotope suite à la modification de l'utilisation du sol, notamment en raison de l'agriculture intensive. La menace que font peser sur la biodiversité les activités humaines s'est aggravée. Aucun progrès n'a été réalisé dans le sens d'une agriculture qui serait respectueuse de l'environnement".

4.3. Il n'existe aucun doute quant au fait que l'agriculture, qui se doit d'être productive du point de vue de l'économie agricole, en est arrivée à représenter un danger sérieux pour la diversité naturelle. Et cela à deux égards: les surfaces agraires faisant l'objet d'une exploitation intensive sont des biotopes perdus pour la plupart des espèces animales menacées; dans le même temps, poursuivre une exploitation plutôt extensive des surfaces se révélant importantes sur le plan écologique est une démarche de moins en moins intéressante sur le plan économique. Du point de vue de la protection de la nature, il convient donc de considérer comme un problème non seulement l'intensification de la production agricole, mais également l'abandon des formes d'exploitation extensive.

4.4. Le Comité souligne à quel point il est important, pour le développement de la protection de la nature et la préservation de la biodiversité (y compris en ce qui concerne les races d'animaux de rente et les variétés végétales) en Europe, d'avoir une approche positive du rapport entre agriculture et protection de la nature. À côté des paysages naturels non modifiés par la main de l'homme (qui ne représentent plus en Europe que des superficies extrêmement réduites), il existait et il existe certaines formes d'exploitation agricole ou sylvicole extensive qui sont bel et bien à l'origine de la diversité des biotopes dans les paysages cultivés européens. C'est pourquoi une condition indispensable pour préserver et favoriser la biodiversité réside dans le maintien et le développement de certaines méthodes de production agricole et sylvicole peu utilisatrices d'intrants du point de vue actuel. Une politique concertée et adaptée de protection de la nature peut contribuer à préserver de telles formes de production extensive. La protection de la nature et de l'environnement peut également s'avérer économiquement intéressante: un développement écologique peut, s'il est coordonné avec la politique régionale, créer de nouveaux emplois et contribuer à la promotion de l'économie régionale.

4.5. Un nouvel élan doit à cet égard venir de la PAC qui doit faire en sorte que les intérêts de la protection de la nature soient examinés avec les agriculteurs et que les charges financières soient compensées. Ainsi envisagées, la protection de la nature et une agriculture respectueuse de l'environnement peuvent même devenir une nouvelle source de revenus, pour autant que la société rétribue les prestations qu'elle exige de l'agriculture. Afin d'encourager cet apport positif de l'agriculture à la protection de la nature et dans le même temps d'éviter autant que possible les retombées négatives sur la nature, il faut donc disposer de conditions économiques telles que la préservation de la nature et de l'environnement soit plus intéressante que leur détérioration. Plus la protection de la nature et des paysages est intéressante financièrement, mieux elle est acceptée par les propriétaires et les utilisateurs concernés.

4.6. Jusqu'à aujourd'hui, la politique agricole commune de l'UE était inspirée par une économie agricole principalement orientée vers l'optimisation et la rationalisation économiques. Cette approche a conduit à occulter régulièrement les questions écologiques de même que les problèmes sociaux et socio-économiques (comme par exemple la question de savoir de combien d'agriculteurs la société a besoin). Le fait de produire dans un environnement varié et présentant une grande biodiversité est devenu un handicap en termes de localisation. Il y a lieu d'inverser cette tendance et d'encourager une évolution qui soit favorable aux agriculteurs. Si la société souhaite que la production soit compatible avec les intérêts de la protection de la nature, elle doit également se montrer disposée à rétribuer les prestations dépassant le cadre des obligations sociales liées à la propriété et celui du respect des obligations légales de "bonnes pratiques agricoles". Cela suppose par exemple que le consommateur soit disposé à payer plus cher les produits concernés ou que les charges supplémentaires supportées par les agriculteurs en raison de l'utilisation de méthodes plus respectueuses de la nature et de l'environnement leur soient remboursées par les pouvoirs publics. Il faut en tout état de cause qu'à l'avenir, la diversité écologique et la variété des paysages soient un avantage en termes de localisation pour les agriculteurs. La PAC pourrait ainsi évoluer d'une politique de subventions en une politique rétribuant les prestations en faveur de la société (telles que la préservation de biotopes, de paysages aménagés par l'homme, d'éléments paysagers, etc.), évolution qui avait déjà été envisagée par le Commissaire MacSharry en préalable à la réforme agricole de 1992, mais qui n'a pas encore été suivie de manière conséquente.

