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Document 62023CC0423

Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 6 février 2025.


ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:63

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 6 février 2025 (1)

Affaire C423/23

Secab Soc. coop.

contre

Autorità di Regolazione per Energia Reti e Ambiente (ARERA),

Gestore dei servizi energetici (GSE) SpA

en présence de

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Ministero della Transizione Ecologica,

Ministero dello Sviluppo Economico,

Associazione Italia Solare ETS,

Assoidroelettrica,

Elettricità Futura  Unione delle imprese elettriche italiane

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive (UE) 2019/944 – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Article 5 – Prix de fourniture basés sur le marché – Directive (UE) 2018/2001 – Promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables – Règlement (UE) 2022/1854 – Intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie – Article 6 – Plafond obligatoire sur les recettes issues du marché – Article 8 – Mesures nationales en cas de crise – Plafond sur les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité utilisant certaines sources d’énergies renouvelables – Réglementation nationale ne garantissant pas aux producteurs de conserver 10 % des recettes allant au-delà d’un tel plafond – Préservation des investissements dans le secteur des énergies renouvelables »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie), porte notamment sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944 (2), les considérants 2, 3 et 12 de la directive (UE) 2018/2001 (3) ainsi que les considérants 27, 28, 29, 39, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement (UE) 2022/1854 (4).

2.        Cette demande trouve son origine dans un litige opposant Secab Soc. coop., une société coopérative active dans le secteur de la production d’électricité, à l’Autorità di Regolazione per Energia Reti e Ambiente (ARERA) (Autorité de régulation pour l’énergie, les réseaux et l’environnement, Italie, ci-après l’« ARERA ») ainsi qu’à Gestore dei servizi energetici (GSE) SpA (gestionnaire des services énergétiques, Italie, ci-après « GSE »), au sujet de la légalité d’une réglementation nationale fixant un plafond sur les recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité produite à partir de certaines sources d’énergie renouvelables.

3.        Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur l’analyse de la deuxième question préjudicielle. Celle-ci porte, en substance, sur la compatibilité avec les dispositions précitées du droit de l’Union d’une réglementation nationale prévoyant un plafond sur les recettes du marché provenant de la vente d’électricité selon des modalités qui ne préserveraient ni ne favoriseraient les investissements dans le secteur des énergies renouvelables.

4.        La présente affaire offre à la Cour l’opportunité d’apporter des précisions quant aux critères à prendre en compte dans le cadre de la détermination par les États membres des modalités de calcul d’un plafond sur les recettes du marché provenant de la vente d’électricité, dans un contexte spécifique, caractérisé par la flambée des prix de l’énergie, notamment de l’électricité, lesquels ont récemment atteint des niveaux exceptionnellement élevés principalement en raison de la guerre en Ukraine.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2018/2001

5.        Aux termes des considérants 2, 3 et 12 de la directive 2018/2001 :

« (2)      Conformément à l’article 194, paragraphe 1, [TFUE], la promotion des énergies renouvelable[s] est l’un des objectifs de la politique énergétique de l’Union. Cet objectif est visé par la présente directive [...]

(3)      L’augmentation de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables a également un rôle fondamental à jouer dans la promotion de la sécurité des approvisionnements en énergie, d’une énergie durable à des prix abordables [...]

[...]

(12)      Afin de soutenir les contributions ambitieuses des États membres à l’objectif de l’Union, un cadre financier visant à faciliter les investissements dans des projets en matière d’énergie renouvelable devrait être mis en place dans ces États membres, y compris par le recours à des instruments financiers. »

2.      La directive 2019/944

6.        L’article 5 de la directive 2019/944, intitulé « Prix de fourniture basés sur le marché », est ainsi libellé :

« 1.      Les fournisseurs sont libres de déterminer le prix auquel ils fournissent l’électricité aux clients. Les États membres prennent des mesures appropriées pour assurer une concurrence effective entre les fournisseurs.

[...]

3.      Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent recourir à des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité aux clients résidentiels vulnérables ou en situation de précarité énergétique. Ces interventions publiques sont soumises aux conditions énoncées aux paragraphes 4 et 5.

4.      Les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité :

a)      poursuivent un objectif d’intérêt économique général et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif d’intérêt économique général ;

b)      sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables ;

c)      garantissent aux entreprises d’électricité de l’Union un égal accès aux clients ;

d)      sont limitées dans le temps et proportionnées en ce qui concerne leurs bénéficiaires ;

e)      n’entraînent pas de coûts supplémentaires pour les acteurs du marché d’une manière discriminatoire.

[...] »

3.      Le règlement 2022/1854

7.        Les considérants 24, 25, 27 à 29, 39, 41 et 48 du règlement 2022/1854 précisaient ce qui suit:

« (24)      Compte tenu du rôle du prix sur le marché journalier comme référence pour le prix sur d’autres marchés de gros de l’électricité et du fait que tous les acteurs du marché reçoivent le prix d’équilibre, les technologies dont les coûts marginaux sont nettement inférieurs ont constamment enregistré des recettes élevées depuis la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine en février 2022, bien supérieures à leurs attentes lorsqu’elles ont décidé d’investir.

(25)      Dans une situation où les consommateurs sont exposés à des prix extrêmement élevés qui nuisent également à l’économie de l’Union, il est nécessaire de limiter, à titre temporaire, les recettes extraordinaires des producteurs dont les coûts marginaux sont moins élevés en appliquant le plafond sur les recettes issues du marché grâce à la vente d’électricité au sein de l’Union.

[...]

(27)      Le niveau auquel le plafond sur les recettes issues du marché est fixé ne devrait pas compromettre la capacité des producteurs concernés, y compris les producteurs d’énergie renouvelable, à récupérer leurs coûts d’investissements et d’exploitation ; de plus, il devrait protéger et encourager les investissements futurs dans les capacités nécessaires à un système électrique décarboné et fiable. Le plafonnement des recettes issues du marché, étant un plafonnement uniforme dans l’ensemble de l’Union, est le plus adapté pour préserver le fonctionnement du marché intérieur de l’électricité, dans la mesure où il maintient une concurrence fondée sur les prix entre les producteurs d’électricité qui exploitent des technologies différentes, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.

(28)      Si des hausses occasionnelles et à court terme des prix peuvent être considérées comme une caractéristique normale d’un marché de l’électricité et peuvent être utiles à certains investisseurs pour récupérer leurs investissements dans la production, l’augmentation extrême et durable des prix observée depuis février 2022 est très différente d’une situation de marché normale caractérisée par des hausses occasionnelles des prix. Par conséquent, le plafond sur les recettes issues du marché ne devrait pas être fixé en dessous des attentes raisonnables des acteurs du marché quant au niveau moyen des prix de l’électricité aux heures pendant lesquelles la demande d’électricité était à son plus haut niveau avant la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. Avant février 2022, les tarifs de pointe moyens escomptés sur le marché de gros de l’électricité étaient au cours des dernières décennies nettement et systématiquement inférieurs à 180 EUR par MWh dans l’ensemble de l’Union, et ce malgré les différences des prix de l’électricité entre les régions de l’Union. Étant donné que les acteurs du marché ont pris leur décision initiale d’investissement en escomptant que les prix seraient en moyenne inférieurs à ce niveau pendant les heures de pointe, le plafond sur les recettes issues du marché fixé à 180 EUR par MWh représente un niveau nettement supérieur à ces attentes initiales du marché. En laissant une marge par rapport au prix que les investisseurs pouvaient raisonnablement anticiper, il y a lieu de veiller à ce que le plafond sur les recettes issues du marché ne contrecarre pas l’évaluation initiale de la rentabilité des investissements.

