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Document 62021CC0203

Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 9 juin 2022.
Procédure pénale contre DELTA STROY 2003.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Okrazhen sad - Burgas.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Applicabilité – Infliction d’une sanction pécuniaire à une personne morale pour le non-paiement de dettes fiscales – Notion de “confiscation” – Articles 48, 49 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Sanctions à caractère pénal – Principes de présomption d’innocence, de légalité et de proportionnalité des délits et des peines – Droits de la défense – Infliction d’une sanction pénale à une personne morale pour une infraction commise par le représentant de cette personne morale – Procédure pénale parallèle non clôturée contre ce représentant – Proportionnalité.
Affaire C-203/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:454

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 9 juin 2022 ( 1 )

Affaire C‑203/21

Procédure pénale

contre

DELTA STROY 2003

[demande de décision préjudicielle formée par l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Applicabilité – Infliction d’une sanction pécuniaire à une personne morale pour le non-paiement de dettes fiscales – Sanction à caractère pénal – Présomption d’imputation de l’infraction à la personne morale – Présomption de commission de l’infraction – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 à 49 – Principe de légalité et de proportionnalité des délits et des peines – Présomption d’innocence – Droits de la défense – Proportionnalité »

1.

Répondant à l’interrogation, posée au début de sa contribution, quant à la possibilité pour les personnes morales d’être titulaires de droits fondamentaux, le professeur P. Wachsmann a fourni la réponse suivante dont la simplicité le dispute à la lucidité : « Pourquoi pas, si l’on veut ? » ( 2 ). L’examen de la jurisprudence élaborée par les juges européens des droits fondamentaux, qu’ils siègent à Strasbourg ou à Luxembourg, révèle que telle a été manifestement leur volonté, les juges tirant toutes les conséquences, dans le quasi-silence des textes ( 3 ), de la personnalité juridique dont sont dotés ces êtres moraux et donc de leur aptitude à être titulaires de droits et d’obligations ( 4 ).

2.

Cette constatation revêt un caractère essentiel dans un contexte de législations d’États membres reconnaissant, de manière générale, le principe de la responsabilité pénale des personnes morales ou, comme dans l’affaire au principal, prévoyant la possibilité pour un juge d’infliger à ces personnes une sanction administrative à caractère pénal fondée sur une double présomption, à savoir une présomption d’imputation à une société d’une infraction pénale présumée commise par son représentant. L’intérêt de la présente affaire est d’amener la Cour à devoir s’interroger sur la compatibilité d’une telle réglementation au regard des principes de protection juridictionnelle effective, de présomption d’innocence et de personnalité des peines consacrés, respectivement, aux articles 47 à 49 de la Charte.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3.

Sont pertinents dans le cadre de la présente affaire les articles 47 à 49 de la Charte.

B.   Le droit bulgare

4.

L’article 83 de la Zakon za administrativnite narushenya i nakazanya (loi relative aux infractions et aux sanctions administratives, publiée au DV no 92 du 28 novembre 1969), dans la version du 14 février 2020, applicable au litige au principal (ci-après la « ZANN »), qui est inclus dans le chapitre 4 de cette loi, dispose :

« Chapitre 4

Sanctions administratives à caractère pénal à l’encontre des personnes morales et des entrepreneurs individuels.

Article 83. (1) [...] Dans les cas prévus par la loi, le décret, l’arrêté du conseil des ministres ou l’arrêté municipal pertinents, une sanction pécuniaire peut être infligée aux personnes morales et aux entrepreneurs individuels pour avoir manqué à leurs obligations envers l’État ou la municipalité dans l’exercice de leur activité.

[...]

Article 83a. [...] (1) Toute personne morale qui s’est enrichie ou qui est susceptible de s’enrichir à la suite d’une infraction au titre des articles 255 [...] du code pénal ainsi que de toute infraction commise, pour le compte ou à l’initiative d’un groupe criminel organisé, par :

1. une personne ayant le pouvoir d’engager la personne morale ;

2. une personne représentant la personne morale ;

3. une personne élue à un organe de contrôle ou de surveillance de la personne morale, ou

4. [...] un travailleur ou un employé à qui la personne morale a attribué une tâche particulière, lorsque l’infraction a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de cette tâche, est punie d’une sanction pécuniaire au moins égale à la valeur de l’avantage, jusqu’à un maximum de 1000000 BGN, lorsqu’il s’agit d’un avantage patrimonial [...].

[...]

(4) [...] La sanction pécuniaire est infligée indépendamment de l’engagement effectif de la responsabilité pénale des personnes ayant participé à l’infraction visée au paragraphe 1.

(5) [...] L’avantage direct ou indirect que la personne morale a tiré de l’infraction visée au paragraphe 1 est saisi au profit de l’État s’il ne doit pas être restitué ou remboursé, ou bien il est saisi conformément au code pénal. Lorsque le bien ou l’actif qui est l’objet de l’infraction a disparu ou a été cédé, c’est un montant correspondant à sa valeur en leva (BGN) qui est octroyé.

[...]

Article 83b. [...] La procédure visée à l’article 83а est engagée, sur proposition motivée du procureur compétent pour examiner l’affaire ou le dossier relatif à l’infraction en cause, devant l’Okrazhen sad (tribunal régional, Bulgarie) du lieu du siège de la personne morale et, dans les cas visés à l’article 83а, paragraphe 2, devant le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) :

1. [...] Après le dépôt devant le tribunal de l’acte d’accusation, de l’ordonnance proposant d’exonérer l’auteur de l’infraction de la responsabilité pénale et de lui infliger une sanction administrative, ou de l’accord de négociation de peine ;

[...]

(2) La proposition doit :

1. contenir une description de l’infraction, indiquer les circonstances dans lesquelles elle a été commise et faire apparaître l’existence d’un lien direct entre l’infraction et l’avantage pour la personne morale ;

2. indiquer la nature et la valeur de l’avantage ;

[...]

