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Document 62022TJ0146

    Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 7 février 2024.
    Ryanair DAC contre Commission européenne.
    Aides d’État – Aide accordée par les Pays-Bas en faveur de KLM dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Garantie d’État pour un prêt bancaire et un prêt subordonné de l’État – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Qualité pour agir – Atteinte substantielle à la position du requérant sur le marché – Recevabilité – Détermination du bénéficiaire de l’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés.
    Affaire T-146/22.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2024:68

     ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

    7 février 2024 ( *1 )

    « Aides d’État – Aide accordée par les Pays-Bas en faveur de KLM dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Garantie d’État pour un prêt bancaire et un prêt subordonné de l’État – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Qualité pour agir – Atteinte substantielle à la position du requérant sur le marché – Recevabilité – Détermination du bénéficiaire de l’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés »

    Dans l’affaire T‑146/22,

    Ryanair DAC, établie à Swords (Irlande), représentée par Mes E. Vahida, F.-C. Laprévote, V. Blanc, D. Pérez de Lamo et S. Rating, avocats,

    partie requérante,

    contre

    Commission européenne, représentée par Mme C. Georgieva, MM. J. Carpi Badía et M. Farley, en qualité d’agents,

    partie défenderesse,

    soutenue par

    République française, représentée par MM. T. Stéhelin, B. Fodda, T. Lechevallier et P. Dodeller, en qualité d’agents,

    par

    Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman, C. Schillemans, E. Besselink et M. J. Langer, en qualité d’agents, assistés de Me S. Corrijn, avocat,

    par

    Société Air France, établie à Tremblay-en-France (France),

    et

    Air France-KLM, établie à Paris (France),

    représentées par Mes J. Derenne et D. Vallindas, avocats,

    et par

    Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV, établie à Amstelveen (Pays-Bas), représentée par Mes K. Schillemans, P. Huizing et E. de Krom, avocats,

    parties intervenantes,

    LE TRIBUNAL (huitième chambre),

    composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, G. De Baere et D. Petrlík, juges,

    greffier : M. P. Cullen, administrateur,

    vu la phase écrite de la procédure,

    à la suite de l’audience du 7 juillet 2023,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision C(2021) 5437 final de la Commission, du 16 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.57116 (2020/N) – Pays‑Bas – COVID-19 : Garantie de l’État à un prêt et prêt de l’État en faveur de KLM (ci-après la « décision attaquée »).

    Antécédents du litige et contexte dans lequel s’inscrit la mesure en cause

    2

    Koninklijke Luchtvaart Maatschappij (ci-après « KLM ») fait partie du groupe Air France-KLM. À la tête dudit groupe se trouve la holding Air France-KLM (ci-après la « holding Air France‑KLM »). Selon la décision attaquée, ce groupe comprend, en outre, notamment, Société Air France S.A. (ci-après « Air France »), « Air France-KLM International Mobility (Suisse) », « Blueteam V (France) », « BigBlank (France) », « Air France-KLM Finance (France) » et « Transavia Company (France) ».

    3

    Selon la décision attaquée, la République française et le Royaume des Pays-Bas détiennent respectivement 14,3 % et 14 % du capital de la holding Air France‑KLM. À son tour, la holding Air France-KLM détient 100 % des parts d’Air France et, directement et indirectement, 93,84 % du capital social de KLM. Ladite holding détient, en outre, 99,7 % des droits économiques, c’est à dire des droits aux dividendes, et 49 % des droits de vote de KLM. La même holding détient 100 % des parts des autres filiales énumérées au point 2 ci-dessus.

    4

    La décision attaquée s’inscrit dans le contexte d’une série d’autres mesures d’aide d’État visant à soutenir le secteur de l’aviation et, plus particulièrement, les sociétés faisant partie du groupe Air France-KLM.

    5

    En particulier, le 4 mai 2020, la Commission européenne a autorisé une aide individuelle octroyée par la République française à Air France, sous forme, d’une part, d’une garantie d’État à hauteur de 90 % sur un prêt d’un montant de 4 milliards d’euros consenti par un consortium de banques et, d’autre part, d’un prêt d’actionnaire d’un montant de 3 milliards d’euros au maximum (ci-après le « prêt d’actionnaire ») [décision C(2020)2983 final, du 4 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) – France – COVID-19 : encadrement temporaire, (article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE) – Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France]. Cette décision a été corrigée à deux reprises, une première fois le 17 décembre 2020 [décision C(2020) 9384 final de la Commission], et, une seconde fois, le 26 juillet 2021 [décision C(2021) 5701 final de la Commission] (ci-après la « décision Air France »). Dans cette même décision, la Commission a considéré que les bénéficiaires de la mesure d’aide faisant l’objet de ladite décision étaient Air France et les filiales qu’elle contrôle. En revanche, ni la holding Air France-KLM ni ses autres filiales, y compris KLM et les sociétés que cette dernière contrôle, n’ont été considérées comme étant des bénéficiaires de cette mesure.

    6

    Le 26 juin 2020, le Royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une aide d’État en faveur de KLM, consistant, d’une part, en une garantie d’État pour un prêt qui lui serait accordé par un consortium de banques et, d’autre part, en un prêt d’État (ci-après la « mesure en cause »). Le budget total de l’aide s’élevait à 3,4 milliards d’euros. L’objectif de la mesure en cause était de fournir temporairement à KLM les liquidités dont elle avait besoin pour faire face aux répercussions négatives de la pandémie de COVID‑19. Le Royaume des Pays‑Bas considérait que, compte tenu de l’importance de KLM pour son économie et pour sa desserte aérienne, la faillite de celle-ci aurait exacerbé davantage la perturbation grave de son économie causée par cette pandémie.

    7

    Le 13 juillet 2020, par décision C(2020) 4871 final, relative à l’aide d’État SA.57116 (2020/N) – Pays-Bas – COVID-19 : Garantie d’État et prêt d’État en faveur de KLM, la Commission a considéré que la mesure en cause, d’une part, était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et, d’autre part, était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Selon cette décision, KLM était la seule bénéficiaire de l’aide, à l’exclusion des autres sociétés du groupe Air France-KLM.

    8

    Le 5 avril 2021, la Commission a adopté la décision C(2021) 2488 final relative à l’aide d’État SA.59913 – France – COVID-19 – Recapitalisation d’[Air France] et [de] la holding Air France-KLM (ci-après la « décision Air France-KLM et Air France »), dans laquelle elle a conclu à la compatibilité avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’encadrement temporaire, d’une aide individuelle octroyée par la République française sous la forme d’une recapitalisation d’Air France et de la holding Air France-KLM s’élevant à un montant total de 4 milliards d’euros. Cette aide comprend, d’une part, une participation de la République française à un projet d’augmentation de capital d’un montant maximal de 1 milliard d’euros et, d’autre part, la conversion du prêt d’actionnaire de 3 milliards d’euros, lequel faisait partie de la mesure en cause dans la décision Air France, en un instrument hybride assimilé à une participation en fonds propres. Selon la décision Air France-KLM et Air France, les bénéficiaires de ces mesures étaient Air France et ses filiales ainsi que la holding Air France-KLM et les filiales qu’elle contrôle, à l’exclusion de KLM et les filiales de cette dernière.

    9

    Par arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19) (T‑643/20, EU:T:2021:286), le Tribunal a annulé la décision C(2020) 4871 final de la Commission, du 13 juillet 2020, au motif qu’elle était entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la détermination du bénéficiaire de la mesure en cause. Il a, en outre, décidé de tenir en suspens les effets de l’annulation de ladite décision jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission en vertu de l’article 108 TFUE.

    10

    Le 16 juillet 2021, la Commission a adopté la décision attaquée, dans laquelle elle a considéré que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, et que KLM et ses filiales étaient les seules bénéficiaires de l’aide, à l’exclusion des autres sociétés du groupe Air France-KLM.

    Conclusions des parties

    11

    La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    annuler la décision attaquée ;

    condamner la Commission aux dépens.

    12

    La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    rejeter le recours ;

    condamner la requérante aux dépens.

    13

    Le Royaume des Pays-Bas, KLM, Air France et la holding Air France‑KLM concluent au rejet du recours comme non fondé et à la condamnation de la requérante aux dépens.

    14

    La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant irrecevable, dans la mesure où la requérante conteste le bien‑fondé de la décision attaquée, et de le rejeter au fond pour le surplus.

    En droit

    Sur la recevabilité

    15

    La requérante fait valoir, premièrement, qu’elle est une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elle a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. Deuxièmement, elle soutient que sa position concurrentielle sur le marché a été substantiellement affectée par la mesure en cause et qu’elle a, par conséquent, qualité pour agir pour contester également le bien-fondé de la décision attaquée.

    16

    La Commission, le Royaume des Pays-Bas, KLM, la holding Air France-KLM et Air France ne contestent pas la recevabilité du recours.

    17

    En revanche, la République française soutient que la requérante n’a pas qualité pour agir pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.

    18

    En l’espèce, il est constant que la requérante est concurrente de KLM et il n’est pas contesté que, dès lors, elle doit être considérée comme « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 ayant qualité pour agir afin de sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

    19

    Quant à la qualité de la requérante pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, il importe de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 59 et 91, et du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑244/16 P, EU:C:2018:177, point 39).

    20

    La décision attaquée, qui a été adressée au Royaume des Pays-Bas, ne constituant pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 56), il appartient au Tribunal de vérifier si la partie requérante est directement et individuellement concernée par cette décision, au sens de cette disposition.

    21

    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, EU:C:1986:42, point 22, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 53).