(29)      En outre, le plafond sur les recettes issues du marché fixé à 180 EUR par MWh est systématiquement plus élevé, y compris en prévoyant une marge raisonnable, que l’actuel coût actualisé de l’énergie (LCOE) pour les technologies de production concernées, ce qui permet aux producteurs auxquels il s’applique de couvrir leurs coûts d’investissements et d’exploitation. Étant donné que le plafond sur les recettes issues du marché laisse une marge considérable entre le LCOE raisonnable et le plafond sur les recettes issues du marché, il ne devrait donc pas compromettre les investissements dans de nouvelles capacités inframarginales.

[...]

(39)      Pour tenir compte des préoccupations liées à la sécurité d’approvisionnement, les États membres devraient avoir la possibilité de fixer le plafond sur les recettes issues du marché de manière à permettre aux producteurs d’électricité de conserver 10 % des recettes excédentaires au-delà du plafond sur les recettes issues du marché.

[...]

(41)      [L]es États membres devraient conserver la possibilité de limiter davantage les recettes des producteurs auxquels s’applique le plafond sur les recettes issues du marché [...]

[...]

(48)      En principe, les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité constituent une mesure qui fausse le marché. Elles ne peuvent donc avoir lieu qu’en tant qu’obligations de service public et devraient être soumises à des conditions précises. Actuellement, en vertu de la directive (UE) 2019/944, les ménages et les microentreprises peuvent bénéficier de prix réglementés, tout comme les clients vulnérables et les clients en situation de précarité énergétique, et ce même à un prix inférieur aux coûts. Toutefois, compte tenu de l’actuelle hausse exceptionnelle des prix de l’électricité, il convient d’étendre temporairement la panoplie de mesures dont disposent les États membres pour soutenir les consommateurs, en prévoyant la possibilité d’appliquer des prix réglementés également aux PME et en autorisant des prix réglementés inférieurs aux coûts. Cette application élargie pourrait être financée par le plafond sur les recettes issues du marché. »

8.        L’article 6 de ce règlement, intitulé « Plafond obligatoire sur les recettes issues du marché », énonçait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité à partir des sources visées à l’article 7, paragraphe 1, sont plafonnées à un maximum de 180 EUR par MWh d’électricité produite.

2.      Les États membres veillent à ce que le plafond sur les recettes issues du marché s’applique à toutes les recettes issues du marché obtenues par les producteurs [...] »

9.        L’article 7 dudit règlement, intitulé « Application du plafond sur les recettes issues du marché aux producteurs d’électricité », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Le plafond sur les recettes issues du marché prévu à l’article 6 s’applique aux recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité produite à partir des sources suivantes :

[...]

d)      hydroélectricité sans réservoir ;

[...] »

10.      L’article 8 du même règlement, intitulé « Mesures nationales en cas de crise », disposait :

« 1.      Les États membres peuvent :

a)      maintenir ou introduire des mesures qui limitent davantage les recettes issues du marché obtenues par les producteurs générant de l’électricité à partir des sources énuméré[e]s à l’article 7, paragraphe 1, y compris la possibilité d’effectuer une distinction entre les technologies [...] ;

[...]

d)      fixer un plafond spécifique pour les recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité produite à partir de houille ;

[...]

2.      Les mesures visées au paragraphe 1, conformément au présent règlement :

a)      sont proportionnées et non discriminatoires ;

b)      ne compromettent pas les signaux d’investissement ;

c)      font en sorte que les coûts d’investissements et de fonctionnement soient couverts ;

d)      ne faussent pas le fonctionnement des marchés de gros de l’électricité et, en particulier, n’affectent pas l’ordre de préséance économique ni la formation des prix sur le marché de gros ;

e)      sont compatibles avec le droit de l’Union. »

11.      L’article 10 du règlement 2022/1854, intitulé « Répartition des recettes excédentaires », énonçait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que toutes les recettes excédentaires résultant de l’application du plafond sur les recettes issues du marché soient utilisées pour financer des mesures de soutien aux clients finals d’électricité qui atténuent l’incidence des prix élevés de l’électricité sur ces clients, d’une manière ciblée. »

12.      L’article 22 de ce règlement, intitulé « Entrée en vigueur et application », prévoyait à son paragraphe 2 :

« [...]

c)      les articles 6, 7, et 8 s’appliquent du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023 ;

[...] »

B.      Le droit italien

1.      Le décret-loi n° 4/2022

13.      Le décret-loi n° 4/2022, tel que modifié par la legge n. 25 – Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 27 gennaio 2022, n. 4, recante misure urgenti in materia di sostegno alle imprese e agli operatori economici, di lavoro, salute e servizi territoriali, connesse all’emergenza da COVID-19, nonché per il contenimento degli effetti degli aumenti dei prezzi nel settore elettrico (loi no 25 de conversion législative, portant modification du décret-loi no 4, du 27 janvier 2022, sur des mesures urgentes visant à soutenir les entreprises et les opérateurs économiques, le travail, la santé et les services territoriaux, dans le contexte de la crise de la COVID-19, et à contenir les effets des augmentations de prix dans le secteur de l’électricité), du 28 mars 2022 (5) (ci-après le « décret-loi no 4/2022 »), contient un article 15 bis, intitulé « Mesures supplémentaires relatives à l’électricité produite par des installations utilisant des sources renouvelables », lequel disposait :

« 1.      À partir du 1er février 2022 et jusqu’au 31 décembre 2022, un mécanisme de compensation à double sens est appliqué sur le prix de l’énergie, en ce qui concerne l’électricité injectée dans le réseau par :

a)      les installations photovoltaïques d’une puissance supérieure à 20 kW bénéficiant de primes fixes résultant du mécanisme du tarif d’achat (Conto Energia), qui ne dépendent pas des prix de marché ;

b)      les installations d’une puissance supérieure à 20 kW, qui utilisent des sources solaires, hydroélectriques, géothermiques et éoliennes et ne bénéficient pas des mécanismes d’incitation, entrées en service avant le 1er janvier 2010.

[...]