4.6.1. Les changements induits par la politique agricole actuelle transparaissent dans la transformation du paysage rural. L'Allemagne n'est pas le seul pays où, par exemple, l'utilisation des prairies, importantes du point de vue écologique, devient de moins en moins intéressante du point de vue économique. L'économie pastorale traditionnelle est en voie de disparition, les surfaces d'herbage diminuent, celles qui restent sont exploitées de manière plus intensive. En Allemagne, sur les 57 types d'associations végétales combinant cultures et prairies, qui se différenciaient autrefois par leur végétation, on n'en dénombre plus que 6, ce qui a des effets dévastateurs pour la protection de la nature. Dans le même temps, le mode d'exploitation agricole s'est également modifié et les espèces d'oiseaux nidifiant dans des espaces cultivés et des herbages ouverts ont en principe été inscrites entre-temps sur la "liste rouge des espèces animales menacées" ou du moins sur la liste de "préalerte". Dans d'autres États membres comme la Grande-Bretagne, des oiseaux autrefois très répandus dans les paysages agraires comme l'alouette des champs, la perdrix grise, le bruant jaune et le bruant proyer ont enregistré une perte de leurs effectifs allant jusqu'à 80 % par rapport aux années 70(17).

4.6.2. Par ailleurs, il existe des exemples d'effets positifs de l'agriculture extensive, comme par exemple l'utilisation des pâturages ("dehesas") dans l'Estrémadure espagnole et au Portugal. Le mélange harmonieux qui a été opéré entre l'exploitation agricole extensive, l'économie pastorale extensive, l'exploitation commerciale du chêne-liège et du chêne rouvre représente, en association avec la transhumance historique (la migration du bétail des régions sèches du sud vers les estives du nord de l'Espagne), une forme d'exploitation qui a eu des effets nettement positifs pour certaines espèces vivant dans ces paysages cultivés. Mais l'agriculture dans ces zones pose de sérieux problèmes d'ordre économique.

4.7. Le conflit existant entre rentabilité des exploitations d'une part et exigences écologiques d'autre part n'est pas encore résolu pour l'instant. La résolution de ce conflit au niveau européen présente des difficultés en raison de l'absence dans le cadre de l'OMC de normes écologiques ayant une validité internationale, bien que l'éligibilité des mesures relevant de la "boîte verte" soit reconnue depuis que le cycle de l'Uruguay du GATT a été conclu avec succès. Pour les agriculteurs européens, il est difficile d'une part d'accepter davantage de contraintes environnementales et d'autre part d'être en concurrence avec des États disposant de meilleures conditions climatiques et où les notions de protection de l'environnement et de la nature sont inconnues.

4.8. La Commission et les ministres de l'Union européenne ont souligné, dans le cadre de l'Agenda 2000, la nécessité non seulement de développer la compétitivité de l'agriculture européenne sur le marché mondial mais également de conserver le caractère multifonctionnel de cette agriculture. On parle aujourd'hui du "modèle agricole européen". La Commission UE désigne par ce terme une agriculture qui non seulement fournit des produits de grande qualité, mais qui reste également attachée à la richesse de ses traditions culturelles, préserve la beauté des paysages, est en harmonie avec la nature et l'environnement, garantit les emplois et en crée de nouveaux, et qui, sans être très subventionnée, réussit à être compétitive sur le marché mondial.

4.9. Dans son avis d'initiative intitulé "Une politique visant à consolider le modèle agricole européen"(18), le Comité a déjà expressément appuyé la nécessité de conserver cette multifonctionnalité, tout en se demandant "comment garantir, à l'avenir encore, avec le durcissement de la concurrence, les différentes missions de l'agriculture multifonctionnelle. (...) Il faut partir du principe que les entreprises agricoles des États membres de l'UE ne seront généralement pas davantage en mesure à l'avenir de produire durablement aux prix du marché mondial, hormis quelques exceptions et situations de marché particulièrement favorables".

