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Document 52021DC0144

RAPPORT DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL concernant la mise en œuvre de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales

COM/2021/144 final

Bruxelles, le 31.3.2021

COM(2021) 144 final

RAPPORT DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL

concernant la mise en œuvre de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales



1.Introduction

La présomption d’innocence et le droit à un tribunal impartial sont consacrés aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 1 (ci-après la «Charte») et à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH).  

La directive (UE) 2016/343 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales 2 (ci-après la «directive») vise à renforcer le droit à un procès équitable dans le cadre des procédures pénales, en définissant des règles minimales communes concernant certains aspects de la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès.

La directive est le quatrième instrument adopté au titre de l’article 82, paragraphe 2, point b), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) 3 , qui sert de base juridique aux fins de l’adoption de règles minimales portant sur «les droits des personnes dans la procédure pénale». Elle s’applique dans 25 États membres 4 .

L’UE a adopté six directives en la matière: outre la directive 2016/343, il existe des directives relatives au droit à l’interprétation et à la traduction 5 , au droit à l’information 6 , au droit d’accès à un avocat et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers 7 , aux garanties procédurales en faveur des enfants 8 et à l’assistance juridictionnelle 9 . La Commission européenne a déjà publié des rapports sur la mise en œuvre des trois premières directives 10 . Ces directives contribuent à améliorer la confiance mutuelle et, ainsi, à renforcer le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et autres décisions judiciaires.

L’article 12 de la directive exige que la Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport sur la mise en œuvre de la directive.

Le présent rapport s’appuie principalement sur les informations fournies à la Commission par les États membres dans le cadre de la notification des mesures nationales transposant la directive. Il se fonde également sur les informations mises à la disposition du public par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne 11 ainsi que sur les études financées par la Commission et effectuées par des parties intéressées externes 12 .

Alors que l’article 11 de la directive exige des États membres qu’ils transmettent à la Commission les données disponibles illustrant la manière dont les droits fixés dans la directive ont été mis en œuvre au plus tard le 1er avril 2020 et tous les trois ans par la suite, à ce jour, seule l’Autriche s’est acquittée de cette obligation 13 . Cette absence d’information de la part des États membres empêche d’évaluer de manière approfondie la mise en œuvre pratique de la directive.

Dès lors, le présent rapport se concentre sur les mesures que les États membres ont prises jusqu’à présent pour transposer la directive 14 . Il évalue si les États membres ont transposé la directive et si la législation nationale atteint les objectifs de la directive et en respecte les obligations.

À ce jour, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive (UE) 2016/343 à plusieurs reprises, et ces interprétations ont été prises en considération dans le présent rapport 15 .

2.Évaluation générale

Conformément à l’article 14, les États membres devaient transposer la directive en droit national au plus tard le 1 avril 2018. À cette date, onze États membres (la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Croatie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, l’Autriche, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède) n’avaient pas communiqué toutes les mesures nécessaires à la Commission. En conséquence, en mai 2018, la Commission a engagé des procédures d’infraction au titre de l’article 258 du TFUE à l’encontre de ces États membres pour non-communication ou communication partielle des mesures de transposition. La plupart de ces États ont depuis rempli cette obligation, et les procédures d’infraction ont été abandonnées. Cependant, à la suite de contrôles d’exhaustivité, quatre procédures d’infraction sont encore ouvertes au motif que certaines dispositions de la directive n’ont pas encore été transposées. En outre, trois nouvelles procédures d’infraction pour communication partielle ont été engagées en février 2021.

L’approche adoptée pour transposer la directive varie d’un État membre à l’autre. Certains États membres ont introduit des mesures spécifiques transposant explicitement les droits prévus par la directive parallèlement à des mesures de mise en œuvre juridiques ou pratiques. Dans d’autres États membres, les mesures existantes ont été considérées comme déjà largement conformes aux exigences de la directive, et aucune mesure spécifique n’a été adoptée pour la transposer. Si l’absence de dispositions de transposition expresses est parfois palliée, à tout le moins dans une certaine mesure, par des mesures de mise en œuvre pratiques et par la jurisprudence, ce n’est pas toujours le cas.