3.      Aux fins du paragraphe 1, GSE calcule la différence entre les valeurs visées aux points a) et b) ci‑dessous :

a)      un prix de référence égal à celui indiqué dans le tableau [annexé à ce] décret-loi, pour chaque zone de marché [, compris entre 56 et 58 EUR par MWh (sauf dans les îles de Sardaigne et de Sicile, pour lesquelles il est respectivement fixé à 61 EUR par MWh et 75 EUR par MWh)] ;

b)      un prix de marché égal à :

1)      pour les installations visées au paragraphe 1, sous a), ainsi que pour les installations visées au paragraphe 1, sous b), utilisant les sources solaire, éolienne, géothermique et hydrique au fil de l’eau, le prix horaire de l’électricité sur la zone de marché ou, pour les contrats de fourniture conclus avant le 27 janvier 2022 qui ne respectent pas les conditions visées au paragraphe 7, le prix indiqué auxdits contrats ;

2)      pour les installations visées au paragraphe 1, sous b), autres que celles visées au point 1, la moyenne arithmétique mensuelle des prix horaires de l’électricité sur les zones de marché, ou, pour les contrats de fourniture conclus avant le 27 janvier 2022, ne respectant pas les conditions visées au paragraphe 7, le prix indiqué auxdits contrats.

4.      Si la différence visée au paragraphe 3 est positive, GSE verse le montant correspondant au producteur. Dans le cas où cette différence est négative, GSE procède à un décompte ou réclame au producteur le montant correspondant.

[...] »

14.      L’article 11, paragraphe 2, du decreto-legge n. 115 – Misure urgenti in materia di energia, emergenza idrica, politiche sociali e industriali (décret-loi no 115 portant sur des mesures urgentes en matière d’énergie, de crise de l’eau, de politiques sociales et industrielles), du 9 août 2022 (6), tel que modifié par la loi no 142, du 21 septembre 2022, a prolongé jusqu’au 30 juin 2023 l’application du mécanisme de compensation prévu à cet article 15 bis.

2.      La loi no 197/22

15.      La legge n. 197 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2023 e bilancio pluriennale per il triennio 2023-2025 (loi no 197 portant budget prévisionnel de l’État pour l’exercice 2023 et budget pluriannuel pour le triennat 2023-2025), du 29 décembre 2022 (7) (ci-après la « loi no 197/22 »), est, à son article 1er, paragraphe 30, libellé comme suit :

« En application du règlement [2022/1854], à compter du 1er décembre 2022 et jusqu’au 30 juin 2023, un plafond est appliqué sur les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité, par un mécanisme de compensation à sens unique, en ce qui concerne l’électricité injectée dans le réseau par :

a)      les installations utilisant des sources renouvelables ne relevant pas du champ d’application de l’article 15 bis du [décret-loi no 4/2022] ;

[...] »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

16.      Secab est une société coopérative opérant dans le secteur de la production d’électricité qui gère des installations utilisant l’hydroélectricité au fil de l’eau. Dans la mesure où cette société relève du champ d’application de l’article 15 bis du décret-loi no 4/2022 (ci-après la « disposition litigieuse »), elle a été soumise à la mesure de plafonnement des recettes prévue à cette disposition. Après avoir reçu plusieurs factures de la part de GSE, ladite société a saisi le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie), la juridiction de renvoi, d’un recours visant à l’annulation, notamment, des factures émises à son attention par GSE, le 18 octobre et le 15 novembre 2022, en application de ladite disposition. À l’appui de son recours, Secab a fait valoir que la disposition litigieuse était contraire au droit de l’Union.

17.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi rappelle que la mise en œuvre de la disposition litigieuse, initialement prévue pour la période comprise entre le 1er février 2022 et le 31 décembre 2022, a été prolongée par le décret-loi no 115/2022 du 9 août 2022, tel que modifié par la loi no 142 du 21 septembre 2022, jusqu’au 30 juin 2023 ; que le règlement 2022/1854 n’est entré en vigueur que le 8 octobre 2022 ; que ce dernier prévoyait un plafond sur les recettes plus élevé et un champ d’application plus large que ceux visés par la disposition litigieuse, et que les paragraphes 30 à 38 de l’article 1er de la loi no 197/22 ont mis en œuvre, pour la période allant du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023, les articles 6 à 8 de ce règlement, en excluant toutefois les installations utilisant des sources d’énergie renouvelables qui relevaient déjà du champ d’application de la disposition litigieuse. Dès lors, bien qu’antérieure au règlement 2022/1854, cette disposition constituerait, pour l’essentiel, la disposition de droit national mettant en œuvre ce règlement s’agissant de l’énergie produite à partir de sources renouvelables visée au titre de ladite disposition.

18.      Cette juridiction ajoute que la disposition litigieuse, à l’instar du règlement 2022/1854, a été adoptée en vue de limiter temporairement les recettes exceptionnelles issues du marché obtenues par les producteurs d’énergie qui supportent des coûts indépendants de l’évolution des prix du gaz naturel dès lors qu’ils n’en utilisent pas pour la production, en appliquant un plafond sur ces recettes exceptionnelles et en distribuant les montants correspondants aux clients finals. Néanmoins, ladite juridiction exprime des doutes quant aux modalités concrètes déterminées par le législateur italien pour établir ce plafond.

19.      Premièrement, en ce qui concerne le montant du plafond sur les recettes prévu par la disposition litigieuse, la même juridiction considère que, même si le prix de référence visé au paragraphe 3, sous a), de cette disposition est très éloigné de celui fixé par le droit de l’Union (8), il serait équitable dans la mesure où il correspond à une moyenne arithmétique des prix dans chaque zone de marché, enregistrés entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2020, et réévalués selon l’inflation. Cependant, elle se demande si, au regard du considérant 28 du règlement 2022/1854, il n’aurait pas plutôt fallu se référer aux heures pendant lesquelles la demande était à son niveau le plus élevé avant la guerre en Ukraine. La juridiction de renvoi relève également que la moyenne retenue par le législateur italien prenait en compte l’année 2020, alors affectée par des dysfonctionnements dus à l’épidémie de COVID-19 et au cours de laquelle le prix national unique a atteint un niveau historiquement bas. Dans ce cadre, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au fait que le plafond prévu par la disposition litigieuse soit proportionné et raisonnable, ce dernier ne garantissant pas aux producteurs de conserver 10 % des recettes au-delà de ce plafond, ce qui est pourtant exigé par le considérant 39 du règlement 2022/1854.

20.      Deuxièmement, cette juridiction s’interroge sur la capacité de la disposition litigieuse à protéger les investissements réalisés dans le domaine des énergies renouvelables et la réalisation de tels investissements à l’avenir (9). Ladite juridiction se réfère, en outre, aux considérants 28 et 29 du règlement 2022/1854, en vertu desquels, lors de la fixation du plafond, il est nécessaire de laisser une « marge raisonnable » par rapport au prix que les investisseurs auraient pu escompter, afin que ce plafond n’ait pas d’incidence sur l’évaluation initiale de la rentabilité des investissements, ce qui n’aurait pas été pris en compte par le législateur italien. En effet, la disposition litigieuse ne se bornerait pas à limiter la capacité financière des entreprises produisant de l’énergie à partir de sources renouvelables à réaliser des investissements, mais éroderait la confiance des investisseurs dans la croissance de ce secteur, alors que la Cour a pourtant déjà reconnu la nécessité de « favoriser, dans une perspective de long terme, des investissements dans de nouvelles installations » (10).