    22

    Ainsi, lorsqu’une partie requérante met en cause le bien‑fondé d’une décision d’appréciation d’une aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme « intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence rappelée au point 21 ci-dessus. Il en est notamment ainsi lorsque la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).

    23

    À cet égard, la démonstration, par la partie requérante, d’une atteinte substantielle à sa position sur le marché n’implique pas de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre cette partie et les entreprises bénéficiaires, mais nécessite seulement de la part de ladite partie qu’elle indique de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 57 et jurisprudence citée).

    24

    Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que l’atteinte substantielle à la position concurrentielle de la partie requérante sur le marché en cause résulte non pas d’une analyse approfondie des différents rapports de concurrence sur ce marché, permettant d’établir avec précision l’étendue de l’atteinte à sa position concurrentielle, mais, en principe, d’un constat prima facie que l’octroi de la mesure visée par la décision de la Commission conduit à porter substantiellement atteinte à cette position (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 58).

    25

    Il en découle que cette condition peut être satisfaite si la partie requérante apporte des éléments permettant de démontrer que la mesure concernée est susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position sur le marché en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 59 et jurisprudence citée).

    26

    S’agissant des éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle atteinte substantielle, il convient de rappeler que la seule circonstance qu’un acte soit susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouve dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).

    27

    La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation des performances commerciales ou financières de la partie requérante, tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de l’octroi de l’aide en question. L’octroi d’une aide d’État peut également porter atteinte à la situation concurrentielle d’un opérateur d’autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 61).

    28

    En outre, la jurisprudence n’exige pas que la partie requérante apporte des éléments quant à la taille ou à l’étendue géographique des marchés en cause, ou encore quant à ses parts de marché ou à celles du bénéficiaire de la mesure en cause ou d’éventuels concurrents sur ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 65).

    29

    C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’examiner si la requérante a apporté des éléments permettant de démontrer que la mesure en cause est susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position sur le marché concerné.

    30

    À cet égard, en premier lieu, la requérante fait valoir que, en 2021, elle avait transporté environ 1,3 million de passagers et exploitait 37 lignes aériennes en provenance et à destination de trois aéroports situés aux Pays-Bas. En particulier, elle affirme qu’elle était en concurrence directe avec KLM sur treize de ces lignes aériennes, sur lesquelles elle avait transporté environ 185000 passagers en 2021, ce que les autres parties ne contestent pas.

    31

    En outre, les données exposées dans l’annexe A.3.6 de la requête, lesquelles ne sont pas non plus contestées, démontrent que le nombre de sièges offerts par la requérante sur lesdites treize lignes aériennes était souvent comparable avec celui offert par KLM, voire le dépassait dans certains cas. La concurrence entre elles était, donc, en termes de nombre de sièges offerts, également significative.

    32

    Par ailleurs, selon l’affirmation, non contestée, de la requérante, les treize lignes aériennes sur lesquelles elle se trouvait en concurrence directe avec KLM étaient desservies par peu d’autres compagnies aériennes.

    33

    En deuxième lieu, la requérante fait valoir, en substance, sans être contredite, qu’elle envisageait une expansion commerciale sur le marché néerlandais, comme en attesterait le fait qu’elle aurait commandé 210 aéronefs Boeing 737 Max qui auraient rejoint sa flotte en juin 2021 et qui lui permettraient de poursuivre son plan d’expansion.

    34

    En troisième lieu, il ressort d’un rapport de la Fondation pour l’innovation politique, produit par la requérante, intitulé « Before COVID-19, air transportation in Europe : an already fragile sector » (le transport aérien en Europe avant la pandémie de COVID-19 : un secteur déjà fragile), daté du mois de mai 2020, et dont la teneur n’est pas contestée par les autres parties, qu’il était « probable que Ryanair [...] sortir[ai]t de la crise de la COVID-19 sans trop de dommages et disposer[ai]t même de suffisamment de ressources financières, notamment grâce à l’endettement et au rachat de sociétés en faillite pour participer à la probable restructuration du transport aérien en Europe ». Il en découle que la requérante se trouvait dans une position relativement forte par rapport aux compagnies aériennes traditionnelles telles que KLM, laquelle était confrontée à un risque d’insolvabilité, voire de sortie du marché.

    35

    En effet, le risque que KLM fasse faillite, en l’absence de la mesure en cause, ressort de la décision attaquée, laquelle précise que l’objectif de cette mesure était de fournir à KLM les liquidités dont elle avait besoin pour faire face à la pénurie de liquidités suivant les répercussions négatives de la crise sanitaire de la COVID‑19 et d’éviter ainsi la faillite de KLM.

    36

    En quatrième lieu, la requérante fait valoir que le rapport concurrentiel entre elle et le groupe Air France-KLM, pris dans son ensemble, est encore plus prononcé. Ainsi, elle serait la première compagnie aérienne au niveau de l’Union en nombre de passagers transportés, alors que le groupe Air France-KLM ne serait que la quatrième, ce qui n’est pas contesté par les autres parties.

    37

    Il ressort, en outre, d’un rapport d’Exane BNP Paribas intitulé « European Airlines, Blinded by the light » (compagnies aériennes européennes : aveuglé par la lumière), du 15 juillet 2020, produit par la requérante et dont la teneur n’est pas contestée par les autres parties, que les compagnies aériennes du groupe Air France-KLM étaient devenues, grâce au soutien étatique, les compagnies aériennes en Europe disposant ensemble du plus grand volume de liquidités et que, selon l’allégation non contestée de la requérante, elles l’ont supplantée en tant que compagnie aérienne européenne qui, depuis juillet 2020, pouvait supporter la plus longue période d’immobilisation complète de sa flotte avant épuisement total de sa trésorerie.

    38

    Les éléments relevés aux points 30 à 37 ci-dessus, pris ensemble, permettent de considérer que la requérante a démontré que l’octroi de la mesure en cause était susceptible de renforcer la position concurrentielle de KLM au détriment de la sienne et de conduire prima facie à porter substantiellement atteinte à sa position concurrentielle sur le marché, en provoquant notamment un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle mesure (voir jurisprudence citée au point 27 ci-dessus).

    39

    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’objection de la République française selon laquelle la requérante ne serait pas la principale concurrente de KLM sur le marché néerlandais.

    40

    En effet, la jurisprudence n’exige pas que la partie requérante soit la principale concurrente du bénéficiaire d’une mesure d’aide pour que sa position concurrentielle puisse être considérée comme substantiellement affectée par celle-ci.

    41

    Ne saurait non plus prospérer l’objection de la République française selon laquelle la requérante n’a pas démontré que la décision attaquée l’atteint en raison d’une situation de fait qui la distingue de celle de tous les autres concurrents de KLM.

    42

    En effet, la condition de l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la partie requérante est un élément propre à celle-ci, qui doit être évalué uniquement par rapport à sa position sur le marché antérieurement à l’octroi de la mesure en cause ou en l’absence de celle‑ci. Il ne s’agit donc pas de comparer la situation de tous les concurrents présents sur le marché concerné (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2020:862, point 58). Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 28 ci-dessus, la Cour a précisé qu’il n’était pas nécessaire que la partie requérante apportât des éléments concernant ses parts de marché ou celles du bénéficiaire ou d’éventuels concurrents sur ce marché. Il en découle que, pour démontrer une affectation substantielle sur sa position concurrentielle, il ne saurait être exigé de la partie requérante d’établir, preuves à l’appui, quelle est la situation concurrentielle de l’ensemble de ses concurrents et de se distinguer par rapport à celle-ci.

    43

    De surcroît, il importe de relever que la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus prévoit deux critères distincts pour démontrer que les sujets autres que les destinataires d’une décision sont individuellement concernés par celle-ci, à savoir que la décision attaquée les atteigne en raison de « certaines qualités qui leur sont particulières » ou d’« une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne ». Cette jurisprudence n’exige donc pas d’une partie requérante de démontrer, dans tous les cas, que sa situation de fait se distingue par rapport à celle de toute autre personne. Il suffit, en effet, que la décision attaquée atteigne la partie requérante en raison de certaines qualités qui lui sont particulières.

    44

    Tel est le cas en l’espèce. En effet, l’ensemble des éléments mentionnés aux points 30 à 37 ci-dessus tendent à établir, de façon suffisamment plausible, que la position de la requérante sur les marchés concernés se caractérisait par certaines qualités qui lui sont particulières, à savoir le fait que la requérante se trouve en concurrence directe avec la bénéficiaire sur un nombre considérable de lignes aériennes, sur lesquelles, en outre, elle exploite un nombre de sièges important, qu’elle envisageait une expansion commerciale sur le marché néerlandais et que, en l’absence de la mesure en cause, il existait un risque que KLM devienne insolvable ou à tout le moins significativement affaiblie, tandis que la situation financière de la requérante semblait être relativement forte par rapport à celle de la bénéficiaire, la plaçant ainsi dans une position susceptible de lui permettre, en l’absence de l’aide, de gagner des parts de marché au détriment de KLM.

    45

    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la requérante a démontré à suffisance de droit que la mesure en cause était susceptible d’affecter de façon substantielle sa position concurrentielle sur le marché concerné.

    46

    Il y a lieu de constater que la requérante est également directement concernée par la décision attaquée, dès lors que la volonté du Royaume des Pays-Bas de verser une aide à KLM ne fait aucun doute et qu’un tel versement est susceptible de placer la requérante dans une situation concurrentielle désavantageuse et d’affecter ainsi son droit à ne pas subir une concurrence faussée par cette aide (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 43 et jurisprudence citée).