5. indiquer les données personnelles des personnes accusées de l’infraction ou condamnées pour cette dernière ;

6. contenir une liste des documents écrits établissant les circonstances visées aux points 1 et 2, ou des copies certifiées de ces documents ;

7. contenir une liste des personnes à convoquer ;

[...]

Article 83d. [...]

[...]

(2)   Le tribunal, siégeant en formation à juge unique, examine la proposition en audience publique à laquelle le ministère public prend part et la personne morale est convoquée.

(3)   La non-comparution du représentant de la personne morale, lorsque la convocation a été régulière, ne fait pas obstacle à ce que le tribunal connaisse de l’affaire.

(4)   Le tribunal recueille les éléments de preuve d’office ou à la demande des parties.

(5)   Le tribunal examine l’affaire et, sur la base des éléments de preuve recueillis, apprécie :

1. si la personne morale en cause a obtenu un avantage illicite ;

2. s’il existe un lien entre l’auteur de l’infraction et la personne morale ;

3. s’il existe un lien entre l’infraction et l’avantage obtenu par la personne morale ;

4. quelles sont la nature et la valeur de l’avantage, et si ce dernier est patrimonial.

(6)   Le tribunal statue au moyen d’une décision par laquelle :

1. il inflige une sanction pécuniaire, [ou]

2. il refuse d’infliger une sanction pécuniaire.

[...]

Article 83e. [...] (1) La décision de l’Okrazhen sad (tribunal régional) au titre de l’article 83d, paragraphe 6, peut être contestée par un recours [de la personne sanctionnée] ou par une réclamation (« protest ») [du ministère public] devant l’Apelativen sad (Cour d’appel, Bulgarie), dans un délai de 14 jours à compter de sa notification aux parties.

[...]

Article 83f. [...] (1) La procédure par laquelle l’Okrazhen sad (tribunal régional) ou l’Apelativen sad (Cour d’appel) ont rendu une décision définitive peut être rouverte quand :

1. il est établi par une sentence ou un jugement revêtant l’autorité de la chose jugée que certaines des preuves écrites sur la base desquelles la décision avait été rendue sont des faux ou contiennent de fausses informations ;

2. il est établi par une sentence ou un jugement revêtant l’autorité de la chose jugée que le juge, le ministère public, une partie ou un intervenant dans la procédure a commis une infraction en rapport avec sa participation à la procédure ;

3. après l’entrée en vigueur de la décision d’infliger à la personne morale une sanction pécuniaire, la personne visée à l’article 83а, paragraphe 1, points 1 à 4, a été acquittée par une décision juridictionnelle ayant acquis l’autorité de la chose jugée, ou bien le ministère public a mis fin à la procédure préliminaire suspendue dans les cas visés à l’article 24, paragraphe 1, point 1, du code de procédure pénale ;

4. sont révélées, postérieurement à l’entrée en vigueur de la décision, des circonstances ou preuves qui n’étaient pas connues de la partie et du tribunal et qui revêtent une importance significative aux fins de l’affaire ;

5. une décision de la Cour européenne des droits de l’homme [(ci-après la « Cour EDH »)] a constaté une violation de la [CEDH] qui revêt une importance significative aux fins de l’affaire ;

6. une violation substantielle des règles de procédure a été commise au cours de la procédure.

(2) La demande de réouverture peut être introduite dans un délai de six mois à compter de la connaissance du fait générateur et, dans les cas visés au paragraphe 1, point 6, à compter de l’entrée en vigueur de la décision de l’Okrazhen sad (tribunal régional) ou de l’Apelativen sad (Cour d’appel).

(3) La demande de réouverture ne suspend pas l’exécution de la décision entrée en vigueur, sauf si le tribunal en décide autrement.

(4) Peuvent introduire une demande de réouverture de la procédure :

1. le procureur du parquet régional ;

2. la personne morale à laquelle une sanction pécuniaire a été infligée.

[...]

(7) L’affaire est examinée en audience publique avec la participation du ministère public. La personne morale est également convoquée à l’audience.

(8) Lorsqu’il estime que la demande est fondée, l’Apelativen sad (Cour d’appel) annule la décision et renvoie l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau, en indiquant l’acte procédural à partir duquel l’examen doit être repris.

Article 83g. Pour les questions qui ne sont pas réglées par les articles 83b et 83d à 83f, les dispositions du code de procédure pénale sont applicables. »

5.

L’article 255, paragraphe 1, du Nakazatelen kodeks (code pénal bulgare, ci-après « le code pénal ») dispose :

« (1)   Quiconque évite la fixation ou le paiement de dettes fiscales de montants élevés, en ce qu’il :

[...]

2. fournit des informations mensongères ou dissimule la vérité dans la déclaration qu’il a introduite ;

3. omet d’émettre une facture ou un autre document comptable ;

[...]

est puni d’une peine d’emprisonnement d’un à six ans et d’une amende allant jusqu’à 2000 BGN. »

II. Le litige au principal et les questions préjudicielles

6.

ZK est la gérante et représentante de la société Delta Stroy 2003 EOOD (ci-après « Delta Stroy ») établie à Burgas (Bulgarie). En cette qualité, le 5 août 2019, ZK a été inculpée pour avoir évité, dans des conditions d’infraction continue, la fixation et le paiement de dettes fiscales de montants s’élevant à un total de 11388,98 BGN (environ 5808,38 EUR) correspondant à la TVA due au sens de la loi bulgare sur la TVA, pour les trois périodes fiscales de mars, avril et juillet 2009. Cette infraction est visée à l’article 255, paragraphe 1, points 2 et 3, du code pénal. La procédure pénale contre ZK est pendante en première instance devant l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.

7.