En conséquence, les dispositions nationales sont souvent insuffisantes pour être considérées comme entièrement conformes à certaines dispositions fondamentales de la directive. C’est particulièrement le cas lorsque le champ d’application des mesures nationales est plus restreint que celui établi à l’article 2 de la directive. La présente évaluation a également mis en lumière d’autres lacunes dans plusieurs États membres, en particulier en ce qui concerne les références publiques à la culpabilité et le droit de ne pas s’incriminer soi-même.

Un tel défaut de conformité avec toutes les dispositions de la directive a des effets négatifs sur l’efficacité des droits que celle-ci prévoit. La Commission prendra toutes les mesures appropriées pour remédier à cette situation, notamment en ouvrant des procédures d’infraction au titre de l’article 258 du TFUE.

3.Points spécifiques d’évaluation

3.1.Champ d’application (chapitre 1 – article 2)

L’article 2 établit le champ d’application des exigences de la directive. Celle-ci s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et à tous les stades de la procédure pénale, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou une infraction pénale alléguée, ou est poursuivie à ce titre, jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale concernée soit devenue définitive.

Si certains États membres n’ont pas expressément transposé l’article 2, le champ d’application des mesures nationales donnant effet aux droits prévus par la directive est toutefois majoritairement conforme à la directive. Cependant, dans un État membre, les mesures de transposition ne s’appliquent qu’aux personnes déjà privées de liberté ou inculpées, mais pas aux suspects «de fait» 16 , ce qui entrave dans une large mesure le respect de la directive. Dans quelques États membres, des problèmes de conformité découlent d’un champ d’application des mesures nationales plus limité dans le temps. Ces limitations du champ d’application temporel sont susceptibles de se répercuter également sur le champ d’application personnel, où elles peuvent avoir des conséquences sur la façon dont les procédures sont engagées ou sur le moment à partir duquel une personne est considérée comme un suspect.

Ces problèmes de conformité sont d’une importance capitale car ils ont également des conséquences sur le champ d’application de la présomption d’innocence et limitent la portée des dispositions nationales mettant en œuvre certains droits prévus par la directive.

3.2.Présomption d’innocence (chapitre 2)

Le chapitre 2 de la directive traite du principe de la présomption d’innocence. L’article 3 exige des États membres qu’ils veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies soient présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie. Dans l’un des États membres, ce principe est garanti pour les défendeurs et les détenus, mais pas pour les suspects qui ne sont pas privés de liberté.

3.2.1.Références publiques à la culpabilité – article 4

Il n’y a que six États membres dont la législation est entièrement conforme à l’article 4, paragraphe 1, selon lequel les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les déclarations publiques des autorités publiques, ainsi que les décisions judiciaires, autres que celles statuant sur la culpabilité, ne présentent pas un suspect ou une personne poursuivie comme étant coupable aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Cette disposition s’entend sans préjudice des actes de poursuite qui visent à prouver la culpabilité du suspect ou de la personne poursuivie et sans préjudice des décisions préliminaires de nature procédurale qui sont prises par des autorités judiciaires ou par d’autres autorités compétentes et qui sont fondées sur des soupçons ou sur des éléments de preuve à charge. Sur cette base et conformément au considérant 16, la Cour de justice a jugé que la directive «ne régit pas les conditions dans lesquelles les décisions de détention provisoire peuvent être adoptées» 17 .

Dans quelques États membres, bien que la transposition de l’article 4, paragraphe 1, ne soit pas explicite, des dispositions générales régissant la présomption d’innocence ou limitant la diffusion d’informations, et la jurisprudence, donnent effet aux exigences de la directive.

Néanmoins, des problèmes de conformité ont été constatés dans 19 États membres, et cette disposition est de ce fait concernée par le plus grand nombre de problèmes.

Dans certains États membres, ces problèmes résultent principalement de l’absence de transposition et, dans 13 États membres, principalement de la portée plus limitée des dispositions nationales, qui ne couvrent pas toutes les autorités publiques ou toutes les étapes procédurales, ou qui n’englobent pas les décisions judiciaires, comme le prévoit la directive.