    47

    Dès lors, la requérante est recevable pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.

    Sur le fond

    48

    Au soutien du recours, la requérante invoque cinq moyens, pris, en substance, le premier, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation relatifs à l’exclusion de la holding Air France‑KLM et Air France du périmètre des bénéficiaires de la mesure en cause, le deuxième, d’une violation des dispositions du traité FUE et des principes généraux du droit relatifs à la non‑discrimination, la libre prestation de services et la liberté d’établissement, le troisième, d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, le quatrième, d’une violation de ses droits procéduraux et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.

    Sur le premier moyen, relatif à l’exclusion de la holding Air France‑KLM et d’Air France du périmètre des bénéficiaires de la mesure en cause

    49

    La requérante conteste la détermination du bénéficiaire de la mesure en cause. Elle fait valoir que la Commission a considéré à tort que seules KLM et les sociétés qu’elle contrôlait étaient les bénéficiaires de la mesure en cause, à l’exclusion de la holding Air France-KLM et d’Air France. À cet égard, elle avance plusieurs éléments afin de démontrer que la holding Air France-KLM et Air France étaient également des bénéficiaires potentielles ou indirectes de la mesure en cause. Ces éléments concernent, en substance, les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM, le cadre contractuel sur la base duquel la mesure en cause a été accordée ainsi que le contexte dans lequel celle-ci s’inscrit.

    50

    La Commission conteste les arguments de la requérante en soulignant, sur la base des éléments mis en exergue dans la décision attaquée, qu’Air France et KLM bénéficient de facto d’une grande autonomie fonctionnelle, économique et organique, tant l’une à l’égard de l’autre qu’à l’égard de la holding Air France-KLM. En outre, la structure d’entreprise et de gouvernance du groupe Air France-KLM éviterait également tout risque de transfert indirect de l’aide entre Air France et KLM. Par ailleurs, la mesure en cause inclurait des mécanismes contractuels équivalents à une clause d’affectation, qui feraient parvenir l’avantage financier et économique réel de ladite mesure exclusivement à KLM.

    51

    La République française, le Royaume des Pays-Bas, KLM, Air France et la holding Air France‑KLM souscrivent aux observations de la Commission.

    52

    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les bénéficiaires de la mesure en cause étaient KLM et les filiales qu’elle contrôle. En revanche, bien que KLM fasse partie du groupe Air France-KLM, ni sa société mère, à savoir la holding Air France-KLM, ni ses sociétés sœurs, y compris Air France et les filiales que cette dernière contrôle, ne seraient bénéficiaires de ladite mesure.

    53

    Le présent moyen soulève ainsi, en substance, la question de la détermination du bénéficiaire d’une mesure d’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés.

    54

    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. En effet, dans ce domaine, la question de savoir s’il existe une unité économique entre plusieurs entités juridiquement distinctes se pose notamment lorsqu’il s’agit d’identifier le bénéficiaire d’une aide [voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, EU:C:1984:345, points 11 et 12, et du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 46 et jurisprudence citée].

    55

    Parmi les éléments pris en compte par la jurisprudence pour déterminer la présence ou l’absence d’une unité économique dans le domaine des aides d’État figurent notamment : la participation de l’entreprise concernée à un groupe de sociétés dont le contrôle est exercé directement ou indirectement par l’une d’entre elles, la poursuite d’activités économiques identiques ou parallèles et l’absence d’autonomie économique des sociétés concernées (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Pollmeier Malchow/Commission, T‑137/02, EU:T:2004:304, points 68 à 70) ; la formation d’un groupe unique contrôlé par une entité, malgré la constitution de nouvelles sociétés possédant chacune une personnalité juridique distincte (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, EU:C:1984:345, point 11) ; la possibilité, pour une entité détenant des participations de contrôle dans une autre société, d’exercer, au-delà d’un simple placement de capitaux par un investisseur, des fonctions de contrôle, d’impulsion et de soutien financier à l’égard de cette société ainsi que l’existence de liens organiques, fonctionnels et économiques entre elles [voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 51, etdu 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 47] ; l’existence de clauses contractuelles pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 57).

    56

    En outre, le type de mesure d’aide octroyée, les éventuels engagements pris par l’État membre concerné et le contexte dans lequel s’inscrit cette mesure peuvent, selon le cas, également constituer des éléments pertinents pour déterminer la présence ou l’absence d’une unité économique dans le domaine des aides d’État.

    57

    Par ailleurs, la Commission a précisé son interprétation de la notion d’« entreprise » dans sa communication relative à la notion d’« aide d’État », visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1, ci-après la « communication relative à la notion d’“aide d’État” »). Cette communication, si elle n’est pas susceptible de lier le Tribunal, peut toutefois servir de source d’inspiration utile [voir arrêt du 6 avril 2022, Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) e.a./Commission, T‑508/19, EU:T:2022:217, point 93 et jurisprudence citée].

    58

    La Commission a reconnu, au paragraphe 11 de la communication relative à la notion d’« aide d’État », que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. À cette fin, selon ce paragraphe, il convient de prendre en considération l’existence de participations de contrôle de l’une des entités dans l’autre ainsi que l’existence d’autres liens fonctionnels, économiques et organiques entre elles.

    59

    Dans ce contexte, il a été jugé que la Commission disposait d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe devaient être considérées comme une unité économique ou bien comme des unités juridiquement et financièrement autonomes aux fins de l’application du régime des aides d’État. Ce pouvoir d’appréciation de la Commission implique la prise en considération et l’appréciation de faits et de circonstances économiques complexes. Le juge de l’Union ne pouvant substituer son appréciation des faits, notamment sur le plan économique, à celle de l’auteur de la décision, le contrôle du Tribunal doit, à cet égard, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 8 septembre 2009, AceaElectrabel/Commission, T‑303/05, non publié, EU:T:2009:312, points 101 et 102 et jurisprudence citée).

    60

    Toutefois, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 104).

    61

    En outre, il incombe à la Commission d’examiner avec une vigilance particulière les liens entre les sociétés appartenant au même groupe, lorsqu’il y a lieu de craindre les effets sur la concurrence d’un cumul d’aides d’État au sein du même groupe [voir arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 48 et jurisprudence citée].

    62

    Compte tenu des critères dégagés dans la jurisprudence et des arguments des parties, il convient d’examiner consécutivement les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM et leurs filiales respectives, les contrats sur la base desquels la mesure en cause a été octroyée, ainsi que le type de mesure d’aide octroyée et le contexte dans lequel celle-ci s’inscrit.

    – Sur les liens capitalistiques et organiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM

    63

    À titre liminaire, la Commission fait valoir que, dans la requête, la requérante soutient que le fait qu’une société mère avait la possibilité de jure d’exercer un contrôle sur sa filiale suffisait « en soi » pour considérer que la société mère devait être incluse en tant que bénéficiaire d’une mesure d’aide. Or, dans la réplique, la requérante soutient que la Commission n’a pas tenu compte du pouvoir de contrôle de la holding Air France-KLM sur ses filiales dans le cadre de son appréciation. Ce dernier argument de la requérante ne constituant pas un développement de l’argument figurant dans la requête, il serait donc irrecevable, car soulevé pour la première fois dans la réplique.

    64

    Il y a lieu d’écarter l’argumentation de la Commission relative à l’irrecevabilité de l’argument formulé par la requérante dans la réplique selon lequel elle n’a pas tenu compte du pouvoir de contrôle de la holding Air France-KLM sur ses filiales dans le cadre de son appréciation en ce que ladite argumentation procède d’une lecture partielle de la requête. En effet, dans cette dernière, d’une part, la requérante soutient que la Commission n’a pas apprécié correctement l’incidence du fait que la holding Air France-KLM avait la possibilité statutaire d’exercer des fonctions de contrôle, d’impulsion et de soutien financier sur sa filiale KLM, et, d’autre part, elle critique l’appréciation de la Commission de plusieurs autres facteurs concernant les liens organiques, fonctionnels, économiques et contractuels entre les différentes entités du groupe Air France-KLM. Les arguments exposés dans la requête ne se limitaient donc pas à invoquer la simple possibilité de jure de la holding Air France-KLM d’exercer un contrôle sur KLM. Partant, l’argument figurant dans la réplique susmentionné en constituant une ampliation, il n’est donc pas irrecevable.

    65

    Cela étant précisé, en premier lieu, il convient de relever, s’agissant des liens capitalistiques entre les différentes entités appartenant au groupe Air France-KLM, que, ainsi qu’il a été rappelé au point 3 ci-dessus, Air France est détenue à 100 % par la holding Air France-KLM et que cette dernière détient 93,84 % du capital social, 99,7 % des droits économiques et 49 % des droits de vote de KLM.

    66

    Bien que ce fait constitue un premier élément pertinent pour l’examen de l’existence d’une unité économique entre ces entités, la jurisprudence en matière d’aides d’État exige de vérifier, en outre, si la société mère exerce effectivement un contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de ses filiales et prend ainsi part à l’activité économique exercée par l’entreprise contrôlée (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 49 et jurisprudence citée).

    67

    En effet, à défaut d’une telle analyse, un simple démembrement d’une entreprise en deux entités distinctes, dont la première poursuivrait directement l’activité économique en cause et la seconde contrôlerait la première tout en s’ingérant dans sa gestion suffirait à priver de leur effet utile les règles du droit de l’Union relatives aux aides d’État. Cela permettrait à la seconde entité de bénéficier de subventions ou d’autres avantages accordés par l’État ou au moyen de ressources d’État et de les utiliser en tout ou en partie au profit de la première, dans l’intérêt, également, de l’unité économique formée par les deux entités (voir arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 50 et jurisprudence citée).