Mesures d'accompagnement et second pilier de la PAC

4.10. Tant que les conditions régnant sur le marché mondial s'opposent à la mise en oeuvre généralisée d'une agriculture compatible avec la protection de la nature, c'est à la politique de mettre en oeuvre des efforts particuliers pour contrer les tendances négatives. Le règlement (CEE) n° 2078/92 sur l'environnement agricole a établi pour la première fois de manière systématique, dans les États membres de l'Union européenne, des programmes agri-environnementaux cofinancés par l'Union. Au total, ce sont environ 17 % des surfaces agricoles européennes qui sont concernées et influencées par ces programmes agri-environnementaux (ce qui signifie que 83 % des surfaces agricoles européennes ne sont ni concernées, ni influencées), des disparités extrêmes se faisant jour entre les différents États membres quant à l'action de ces programmes sur l'utilisation des terres et leur efficacité en termes de protection de la nature(19).

4.11. Dans une évaluation des programmes réalisée conformément au règlement (CEE) n° 2078/92(20), la Commission parvient, entre autres, à la conclusion selon laquelle les mesures prises:

- se sont révélées très positives en ce qui concerne le développement de l'agriculture biologique, considérée comme une mesure importante en matière de politique environnementale;

- ont reçu un accueil trop froid dans les régions pratiquant l'agriculture intensive, d'où leur effet trop réduit, et

- n'ont pas conduit au développement d'un élevage extensif.

4.12. Ces faits sont confirmés par la Cour des comptes européenne dans son rapport spécial sur la PAC et l'environnement(21). Il apparaît en substance que de nombreux gouvernements nationaux n'utilisent pas une grande partie des possibilités qui leur sont offertes d'améliorer la protection de la nature, y compris celles qui seraient cofinancées par l'UE. La Cour des comptes européenne constate(22) ainsi que seule l'Irlande a fait usage de la possibilité de consacrer à la protection de la nature, dans le cadre du régime de préretraite, des surfaces libérées: la superficie totale ainsi affectée à la protection de la nature en Europe est de 54 (!) hectares.

4.13. De manière générale, il convient toutefois de constater que les mesures prises en faveur de l'environnement agricole n'ont pas réussi à compenser tout à fait les disparités économiques existant entre les formes de production souhaitables du point de vue écologique et celles répondant aux exigences du marché. Les raisons de ce demi-échec se trouvent entre autres dans la dotation financière trop faible des programmes, le manque d'attrait financier, les questions que se posent les agriculteurs sur la durée des programmes et donc sur leur pérennité, ainsi que dans l'existence d'autres mesures d'aide, en dehors des mesures d'accompagnement, qui encouragent des formes d'exploitation plus intensive par des incitations financièrement plus intéressantes.

4.14. Les décisions de l'Agenda 2000 ont introduit quelques améliorations supplémentaires et le développement rural a été érigé en second pilier de la PAC. On citera entre autres l'augmentation des moyens consacrés aux mesures agri-environnementales, décidée dans le cadre du règlement (CE) n° 1257/1999 sur le "Développement rural". Il ne faut pas oublier toutefois que le second pilier de la politique agricole ne bénéficie que de 10 % environ des dépenses agricoles et que les mesures agri-environnementales ne représentent que la moitié de ces ressources, de sorte que 5 % seulement des dépenses totales de la PAC sont affectées à des programmes agri-environnementaux classiques. Une grande partie des moyens restent ainsi attribués au premier pilier de la politique agricole. Il y a lieu de déplorer l'absence ou l'extrême insuffisance de mesures incitant à poursuivre l'exploitation des surfaces cultivées de manière extensive ou à préserver par exemple les haies ou d'autres éléments du paysage. Les agriculteurs ne sont de ce fait pas suffisamment motivés économiquement à orienter leur production en fonction des besoins de la protection de la nature.

Premier pilier de la PAC

4.15. La plupart des ressources provenant de la section "Garantie" du FEOGA, soit 90 % environ, continuent d'être affectées aux organisations de marché du premier pilier. À cet égard, il y a lieu de tenir compte du fait qu'en ce qui concerne les mesures de développement rural (second pilier), les États membres doivent dégager des fonds importants dans le cadre du cofinancement.

4.16. Les organisations de marché ne couvrent pas toutes les cultures agricoles. C'est ainsi par exemple que des paiements directs sont versés pour les superficies plantées en blé ou en maïs d'ensilage, mais pas pour le mélange trèfle-graminées ou les prairies. Le fait de privilégier certaines cultures par rapport à d'autres a une incidence sur le paysage, avec des effets également sur la protection de la nature. Il faut mettre un terme à ces interventions, que l'on pourrait par exemple remplacer par une prime à la superficie.