Le 9 décembre 2020, le procureur a proposé devant la même juridiction, dans le cadre d’une procédure distincte, que soit infligée une sanction pécuniaire à Delta Stroy, sur le fondement des articles 83a et suivants de la ZANN, au motif qu’elle a perçu un avantage patrimonial tiré de l’infraction, visée à l’article 255, paragraphe 1, points 1 et 2, du code pénal, commise par ZK. À cette proposition était joint l’acte d’accusation concernant cette dernière.

8.

La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité de la procédure des articles 83a et suivants de la ZANN lui permettant d’infliger à une personne morale une sanction pécuniaire pour une infraction faisant l’objet d’une procédure pénale parallèle, dirigée contre la personne physique la représentant, qui n’a pas encore été définitivement clôturée, avec la décision-cadre 2005/212/JAI ( 5 ) et avec le principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49 de la Charte, ce dernier devant être interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 7 de la CEDH.

9.

En premier lieu, cette juridiction considère que le fait d’infliger à une personne morale, en raison de la commission d’une infraction, une sanction pécuniaire correspondant à l’avantage que cette personne a tiré ou pourrait tirer de cette infraction constitue une confiscation de tout ou partie des produits de l’infraction en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212. En effet, la procédure en cause au principal aurait pour objet l’imposition d’une peine appelée « sanction pécuniaire » à une personne morale, en raison d’une infraction concrète commise par son représentant. En outre, dès lors qu’il s’agit d’une privation permanente (confiscation) du bien, ordonnée par un tribunal pénal en relation avec l’infraction qui a été commise, et que l’article 83g de la loi sur les infractions et sanctions administratives renvoie au code de procédure pénale, cette procédure présenterait toutes les caractéristiques d’une procédure « pénale » et non d’une procédure « civile ».

10.

En deuxième lieu, la juridiction du renvoi rappelle que l’article 49 de la Charte consacre le principe de légalité des délits et des peines, lequel contient une interdiction d’infliger une sanction avant que la commission de l’infraction n’ait été établie. Or, elle constate que la question préalable de savoir si l’infraction a été commise n’apparaît pas dans la liste de tous les éléments que le juge pénal doit apprécier en vertu de l’article 83d, paragraphe 5, de la ZANN. La procédure en cause ouvrirait, en pratique, la possibilité d’infliger à une société une sanction fondée uniquement sur les éléments de l’accusation portée pour une infraction particulière, commise par la gérante et représentante de cette société, dont la commission n’a pas été établie au moyen d’une décision de justice passée en force de chose jugée, laquelle était requise sous l’empire de l’ancienne législation.

11.

En troisième lieu, la juridiction du renvoi explique que la question qui se pose dans la présente affaire revêt une grande importance dans le contexte de la décision-cadre 2006/783/JAI ( 6 ), dans la mesure où la législation nationale permet d’infliger une sanction pécuniaire à une personne morale qui n’a pas son siège sur le territoire de la République de Bulgarie.

12.

Dans ces conditions, l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Convient-il d’interpréter les articles 4 et 5 de la décision-cadre [2005/212] ainsi que l’article 49 de la [Charte] en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le juge national peut, dans une procédure comme celle au principal, infliger à une personne morale une sanction pour une infraction concrète, dont la commission n’a pas encore été établie puisqu’elle fait l’objet d’une procédure pénale parallèle non encore définitivement clôturée ?

2)

Convient-il d’interpréter les articles 4 et 5 de la décision-cadre [2005/212] ainsi que l’article 49 de la [Charte] en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le juge national peut, dans une procédure comme celle au principal, infliger à une personne morale une sanction en fixant comme montant de cette sanction la valeur de l’avantage qui pourrait être tiré d’une infraction concrète, dont la commission n’a pas encore été établie puisqu’elle fait l’objet d’une procédure pénale parallèle non encore définitivement clôturée ? »

III. La procédure devant la Cour

13.

La Commission européenne a déposé des observations écrites.

IV. Analyse

A.   Sur le cadre juridique

14.

La juridiction de renvoi a posé les questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 relatifs aux voies de recours et au respect des droits fondamentaux des personnes affectées en partant de la prémisse selon laquelle cette norme est applicable au litige au principal, ce que conteste la Commission. Dès lors que l’applicabilité des dispositions de la décision-cadre 2005/212 suscite une difficulté, il convient de vérifier si une situation telle que celle qui est décrite par la décision de renvoi relève du champ d’application de cette norme ( 7 ).

1. Sur l’applicabilité de la décision-cadre 2005/212

15.

Il importe, d’abord, de souligner que la directive 2014/42/UE ( 8 ) a partiellement remplacé la décision-cadre 2005/212, laquelle porte, tout comme cette directive, sur la confiscation des instruments et des produits du crime. En effet, conformément au considérant 9 de ladite directive, celle-ci vise notamment à modifier et à étendre les dispositions de cette décision-cadre. Plus précisément, il ressort de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2014/42 que celle-ci a remplacé uniquement les quatre premiers tirets de l’article 1er ainsi que l’article 3 de la décision-cadre 2005/212 pour les États membres que cette directive lie, ce qui a eu pour conséquence que les articles 2, 4 et 5 de cette décision-cadre ont été maintenus en vigueur après l’adoption de ladite directive ( 9 ).

16.

La décision-cadre 2005/212 prévoit, à son article 2, paragraphe 1, que « [c]haque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits ». En l’occurrence, l’infraction de soustraction à la fixation ou au paiement de dettes fiscales en cause au principal est passible d’une peine d’emprisonnement de un à six ans et d’une amende, conformément à l’article 255, paragraphe 1, du code pénal.

17.