21.      Enfin, troisièmement, la même juridiction s’interroge sur la compatibilité de la disposition litigieuse avec le règlement 2022/1854, notamment, en ce qui concerne l’existence d’une éventuelle différence de traitement avec les producteurs qui utilisent d’autres sources d’énergie et qui ne seraient pas soumis au même plafond, élément qui pourrait donner lieu à une discrimination à l’égard de certains producteurs, à l’instar de Secab, et aboutir, par conséquent, à un dysfonctionnement du marché (11).

22.      C’est dans ces conditions que le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 5, paragraphe 4, de la directive [2019/944], les considérants 3 et 12 de la directive [2018/2001], les considérants 27, 28, 29, 39 ainsi que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, du règlement [2022/1854] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui fixe un plafond sur les recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité selon les modalités visées à l’article 15 bis du décret-loi no 4/2022 [...] qui ne garantit pas aux producteurs de conserver 10 % des recettes au-delà de ce plafond ?

2)      L’article 5, paragraphe 4, de la directive [2019/944], les considérants 2, 3 et 12 de la directive [2018/2001] [ainsi que] les considérants 27, 28, 29, 39, l’article 6, paragraphe 1, [et] l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement [2022/1854] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui fixe un plafond sur les recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité selon les modalités prévues à l’article 15 bis du décret-loi no 4/2022 [...] qui ne préserve ni n’encourage les investissements dans le secteur des énergies renouvelables ?

3)      Le considérant 3 de la directive [2018/2001], les considérants 27 et 41, l’article 7, paragraphe 1, sous h), i) et j) [ainsi que] l’article 8, paragraphe 1, sous a) et d), et paragraphe 2, du règlement [2022/1854] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui fixe un plafond sur les recettes issues du marché provenant de la vente d’électricité selon les modalités visées à l’article 15 bis du décret-loi no 4/2022 [...] qui ne prévoit aucun plafond spécifique sur les recettes provenant de la vente d’énergie produite à partir de la houille, ni de réglementation différenciée en fonction des différentes sources de production ? »

23.      Des observations écrites ont été déposées par Secab, GSE, les gouvernements italien, belge et grec, ainsi que par la Commission européenne. Secab, l’ARERA, GSE, Associazione Italia Solare ETS, Assoidroelettrica, Elettricità Futura  ‑ Unione delle imprese elettriche italiane, les gouvernements italien et grec, ainsi que la Commission ont également été entendus en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 6 novembre 2024.

IV.    Analyse

A.      Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

24.      Avant de procéder à l’analyse de la deuxième question préjudicielle, sur laquelle la Cour a demandé que les présentes conclusions soient ciblées, il y a lieu de se prononcer sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par GSE et le gouvernement italien.

25.      En effet, GSE et le gouvernement italien font valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif que les exigences de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour ne seraient pas respectées, compte tenu du fait que la décision de renvoi ne contiendrait pas les éléments de fait et de droit nécessaires pour permettre à la Cour de répondre de façon utile aux questions posées. S’agissant, plus précisément, de la deuxième question préjudicielle, ces parties soutiennent que la juridiction de renvoi se borne à reproduire les arguments présentés par Secab dans sa requête devant cette juridiction et n’a fourni à la Cour aucun élément utile en vue de démontrer que le plafond des recettes prévu au niveau national aurait dissuadé les investissements dans le secteur des énergies renouvelables.

26.      Si la juridiction de renvoi reprend, il est vrai, en grande partie l’argumentation de Secab, j’estime toutefois que cette circonstance n’est, en elle-même, pas suffisante pour conclure à l’irrecevabilité de la présente demande de décision préjudicielle. Il résulte, en effet, d’une jurisprudence constante de la Cour qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (12). Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence et que le refus de la Cour de statuer sur ces questions n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (13).

27.      Or, en l’espèce, tel n’est pas le cas. L’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi présente un rapport direct avec l’objet du litige au principal, la problématique posée par ce litige n’étant pas hypothétique, mais réelle. En outre, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions adressées.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

28.      Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la deuxième question préjudicielle, telle que formulée par la juridiction de renvoi, semble être fondée sur la prémisse selon laquelle la disposition litigieuse ne préserverait ni n’encouragerait les investissements dans le secteur des énergies renouvelables. Or, force est de constater, ainsi qu’il a été exposé au point 26 des présentes conclusions, que la demande de décision préjudicielle ne contient aucune analyse à cet égard.

29.      Dès lors, j’estime que, afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de reformuler la deuxième question préjudicielle et de considérer que par celle-ci, cette juridiction demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944, les considérants 2, 3 et 12 de la directive 2018/2001 ainsi que les considérants 27, 28, 29, 39, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/1854 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui fixe un plafond sur les recettes issues du marché, en déterminant ce plafond par la moyenne arithmétique des prix constatés dans la zone de marché correspondante au cours de la dernière décennie, réévalués en fonction de l’inflation.

1.      Sur la compatibilité de la disposition litigieuse avec la directive 2018/2001

30.      S’agissant de la directive 2018/2001, il convient d’observer, d’emblée, que, par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi vise uniquement l’interprétation des considérants 2, 3 et 12 de cette directive, sans identifier aucune autre disposition particulière de ladite directive qui serait de nature à concrétiser ces considérants et qui, en l’espèce, serait pertinente aux fins du litige au principal ou qui aurait été violée.

31.      Cependant, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, quand bien même ils constituent des éléments d’interprétation importants qui sont de nature à éclairer sur la volonté de l’auteur d’un acte de l’Union, les préambules d’un tel acte n’ont pas de valeur juridique contraignante (14). Par conséquent, ils ne sauraient être invoqués isolément ni pour fonder des droits ou des obligations en l’absence de dispositions équivalentes ou complémentaires dans le corps de la directive, ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ou pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (15).

32.      En tout état de cause, il y a lieu de relever, dans un souci d’exhaustivité, qu’il ne ressort d’aucun des considérants 2, 3 et 12 de la directive 2018/2001 que ceux-ci pourraient s’opposer à une réglementation nationale telle que celle en cause dans la présente affaire. En effet, il peut seulement être déduit de ces considérants que la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables constitue un objectif de la politique énergétique de l’Union et que les États membres devraient prendre des mesures pour faciliter les investissements dans des projets en matière d’énergie renouvelable (16).

33.      Il s’ensuit que les considérants 2, 3 et 12 de la directive 2018/2001, visés par la deuxième question préjudicielle, ne sauraient s’opposer à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

2.      Sur la compatibilité de la disposition litigieuse avec la directive 2019/944

34.      S’agissant de la directive 2019/944, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l’article 5 de celle-ci vise à garantir une concurrence effective au bénéfice des consommateurs tout en assurant la protection des clients résidentiels vulnérables et en situation de précarité énergétique.