Dans certains cas, les problèmes de conformité relevés ont une incidence moindre dans la pratique parce que, dans un contexte national, l’interdiction des références publiques à la culpabilité peut être considérée comme une dimension essentielle du principe de la présomption d’innocence. En outre, des dispositions relatives à la diffamation et à la publication d’informations dans les médias, des règles de protection des données ou des lignes directrices non juridiquement contraignantes, ou encore des mesures de mise en œuvre pratiques garantissent déjà une conformité partielle avec l’exigence de la directive dans la pratique.

Dans d’autres États membres, la mise en œuvre pratique semble être problématique. Par exemple, la pratique montre que, si les juges et les procureurs respectent en général l’article 4, paragraphe 1, d’autres entités, telles que les ministres ou les députés, présentent parfois le défendeur comme étant coupable.

Le droit national de 12 États membres n’est pas totalement conforme à l’article 4, paragraphe 2, qui exige que les États membres veillent à ce que des mesures appropriées soient prévues en cas de manquement à l’obligation fixée à l’article 4, paragraphe 1.

Dans quatre États membres, cette situation résulte de limitations du champ d’application des mesures nationales transposant l’article 4, paragraphe 1, par exemple lorsque la transposition est limitée aux décisions judiciaires mais qu’il n’y a aucune mesure en place en ce qui concerne les autorités publiques.

Conformément à l’article 4, paragraphe 3, l’obligation fixée à l’article 4, paragraphe 1, de ne pas présenter les suspects ou les personnes poursuivies comme étant coupables n’empêche pas les autorités publiques de diffuser publiquement des informations sur les procédures pénales lorsque cela est strictement nécessaire pour des raisons tenant à l’enquête pénale ou à l’intérêt public. Le droit national de certains États membres ne respecte pas pleinement cette obligation, pour une ou plusieurs des raisons exposées ci-après. Toutes les autorités publiques ou toutes les catégories d’informations ne sont pas visées par les mesures nationales correspondantes, on ne retrouve pas la notion exigée de «lorsque cela est strictement nécessaire», ou il n’y a pas de conditions claires limitant la diffusion d’informations. Dans certains cas, les problèmes de conformité ont une incidence moindre dans la pratique, parce que des lignes directrices non juridiquement contraignantes s’appliquent aussi, telles que des lignes directrices relatives à la presse portant sur le contact avec les journalistes et la fourniture d’informations à ces derniers.

3.2.2.Présentation des suspects et des personnes poursuivies – article 5

L’article 5, paragraphe 1, impose aux États membres de prendre les mesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies ne soient pas présentés, à l’audience ou en public, comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique. De nombreux États membres n’ont pas adopté de règles spécifiques pour transposer cette disposition.

Conformément à l’article 5, paragraphe 2, l’article 5, paragraphe 1, n’empêche pas les États membres d’appliquer les mesures de contrainte physique qui s’avèrent nécessaires pour des raisons liées au cas d’espèce relatives à la sécurité ou à la nécessité d’empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d’entrer en contact avec des tiers. Des problèmes relatifs à l’absence de garantie quant à la réalisation d’une évaluation au cas par cas ont été constatés dans deux États membres.

En outre, dans certains États membres, le respect de l’article 5 semble également poser problème dans la pratique. Dans quelques-uns, par exemple, des menottes sont utilisées quelle que soit la raison pour laquelle la personne poursuivie est en détention. Lors de son transport jusqu’à la salle d’audience, la personne poursuivie menottée peut être vue par le public et par la presse, et des photos d’elle peuvent être prises. Dans d’autres États membres, l’utilisation de boxes vitrées dans les salles d’audience est très répandue.

3.2.3.Charge de la preuve – article 6

L’article 6, paragraphe 1, exige que les États membres veillent à ce que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies. Cette disposition s’entend sans préjudice de toute obligation incombant au juge ou à la juridiction compétente de rechercher des éléments de preuve tant à charge qu’à décharge, et sans préjudice du droit de la défense de présenter des éléments de preuve conformément au droit national applicable.