S’agissant de la définition de la notion de « confiscation », il y a lieu de se référer, ainsi qu’il ressort du point 15 des présentes conclusions, aux termes de l’article 2, point 4, de la directive 2014/42, indépendamment du fait que cette dernière n’est pas applicable ratione materiae dans la présente affaire en vertu de son article 3 établissant la liste des infractions pénales concernées. Cette notion de « confiscation » s’entend comme la « privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale », c’est-à-dire la dépossession définitive du droit de propriété sur celui-ci ( 10 ).

18.

En outre, selon l’article 2, points 1 et 2, de la directive 2014/42, un « produit » correspond à tout avantage économique tiré, directement ou indirectement, d’infractions pénales et peut consister en tout type de bien, corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur ce bien. Une somme d’argent peut bien évidemment faire l’objet d’une confiscation, mais à la condition qu’elle puisse être considérée comme étant le fruit de l’infraction pour laquelle son auteur a été condamné.

19.

Si les notions de « confiscation » et de « sanction pécuniaire » ont pour point commun de trouver leur origine dans la commission d’une infraction, la seconde mesure se distingue de la première en ce qu’elle n’a pas pour objet la neutralisation du produit criminel. La sanction pécuniaire a pour fonction de punir et de dissuader et peut être prononcée indépendamment de l’existence de tout avantage lié à l’infraction, en sus de la confiscation de ce dernier et pour un montant inférieur, égal ou supérieur à celui-ci.

20.

Je relève, à cet égard, que le droit de l’Union opère une distinction claire entre la notion de « confiscation » et celle de « sanction pécuniaire ». Ainsi que cela ressort en particulier de ses articles 1er et 6 ainsi que de ses considérants 1 et 2, la décision-cadre 2005/214/JAI ( 11 ) a pour objectif de mettre en place un mécanisme efficace de reconnaissance et d’exécution transfrontalières des décisions infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou à une personne morale à la suite de la commission de l’une des infractions énumérées à l’article 5 de celle-ci ( 12 ). L’article 1er, sous b), point i), de la décision-cadre 2005/214 définit la notion de « sanction pécuniaire » comme toute obligation de payer une somme d’argent après condamnation pour une infraction, imposée dans le cadre d’une décision en matière pénale, et précise qu’elle ne couvre pas, notamment, les décisions de confiscation des instruments ou des produits du crime.

21.

En ce qui concerne la réglementation nationale en cause au principal, force est de constater qu’elle procède à une même distinction puisque, outre des dispositions concernant la sanction pécuniaire, elle comporte un article spécifique relatif à la privation de l’avantage illicite. L’article 83a, paragraphe 5, de la ZANN prévoit ainsi que l’avantage direct ou indirect que la personne morale a tiré de l’infraction visée au paragraphe 1 est saisi au profit de l’État s’il ne doit pas être restitué ou remboursé, ou bien il est saisi conformément au code pénal. Or, il est constant que la proposition du ministère public n’a pour seul objet que le prononcé d’une sanction pécuniaire, telle que visée à l’article 83a, paragraphes 1 à 4, de cette loi ( 13 ).

22.

De surcroît, selon les propres indications fournies par la juridiction de renvoi, la législation nationale permet que la sanction pécuniaire soit infligée même lorsqu’aucun avantage n’a été effectivement obtenu ou encore lorsque l’avantage n’est pas de nature patrimoniale, et que la procédure visée aux articles 83a et suivants de la ZANN ne se concentre pas exclusivement sur les biens acquis illégalement ( 14 ). Il ressort de l’article 83a, paragraphe 1, de cette loi que la sanction pécuniaire qui peut être imposée peut dépasser la valeur de l’avantage obtenu pour atteindre un montant maximal de 1000000 BGN (environ 510000 EUR), ce qui correspond en l’occurrence à la proposition du procureur, alors que l’avantage illicite est évalué à 11388,98 BGN.

23.

Dans ces circonstances, le fait que la sanction pécuniaire puisse être égale à l’avantage que la personne morale a tiré ou pourrait tirer de l’infraction concernée ne permet pas, à lui seul, de considérer cette mesure comme constituant une confiscation de tout ou partie des produits de l’infraction, au sens de la décision-cadre 2005/212 et de la directive 2014/42. J’estime, dès lors, que la décision-cadre 2005/212 n’est pas applicable dans le litige au principal, ce qui exclut toute pertinence, en l’espèce, de la décision-cadre 2006/783 évoquée par la juridiction de renvoi. Il convient, en revanche, d’examiner l’applicabilité de l’article 49 de la Charte, également mentionné dans les deux questions préjudicielles.

2. Sur l’applicabilité de la Charte

24.

Il convient de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel ses dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ( 15 ).

25.

Il est de jurisprudence constante que des sanctions administratives infligées par les autorités fiscales nationales et des procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA constituent une mise en œuvre des articles 2 et 273 de la directive 2006/112/CE ( 16 ) ainsi que de l’article 325 TFUE et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ( 17 ). En l’occurrence, dans la mesure où la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée à la société Delta Stroy en vertu de l’article 83a de la ZANN est liée à des manquements de sa gérante et représentante à ses obligations déclaratives en matière de TVA, à l’origine des poursuites pénales dirigées contre celle-ci, les dispositions de la Charte trouvent à s’appliquer conformément à cette jurisprudence.

26.

Reste que, l’article 49 de la Charte consacrant le principe de légalité des délits et des peines, il y a lieu de déterminer si le régime de sanctions en cause au principal revêt une nature pénale. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière de ces critères, si les sanctions prévues par la réglementation nationale en cause au principal présentent une nature pénale au sens de l’article 49 de la Charte, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut toutefois apporter des précisions visant à guider cette juridiction dans son appréciation ( 18 ).

27.