35.      Plus précisément, le paragraphe 1 de cet article énonce que les fournisseurs sont libres de déterminer le prix auquel ils fournissent l’électricité aux clients et que les États membres prennent des mesures appropriées pour assurer une concurrence effective entre les fournisseurs. Le paragraphe 3 dudit article reconnaît, toutefois, qu’il pourrait s’avérer nécessaire, dans certaines circonstances, de déroger à ce principe général. Ce paragraphe prévoit ainsi que les États membres peuvent recourir à des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité aux clients résidentiels vulnérables ou en situation de précarité énergétique, dans le respect des conditions énoncées aux paragraphes 4 et 5 de l’article 5. Ce paragraphe 4, spécifiquement visé par la deuxième question préjudicielle, prévoit une série de critères généraux que les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité doivent remplir (17).

36.      Toutefois, force est de constater que cet article 5 concerne les interventions des États membres sur le marché de détail de l’électricité et porte sur les prix de vente de l’électricité aux consommateurs finals par les fournisseurs d’électricité. Par conséquent, cette disposition est sans rapport avec une intervention telle que celle prévue par la disposition litigieuse, qui concerne, quant à elle, la fixation d’un plafond sur les recettes obtenues par les producteurs d’électricité sur le marché de gros, laquelle est spécifiquement régie par le règlement 2022/1854 (18).

37.      Il importe de relever, par ailleurs, que, s’il n’est pas exclu que la fixation d’un tel plafond engendre un effet indirect sur les prix de vente aux consommateurs finals, les informations limitées fournies dans la décision de renvoi à cet égard ne permettent pas de considérer qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal devrait être assimilée à une intervention de l’État dans la fixation du prix de fourniture de l’électricité aux clients, laquelle est, selon l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944, en principe, prohibée (19).

38.      En outre, il convient de constater que le règlement 2022/1854 poursuit des objectifs d’intérêt général qui sont analogues à ceux poursuivis par l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944 et, plus spécifiquement, celui de la protection des consommateurs, en élargissant notamment les possibilités d’intervention dont les États membres disposent afin de soutenir les consommateurs qui sont touchés par la crise énergétique (20).

39.      Dans ces conditions, je suis d’avis que l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

3.      Sur la compatibilité de la disposition litigieuse avec le règlement 2022/1854

40.      S’agissant du règlement 2022/1854, il importe de préciser, d’emblée, que ce règlement constitue une intervention d’urgence afin de faire face à la hausse des prix de l’énergie, par laquelle le législateur de l’Union a souhaité créer un cadre harmonisé pour la redistribution des recettes excessives afin de dissiper les préoccupations relatives aux distorsions entre les producteurs susceptibles de compromettre le marché de l’énergie (21).

41.      Ainsi, alors que l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2022/1854 prévoit que les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité à partir des sources visées à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement sont plafonnées à un maximum de 180 euros par MWh d’électricité produite, l’article 8, paragraphe 1, sous a), dudit règlement autorise les États membres à maintenir ou à introduire des mesures qui limitent davantage ces recettes.

42.      Il y a lieu de constater, par ailleurs, que, bien qu’aucune disposition du règlement 2022/1854 ne contienne d’indications précises sur la manière dont le plafond finalement fixé par les États membres doit être calculé, dans l’hypothèse où un État membre déciderait d’opter pour la fixation d’un plafond inférieur à celui déterminé par ce règlement, ce plafond serait tenu de respecter les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 8 dudit règlement. Ainsi, c’est uniquement s’il est établi que le plafond défini par un État membre est de nature à violer les critères établis au titre de cette disposition que ce plafond pourrait être considéré comme incompatible avec le droit de l’Union.

43.      Ces clarifications ayant été apportées, il convient d’observer que la juridiction de renvoi s’interroge essentiellement sur la question de la fixation du niveau de prix sur la base duquel s’applique le plafond sur les recettes, cette juridiction considérant que la disposition litigieuse est inapte à protéger et à encourager les investissements effectués dans le secteur des énergies renouvelables et que le plafonnement des recettes issues du marché n’est pas proportionné et raisonnable (22).

44.      Il y a lieu de noter, en premier lieu, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 des présentes conclusions, que le simple fait que le montant du plafond retenu par le gouvernement italien soit inférieur à celui fixé par l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2022/1854 ne serait, en soi, pas de nature à entraîner l’incompatibilité de la disposition litigieuse avec ce règlement. Il ressort, en effet, du libellé même dudit règlement et, plus précisément, de son article 8, paragraphe 1, que les États membres ont, d’une part, la faculté d’adopter un plafond inférieur au plafond maximum de 180 euros par MWh prévu par le législateur de l’Union et qu’ils disposent, d’autre part, d’une certaine marge d’appréciation leur permettant de fixer le montant de ce plafond en tenant compte des caractéristiques propres à leur marché national (23). Par ailleurs, la circonstance que ce plafond présenterait un écart important par rapport au montant fixé par le règlement 2022/1854, comme le relève la juridiction de renvoi, ne saurait suffire, à elle seule, pour constater une incompatibilité avec ce règlement (24).

45.      S’agissant des considérants 27 à 29 et 39 du règlement 2022/1854 visés par la juridiction de renvoi dans sa deuxième question, ceux-ci ne sauraient davantage être lus comme imposant aux États membres une méthodologie précise quant au calcul du plafond. Si ces considérants peuvent, en effet, fournir des indications utiles pour définir les modalités de fixation du plafond en question ainsi que la manière d’éviter d’éventuels effets négatifs sur les investissements, ils ne sauraient, pour autant, être considérés comme établissant des règles contraignantes différentes ou allant au-delà des obligations qui incombent aux États membres en vertu des dispositions précitées de ce règlement (25).

46.      En ce qui concerne, plus précisément, les doutes exprimés par cette juridiction quant à la compatibilité de la méthodologie suivie par le gouvernement italien pour fixer le montant du plafond au regard des considérants 28 et 29 du règlement 2022/1854, il y a lieu de relever que ces dispositions visent principalement à expliquer le choix du montant du plafond de 180 euros par MWh effectué par le législateur de l’Union à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement ainsi qu’à fournir des indications aux États membres dans le cadre du calcul de leur plafond national sans pour autant imposer une quelconque modalité concrète pour mettre en place un tel plafond (26), la seule obligation à cet égard étant le respect des conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 8 dudit règlement (27).

47.      S’agissant, en deuxième lieu, des critères autres que ceux du montant stricto sensu du plafond et des modalités de son calcul qui doivent être pris en compte par les États membres dans la mise en place de ce plafond, il est utile de rappeler que l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/1854 impose aux États membres de veiller à ce que ce plafond soit fixé à un niveau qui ne compromette pas les signaux d’investissement et qui assure la couverture des coûts d’investissement et d’exploitation tout en permettant aux investisseurs de dégager une marge raisonnable par rapport au prix qu’ils auraient pu escompter.