Le considérant 22 de la directive indique que la présomption d’innocence serait violée si la charge de la preuve était transférée de l’accusation à la défense, sans préjudice du recours à des présomptions de fait ou de droit concernant la responsabilité pénale du suspect ou de la personne poursuivie. Dans les États membres dans lesquels de telles présomptions existent, celles-ci sont conformes aux conditions établies au considérant 22, c’est-à-dire qu’elles sont réfragables et respectent les droits de la défense, et qu’elles sont limitées et proportionnées au but légitime poursuivi. Ces présomptions semblent être utilisées dans une mesure limitée et en lien avec des affaires précises telles que les infractions routières, la diffamation, la fraude commerciale et les infractions liées à la drogue. La législation de deux États membres n’est pas complètement conforme à l’article 6, paragraphe 1, en ce que le droit national de ces États déplace la charge de la preuve, en déchargeant l’accusation sans limites claires dans certains cas. Dans l’un de ces États, le rôle de l’accusation est repris par le juge, qui assume alors la charge de la preuve.

L’article 6, paragraphe 2, exige des États membres qu’ils veillent à ce que tout doute quant à la question de la culpabilité profite au suspect ou à la personne poursuivie, y compris lorsque la juridiction apprécie si la personne concernée doit être acquittée. Dans certains États membres, bien que ce principe ne soit pas expressément transposé, il s’agit d’un principe général reconnu par la jurisprudence. Seul un État membre ne respecte pas pleinement l’article 6, paragraphe 2, en ce que, lorsque l’accusation ou l’avocat de la défense choisit de ne pas contre-interroger un témoin, le juge a le pouvoir discrétionnaire de conclure que l’avocat de la défense et son client acceptent la position de ce témoin, ce qui compromet la présomption d’innocence.

3.2.4.Droit de garder le silence et droit de ne pas s’incriminer soi-même – article 7

L’article 7, paragraphe 1, impose aux États membres de veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de garder le silence en ce qui concerne l’infraction pénale qu’ils sont soupçonnés d’avoir commise ou au titre de laquelle ils sont poursuivis. Cependant, dans quelques États membres, la transposition de cette disposition n’est pas entièrement conforme à la directive en raison du champ d’application plus limité des mesures nationales.

Ce problème se répercute aussi sur la conformité avec l’article 7, paragraphe 2, qui dispose que les États membres doivent veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de ne pas s’incriminer eux-mêmes. Par ailleurs, d’autres États membres n’ont pas expressément transposé l’article 7, paragraphe 2. Dans l’un d’entre eux, ce droit a néanmoins été reconnu à plusieurs reprises par les juridictions supérieures, tandis que, dans deux États membres, il n’existe aucune garantie explicite du droit de ne pas s’incriminer soi-même, ni dans le droit national ni dans la jurisprudence des juridictions supérieures.

D’autres problèmes de conformité constatés dans deux États membres sont considérés comme particulièrement importants, parce qu’ils semblent entrer directement en conflit avec le droit de ne pas s’incriminer soi-même. En effet, ces problèmes concernent des mesures susceptibles de réprimer l’exercice de ce droit ou de contraindre les suspects ou les personnes poursuivies à révéler des circonstances les exonérant de la responsabilité pénale.

Tous les États membres ont transposé l’article 7, paragraphe 3, selon lequel l’exercice du droit de ne pas s’incriminer soi-même n’empêche pas les autorités compétentes de recueillir les preuves qui peuvent être obtenues légalement au moyen de pouvoirs de contrainte licites.

L’article 7, paragraphe 4, selon lequel les États membres peuvent autoriser leurs autorités judiciaires à tenir compte, lorsqu’elles rendent leur jugement, de l’attitude coopérative des suspects et des personnes poursuivies, n’a pas été expressément transposé par les États membres. Néanmoins, aucun État membre n’interdit de le faire, et il est d’ordinaire possible, en vertu des règles générales de procédure pénale, de tenir compte d’une attitude pouvant être considérée comme «coopérative» lors du verdict.