À cet égard, il est constant que la sanction pécuniaire en cause se rattache à une infraction prévue et réprimée par l’article 255 du code pénal, sur le fondement duquel la représentante de la société Delta Stroy fait l’objet de poursuites pénales, et est définie aux articles 83a et suivants de la ZANN, dispositions relevant d’un chapitre 4 intitulé « Sanctions administratives à caractère pénal à l’encontre des personnes morales et des entrepreneurs individuels ». La sanction est prononcée par un juge pénal au terme d’une procédure régie par les articles 83b et 83d à 83f de la ZANN, l’article 83g de celle-ci prévoyant que, pour les questions non réglées par ces dispositions, le code de procédure pénale trouve à s’appliquer.

28.

Selon les indications de la juridiction de renvoi, la sanction pécuniaire vise à punir et à dissuader la commission de l’infraction et non à réparer le préjudice causé par celle-ci, ce qui caractérise une finalité répressive constituant le propre d’une sanction pénale au sens de l’article 49 de la Charte ( 19 ). Quant à la sévérité de cette sanction et ainsi qu’il a été précisé, le montant maximal de celle-ci s’élève à 1000000 BGN (environ 510000 EUR), ce qui conforte l’analyse selon laquelle elle est de nature pénale au sens de l’article 49 de la Charte ( 20 ).

29.

Par conséquent, le régime de sanction prévu par la réglementation nationale en cause au principal revêt, à mon sens, une nature pénale et peut ainsi être apprécié au regard des droits fondamentaux garantis par la Charte et, notamment, du principe de légalité des délits et des peines énoncé à l’article 49 de la Charte.

B.   Sur la première question préjudicielle

30.

Il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions ( 21 ).

31.

Dans ces conditions, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer, conformément à la jurisprudence susmentionnée, que, par sa première question, cette juridiction demande, en substance, si les articles 47, 48 et 49 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le juge peut infliger à une personne morale une sanction pécuniaire pour une infraction pénale commise par la personne physique qui la représente, mais avant même toute condamnation pénale définitive de cette dernière, et sous réserve de l’exercice par la personne morale, une fois sanctionnée, d’un recours en cas d’abandon par le ministère public des poursuites dirigées contre cette personne physique ou d’acquittement de celle-ci par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée.

32.

Par ailleurs, si la CEDH ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union, il convient toutefois de rappeler que, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. L’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qui dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère cette convention, vise à assurer la cohérence nécessaire entre ces droits respectifs sans porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour ( 22 ).

33.

Il ressort des explications relatives à la Charte – lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation – que les articles 47 et 48 de la Charte assurent, dans le droit de l’Union, la protection conférée par les articles 6 et 13 de la CEDH ( 23 ). S’agissant de l’article 49 de la Charte, il correspond à l’article 7 de la CEDH.

1. Sur les garanties fondamentales reconnues aux personnes morales

34.

Ainsi qu’il a été indiqué, le principe de la reconnaissance de droits fondamentaux aux personnes morales est désormais acquis ( 24 ) au bénéfice d’une construction prétorienne qui, dans un premier temps, a trouvé dans le domaine économique, et plus particulièrement celui de la concurrence, un terrain d’expression fertile, les effets de la réglementation y afférente intéressant au premier chef les sociétés commerciales. Dans le contentieux de la répression des infractions au droit de la concurrence, qui ne relève pas stricto sensu de la matière pénale, la Cour a fait application des principes essentiels du droit pénal et des garanties fondamentales inscrites à l’article 6 de la CEDH ( 25 ) au profit des personnes morales requérantes. La Cour a ainsi admis, comme l’a souligné l’avocat général Bot ( 26 ), l’applicabilité du principe de la responsabilité personnelle et le corollaire de celui-ci, à savoir le principe de la personnalité des peines et des sanctions, sur lequel est fondée l’imputabilité des ententes illicites ( 27 ).

35.

De même, la Cour a jugé que le principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, fait partie des droits fondamentaux et que, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, il s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes ( 28 ). Je rappelle que la présomption d’innocence vise à garantir à toute personne qu’elle ne sera pas désignée ni traitée comme coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie par un tribunal ( 29 ).

36.

La Cour a également fait application de ce principe, qui est énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte ( 30 ), dans le cadre de la détermination des éléments objectifs constitutifs d’une infraction prévue par le droit de l’Union, en l’occurrence les opérations d’initiés, susceptible de conduire à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal ( 31 ). C’est encore ce même principe, ainsi que celui de la personnalité des peines, dont la Cour assure le respect ( 32 ) à l’occasion de l’imputation à la société mère de l’infraction commise par sa filiale aux règles de la concurrence, fondée sur la notion d’« unité économique » et sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la première sur la politique commerciale de la seconde au regard des liens capitalistiques les unissant ( 33 ).

37.

S’agissant précisément du recours à un mécanisme de présomption et intégrant la jurisprudence de la Cour EDH ( 34 ), la Cour a indiqué que, si tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit, l’article 48 de la Charte oblige les États membres à ne pas dépasser, en matière pénale, un certain seuil. Plus concrètement, le principe de la présomption d’innocence, consacré à cette disposition, impose aux États membres d’enserrer dans des limites raisonnables les présomptions de fait ou de droit qui figurent dans les lois répressives, en prenant en compte la gravité de l’enjeu et en préservant les droits de la défense ( 35 ).

38.

Il importe de souligner que les droits de la défense font partie des divers éléments constituant le principe de protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte ( 36 ). Ce dernier énonce, à son premier alinéa, que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif, dans les conditions prévues à cet article. À ce droit correspond l’obligation faite aux États membres, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ( 37 ). Après avoir relevé que le droit à un recours effectif devant un tribunal, consacré par l’article 47 de la Charte, se trouve sous le titre VI de celle-ci, relatif à la justice, dans lequel sont consacrés d’autres principes procéduraux qui trouvent à s’appliquer aux personnes tant physiques que morales ( 38 ), la Cour a dit pour droit que le principe de protection juridictionnelle effective doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas exclu qu’il soit invoqué par des personnes morales, ces dernières pouvant, à cet égard, se voir octroyer, sous certaines conditions, l’aide juridictionnelle ( 39 ).