    68

    En l’espèce, il ressort du point 33 de la décision attaquée, que la holding Air France-KLM détient un pouvoir de contrôle sur KLM grâce aux droits de véto dont elle dispose, d’une part, sur les plans d’affaires et les budgets de KLM, et d’autre part, sur la rémunération, la nomination et la révocation des dirigeants de celle-ci, y compris la nomination et la révocation des membres du conseil d’administration de KLM. Ainsi, ladite holding doit approuver les décisions concernant notamment les options stratégiques, le budget et le plan d’investissement du « groupe Air France‑KLM, y compris KLM » avant que celles-ci ne soient adoptées ou mises en œuvre.

    69

    Il ressort également des points 40 et 51 de la décision attaquée que la holding Air France‑KLM dispose d’un droit d’approbation en ce qui concerne les opérations de financement de ses filiales dépassant 150 millions d’euros. Ce droit s’est avéré pertinent en l’espèce, eu égard au fait que, comme la Commission le reconnaît dans la décision attaquée, le financement accordé par le Royaume des Pays-Bas dépassait le seuil de 150 millions d’euros, de sorte que la holding Air France‑KLM a dû l’approuver avant que celui-ci ne soit octroyé.

    70

    En second lieu, en ce qui concerne les liens organiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM, la requérante fait référence notamment au document d’enregistrement universel 2019 de ladite holding déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) (France) en application du règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE (JO 2017, L 168, p. 12) (ci-après le « document d’enregistrement universel 2019 »), dont elle présente un extrait devant le Tribunal et lequel a été débattu lors de l’audience. Conformément aux articles 9 et 21 du règlement 2017/1129, le document d’enregistrement universel est un document mis à la disposition du public qui décrit l’organisation, les activités, la situation financière, les résultats, les perspectives, le gouvernement et la structure de l’actionnariat de l’émetteur en cause.

    71

    Il ressort du document d’enregistrement universel 2019 qu’il existe, au niveau du groupe Air France-KLM, plusieurs organes mixtes, composés de représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, chargés de contrôler et de coordonner certaines décisions importantes à prendre au sein dudit groupe.

    72

    Par exemple, au sein du groupe Air France-KLM, tous les investissements supérieurs à cinq millions d’euros, de même que les opérations portant sur la flotte, ainsi que les opérations de prise de participation et de cession, sont soumis à l’approbation d’un « Comité exécutif Groupe », composé notamment des directeurs généraux de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, comme l’a d’ailleurs confirmé ladite holding lors de l’audience.

    73

    En outre, selon ce document d’enregistrement universel 2019, si la gestion des investissements est assurée au niveau de chaque société du groupe Air France-KLM, le processus de prise de décision est coordonné par un « Group Investment Committee (GIC) », composé du directeur général adjoint « Économie et Finances » de la holding Air France-KLM, du directeur général adjoint « Économie et Finances » d’Air France et du « Chief Financial Officer » de KLM.

    74

    De même, il ressort du document d’enregistrement universel 2019 que la gestion des risques de marché au sein du groupe Air France-KLM est pilotée par un « Risk Management Committee », composé également de hauts dirigeants de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, lequel décide et surveille les risques financiers dudit groupe et détermine les couvertures nécessaires à mettre en place.

    75

    Il en ressort également que les décisions prises par ces organes mixtes au niveau du groupe Air France-KLM sont ensuite mises en œuvre par chaque entité du groupe.

    76

    Il s’ensuit que les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France-KLM tendent à démontrer que la holding Air France-KLM exerce effectivement un contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion d’Air France et de KLM et prend ainsi part à l’activité économique exercée par elles. Il en résulte également qu’il existe, au niveau dudit groupe, une procédure de prise de décision centralisée et une certaine coordination, assurées par le biais d’organes mixtes regroupant des représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, à tout le moins en ce qui concerne la prise de certaines décisions importantes.

    77

    Les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France‑KLM sont ainsi, comme le fait valoir la requérante, un premier élément tendant à démontrer que les entités juridiques distinctes au sein dudit groupe forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.

    – Sur les liens fonctionnels entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM

    78

    En premier lieu, la Commission a relevé au point 36 de la décision attaquée que la holding Air France-KLM employait ses propres salariés et « s’appu[yait] » sur des employés détachés auprès d’elle par Air France et KLM. En outre, elle a indiqué aux points 33 et 112 de cette décision, ainsi qu’il a été rappelé au point 68 ci-dessus, que ladite holding disposait de droits de véto quant à la rémunération, la nomination et la révocation des dirigeants de KLM et d’Air France. Il s’ensuit qu’il existe une certaine intégration entre les employés de cette holding et de ses filiales et que la même holding est impliquée dans les décisions les plus importantes concernant les dirigeants de ses filiales.

    79

    En deuxième lieu, au point 37 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que la holding Air France-KLM n’était pas « directement » active sur les marchés du transport aérien sur lesquels Air France et KLM étaient actives, en constatant que le rôle de ladite holding était de fournir un soutien à ses filiales « en matière d’informatique, de ressources humaines, de marketing, de numérique, de communication et d’innovation ».

    80

    Toutefois, au point 42 de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’Air France et KLM, sous l’égide de la holding Air France-KLM, se coordonnaient dans le « domaine des ventes et de gestion des prix et de recettes sur la base de la stratégie déterminée au niveau de la holding [Air France-KLM] », avec l’aide des employés d’Air France et de KLM détachés auprès de ladite holding à cette fin. Un tel constat ressort également du point 112 de ladite décision.

    81

    Il en résulte que, si, certes, la holding Air France‑KLM ne fournit pas elle-même des services de transport aérien, il n’en demeure pas moins qu’elle joue un rôle stratégique dans la prestation de ces services, notamment dans le domaine des ventes et de la gestion des prix et des recettes, et qu’elle est, en outre, impliquée dans la prise de décisions relatives aux opérations portant sur la flotte (voir point 72 ci-dessus), ce qui confirme l’existence d’un degré d’intégration entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM.

    82

    L’existence d’une certaine coordination fonctionnelle au sein du groupe Air France-KLM est, en outre, illustrée par l’exemple de « Transavia », invoqué par la requérante. Ainsi qu’il ressort des réponses de la Commission aux questions posées dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, au sein dudit groupe, il existe plusieurs sociétés comportant le nom « Transavia », dont certaines sont actives sur le marché des services de transport aérien de passagers. Il s’agit de Transavia France SAS et de Transavia Airlines CV, respectivement appelées « Transavia France » et « Transavia Netherlands » dans la décision attaquée. « Transavia France » et « Transavia Netherlands » sont des filiales respectivement d’Air France et de KLM. La Commission a indiqué à cet égard que, bien que ces deux sociétés disposent de leurs propres « licences, certificats, droits de trafic, créneaux horaires, actifs, personnel et direction », elles se présentent sur le marché sous la même marque Transavia et partagent le même site Internet. En outre, comme le fait valoir la requérante, « Transavia » est souvent mentionnée comme une entreprise unique dans le document d’enregistrement universel 2019 et le document d’enregistrement universel 2020 de la holding Air France‑KLMdéposé auprès de l’autorité des marchés financiers française en application du règlement 2017/1129 (ci-après le « document d’enregistrement universel 2020 ») lorsque ces documents se réfèrent au segment « low cost » de l’activité commerciale de ce groupe. Cet exemple témoigne ainsi d’une certaine coopération fonctionnelle et commerciale entre deux filiales d’Air France et de KLM.

    83

    En troisième lieu, il ressort des points 38 à 40 et 112 de la décision attaquée que la holding Air France-KLM assume également des fonctions financières pour les besoins d’Air France et de KLM. D’une part, elle fournit notamment des instructions budgétaires à ses filiales. D’autre part, elle peut, « occasionnellement » aux termes de la décision attaquée, lever des capitaux sur les marchés financiers (dette ou fonds propres) au profit de ses filiales en fonction de leurs besoins individuels.

    84

    Il convient d’ajouter, à l’instar de la requérante et ainsi qu’il ressort des points 70 à 75 ci-dessus, que la holding Air France-KLM est impliquée dans la coordination et l’approbation des investissements importants de ses filiales, les opérations de prise de participation et de cession, et dans la gestion des risques financiers et des couvertures nécessaires à mettre en place, lesquels font l’objet d’un suivi continu et permanent au niveau du groupe Air France-KLM.

    85

    Le rôle financier assumé par la holding Air France-KLM est illustré, en l’espèce, par le fait, relevé au point 40 de la décision attaquée, que celle-ci dispose d’un droit d’approbation pour les opérations de financement de ses filiales dépassant 150 millions d’euros, et que, en conséquence, elle a dû approuver la mesure en cause.

    86

    Dans la décision attaquée et lors de l’audience, la Commission, tout en reconnaissant le rôle financier joué par la holding Air France-KLM au profit de ses filiales, en a relativisé l’importance, en le qualifiant de « limité » (point 38 de la décision attaquée).

    87

    Pourtant, il ressort des points 68 à 85 ci-dessus que les décisions importantes ou stratégiques en matière de financement, d’investissement et de flotte sont coordonnées, voire approuvées, par la holding Air France‑KLM.