Conformément à l’article 7, paragraphe 5, l’exercice par les suspects et les personnes poursuivies du droit de garder le silence et du droit de ne pas s’incriminer soi-même ne peut pas être retenu contre eux, ni considéré comme une preuve qu’ils ont commis l’infraction pénale concernée. Dans 14 États membres, il n’y a aucune disposition nationale interdisant explicitement d’en tirer des conclusions négatives. Cependant, cette absence de disposition en ce sens n’est pas considérée comme ayant une incidence sur la conformité dans certains de ces États membres, dès lors que soit la conformité peut être déduite des dispositions générales relatives à l’admissibilité des preuves, soit la jurisprudence montre que cette règle est systématiquement respectée dans la pratique. Il arrive, par exemple, que les cours constitutionnelles estiment que l’interdiction de tirer des conclusions négatives fait partie intégrante du droit de garder le silence et du droit de ne pas s’incriminer soi-même. Dans d’autres États membres, on estime que cette lacune a également une incidence sur la conformité parce que les dispositions générales ne sont pas suffisantes ou leur champ d’application pas assez large. Dans un État membre, malgré la transposition de l’article 7, paragraphe 5, la conformité n’est que partielle parce que, bien que les juridictions fassent attention à ne pas permettre de tirer des conclusions négatives du silence du défendeur ou de son refus de fournir des éléments de preuve l’incriminant lui-même, cette protection ne s’étend pas aux suspects «de fait».

3.3.Droit d’assister à son procès (chapitre 3)

Le chapitre 3 de la directive se compose de deux articles: l’article 8 porte sur le droit d’assister à son procès, et l’article 9 établit le droit à un nouveau procès en cas de violation de l’article 8.

3.3.1.Droit d’assister à son procès – article 8

Le droit national des 25 États membres liés par la directive est conforme à l’article 8, paragraphe 1, qui exige que les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d’assister à leur procès.

L’article 8, paragraphe 2, accorde aux États membres la possibilité de prévoir qu’un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que:

a)    le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d'un défaut de comparution; ou

b)    le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l'État.

En ce qui concerne l’article 8, paragraphe 2, point a), le considérant 36 de la directive précise qu’informer les suspects ou les personnes poursuivies de la tenue du procès devrait signifier que lesdits suspects ou lesdites personnes poursuivies sont cités en personne ou sont informés officiellement, par d’autres moyens, de la date et du lieu fixés pour le procès, de manière à leur permettre d’avoir connaissance du procès. Les informations relatives aux conséquences d’un défaut de comparution devraient signifier, en particulier, que les suspects ou les personnes poursuivies sont informés qu’une décision pourrait être rendue s’ils ne se présentent pas au procès.

Le considérant 37 de la directive fait référence à l’exigence selon laquelle la personne doit avoir été informée de la tenue du procès et avoir donné mandat à un avocat qui a été désigné par cette personne ou par l’État comme prévu à l’article 8, paragraphe 2, point b).

Dans des affaires dans lesquelles ces conditions étaient remplies, la Cour de justice a précisé que la directive ne s’opposait pas à une législation nationale qui prévoit que le droit d’assister à son procès n’est pas violé lorsque la personne accusée a décidé sans équivoque de ne pas comparaître à l’une des audiences tenues dans le cadre de son procès 18 .

Le droit de certains États membres n’est pas pleinement conforme à l’article 8, paragraphe 2, point a), parce que l’exigence d’informer la personne poursuivie, en temps utile, de la tenue du procès ou l’exigence d’informer la personne poursuivie des conséquences d’un défaut de comparution n’est pas remplie. Dans la pratique, il est parfois difficile pour les personnes poursuivies de prouver qu’elles n’avaient pas connaissance de la tenue du procès, en raison de la méthode de notification (par exemple, courrier postal simple sans preuve de dépôt). Le droit de quelques États membres n’est pas totalement conforme à l’article 8, paragraphe 2, point b), en ce qu’il ne garantit pas que l’avocat désigné par l’État reçoit un mandat de la part de la personne poursuivie, en particulier lorsque la présence obligatoire d’un avocat en l’absence de la personne poursuivie est largement répandue dans la pratique.

Bien que les procès par contumace soient possibles dans la plupart des États membres, on constate dans la pratique que, dans certains d’entre eux, en l’absence des défendeurs, les juridictions ajournent souvent les audiences et émettent un mandat de comparution ou un mandat d’arrêt.