39.

En conclusion, je considère que, dans la mesure où, comme en l’espèce, la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée à une personne morale est relative à une infraction pénale et présente un caractère pénal, la procédure afférente à cette sanction relève du champ d’application des articles 6 et 7 de la CEDH et cette personne est ainsi fondée à se prévaloir des droits fondamentaux consacrés aux articles 47 à 49 de la Charte, les autorités des États membres devant, en conséquence, assurer le respect de ces droits ( 40 ).

40.

C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner la compatibilité de la réglementation nationale en cause au principal.

2. Sur la compatibilité de la réglementation nationale en cause au regard de l’emploi d’un double mécanisme de présomption

a) Observations liminaires

41.

Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi exprime ses doutes quant à la compatibilité avec le droit de l’Union de la réglementation nationale en se référant à l’arrêt G.I.E.M. s.r.l et autres c. Italie ( 41 ), dans lequel la Cour EDH a jugé que l’article 7 de la CEDH s’oppose à ce qu’une sanction de nature pénale puisse être imposée à une personne sans que soit établie et déclarée au préalable sa responsabilité pénale personnelle, ce qui implique la constatation par le tribunal saisi de la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction concernée. En cas contraire, la présomption d’innocence garantie par l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH serait, elle aussi, méconnue.

42.

Il me semble nécessaire, en premier lieu, de souligner que la juridiction de renvoi n’a pas appréhendé correctement la portée de l’arrêt susmentionné. La Cour EDH a exigé une déclaration préalable de responsabilité pénale de la personne sanctionnée, respectant les garanties prévues par l’article 7 de la CEDH et résultant d’une procédure, non obligatoirement pénale, conforme aux exigences de l’article 6 de cette convention. Dans ce cadre spécifique, elle a considéré, dans l’affaire soumise, que la constatation par les juridictions nationales de tous les éléments constitutifs de l’infraction en cause pouvait s’analyser, en substance, en une telle déclaration et donc en une condamnation au sens de l’article 7 de la CEDH ( 42 ).

43.

La Cour EDH a certes rappelé, au visa de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7 de la CEDH, qui ont en commun de protéger le droit de toute personne de ne pas se voir infliger une peine sans que sa responsabilité personnelle ait été dûment établie, l’interdiction de punir une personne pour une infraction commise par une autre. En l’occurrence, elle a estimé que la mesure de confiscation appliquée à des personnes morales, qui ne sont pas parties à la procédure en tant qu’elles ne peuvent légalement commettre une infraction pénale, conduisait à une violation du principe selon lequel on ne peut sanctionner une personne pour un acte engageant la responsabilité pénale d’autrui. Outre le fait que l’appréciation à laquelle se livre la Cour EDH est évidemment très dépendante des circonstances de l’espèce, lesquelles sont singulièrement différentes de la présente affaire, il me paraît important de relever que la juridiction de renvoi a, également et surtout, omis de prendre en compte le rappel préalable par la Cour EDH du recours possible à des présomptions, y compris sur le terrain de l’article 7 de la CEDH, et donc à des présomptions de responsabilité ( 43 ).

44.

J’observe, en second lieu, que les compétences du juge saisi sont définies à l’article 83d, paragraphe 5, de la ZANN, à savoir vérifier si la personne morale en cause a obtenu un avantage illicite, s’il existe un lien entre l’auteur de l’infraction et la personne morale ainsi qu’entre l’infraction et l’avantage obtenu par cette personne morale et, enfin, établir la valeur et la nature patrimoniale de l’avantage illicite. En considérant qu’elle est dépourvue de compétence pour vérifier la commission de l’infraction fiscale, laquelle est traitée dans la procédure pénale parallèle engagée contre ZK, la juridiction de renvoi procède à une interprétation stricte de cet article qui n’est pas partagée par la Commission. Cette dernière soutient que la constatation de l’existence d’un avantage « illicite » fait partie des prérogatives du juge et que la caractérisation de ce dernier qualificatif autorise nécessairement un débat sur la matérialité de l’infraction. Il convient, toutefois, de rappeler que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, s’il incombe à la Cour d’interpréter les dispositions du droit de l’Union, il appartient à la seule juridiction de renvoi d’interpréter la législation nationale. La Cour doit donc s’en tenir à l’interprétation du droit national telle qu’elle lui a été exposée par cette juridiction ( 44 ).

45.

Cela étant dit, il y a lieu d’apprécier la compatibilité de la procédure prévue aux articles 83a et suivants de la ZANN qui repose sur un double mécanisme de présomption, étant rappelé que, s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre de la procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions du droit national avec les règles de droit de l’Union, elle est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant de ce droit qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle conformité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie ( 45 ).

b) Sur la présomption d’imputation de l’infraction à la personne morale

46.

S’agissant du régime de responsabilité pénale des personnes morales retenu par la réglementation bulgare, force est de constater qu’il s’agit d’une responsabilité spéciale, limitée aux infractions pour lesquelles elle est prévue, conçue à partir d’un modèle représentatif. Le juge pénal saisi ne peut ainsi reprocher directement une infraction à la personne morale concernée, la responsabilité de cette dernière étant « arrimée » à celle d’une personne physique identifiée, dont il est considéré que, eu égard à sa situation, elle a agi pour le compte de la personne morale, bénéficiaire potentiel ou avéré d’un avantage patrimonial ayant pour origine un comportement infractionnel. L’infraction, en l’occurrence présumée commise par cette personne physique, peut donc être reprochée à la personne morale et justifier l’engagement de sa responsabilité, sans que doive être établie une faute distincte à sa charge.

47.