4.17. Le Comité déplore le fait qu'un certain nombre de propositions qui avaient été émises par la Commission au cours du débat concernant l'Agenda 2000 et qui auraient été appropriées pour encourager, de façon directe ou indirecte, les modes d'exploitation compatibles avec la protection de la nature, aient finalement été rejetées par les États membres. On citera parmi ces propositions le projet de la Commission de supprimer la prime au maïs d'ensilage. On peut également critiquer fermement le caractère uniquement facultatif du lien entre paiements compensatoires et obligations écologiques, car les États membres introduisant l'éco-conditionnalité ("cross-compliance") désavantageraient leurs agriculteurs sur le plan concurrentiel.

4.18. Le règlement (CE) n° 1259/1999 du 17 mai 1999 fixe les règles communautaires applicables aux paiements directs dans le cadre de la PAC. Conformément à l'article 3 de ce règlement, les États membres doivent prendre des mesures environnementales appropriées en ce qui concerne les surfaces cultivées et les productions agricoles bénéficiant de paiements directs, afin de donner plus de poids aux questions environnementales dans le cadre des organisations communes de marché ("cross compliance", éco-conditionnalité). Il serait utile que la Commission adresse, le plus tôt possible, au Parlement, au Conseil, au CES et au CdR, une communication dans laquelle elle expliquerait comment les États membres ont respecté cette obligation. Il serait en outre souhaitable que le règlement d'application actuellement en cours d'examen soit adopté et entre en vigueur dans les meilleurs délais.

Recommandations pour une meilleure intégration de la protection de la nature dans l'agriculture

4.19. Le Comité souligne que les futures négociations de l'OMC, l'élargissement à l'Est et l'examen à mi-parcours devraient être mis à profit pour mettre en oeuvre une politique agricole plus respectueuse de l'environnement et de la protection de la nature. Le Comité a l'intention d'élaborer un avis d'initiative à ce sujet.

4.20. Le Comité recommande que l'ensemble des instruments financiers de la Communauté créent à long terme une incitation à la réalisation des objectifs fixés par les directives relatives à la protection de la nature ou du moins n'aillent pas à l'encontre de ces objectifs.

4.21. Les incitations financières pour une agriculture suffisamment respectueuse de l'environnement sont souvent trop réduites à l'heure actuelle. Tant que les conditions cadres en vigueur à l'échelle mondiale ne permettent pas l'introduction généralisée d'une agriculture compatible avec la protection de la nature, il faut relever le niveau des aides consacrées aux mesures agri-environnementales afin de rallier tous les agriculteurs de l'Union européenne à des méthodes de production respectueuses de l'environnement. Les instruments financiers de la PAC devraient être orientés vers la défense des intérêts écologiques et socioculturels (biodiversité, impact sur l'emploi) en vue de l'obtention de résultats effectifs dans ce domaine. Dans ce but, il faut concevoir des indicateurs permettant d'évaluer les résultats de la politique agricole. Les organisations professionnelles agricoles, les associations de protection de l'environnement et les partenaires sociaux doivent être associés à ce processus afin d'obtenir un consensus. Les projets intégrés de protection de la nature conçus par l'UE doivent donc être développés grâce aux budgets alloués à la protection de l'environnement et aux programmes agri-environnementaux correspondants. Les modalités financières devront être examinées ultérieurement.

4.22. Dans les régions agricoles à forte productivité pratiquant des méthodes intensives, on fait généralement peu de cas des mesures en faveur de l'environnement agricole. C'est dans ces zones précisément que la biodiversité se trouve le plus menacée. C'est pourquoi le Comité recommande d'examiner de toute urgence les mesures incitatives dont le financement relève du premier pilier de la PAC afin de tester leur compatibilité avec la protection de la nature et de l'environnement. Cet examen devrait également intervenir le plus tôt possible afin d'en tirer les conséquences, le cas échéant, pour la réforme de la politique agricole avant même l'adhésion des PECO et les négociations de l'OMC.

4.23. Les États membres devraient montrer l'exemple aux citoyens également et en particulier aux propriétaires fonciers à qui il est demandé de s'engager en faveur de la protection de la nature. Ce n'est que si l'État adopte lui aussi un mode d'exploitation de ses sols respectueux de l'environnement ou les affecte intégralement à la protection de la nature que l'on peut espérer que les propriétaires (tels que les collectivités territoriales, les entreprises d'assurance, les églises ou les Maisons royales) en fassent autant.