    88

    Cette conclusion est corroborée par les données figurant dans les documents d’enregistrement universels de 2019 et de 2020, dont il ressort que la holding Air France-KLM a réalisé une série d’émissions obligataires de montants importants, que « la stratégie financière est décidée par le groupe [Air France-KLM] en coordination avec [Air France] et [KLM] », que ladite holding était l’émetteur « principal » des titres obligataires, et que ledit groupe envisageait un « recours systématique aux financements sur les marchés [par le biais d’]Air France-KLM ».

    89

    En dépit de cela, dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu’Air France et KLM étaient « fonctionnellement autonomes », en s’appuyant sur les éléments suivants (point 41 de la décision attaquée).

    90

    Premièrement, Air France et KLM disposeraient d’« équipes de gestion distinctes » (point 41, premier tiret, de la décision attaquée). Toutefois, cette affirmation doit être fortement nuancée par les éléments relevés aux points 68 à 75 ci-dessus, dont il ressort que la holding Air France‑KLM a un droit de véto quant à la rémunération, à la nomination et à la révocation des dirigeants de ses filiales, que des organes mixtes au sein du groupe Air France-KLM sont chargés du contrôle et de la coordination de certaines décisions importantes concernant ses filiales et que ladite holding s’appuie sur des employés d’Air France et de KLM détachés auprès d’elle.

    91

    Deuxièmement, KLM serait « indépendante et pleinement responsable » de la « plupart » des principaux éléments de ses activités commerciales, notamment les ressources humaines, la flotte, le développement du réseau, l’expérience client, la gestion des passagers et du fret, les activités de maintenance, les opérations aériennes, les services à bord et la commercialisation (point 41, premier tiret, de la décision attaquée). Toutefois, ces affirmations font abstraction du rôle joué par la holding Air France-KLM tant en ce qui concerne les opérations portant sur la flotte (voir points 68 et 72 ci-dessus) qu’en ce qui concerne la prestation de services de transport aérien, en particulier dans le domaine des ventes et de la gestion des prix et des recettes, dont la stratégie est déterminée au niveau de ladite holding (voir points 80 à 82 ci-dessus).

    92

    Troisièmement, KLM disposerait d’« une organisation financière indépendante », en ce qui concerne notamment le financement et le contrôle des rapports internes et externes, de la trésorerie, de l’audit et de la fiscalité (point 41, deuxième tiret de la décision attaquée). Au point 40 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en outre, que les activités financières « quotidiennes » seraient effectuées par Air France et KLM de manière indépendante. Ces affirmations se heurtent pourtant au fait que tout financement au-delà du seuil de 150 millions d’euros ou tout investissement au-delà de cinq millions d’euros doit être approuvé par la holding Air France-KLM. Par ailleurs, le fait que les activités financières « quotidiennes » seraient gérées par Air France et KLM ne contredit pas ce qui précède.

    93

    Quatrièmement, KLM gérerait ses besoins de liquidités « de manière indépendante sans intervention d’Air France ». La holding Air France‑KLM n’aurait aucun contrôle sur les fonds de KLM. Par exemple, certaines décisions seraient prises au niveau du conseil d’administration de KLM et non au niveau de ladite holding. Il n’existerait pas non plus de « mécanisme de partage des profits et des pertes ni d’accord de mise en commun de trésorerie entre Air France et KLM » (point 40, deuxième tiret, et point 41, troisième tiret, de la décision attaquée).

    94

    Toutefois, d’une part, le fait qu’Air France et KLM géreraient de manière indépendante leurs liquidités doit également être nuancé, dans la mesure où la holding Air France-KLM lève des capitaux sur les marchés au profit de ses filiales (voir point 83 ci-dessus), où elle approuve les opérations de financement au-delà de 150 millions d’euros et où elle donne des instructions budgétaires à ses filiales. De même, l’affirmation selon laquelle certaines décisions seraient prises au niveau du conseil d’administration de KLM et non au niveau de la holding Air France-KLM doit être relativisée à la lumière des circonstances relevées au point 72 ci-dessus, dont il ressort que la holding est impliquée dans la prise des décisions importantes et stratégiques en matière de financement, d’investissement et d’opérations portant sur la flotte.

    95

    D’autre part, si la Commission a affirmé qu’il n’existait pas de mécanisme de partage des profits et des pertes, ni d’accord de mise en commun de trésorerie entre Air France et KLM, elle a tout de même relevé, au point 47 de la décision attaquée, qu’il existait des « accords de partage des coûts » entre Air France et KLM et leurs filiales. Il ressort du même point qu’il existe des « activités communes menées en commun par Air France et KLM ou leurs filiales ». Ces éléments confirment l’existence d’une certaine intégration et coopération fonctionnelles entre ces dernières au sein du groupe Air France-KLM.

    96

    Ainsi, la conclusion à laquelle est parvenue la Commission, à savoir qu’Air France et KLM jouiraient d’une autonomie fonctionnelle, se trouve remise en cause par l’ensemble des considérations figurant aux points 78 à 95 ci-dessus.

    97

    Partant, les liens fonctionnels entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM constituent un deuxième élément tendant à démontrer que ces entités forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.

    – Sur les liens économiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM

    98

    Aux points 43 à 46 et 113 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la holding Air France-KLM, KLM et Air France jouissaient de facto d’une autonomie économique, pour les motifs suivants.

    99

    Tout d’abord, la holding Air France-KLM ne disposerait d’aucune activité génératrice de recettes externes, de sorte qu’elle ne pourrait pas soutenir de façon autonome Air France et KLM. Les recettes de ladite holding seraient générées exclusivement en interne auprès de ses filiales par une commission de gestion couvrant les frais de gestion de cette holding, de redevances de marques et de certains mécanismes de redistribution de coûts (points 43 et 44 de la décision attaquée). Ensuite, bien que la holding Air France-KLM puisse fournir certains services financiers à KLM, de tels services n’impliqueraient pas la fourniture d’un soutien financier à KLM et à Air France (point 45 de ladite décision). Enfin, les relations commerciales entre Air France et KLM seraient menées à des conditions normales de marché et négociées par des équipes de direction autonomes. En ce qui concerne les accords de partage des coûts entre ces deux sociétés, ceux-ci prévoiraient une clé de répartition fondée sur les « normes du marché » (points 46 et 47 de cette décision).

    100

    À cet égard, premièrement, comme le fait valoir la requérante, le fait que la holding Air France-KLM génère ses recettes uniquement auprès de ses filiales démontre qu’il existe une certaine interdépendance économique entre ladite holding et ses filiales. Cela est corroboré notamment par le fait qu’Air France et KLM s’efforcent d’obtenir des synergies par la coordination de leurs activités respectives sous l’égide de la holding Air France-KLM, en particulier dans le domaine des ventes et de la gestion des prix et des recettes (voir point 80 ci-dessus), et que cette holding est impliquée dans le financement de ses filiales de manière coordonnée (voir points 83 à 87 ci-dessus).

    101

    Deuxièmement, à supposer même que la holding Air France-KLM agit sur les marchés financiers uniquement en tant qu’« intermédiaire » entre ses filiales et les investisseurs, cela confirme le fait que ladite holding agit dans l’intérêt de ses filiales en levant des fonds pour leurs besoins sur ces marchés financiers. Ce fait révèle que cette holding négocie les termes du financement sur les marchés financiers en se fondant sur la position financière du groupe Air France-KLM dans son ensemble. Dès lors, c’est grâce à la holding Air France-KLM que les synergies au sein dudit groupe sont réalisées.

    102

    En témoigne la circonstance, invoquée par la requérante, que la holding Air France‑KLM avait annoncé publiquement en juillet 2021 une commande commune d’un nombre important d’aéronefs pour les besoins de KLM, de « Transavia Netherlands » et de « Transavia France ». Interrogée à cet égard dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, la Commission a confirmé la réalité de cette commande commune, en expliquant que ladite holding avait négocié les termes de celles-ci afin d’obtenir un meilleur accord. Ainsi, même si les contrats ont été signés et payés séparément par KLM, « Transavia Netherlands » et « Transavia France », il n’en demeure pas moins que c’est grâce à la holding Air France-KLM que KLM, « Transavia Netherlands » et « Transavia France » ont pu profiter d’un meilleur accord.

    103

    Troisièmement, comme il a été relevé au point 95 ci-dessus, le fait, admis par la Commission, qu’il existe des accords de partage des coûts entre Air France et KLM ainsi que des activités menées en commun par Air France et KLM et leurs filiales confirme l’existence d’une certaine intégration et coopération économiques entre elles.

    104

    Quatrièmement, la Commission fait valoir, aux points 44 et 46 de la décision attaquée, que les relations financières et commerciales entre la holding Air-France et ses filiales Air France et KLM, ainsi qu’entre ces dernières elles-mêmes, seraient menées à « des conditions normales de marché ». En particulier, quant aux relations entre Air France et KLM, elle fait référence, dans ce contexte, au fait que celles-ci restent imposables respectivement en France et aux Pays-Bas, que les législations fiscales française et néerlandaise prévoient que toutes les transactions intragroupes doivent être effectuées comme si elles avaient été conclues entre des parties indépendantes et que, dès lors, aucun avantage ne pourrait passer de l’une à l’autre par ce biais (point 46, premier tiret, de la décision attaquée). Si ces éléments semblent, certes, pertinents aux fins de l’imposition fiscale de ces sociétés au niveau des État membres, ils ne suffisent pourtant pas à démontrer l’existence d’une autonomie économique entre la holding Air France‑KLM, Air France et KLM au sein du groupe Air France‑KLM, compte tenu des éléments indiqués aux points 100 à 103 ci-dessus.