48.      Il importe de souligner, à cet égard, que l’examen de la compatibilité du niveau du plafond choisi par le gouvernement italien au regard des paramètres précités repose sur une appréciation factuelle tenant compte des caractéristiques propres du marché national, pour laquelle seule la juridiction de renvoi est, en définitive, compétente, celle-ci disposant, par ailleurs, des données factuelles nécessaires à cet égard (28). Toutefois, bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi d’apprécier l’éventuelle incidence négative que la disposition litigieuse est susceptible d’entraîner sur les investissements et, notamment, le point de savoir si le prix de référence a été fixé à un niveau qui allait au-delà de ces attentes et dépassait les limites de ce qui pouvait être considéré comme nécessaire et proportionné, la Cour peut néanmoins lui fournir des indications à cet égard. Ainsi, les critères suivants sont, à mon sens, pertinents dans le cadre de l’analyse que la juridiction de renvoi sera appelée à effectuer.

49.      Il est nécessaire de rappeler, premièrement, qu’en tant qu’intervention d’urgence liée à la conjoncture particulière du marché intervenue à la suite de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, le champ d’application temporaire de la disposition litigieuse est limité à une courte période de temps (29). Il convient de noter, à cet égard, que les mesures prévues par le règlement 2022/1854 ne sont pas, en tant que telles, des interventions permanentes sur le marché, mais constituent des interventions ponctuelles destinées à faire face à des circonstances exceptionnelles.

50.      Or, la durée d’une mesure ainsi que son caractère extraordinaire sont des critères qu’il convient de prendre en considération lors de l’examen de la nécessité et de la proportionnalité d’une mesure donnée afin d’évaluer l’étendue de ses effets (30), notamment lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’examiner les effets sur les investissements existants dans le domaine des énergies renouvelables, lesquels sont, par leur nature même, des investissements à long terme. Cela est d’autant plus le cas, par ailleurs, lorsque l’examen porte sur l’incidence de la disposition litigieuse sur des investissements futurs qui, compte tenu du caractère temporaire limité du plafond en question, ne seront selon toute vraisemblance pas soumis à ce plafond, le cycle de production de la plupart de ces installations ne débutant qu’après l’expiration du régime en cause (31).

51.      Il convient de relever, deuxièmement, qu’il ressort du libellé même du règlement 2022/1854 que le plafond sur les recettes issues du marché doit être fixé de manière à couvrir les recettes excédentaires, en tenant compte de celles auxquelles les investisseurs ne pouvaient s’attendre au moment de la décision d’investissement. Cependant, par définition, de tels bénéfices exceptionnels ne sauraient correspondre aux revenus que les sociétés concernées auraient pu escompter si les circonstances imprévisibles sur les marchés de l’énergie n’avaient pas eu lieu (32).

52.      Il y a lieu de préciser, à cet égard, que le principe de protection de la confiance légitime, invoqué par Secab, ne saurait être interprété en ce sens qu’un opérateur économique pourrait s’en prévaloir à l’encontre de toute intervention de la part des autorités publiques visant à remédier à une défaillance du marché, notamment lorsque cette intervention prend la forme d’une intervention d’urgence à la suite d’un événement sans précédent et donc imprévisible. Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante de la Cour que la possibilité de se prévaloir de ce principe est ouverte à tout opérateur économique à l’égard duquel une autorité nationale a fait naître des espérances fondées (33). Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé a la possibilité de prévoir l’adoption d’une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée. Il ressort de cette jurisprudence que les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante, qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des autorités nationales.

53.      Or, en l’espèce, aucune attente ne pouvait naître dans le chef des sociétés concernées, par le fait des autorités nationales, quant à l’obtention de telles recettes exceptionnelles étant donné que ces autorités sont immédiatement intervenues pour prendre des mesures d’urgence afin de faire face à l’augmentation imprévisible des prix du gaz. En effet, un opérateur économique prudent et avisé devrait s’attendre à une telle intervention compte tenu de la situation extraordinaire et de son impact important non seulement sur le marché de l’énergie, mais également sur l’économie plus généralement. De même, il pourrait, encore moins, exister une attente fondée sur la réalisation de bénéfices résultant d’une situation extraordinaire, à laquelle un tel opérateur ne pouvait s’attendre au moment où la décision d’investir a été adoptée (34).

54.      Il convient d’observer, à cet égard, que le recours par le gouvernement italien à un critère objectif fondé sur les conditions qui prévalaient sur le marché avant la crise énergétique, tel que la moyenne arithmétique des prix au cours de la décennie précédant la crise énergétique, aux fins d’établir le plafond est, à mon sens, de nature à remplir les exigences du règlement 2022/1854 quant aux attentes des investisseurs au moment de leur investissement, permettant de garantir que le plafond en question soit fixé à un niveau de prix que les investisseurs pouvaient raisonnablement anticiper (35).

55.      Il importe de souligner, troisièmement, qu’il ressort du texte même du règlement 2022/1854 que parmi les éléments qu’il y a lieu de prendre en considération, afin d’évaluer les effets sur les investissements de la disposition litigieuse, figure la structure de coûts des installations concernées et, notamment, le coût actualisé de l’énergie (levelised cost of energy) (36) pour la technologie en cause (37). Or, il semble que les installations énergétiques qui sont alimentées par des sources renouvelables et qui sont visées par la disposition litigieuse soient caractérisées par une prédominance de coûts fixes, les coûts variables étant beaucoup plus faibles. Par ailleurs, ainsi que cela a également été relevé par la juridiction de renvoi, ces installations supportent des coûts qui sont indépendants de l’évolution des prix du gaz naturel dès lors qu’elles n’en utilisent pas en tant que matière première pour la production d’énergie. Sous réserve des vérifications qu’il revient à la juridiction de renvoi d’effectuer, il semblerait que la structure des coûts des producteurs d’énergies renouvelables, comme dans le cas de Secab, soit restée largement inchangée, malgré l’augmentation imprévisible des prix des combustibles fossiles et, notamment, du gaz, cette augmentation n’ayant aucun impact sur les coûts de production de l’énergie de ces operateurs (38).

56.      Il y a lieu de noter, quatrièmement, que le mécanisme de plafonnement prévu par la disposition litigieuse serait en réalité « à double sens », dès lors qu’il permettrait, d’une part, non seulement le plafonnement des recettes en cas d’augmentation excessive des prix du marché, mais créerait également une obligation légale d’indemniser les producteurs concernés en cas de diminution excessive des prix du marché et, notamment, lorsque les prix de gros tombent en dessous du prix moyen indiqué (39). Or, si ce prix (de référence) est déterminé à un niveau qui permet aux sociétés concernées de couvrir leurs coûts et de dégager une « marge raisonnable » par rapport au prix que les investisseurs auraient pu escompter, élément qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, un tel mécanisme est de nature à préserver les investissements dans les énergies renouvelables.

57.      Je relève, en troisième et dernier lieu, que les mesures introduites par le règlement 2022/1854 visent, non seulement, à préserver la structure et le fonctionnement des marchés énergétiques dans l’Union, mais aussi, de manière plus générale, à atténuer les effets négatifs que la crise énergétique a engendrés sur l’économie des États membres et les citoyens européens. S’agissant, plus précisément, de la protection des consommateurs, il y a lieu de relever que l’article 10 du règlement 2022/1854 prévoit expressément que les recettes excédentaires résultant de l’application du plafond puissent être utilisées pour financer des mesures de soutien aux clients finals pour atténuer l’incidence des prix élevés d’électricité sur ces clients (40).