4.24. Dans ce contexte, le Comité aimerait encore attirer l'attention sur le fait que les États candidats à l'adhésion possèdent encore des potentiels naturels considérables qui pourraient être menacés par l'adoption des conditions cadres actuelles de la politique agricole. Il demande donc à la Commission de réaliser et présenter immédiatement des études sur les conséquences prévisibles, sur le plan de la politique environnementale, de l'adoption de la PAC par les pays candidats à l'adhésion. Il y a lieu de ne prévoir aucune période transitoire pour l'application des directives de l'UE sur la protection de la nature.

4.25. Le Comité estime nécessaire d'intensifier beaucoup plus fortement le processus de consultation engagé avec les acteurs concernés et la société civile organisée, tant à l'intérieur des États membres de l'UE que dans les pays candidats à l'adhésion, afin qu'un meilleur accueil soit réservé aux décisions politiques prises en faveur de la protection de la nature. Il est dans l'intérêt de la protection de la nature aussi que la demande des citoyens d'être non seulement informés mais aussi activement associés au processus de décision soit dûment satisfaite.

Bruxelles, le 30 mai 2001.

Le Président

du Comité économique et social

Göke Frerichs

(1) Telles que la Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, le nord-ouest de l'Allemagne, le sud-est de l'Angleterre, la plaine du Po, etc.

(2) Euphydryas (syn. Hypodryas) aurinia, Marsh Fritilary.

(3) Maculinea nausithous, Dusky Large blue.

(4) Rosalia alpina.

(5) Il est important que les gens le sachent: la chair d'un thon pêché à la ligne est blanche, celle d'un thon pêché au chalut est rouge. En choisissant d'acheter tel produit plutôt que tel autre, les consommateurs peuvent contribuer à la protection de la nature.

(6) Stratégie communautaire en faveur de la diversité biologique (COM(98) 42).

(7) Il est à noter toutefois que l'intention effective des deux directives, à savoir une protection de la nature à caractère préventif, n'est pas toujours suffisamment prise en compte.

(8) JO C 204 du 18.7.2000, par. 3.4.1.6.

(9) Cf. 17e rapport annuel sur le contrôle de l'application du droit communautaire (1999) (COM(2000) 92 final, p. 78).

(10) Le CES rappelle à ce propos que la Commission est tenue, conformément à la législation européenne, de ne débloquer aucune ressource susceptible d'induire des conséquences négatives sur l'environnement, au nombre desquelles figure le risque d'affecter ou de détruire des surfaces pouvant faire partie du réseau Natura 2000.

(11) Un tronçon d'autoroute a ainsi été classé zone protégée. En Autriche, une zone a été classée afin de protéger le rollier d'Europe (Coracias garrulus). Or il n'y a pas un seul rollier d'Europe dans cette zone, ils vivent dans un biotope limitrophe.

(12) Consulter à ce propos le rapport du Parlement européen adopté le 17.1.2001, qui se montre très critique à l'égard de la mise en oeuvre des directives sur la protection des oiseaux et sur la flore, la faune et les habitats naturels.

(13) L'avis du CES sur le Libre blanc de la Commission sur la responsabilité environnementale (JO C 268 du 19.9.2000) formulait une revendication analogue.

(14) Les associations de protection de la nature, notamment BirdLife International, ont dressé un inventaire des "Important Bird Areas" (IBA) permettant d'identifier les zones pertinentes, auquel la Cour européenne de justice s'est déjà référée à l'occasion de plusieurs affaires.

(15) Cf. pour ces deux avis JO C 368 du 20.12.1999.

(16) COM(1999) 22 final.

(17) The state of the UK's Birds 2000; RSPB, BTO & WWT 2001.

(18) JO C 368 du 20.12.1999, par. 7.

(19) En Autriche par exemple, près de 70 % des surfaces cultivées sont concernées par les programmes agri-environnementaux, tandis que dans les régions à production intensive comme la Belgique ou les Pays-Bas, ces chiffres se situent largement sous la moyenne avec des pourcentages respectifs de 1,7 % et 1,9 %.

(20) Document de travail de la DG VI (VI/7655/98) sur l'évaluation des programmes agri-environnementaux.

(21) JO C 353 du 8.12.2000.

(22) Point 32 du rapport.

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