Cette responsabilité de la personne morale s’apparente à une responsabilité indirecte ou par ricochet, en soulignant le fait que cette personne morale ne peut agir que par l’intermédiaire de personnes physiques capables de l’engager. Une telle qualification, qui serait de nature à heurter l’article 7 de la CEDH et l’article 49 de la Charte, consacrant le principe de la personnalité des peines, n’est cependant pas appropriée pour une responsabilité fondée sur la technique de la représentation. En effet, la personne physique concernée n’est pas autrui par rapport à la personne morale, mais est la personne morale, à laquelle elle s’identifie. Cette dernière sera pénalement responsable en qualité d’auteur de l’infraction commise pour son compte par une personne physique capable de l’engager et ayant réalisé les éléments constitutifs de l’infraction. Il s’agit d’une responsabilité du fait personnel par représentation, et non de substitution ( 46 ).

48.

Par ailleurs, force est de constater que, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle présentant un caractère contradictoire, la personne morale a la possibilité de renverser cette présomption d’imputation de l’infraction, révélant ainsi son caractère réfragable exigé par la Cour ( 47 ). La Cour EDH a considéré que, en ce qui concerne l’emploi de présomptions de fait ou de droit en matière pénale, les États ne doivent pas dépasser un certain seuil, en l’occurrence dépassé quand une présomption a pour effet de priver une personne de toute possibilité de se disculper par rapport aux faits mis à sa charge, la privant ainsi du bénéfice du principe de la présomption d’innocence ( 48 ).

49.

Il convient, à cet égard, de relever que la proposition de sanction présentée par le procureur doit contenir un certain nombre d’éléments, définis à l’article 83b, paragraphe 2, de la ZANN, lesquels attestent de la charge de la preuve pesant sur le ministère public, s’agissant notamment de la nature et de la valeur de l’avantage, ainsi que de l’existence d’un lien direct entre l’infraction et cet avantage. La personne morale concernée, qui doit être convoquée à l’audience publique d’examen de cette proposition, a la possibilité de contester cette dernière dans le cadre de l’exercice de ses droits de la défense. L’étendue du contrôle juridictionnel, telle que définie à l’article 83d, paragraphe 5, de la ZANN, démontre en effet le caractère réfragable de la présomption d’imputation de l’infraction, le juge devant apprécier, entre autres éléments et sur le fondement des preuves recueillies d’office ou à la demande des parties, l’existence d’un lien entre l’auteur de l’infraction et la personne morale ( 49 ). Il apparaît ainsi que le tribunal saisi dispose de la compétence pour examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi ( 50 ).

c) Sur la présomption de commission de l’infraction

50.

Il ressort de la réglementation bulgare que le juge pénal peut être saisi au moyen d’une proposition du procureur comportant l’indication des données personnelles des personnes « accusées » de l’infraction et qu’il peut infliger une sanction pécuniaire à une personne morale « indépendamment de l’engagement effectif de la responsabilité des personnes [physiques] ayant participé à l’infraction » ( 51 ). Il apparaît ainsi que la personne morale peut être sanctionnée pénalement pour une infraction présumée commise par la personne physique capable de l’engager, sans que le juge compétent, en première instance ou en appel ( 52 ), puisse apprécier la réalité de cette infraction, question réservée au jugement de cette seconde personne, ni suspendre la procédure dans l’attente de ce jugement ( 53 ).

51.

Il peut certes être relevé que la proposition du procureur doit contenir une description de l’infraction précisant les circonstances dans lesquelles elle a été commise et une liste de documents écrits établissant ces circonstances, ce qui est de nature à apporter la preuve de faits qui, par leur apparence, rendent raisonnablement vraisemblable l’imputabilité ( 54 ). En outre et surtout, l’article 83f de la ZANN prévoit une possibilité de réouverture de la procédure, à l’initiative notamment de la personne morale sanctionnée, en cas d’abandon par le ministère public des poursuites dirigées contre cette personne physique, lorsque l’acte n’a pas été commis ou ne constitue pas une infraction ( 55 ), ou d’acquittement de celle-ci par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ( 56 ). La juridiction ainsi saisie peut, à l’issue d’une procédure contradictoire et si elle estime que la demande de réouverture est fondée, annuler la décision de sanction ( 57 ). La présomption de commission de l’infraction peut donc être renversée.

52.

Toutefois, force est de constater que la personne morale concernée est susceptible de faire l’objet d’une décision de condamnation définitive ( 58 ), suivie d’une mise à exécution, sans avoir la possibilité de faire valoir ses observations quant à la commission de l’infraction fiscale qui lui est imputée avant l’adoption de cette décision objectivement préjudiciable, ce qui est de nature à heurter le respect des droits de la défense ( 59 ).

53.

De surcroît, la réouverture de la procédure susmentionnée constitue une mise en œuvre d’une voie de recours extraordinaire, représentant une continuation de la première procédure ( 60 ), dont le déclenchement est lié à un événement aléatoire quant à sa survenance d’un point de vue temporel. Il est concevable que la décision d’acquittement de la personne physique poursuivie ne puisse intervenir qu’après l’exercice de voies de recours, ce qui rallongera d’autant la durée de cette procédure. Aussi longtemps que dure la procédure pénale dirigée contre le représentant de la société, comme en l’espèce, cette dernière se trouve effectivement privée de la possibilité d’introduire la demande de réouverture auprès d’une juridiction ayant la compétence de constater l’absence de commission de l’infraction qui lui a été imputée et, par là même, le caractère infondé de la sanction pénale infligée. Or, l’accès à une telle juridiction ne doit pas être soumis à des conditions qui le rendent excessivement difficile ( 61 ), la personne morale concernée ne pouvant être privée de la possibilité susmentionnée au-delà d’un délai raisonnable. Une telle situation est de nature à entrer en contradiction avec le droit d’accès à un tribunal ( 62 ).

54.