58.      Si l’aspect lié à la protection des consommateurs n’a pas été mentionné par la juridiction de renvoi, il est important de souligner que, en tant qu’intervention d’urgence en vue d’assurer la protection de l’intérêt public, le règlement 2022/1854 procède à une mise en balance entre, d’une part, les intérêts des producteurs d’énergie, y compris la protection de leurs investissements dans les énergies renouvelables, et, d’autre part, ceux des consommateurs. Partant, le mécanisme de prélèvement et de redistribution des recettes excédentaires se justifie par le besoin de réaliser un équilibre entre ces producteurs et, notamment, ceux qui ont bénéficié de manière inattendue de l’augmentation imprévisible des prix de l’énergie et les consommateurs d’électricité qui ont été particulièrement affectés par la hausse des prix de l’électricité à la suite de la crise énergétique (41).

59.      Au vu de tout ce qui précède, je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle, telle que reformulée, en ce sens que l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944, les considérants 2, 3 et 12 de la directive 2018/2001 ainsi que les considérants 27, 28, 29, 39 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2022/1854 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que le plafond sur les recettes issues du marché soit déterminé sur la base de la moyenne arithmétique des prix constatés dans la zone de marché correspondante au cours de la dernière décennie, réévalués en fonction de l’inflation, pour autant que les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/1854 soient remplies.

V.       Conclusion

60.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle posée par le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie) de la manière suivante :

L’article 5, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE, les considérants 2, 3 et 12 de la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ainsi que les considérants 27, 28, 29, 39 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854 du Conseil, du 6 octobre 2022, sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que le plafond sur les recettes issues du marché soit déterminé sur la base de la moyenne arithmétique des prix constatés dans la zone de marché correspondante au cours de la dernière décennie, réévalués en fonction de l’inflation, pour autant que les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/1854 soient remplies.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (JO 2019, L 158, p. 125).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (JO 2018, L 328, p. 82).


4      Règlement du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie (JO 2022, L 261, p. 1).


5      Supplément ordinaire à la GURI n° 73, du 28 mars 2022.


6      GURI no 185, du 9 août 2022.


7      Supplément ordinaire à la GURI no 303, du 29 décembre 2022.


8      Plus précisément, le prix de référence défini par la disposition litigieuse est de 56 à 58 euros par MWh en fonction de la zone continentale concernée, de 61 euros par MWh pour la Sardaigne et de 75 euros par MWh pour la Sicile, alors que celui fixé à l’article 6 du règlement 2022/1854 est de 180 euros par MWh.


9      À cet égard, la juridiction de renvoi mentionne la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 8 mars 2022 [COM(2022) 108 final], intitulée « REPowerEU : Action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable », et le considérant 2 de la directive 2018/2001, lesquels souligneraient l’importance de remplacer les sources d’énergie fossiles et d’encourager l’utilisation de sources renouvelables.


10      La juridiction de renvoi mentionne, à cet égard, les arrêts du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft (C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 103) et du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 110).


11      Dans la mesure où cette problématique ne concerne que la troisième question préjudicielle, qui ne fait pas l’objet des présentes conclusions ciblées, cet aspect du litige au principal ne sera pas décrit davantage.


12      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée).


13      Voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2024, INSS (Congés d’une mère de famille monoparentale) (C‑673/22, EU:C:2024:407, point 25 et jurisprudence citée).


14      Voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2024, Remia Com Impex (C‑10/23, EU:C:2024:259, point 51 et jurisprudence citée).


15      Voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2024, LEA (C‑10/22, EU:C:2024:254, point 51 et jurisprudence citée).


16      Il en va de même, à mon sens, en ce qui concerne la communication de la Commission du 8 mars 2022 [COM(2022) 108 final], évoquée par la juridiction de renvoi, qui se limite à énoncer de manière générale l’importance de la politique énergétique de l’Union visant à remplacer les sources d’énergie fossiles par des sources d’énergies renouvelables dont l’utilisation devrait être encouragée.


17      Plus précisément, ces interventions doivent poursuivre un objectif d’intérêt économique général, être proportionnées à celui-ci, être clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables ; garantir aux entreprises d’électricité de l’Union un égal accès aux clients ; être limitées dans le temps et proportionnées en ce qui concerne leurs bénéficiaires, et ne pas entraîner de coûts supplémentaires pour les acteurs du marché d’une manière discriminatoire.


18      S’il n’est pas exclu que certains opérateurs, compte tenu de leur intégration verticale, soient présents tant sur le marché, en amont, de la production d’électricité que sur celui, en aval, de la distribution, les producteurs et les fournisseurs d’électricité opèrent, en principe, à des niveaux différents du marché.


19      Par ailleurs, la raison pour laquelle cette disposition s’opposerait à la disposition litigieuse ne ressort pas clairement de la décision de renvoi.


20      Ainsi, alors que le champ d’application de la directive 2019/944 est limité à une catégorie restreinte de consommateurs, à savoir uniquement ceux considérés comme vulnérables, le règlement 2022/1854 permet néanmoins d’étendre temporairement la panoplie de mesures dont disposent les États membres pour soutenir des catégories supplémentaires de consommateurs. Voir, à cet égard, considérant 48 de ce règlement.


21      Contrairement aux directives 2018/2001 et 2019/944, dont l’objet est le fonctionnement global du marché de l’énergie et la promotion des sources d’énergie renouvelables et qui ont été adoptées sur le fondement de l’article 194 TFUE relatif à la politique énergétique de l’Union, le règlement 2022/1854 a, quant à lui, été adopté sur le fondement de l’article 122 TFUE et vise à faire face à de graves difficultés d’approvisionnement.


22      Si la juridiction de renvoi exprime des doutes quant aux modalités concrètes déterminées par le législateur italien pour établir ce plafond, il n’en demeure pas moins, ainsi qu’il a été relevé au point 28 des présentes conclusions, qu’aucun des éléments présentés dans la décision de renvoi ne semble indiquer que la disposition litigieuse serait concrètement de nature à compromettre les investissements dans le secteur des énergies renouvelables.


23      Cette faculté a été mise en œuvre par au moins 17 États membres, ainsi qu’il ressort du rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le réexamen des interventions d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie, conformément au règlement [2022/1854], du 5 juin 2023 [COM(2023) 302 final].


24      Par ailleurs, aucune disposition du règlement 2022/1854 n’exige de justifier un tel écart.


25      D’ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 31 des présentes conclusions, à défaut de valeur juridique contraignante, un considérant ne peut être invoqué isolément pour fonder des droits ou des obligations en l’absence de dispositions équivalentes ou complémentaires dans le corps du règlement concerné.