    105

    De surcroît, il convient de rappeler que l’octroi de la mesure en cause était justifié notamment par le besoin de soutenir KLM dans un moment de grave pénurie de liquidités et risque de défaillance (points 12 et 13 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, l’avantage de cette mesure se traduit précisément dans la mise à disposition de montants importants de liquidités qui n’auraient pas été disponibles dans des conditions du marché. Ainsi, d’une part, une telle mesure aurait pour effet de renforcer la position financière du groupe Air France-KLM dans son ensemble, en ce qu’elle évite le risque de défaillance de l’une de ses principales filiales, à savoir KLM, et rassure de la sorte les créanciers des sociétés dudit groupe, étant précisé, en outre, que le prêt de l’État, faisant partie de la mesure en cause, était subordonné aux emprunts bancaires ou obligataires non assortis de sûreté et non subordonnés (point 81 de ladite décision). D’autre part, compte tenu du rôle financier de la holding Air France‑KLM au sein de ce groupe, celle-ci pourrait, le cas échéant, obtenir, dans l’intérêt de ses filiales et pour leurs besoins, un financement sur les marchés, lequel lui aurait été inaccessible en l’absence de l’aide ou à des conditions moins favorables.

    106

    Par ailleurs, en l’absence de la mesure en cause, KLM n’aurait vraisemblablement pas pu poursuivre ses activités et, par-là, aurait également mis en péril la poursuite des activités menées en commun avec Air France (voir points 80 à 82, 95, 102 et 103 ci-dessus). En permettant donc la poursuite des activités de KLM, ladite mesure permet également, implicitement mais nécessairement, la poursuite des activités menées en commun par Air France et KLM.

    107

    Partant, les liens économiques entre la holding Air France‑KLM, Air France et KLM constituent un troisième élément tendant à démontrer que ces entités forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.

    – Sur les contrats sur la base desquels la mesure en cause a été accordée

    108

    Aux points 53 et 114 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que les mécanismes contractuels, sur la base desquels la mesure en cause avait été octroyée, garantissaient que KLM et ses filiales en étaient les seuls bénéficiaires.

    109

    La requérante fait valoir, en substance, en faisant référence à la teneur de certaines clauses des contrats en cause, que ces dernières ne sont pas à même de garantir que KLM est la seule bénéficiaire de la mesure en cause.

    110

    La Commission rétorque que les mécanismes contractuels en cause sont équivalents à une clause d’affectation, qui feraient parvenir l’avantage financier et économique réel de la mesure en cause exclusivement à KLM.

    111

    Il y a lieu de constater que la mesure en cause devait être octroyée sur la base notamment des contrats suivants, décrits au point 18 de la décision attaquée : premièrement, un accord‑cadre conclu entre l’État néerlandais, KLM et la holding Air France‑KLM (ci-après l’« accord-cadre »), deuxièmement, un accord sur une ligne de crédit renouvelable conclu entre KLM et un consortium de banques (ci-après l’« accord sur le prêt bancaire ») ; et, troisièmement, un contrat sur un prêt de l’État conclu entre l’État néerlandais et KLM (ci-après l’« accord sur le prêt d’État »).

    112

    Il importe de constater, à l’instar de la requérante, que la holding Air France-KLM est partie contractante à l’accord-cadre qui établit les conditions générales régissant l’octroi de la mesure en cause. En tant que telle, ladite holding a assumé des droits et des obligations contractuelles à l’égard de ses co‑contractants dans le contexte de la mise en œuvre de la mesure en cause.

    113

    En effet, premièrement, ainsi qu’il ressort du point 51 de la décision attaquée, l’accord-cadre est le moyen juridique par lequel le financement provenant de la mesure en cause est approuvé par la holding Air France-KLM, puisque toutes les opérations de financement dépassant 150 millions d’euros sont soumises à son approbation.

    114

    Deuxièmement, il ressort des points 85 à 90 de la décision attaquée que les autorités néerlandaises imposeraient des « conditions additionnelles » pour l’octroi de la mesure en cause. Or, il ressort des réponses apportées par la Commission à une mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience que ces « conditions additionnelles » figuraient dans l’accord-cadre et que, dès lors, la holding Air France‑KLM s’est spécifiquement engagée à les mettre en œuvre en tant que conditions pour l’octroi de la mesure en cause.

    115

    Ainsi, par exemple, il ressort des réponses de la Commission à la mesure d’organisation de la procédure que la holding Air-France-KLM devait donner son accord sur un plan de restructuration de KLM, lequel, selon le point 89 de la décision attaquée, devait être élaboré au 1er octobre 2020 au plus tard et s’appliquer jusqu’en 2025 afin d’améliorer la marge de rendement de KLM.

    116

    En outre, la holding Air France‑KLM avait consenti à modifier, dans l’accord-cadre, certaines stipulations des accords conclus entre l’État néerlandais, ladite holding et KLM au moment de l’approbation de la concentration entre Air France et KLM en 2004. Ces modifications auraient pour effet d’étendre à cinq ans le délai de préavis pour la résiliation des engagements assumés par les parties au titre de ces accords relatifs notamment au lieu de l’établissement de KLM, sa base d’affectation aux Pays-Bas et le maintien de ses licences d’exploitation existantes.

    117

    La holding Air France‑KLM a également consenti à la mise en œuvre d’autres conditions prévues dans l’accord-cadre concernant, notamment, le droit du travail, la qualité du réseau et la durabilité.

    118

    Il s’ensuit que plusieurs conditions pour l’octroi de la mesure en cause sont explicitement soumises à l’approbation de la holding Air France-KLM ou font l’objet d’un engagement de sa part. Cela démontre que les contrats sur la base desquels la mesure en cause a été octroyée imposent à ladite holding d’importants droits et obligations contractuels dans le cadre de l’octroi et de la mise en œuvre de ladite mesure.

    119

    En dépit de ce qui précède, la Commission a considéré, aux points 53 et 114 de la décision attaquée, que plusieurs mécanismes contractuels garantissaient que la mesure en cause ne bénéficiait qu’à KLM et ses filiales.

    120

    Premièrement, la Commission a constaté, au point 53, premier tiret, de la décision attaquée, qu’une des clauses de l’accord sur le prêt d’État prévoyait que ce prêt pourrait uniquement être utilisé pour les besoins généraux corporatifs de KLM et de ses filiales et qu’aucune somme provenant de ce prêt ne pourrait être « sous-prêtée » à Air France ou à la holding Air France-KLM.

    121

    Or, force est de constater, à l’instar de la requérante, que la clause visée au point 120 ci-dessus se limite, selon son libellé tel que rapporté dans la décision attaquée, à interdire que le prêt en cause soit « sous-prêté » à la holding Air France-KLM ou à Air France, sans pour autant exclure que ces dernières puissent bénéficier autrement, et ne serait-ce qu’indirectement, de la mesure en cause.

    122

    Deuxièmement, selon une autre clause de l’accord-cadre, la holding Air France-KLM et KLM s’engagent à ce que les procédés de la mesure en cause ne soient pas utilisés pour le bénéfice « direct » de la holding ou d’Air France. L’État néerlandais nommerait, en outre, un de ses agents afin de surveiller l’utilisation par KLM des fonds provenant de la mesure en cause et notamment qu’ils ne soient pas utilisés pour le bénéfice « direct » de ladite holding ou d’Air France (point 53, deuxième et sixième tirets de la décision attaquée).

    123

    Toutefois, comme le fait valoir en substance la requérante, la clause visée au point 122 ci-dessus ne porte que sur les bénéfices « directs » sans pour autant exclure que la holding ou Air France puisse bénéficier indirectement de la mesure en cause.

    124

    Selon la jurisprudence, une entreprise bénéficiant d’un avantage indirect doit également être considérée comme bénéficiaire de l’aide. En effet, un avantage directement accordé à certaines personnes physiques ou morales peut constituer un avantage indirect et, partant, une aide d’État pour d’autres personnes morales qui sont des entreprises (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 26, et du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C‑382/99, EU:C:2002:363, points 60 à 66).

    125

    À cet égard, il suffit de noter que, dans le document d’enregistrement universel 2020, dont un extrait est présenté devant le Tribunal par la requérante, le groupe Air France-KLM a expressément reconnu que les mesures d’aide octroyées par la République française et par le Royaume des Pays-Bas et approuvées par la Commission, d’un montant global de 10,4 milliards d’euros, « ont permis une amélioration de la position en liquidités du groupe ». Il en ressort que, de l’avis dudit groupe, lesdites mesures, y compris la mesure en cause, ont bénéficié à ce groupe dans son ensemble, et non uniquement à KLM.

    126

    En effet, en garantissant la viabilité de KLM, qui est l’une des deux filiales principales de la holding Air France-KLM, la mesure en cause renforce également la viabilité de cette dernière. En l’absence de cette mesure, le risque de défaillance de KLM aurait pu contaminer ladite holding et, par-là, l’ensemble du groupe Air France-KLM.

    127

    Ainsi, compte tenu du niveau d’intégration au sein du groupe Air France-KLM, et plus concrètement de la gestion coordonnée et centralisée des investissements importants, des opérations sur la flotte et de la gestion des risques financiers au niveau dudit groupe (voir points 68 à 75 ci-dessus), la mesure en cause est susceptible de renforcer, à tout le moins indirectement, la position financière de ce groupe dans son ensemble. De même, en améliorant la position en liquidités du groupe dans son ensemble, comme l’admet expressément le document d’enregistrement universel 2020, ladite mesure est susceptible de renforcer la capacité de la holding Air France-KLM de lever des fonds sur les marchés financiers pour les besoins de ses filiales, y compris Air France, comme l’affirme à juste titre la requérante.