L’article 8, paragraphe 4, dispose que, lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu’il n’est pas possible de respecter les conditions fixées à l’article 8, paragraphe 2, parce que le suspect ou la personne poursuivie ne peut être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, les États membres peuvent prévoir qu’une décision peut néanmoins être prise et exécutée. Des problèmes de conformité ont été constatés dans certains États membres, en raison du champ d’application plus large des mesures nationales autorisant les procès par contumace n’incluant pas l’exigence explicite que des efforts «raisonnables» soient consentis pour localiser la personne.

Lorsque les États membres ont recours à l’option susmentionnée, ils doivent veiller à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, conformément à l’article 9. Des problèmes de conformité ont été constatés dans dix États membres du fait de l’absence de disposition correspondante en droit national ou d’un manque de clarté juridique.

Conformément à l’article 8, paragraphe 5, l’article 8 s’entend sans préjudice des règles nationales qui prévoient que le juge ou la juridiction compétente peut exclure temporairement du procès un suspect ou une personne poursuivie si nécessaire dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure pénale, pour autant que les droits de la défense soient respectés. Dans quelques États membres, la transposition n’est pas conforme à la directive en raison du champ d’application plus limité des mesures nationales (par exemple, lorsque la conformité n’est pas garantie dans le contexte des procès pour des délits contraventionnels et pour des infractions mineures) ou de l’absence de limites du champ d’application temporel de l’exclusion des suspects ou des personnes poursuivies du procès, en conséquence de laquelle il est possible que ces personnes soient exclues de l’intégralité du procès.

3.3.2.Droit à un nouveau procès – article 9

L’article 9 impose aux États membres de veiller à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils n’ont pas assisté à leur procès et que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, n’étaient pas réunies, aient droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond de l’affaire, y compris l’examen de nouveaux éléments de preuve, et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet égard, les États membres doivent veiller à ce que lesdits suspects et personnes poursuivies aient le droit d’être présents, de participer effectivement, conformément aux procédures prévues par le droit national, et d’exercer les droits de la défense.

La plupart des États membres respectent ces conditions, une nouvelle appréciation du fond de l’affaire après une condamnation par contumace étant possible grâce à un recours ou à une voie de recours spécifique donnant lieu à un nouveau procès. Dans deux États membres, toutefois, les voies de recours disponibles ne permettent pas toujours une nouvelle appréciation de l’affaire, ce qui se répercute sur la conformité.

3.4.Voies de recours (chapitre 4 – article 10)

L’article 10, paragraphe 1, exige que les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent d’une voie de recours effective en cas de violation des droits prévus au titre de la directive.

Certains États membres ne le respectent pas complètement en raison du champ d’application plus limité des mesures nationales, soit en ce qui concerne les autorités ou les étapes procédurales pour lesquelles des voies de recours sont disponibles, soit en ce qui concerne les droits dont les violations sont couvertes par les voies de recours disponibles.

Dans un État membre, le problème est directement lié à un risque d’inefficacité des voies de recours dans la pratique en raison de l’ensemble strict de conditions nécessaires pour qu’une responsabilité soit reconnue en cas de violations commises par les autorités. Ces conditions fixent un seuil de preuve élevé et excluent la perception d’une compensation pour toute violation que les autorités auraient pu commettre par omission ou en agissant de bonne foi.

L’article 10, paragraphe 2, dispose que, sans préjudice des dispositifs et régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves, les États membres doivent veiller à ce que les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation du droit de garder le silence ou du droit de ne pas s’incriminer soi-même.

Des problèmes de conformité ont été constatés dans quelques États membres en raison du champ d’application plus limité du droit national (absence de garantie pour les suspects «de fait»), de l’admissibilité, en vertu du droit national, d’éléments de preuve obtenus illégalement, ou de l’absence de dispositions qui assureraient une protection effective contre l’utilisation de déclarations faites ou d’éléments de preuve obtenus en violation du droit de garder le silence ou du droit de ne pas s’incriminer soi-même.