26      Il en va de même en ce qui concerne le considérant 27 du règlement 2022/1854, qui se borne à énoncer que le niveau auquel le plafond sur les recettes issues du marché est fixé ne devrait pas compromettre la capacité des producteurs concernés à récupérer leurs coûts d’investissement et d’exploitation et devrait protéger ainsi qu’encourager les investissements futurs dans les capacités nécessaires à un système électrique décarboné et fiable. Or, cela ne se ressort pas des conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), de ce règlement. Quant au considérant 39 dudit règlement, également visé par la juridiction de renvoi dans sa deuxième question, celui-ci se réfère uniquement à la possibilité pour les États membres de fixer le plafond sur les recettes issues du marché de manière à permettre aux producteurs d’électricité de conserver 10 % des recettes excédentaires au-delà du plafond sur les recettes issues du marché. Ce considérant est éventuellement pertinent aux fins de la première question préjudicielle, mais ne l’est pas pour la deuxième question préjudicielle qui fait l’objet des présentes conclusions ciblées.


27      En l’occurrence, la circonstance que certains aspects de la disposition litigieuse et, notamment, la méthodologie suivie par le gouvernement italien pour la fixation du plafond semblent s’écarter des modalités mentionnées au considérant 28 du règlement 2022/1854 ou ne les reprennent pas entièrement, comme le relève la juridiction de renvoi, n’entraîne pas, en soi, la constatation de l’incompatibilité de la disposition litigieuse avec ce règlement.


28      Il ne revient pas à la Cour de se prononcer sur une série d’éléments factuels ne figurant pas dans la décision de renvoi qui ont été mis en avant par Secab et les autres parties intervenues au soutien des conclusions de celle-ci, tels que des considérations liées au traitement fiscal et aux conditions d’amortissement des investissements réalisés dans le domaine des énergies renouvelables au titre de la réglementation nationale. Il en va de même en ce qui concerne d’autres paramètres propres au secteur hydroélectrique qui auraient, selon Secab, affecté ce secteur, tels que la baisse de production due à des conditions météorologiques défavorables ainsi que l’augmentation des redevances pour la production hydroélectrique.


29      Voir point 40 des présentes conclusions.


30      Il y lieu de relever, à cet égard, que l’application, de nature temporaire, de la disposition litigieuse n’a pas été prolongée au-delà du délai prévu à l’article 22 du règlement 2022/1854, à savoir le 30 juin 2023.


31      Il est, par conséquent, difficile de concevoir comment, d’une part, dans une perspective de long terme, les investissements dans de nouvelles installations pourraient être menacés par la disposition litigieuse et, d’autre part, comment cette dernière éroderait la confiance des investisseurs dans la croissance des énergies renouvelables.


32      Le simple fait, par ailleurs, que certains investissements dans le secteur des énergies renouvelables aient été réalisés avant l’introduction du plafond sur les recettes issues du marché ne signifie évidemment pas que ces investissements seraient ipso facto compromis par la fixation d’un tel plafond.


33      Voir, en ce sens, ordonnance du 1er mars 2022, Milis Energy e.a. (C‑306/19, C‑512/19, C‑595/19 et C‑608/20 à C‑611/20, EU:C:2022:164, point 44 ainsi que jurisprudence citée).


34      Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les producteurs d’énergie à partir de sources renouvelables, tels que Secab, qui, comme exposé au point 55 des présentes conclusions, ont des coûts marginaux nettement inférieurs à ceux d’autres producteurs d’électricité et dont les recettes réalisées depuis le début de la guerre en Ukraine sont nettement supérieures à leurs attentes au moment d’investir. Voir, également, en ce sens, considérants 24 et 25 du règlement 2022/1854.


35      Il apparaît, en effet, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, que la méthodologie employée par le gouvernement italien pour établir le plafond contesté par Secab permettrait  de placer cette société dans la situation dans laquelle celle-ci se serait trouvée en l’absence de crise énergétique.


36      Il s’agit d’une évaluation qui mesure le coût net actuel de la production d’électricité pour un producteur au cours de la durée de vie de l’installation de production.


37      Voir considérant 29 du règlement 2022/1854.


38      Cela explique également le choix du législateur italien de traiter différemment les installations énergétiques selon l’utilisation, ou non, de combustibles fossiles, comme le gaz, pour la production de l’énergie, les installations utilisant celui-ci n’étant pas soumises au plafond. Cette solution est conforme à celle retenue par le législateur de l’Union au considérant 33 du règlement 2022/1854, selon lequel « [l]e plafond sur les recettes issues du marché ne devrait pas s’appliquer aux technologies ayant des coûts marginaux élevés liés au prix du combustible utilisé pour la production d’électricité, telles que les centrales au gaz et au charbon, étant donné que leurs coûts d’exploitation dépasseraient nettement le plafond en question et que son application mettrait en péril leur viabilité économique ».


39      Il y a lieu d’observer, à cet égard, que les systèmes qui limitent les recettes au-delà d’un certain seuil, mais qui garantissent, en contrepartie, un prix minimal lorsque le prix du marché est inférieur à un certain seuil sont souvent utilisés dans le cadre de régimes d’incitation à la production d’électricité à partir de sources renouvelables. Bien qu’ils soient différents de la disposition litigieuse, de tels mécanismes visent à préserver la viabilité et la sécurité des investissements en garantissant au bénéficiaire de l’incitation une rémunération globale constante pour l’énergie produite permettant de rémunérer les investissements effectués pour la construction de la centrale électrique, en protégeant l’entrepreneur des aléas du prix du marché au cours du temps, le tarif fixe garanti lui assurant de récupérer le montant investi dans la construction de l’installation. Voir, à cet égard, le régime d’aides d’État mis en place par le gouvernement italien examiné dans le cadre de l’affaire C-514/23, Tiberis Holding, dans laquelle mes conclusions sont rendues ce même jour.


40      Il y a lieu d’observer, à cet égard, que la protection des consommateurs est également indirectement liée à la stabilité de la structure existante des marchés de l’énergie, en ce sens qu’une impossibilité éventuelle des clients d’honorer les factures d’électricité pourrait menacer la stabilité des marchés concernés. La redistribution des bénéfices excédentaires aux consommateurs permet ainsi à ces derniers d’acquitter leurs factures et contribue de cette manière à préserver le marché de l’effondrement, préservant ainsi, plus généralement, son fonctionnement.


41      Voir, à cet égard, décisions jointes 1 BvR, 460/23 – 1 BvR, 611/23, du 28 novembre 2024, points 94 à 97, 107 et 115 à 118, portant sur la constitutionnalité de la réglementation allemande concernant l’imposition des bénéfices excédentaires visant à contenir l’augmentation des prix de l’électricité (Strompreisbremse), dans lesquelles le Bundersverfassungsgericht (Cour constitutionnelle, Allemagne) a rejeté les recours constitutionnels introduits par des producteurs d’énergie contre cette réglementation en mettant, notamment, l’accent sur l’objectif d’intérêt général lié à la protection des consommateurs qui avait justifié l’intervention du gouvernement allemand.

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