    128

    Troisièmement, selon l’accord sur le prêt bancaire, KLM pouvait emprunter des sommes de la ligne de crédit renouvelable seulement pour une courte durée en fonction de ses besoins en liquidités. Ainsi, si un tel besoin n’existait plus, KLM ne pourrait pas refinancer les prêts existants et devrait les rembourser. Il en irait indirectement de même en ce qui concerne l’accord sur le prêt d’État. En outre, selon l’accord‑cadre et l’accord sur le prêt d’État, ce prêt devait être versé en tranches et, à chaque demande de versement, KLM devait confirmer que les conditions figurant dans l’accord sur le prêt d’État étaient respectées et notamment celle relative à l’interdiction de « sous-prêter » ledit prêt à la holding Air France-KLM et à Air France (point 53, troisième et quatrième tirets, de la décision attaquée).

    129

    Toutefois, le fait que, selon l’accord sur le prêt d’État, ce prêt soit payé en tranches ou que, selon l’accord sur le prêt bancaire, ce prêt prenne la forme d’une ligne de crédit renouvelable suivant les besoins en liquidités de KLM n’exclut aucunement, pour les raisons exposées aux points 125 à 127 ci-dessus, que ces prêts puissent, ne serait-ce qu’indirectement, bénéficier au groupe dans son ensemble.

    130

    Quatrièmement, il serait interdit à KLM de verser des dividendes où d’autres rémunérations du capital pendant la durée de la mesure en cause, ce qui empêcherait KLM de transférer l’aide ainsi obtenue à la holding ou à Air France sous forme de dividendes (point 53, cinquième tiret, de la décision attaquée).

    131

    Toutefois, l’interdiction en cause, laquelle vise, à titre principal, à éviter que les deniers publics soient détournés au bénéfice des actionnaires du bénéficiaire sous forme de dividendes ou d’autres rémunérations du capital, ne remet pas en cause les considérations exposées aux points 125 à 127 ci-dessus.

    132

    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les mécanismes contractuels cités dans la décision attaquée ne permettent pas de constater que les seules bénéficiaires de la mesure en cause sont KLM et ses filiales, à l’exclusion de la holding Air France-KLM et d’Air France, et des filiales qu’elles contrôlent.

    133

    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel la jurisprudence a admis que la bénéficiaire d’une aide d’État peut être seulement une des sociétés faisant partie d’un groupe, lorsqu’il existe notamment des clauses d’affectation qui feraient parvenir l’avantage de l’aide à une des sociétés dudit groupe, à l’exclusion des autres sociétés de ce groupe.

    134

    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé aux points 55 et 56 ci-dessus, plusieurs facteurs doivent, selon le cas, être examinés afin de déterminer si des entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État, tels que les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre ces entités, les contrats sur la base desquels la mesure d’aide a été octroyée, ainsi que le type de mesure d’aide octroyée et le contexte dans lequel elle s’inscrit. Il s’agit donc d’une appréciation globale de plusieurs facteurs propres à chaque cas d’espèce. S’agissant, en particulier, des contrats sur la base desquels la mesure d’aide a été octroyée, l’appréciation de ceux-ci dépend à l’évidence de leur teneur concrète. Ainsi, le fait que les juridictions de l’Union aient conclu, ou non, dans une affaire donnée, sur la base d’éléments concrets propres à cette affaire, que la bénéficiaire d’une mesure d’aide donnée était une seule entité appartenant à un groupe de sociétés, à l’exclusion des autres entités de ce groupe, ne saurait asseoir une conclusion générale dans un sens ou dans un autre.

    135

    En tout état de cause, les circonstances particulières à l’origine des affaires ayant donné lieu aux arrêts cités par la Commission ne sont pas comparables à celles à l’origine de la présente affaire.

    136

    Premièrement, dans l’arrêt du 3 juillet 2003, Belgique/Commission (C‑457/00, EU:C:2003:387), la Cour a précisé, aux points 56 et 57, que, afin de déterminer le bénéficiaire d’une mesure d’aide, il convenait de tenir compte notamment de l’existence et de la formulation de clauses d’affectation et qu’il était possible qu’une telle analyse conduise à la conclusion selon laquelle le bénéficiaire de l’aide est autre que l’emprunteur du prêt litigieux. Ainsi, conformément à cet arrêt, l’issue de ladite analyse dépend de l’existence et de la teneur précise des clauses contractuelles pertinentes. Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 111 à 132 ci-dessus, c’est précisément en fonction de la teneur des différentes clauses contractuelles applicables dans la présente affaire que le Tribunal considère que celles-ci ne permettent pas de constater que les seules bénéficiaires de la mesure en cause sont KLM et ses filiales, à l’exclusion de la holding Air France-KLM et d’Air France, et des filiales qu’elles contrôlent. En outre, la holding Air France-KLM détient en l’espèce d’importants droits et obligations contractuels dans le cadre de la mesure en cause et est donc directement impliquée dans la gestion de celle-ci.

    137

    Deuxièmement, il existe plusieurs différences factuelles importantes entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l’arrêt du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission (T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140). En effet, les liens organiques, fonctionnels et économiques entre les entités du groupe Air France-KLM relevés dans la présente affaire ne sont pas comparables à ceux existant entre les sociétés concernées dans l’affaire susmentionnée. Par exemple, en l’espèce, la holding Air France‑KLM a maintenu l’ensemble de ses prérogatives stratégiques en matière de financement, d’investissement et d’opérations portant sur la flotte, ce qui n’était pas le cas de la holding dans l’affaire précitée. De plus, ladite holding ne détenait aucun droit ou prérogative comparable à ceux détenus par la holding Air France-KLM concernant l’octroi de la mesure en cause.

    138

    Troisièmement, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 mai 2005, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG/Commission (T‑111/01 et T‑133/01, EU:T:2005:166), concernait un cas de figure très différent de celui en cause dans la présente affaire. En effet, elle concernait l’obligation de récupération d’une aide auprès de certaines filiales d’un groupe de sociétés qui avaient été désignées comme les bénéficiaires initiales de cette aide. À cet égard, il a été jugé, aux points 125 et 126 de cet arrêt, que, compte tenu des circonstances de l’espèce, la Commission ne saurait à bon droit imputer de manière automatique l’obligation de restitution auxdites filiales d’une partie de l’aide litigieuse, en l’absence de démonstration que celles-ci l’ont effectivement reçue, au seul motif qu’elles étaient désignées comme les bénéficiaires initiales de l’aide litigieuse. Or, ce cas de figure est étranger à la présente affaire, de sorte qu’aucune conclusion utile pour la solution du présent litige n’en saurait être tirée.

    139

    Partant, le cadre contractuel sur la base duquel est octroyée la mesure en cause ne permet pas de conclure que les seules bénéficiaires de la mesure en cause est KLM et ses filiales.

    – Sur le type de mesure d’aide octroyée et le contexte dans lequel elle s’inscrit

    140

    S’agissant du type de mesure d’aide octroyée et du contexte dans lequel elle s’inscrit, la requérante critique, en substance, le fait que la Commission n’a pas procédé à un examen des effets cumulés des aides faisant l’objet des décisions Air France, Air France-KLM et Air France et la décision attaquée.

    141

    À cet égard, force est de constater que la décision attaquée mentionne uniquement la mesure d’aide faisant l’objet de la décision Air France. La Commission reprend, de manière résumée, les considérations qu’elle a invoquées dans cette décision afin de conclure que ni la holding Air France-KLM ni KLM ne sauraient être considérées comme bénéficiaires de cette mesure (points 118 à 123 de la décision attaquée).

    142

    En revanche, la décision attaquée ne fait pas mention de la mesure d’aide faisant l’objet de la décision Air France-KLM et Air France. Dans cette décision, la Commission avait considéré tant la holding Air France-KLM et ses filiales qu’Air France et ses filiales, à l’exclusion de KLM et les filiales de cette dernière, comme bénéficiaires de la mesure d’aide faisant l’objet de cette décision.

    143

    Or, la décision Air France-KLM et Air France a été adoptée le 5 avril 2021, soit plus de trois mois avant la décision attaquée dans la présente affaire, du 16 juillet 2021, de sorte qu’elle constituait un élément pertinent de contexte connu de la Commission lors de l’adoption de la décision attaquée.

    144

    En effet, dans les circonstances particulières de l’espèce, force est de constater qu’il existait un lien chronologique, structurel et économique entre la mesure en cause et celles faisant l’objet de la décision Air France et de la décision Air France-KLM et Air France. En effet, d’une part, l’ensemble de ces mesures a été octroyé de façon parallèle dans un bref laps de temps. D’autre part, par leur nature, le type des mesures d’aide faisant l’objet de la décision attaquée et de la décision Air France était similaire. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la décision Air France et de la décision Air France-KLM et Air France, le prêt d’actionnaire faisant l’objet de cette première décision a été transformé quelques mois plus tard en un instrument hybride du même montant, faisant l’objet de cette seconde décision.

    145

    De surcroît, ainsi qu’il a été relevé au point 125 ci-dessus, c’est l’effet cumulé de ces diverses mesures d’aide qui a été considéré, dans le document universel d’enregistrement 2020, comme améliorant la position en liquidités du groupe Air France-KLM dans son ensemble.

    146

    Partant, dans ces circonstances particulières de l’espèce, et compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 61 ci-dessus, il incombait à la Commission de tenir également compte du contexte dans lequel s’est inscrit la mesure en cause, en particulier de la décision Air France-KLM et Air France, ce qu’elle a omis de faire.