4.Conclusion

La directive a été adoptée pour améliorer l’application effective de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales. Dans l’ensemble, la directive apporte une valeur ajoutée de l’UE en augmentant le niveau de protection des citoyens visés par des procédures pénales, en particulier dans certains États membres dans lesquels certains aspects de la présomption d’innocence n’étaient pas consacrés dans la législation nationale.

Toutefois, le présent rapport souligne qu’il subsiste des difficultés en ce qui concerne des dispositions essentielles de la directive dans certains États membres. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne le champ d’application des mesures nationales mettant en œuvre la directive, ainsi que la transposition des dispositions de la directive relatives à l’interdiction des références publiques à la culpabilité et au droit de ne pas s’incriminer soi-même.

La Commission va, de manière prioritaire, poursuivre les procédures d’infraction ouvertes pour défaut de transposition complète de la directive. La Commission continuera d’évaluer le respect de la directive par les États membres et prendra toutes les mesures appropriées pour assurer la conformité avec ses dispositions dans l’ensemble de l’Union européenne.

(1)

JO C 326 du 26.10.2012, p. 392.

(2)

JO L 65 du 11.3.2016, p. 1.

(3)

JO C 326 du 26.10.2012, p. 47.

(4)

L’Irlande et le Danemark, conformément respectivement au protocole nº 21 et au protocole nº 22, ne sont pas liés par la directive et ne font dès lors pas l’objet de cette évaluation.

(5)

Directive 2010/64/UE relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO L 280 du 26.10.2010, p. 1).

(6)

Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO L 142 du 1.6.2012, p. 1).

(7)

Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO L 294 du 6.11.2013, p. 1).

(8)

Directive (UE) 2016/800 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (JO L 132 du 21.5.2016, p. 1).

(9)

Directive (UE) 2016/1919 concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen (JO L 297 du 4.11.2016, p. 1); rectificatif au JO L 91 du 5.4.2017, p. 40.

(10)

COM(2018) 857 final, COM(2018) 858 final et COM(2019) 560 final.

(11)

Étude réalisée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), Presumption of innocence and related rights – Professional perspectives (Présomption d’innocence et droits connexes — Perspectives professionnelles). Disponible à l’adresse https://fra.europa.eu/en/publication/2021/presumption-of-innocence.

(12)

 Voir, par exemple, le projet coordonné par le Hungarian Helsinki Committee, De l’importance des apparences ou comment les suspects et les accusés sont présentés au tribunal, en public et dans les médias, et notamment le rapport de Fair Trials Innocent jusqu’à preuve du contraire? La présentation des suspects dans les procédures pénales, disponibles à l’adresse https://www.fairtrials.org/publication/importance-appearances .

(13)

En ce qui concerne les moyens de recours liés aux procès par contumace et aux procédures menées par écrit en vertu du droit national, comme prévu à l’article 8 de la directive.

(14)

La Commission a organisé deux réunions d’experts avec des représentants des États membres, en mai et en novembre 2017, pour discuter des travaux des États membres en vue de la transposition et de l’application de la directive et pour les aider dans cette tâche.

(15)

Voir notamment les arrêts du 27 octobre 2016, Milev, C-439/16 PPU; du 19 septembre 2018, Milev, C-310/18 PPU; du 5 septembre 2019, AH, C-377/18; du 19 septembre 2019, Rayonna Procuratura Lom, C-467/18; du 28 novembre 2019, Spetsializirana Prokuratura, C-653/19 PPU; du 13 février 2020, Spetsializirana Prokuratura, C-688/18; et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, C-416/20 PPU; et les ordonnances du 12 février 2019, RH, C-8/19 PPU; du 24 septembre 2019, Spetsializirana Prokuratura, C-467/19 PPU; et du 28 mai 2020, UL et VM, C-709/18.

(16)

Les suspects «de fait» sont des personnes qui sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale mais qui n’ont pas été informées de leur statut de suspect par les autorités compétentes d’un État membre.

(17)

Arrêt de la Cour de justice du 19 septembre 2018, Milev, C‑310/18 PPU.

(18)

Arrêt de la Cour de justice du 13 février 2020, Spetsializirana Prokuratura, C‑688/18.

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