    – Sur la différence entre un avantage, direct ou indirect, d’une part, et des simples effets économiques secondaires, d’autre part

    147

    La Commission fait valoir que la mesure en cause n’a, tout au plus, que de « simples effets économiques secondaires » à l’égard de la holding Air France-KLM et d’Air France, lesquels seraient inhérents à toute aide d’État, mais qui ne sauraient être qualifiés d’avantage direct ou indirect au profit de ces dernières.

    148

    La requérante rétorque que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que la mesure en cause ne pouvait bénéficier aux autres sociétés du groupe Air France-KLM, par exemple en renforçant la situation financière de la holding Air France-KLM et, indirectement, celle d’Air France. Un tel effet irait au‑delà du simple effet secondaire inhérent à toute mesure d’aide.

    149

    À cet égard, il y a lieu de distinguer la notion d’« avantage indirect » de celle d’« effets secondaires inhérents à toute mesure d’aide ».

    150

    Ainsi qu’il a été rappelé au point 124 ci-dessus, une entreprise bénéficiant d’un avantage indirect doit être considérée comme bénéficiaire de l’aide. En effet, un avantage directement accordé à certaines personnes physiques ou morales peut constituer un avantage indirect et, partant, une aide d’État pour d’autres personnes morales qui sont des entreprises.

    151

    Par ailleurs, aux termes du paragraphe 115 de la communication relative à la notion d’« aide d’État », une « mesure peut également constituer à la fois un avantage direct en faveur de l’entreprise bénéficiaire et un avantage indirect en faveur d’autres entreprises, par exemple, des entreprises opérant à des niveaux d’activité ultérieurs ». La note de bas de page no 179 de cette communication précise que, dans le cas où une entreprise intermédiaire est un simple instrument chargé de transférer l’avantage au bénéficiaire et qu’elle ne conserve aucun avantage, elle ne doit normalement pas être considérée comme la bénéficiaire d’une aide d’État.

    152

    Le paragraphe 116 de la communication relative à la notion d’« aide d’État » indique, en outre, qu’il convient de distinguer les avantages indirects des simples effets économiques secondaires qui sont inhérents à presque toutes les mesures d’aide d’État. À cette fin, aux termes dudit paragraphe, il convient d’examiner les effets prévisibles de la mesure d’un point de vue ex ante. Ainsi, il existe un avantage indirect si la mesure est conçue de manière à orienter ses effets secondaires « vers des entreprises ou des groupes d’entreprises identifiables ». La note en bas de page no 181 de cette communication explique que, en revanche, l’existence d’un simple effet économique secondaire sous la forme d’un accroissement de production, qui n’équivaut pas à une aide indirecte, pourra être établie si l’aide est simplement acheminée par une entreprise, par exemple, par un intermédiaire financier, qui la transfère intégralement à son bénéficiaire.

    153

    En l’espèce, il ressort de l’analyse figurant aux points 111 à 132 ci‑dessus que le rôle de la holding Air France-KLM ne se limite pas à un « simple instrument chargé de transférer l’avantage au bénéficiaire » ou à un « intermédiaire financier » au sens des paragraphes 115 et 116 de la communication relative à la notion d’« aides d’État ». En effet, ladite holding exerce effectivement un contrôle sur ses filiales en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de celles-ci et prend ainsi part à l’activité économique exercée par elles, au sens de la jurisprudence citée aux points 66 et 67 ci-dessus, ce qui lui permet de contrôler et de diriger les activités de ses filiales en fonction de ses propres intérêts et de ceux du groupe en général. La thèse de la Commission selon laquelle la holding Air France-KLM et Air France ne bénéficieraient que des simples effets économiques secondaires inhérents à toute aide d’État doit donc être écartée.

    154

    De même, les effets prévisibles de la mesure en cause d’un point de vue ex ante suggèrent, compte tenu du type de mesure d’aide octroyée et du contexte dans lequel elle s’inscrit, consistant en substance en une solution de financement, que cette solution de financement était susceptible de profiter au groupe Air France-KLM dans son ensemble, en améliorant sa position financière globale, ce qui indique l’existence à tout le moins d’un avantage indirect au profit d’« un groupe d’entreprises identifiables » au sens du paragraphe 116 de la communication relative à la notion d’« aide d’État ».

    155

    En effet, il ressort notamment du point 13 de la décision attaquée que, compte tenu de l’impact financier significatif et immédiat de la pandémie de COVID-19, le Royaume des Pays Bas a décidé d’accompagner KLM dans un moment de grave pénurie de liquidités et risque de défaillance. Ainsi, dès lors que l’objectif de la mesure en cause est de trouver une solution de financement pour répondre aux besoins de liquidités de KLM et qu’il ressort du dossier que la holding Air France-KLM joue un certain rôle dans le financement du groupe, ladite mesure aurait comme effets prévisibles ex ante, d’une part, d’améliorer la situation financière de ladite holding, partie à l’accord-cadre et détentrice d’importants droits et obligations contractuels à ce titre, et par-là, dudit groupe tout entier, et, d’autre part, de garantir la stabilité financière, y compris aux yeux des marchés financiers, de ce groupe dans son ensemble, y compris Air France.

    156

    En outre, comme relevé au point 126 ci-dessus, en l’absence de la mesure en cause, le péril immédiat sur la continuité des activités de KLM, constaté dans la décision attaquée, aurait pu contaminer l’ensemble du groupe Air France-KLM, étant donné que cette première constitue l’une des principales filiales de ce groupe, générant une partie importante des revenus de celui-ci.

    157

    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’ordonnance du 21 janvier 2016, Alcoa Trasformazioni/Commission (C‑604/14 P, non publiée, EU:C:2016:54), citée par la Commission au soutien de son argument selon lequel, lorsqu’elle calcule le montant de l’aide, elle n’examine pas les effets secondaires de celle-ci pour les consommateurs, les fournisseurs, les investisseurs ou les employés du bénéficiaire. D’une part, comme le fait valoir la requérante, l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance ne concernait pas une situation intragroupe. D’autre part, ainsi qu’il a été relevé aux points 153 à 156 ci-dessus, il ne s’agit pas en l’espèce des effets économiques secondaires d’une mesure d’aide sur les consommateurs, les fournisseurs, les investisseurs ou les employés.

    158

    Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission, selon lequel la mesure en cause n’aurait, tout au plus, que de simples effets économiques secondaires à l’égard de la holding Air France-KLM et de ses autres filiales, y compris Air France et les filiales de cette dernière.

    Conclusion

    159

    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les bénéficiaires de la mesure en cause étaient KLM et ses filiales, à l’exclusion de la holding Air France-KLM et ses autres filiales, y compris Air France et les filiales de cette dernière, et d’accueillir, par voie de conséquence, le premier moyen.

    160

    Or, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE exige non seulement que l’État membre concerné soit bel et bien face à une perturbation grave de son économie, mais également que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées pour atteindre cet objectif. Cette même exigence ressort également du paragraphe 19 de l’encadrement temporaire [arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 74].

    161

    En outre, et plus particulièrement, conformément au paragraphe 25, sous d), de l’encadrement temporaire, les aides d’État sous forme de nouvelles garanties publiques sur les prêts sont considérées comme étant compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, pour autant que, pour les prêts arrivant à échéance après le 31 décembre 2020, leur montant global par bénéficiaire n’excède pas le double de la masse salariale annuelle du bénéficiaire pour 2019 ou pour la dernière année disponible. Le même seuil s’applique aux aides d’État sous forme de subventions aux prêts publics, conformément au paragraphe 27, sous d), dudit encadrement [arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 75].

    162

    Ainsi, l’examen de la nécessité et de la proportionnalité de l’aide, en général, et du respect des conditions citées à titre d’exemple au point 161 ci-dessus, en particulier, présuppose que soit identifié au préalable le bénéficiaire de l’aide. En effet, l’identification erronée ou incomplète du bénéficiaire d’une mesure d’aide est susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de l’analyse de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur.

    163

    Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée sans qu’il y ait besoin d’examiner les autres moyens du recours.

    164

    Enfin, en ce qui concerne la possibilité pour les États membres d’octroyer des aides d’État à des sociétés appartenant à un groupe de sociétés actif dans plusieurs États membres, il convient de rappeler, à toutes fins utiles, que les États membres et les institutions de l’Union sont tenus à des devoirs réciproques de coopération loyale, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE. La Commission et les États membres doivent ainsi collaborer de bonne foi en vue d’assurer le plein respect des dispositions du traité FUE, notamment celles relatives aux aides d’État (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Slovaquie, C‑507/08, EU:C:2010:802, point 44 et jurisprudence citée). Cette obligation de coopération loyale et de coordination s’impose d’autant plus lorsque différents États membres envisagent d’accorder concomitamment des aides à des entités appartenant au même groupe de sociétés qui opère de façon coordonnée dans le marché intérieur en vue d’en tirer pleinement les avantages.

    Sur les dépens

    165

    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

    166

    Conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (huitième chambre)

    déclare et arrête :

     

    1)

    La décision C(2021) 5437 final de la Commission, du 16 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.57116 (2020/N) – Pays‑Bas – COVID-19 : Garantie de l’État à un prêt et prêt de l’État en faveur de KLM, est annulée.

     

    2)

    La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux de Ryanair DAC.

     

    3)

    La République française, le Royaume des Pays-Bas, Air France-KLM, la Société Air France et Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV supporteront leurs propres dépens.

     

    Kornezov

    De Baere

    Petrlík

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 février 2024.

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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