Reste que le droit d’accès à un tribunal et le principe du respect des droits de la défense ne constituent pas des prérogatives absolues, mais peuvent, sous certaines conditions, comporter des restrictions ( 63 ).

d) Sur la limitation des garanties fondamentales

55.

L’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits et des libertés garantis par celle-ci à condition, premièrement, que ces limitations soient prévues par la loi ; deuxièmement, qu’elles respectent le contenu essentiel des droits et des libertés en cause, et, troisièmement, que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui ( 64 ). À cet égard, je rappelle que la Cour exige que le recours à des présomptions de fait ou de droit en matière pénale soit circonscrit dans des « limites raisonnables », prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense. Selon la Cour EDH, les États doivent ménager un équilibre entre ces deux éléments ; en d’autres termes, les moyens employés doivent être raisonnablement proportionnés au but légitime poursuivi ( 65 ).

56.

Je relève, en premier lieu, qu’il ressort de la décision de renvoi que la base légale du régime de responsabilité de la personne morale pour l’infraction fiscale en cause est établie aux articles 83a et suivants de la ZANN, de telle sorte qu’il doit être considéré comme étant prévu par la législation nationale. En deuxième lieu, ce régime respecte, selon moi, le contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, s’agissant de ses deux éléments constitutifs que sont le respect des droits de la défense et le respect du droit d’accès à un tribunal. En effet, ledit régime ne remet pas en cause ces droits en tant que tels. Seul un cadre procédural incluant la mise en œuvre d’une voie de recours extraordinaire est imposé afin d’exercer pleinement ceux-ci ( 66 ).

57.

En troisième lieu, le régime de responsabilité de la personne morale prévu aux articles 83a et suivants de la ZANN me paraît répondre à un objectif d’intérêt général. Nonobstant l’absence de précisions de la décision de renvoi, il est, en effet, possible de considérer qu’un tel régime relève de la mise en œuvre de l’obligation, pesant sur chaque État membre, de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur son territoire et à lutter contre la fraude ( 67 ). L’article 325, paragraphe 1, TFUE oblige ainsi les États membres à lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures effectives et dissuasives. Il convient de rappeler à cet égard que, les ressources propres de l’Union comprenant notamment, en vertu de l’article 2, sous b), de la décision 2007/436/CE, Euratom ( 68 ), les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA déterminée selon les règles de l’Union, un lien direct existe entre la perception des recettes provenant de la TVA dans le respect du droit de l’Union applicable et la mise à disposition du budget de l’Union des ressources TVA correspondantes, dès lors que toute lacune dans la perception des premières se trouve potentiellement à l’origine d’une réduction des secondes ( 69 ).

58.

Afin de garantir la perception intégrale de ces recettes et, ce faisant, d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, les États membres disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables, lesquelles peuvent prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux. Des sanctions pénales peuvent cependant être indispensables pour combattre de manière effective et dissuasive certains cas de fraude grave à la TVA, ainsi que l’exige l’article 2, paragraphe 1, de la convention établie sur le fondement de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 ( 70 ), lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci. Les États membres doivent également assurer que les règles de procédure pénale prévues par le droit national permettent une répression effective des infractions liées à de tels agissements. Dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, ainsi que d’assurer la protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies ( 71 ).

59.

En quatrième lieu, s’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, au regard des circonstances concrètes de l’affaire au principal, si les restrictions instituées par le régime de responsabilité bulgare ne sont pas manifestement disproportionnées par rapport au but poursuivi ( 72 ), il est possible de relever que, par principe, l’infliction de sanctions administratives ou pénales au titre de la violation d’obligations déclaratives en matière de TVA est de nature à garantir le respect de la réglementation en la matière et, partant, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi à cet égard ( 73 ).

60.

Dans le dispositif en cause, l’adoption d’une décision de sanction pécuniaire de la personne morale par le juge de première instance a pour but de garantir un déroulement rapide des procédures menées pour l’établissement et la répression d’infractions fiscales reposant sur une vraisemblance raisonnable des faits incriminés ( 74 ) et de leur imputabilité, à la personne morale et à la personne physique capable de l’engager. Cette dernière se voit directement reprocher ses agissements délictueux, ce qui évite toute déresponsabilisation, et sait qu’elle expose la personne morale à l’engagement concomitant de poursuites et au prononcé de sanctions à caractère pénal du fait de son comportement. La possibilité de sanctionner la personne morale à un stade précoce de la procédure limite le risque d’impunité, lequel peut, notamment, être lié à une organisation frauduleuse d’insolvabilité. Elle permet d’exercer une pression sur la société pour l’obliger à respecter les obligations fiscales qui lui incombent. Dans cette mesure, la réglementation nationale en cause peut, à mon sens, être considérée comme étant un instrument efficace de prévention et de répression de la délinquance des entreprises assujetties à la TVA. Un instrument d’autant plus nécessaire dans le cadre d’un système d’imposition se fondant sur les renseignements fournis par les assujettis.

61.

En outre, aucune mesure moins contraignante que ce dispositif et apte à atteindre aussi efficacement les objectifs de lutte contre la fraude à la TVA ne paraît s’imposer ( 75 ). Je relève, à cet égard, que l’ancienne version de la ZANN, conditionnant la sanction de la personne morale à la condamnation définitive de la personne physique capable de l’engager, ne me semble pas présenter les mêmes garanties d’efficacité s’agissant de la prévention du risque d’impunité et de la nécessité de réprimer, dans les meilleurs délais, une forme grave de délinquance économique, préjudiciable à l’intérêt public, mais aussi aux intérêts des entreprises concurrentes respectueuses de la législation fiscale.

62.

Enfin, il n’apparaît pas qu’il existe une disproportion manifeste entre les objectifs poursuivis et les inconvénients causés par un cadre procédural combinant une première procédure soumise à un double degré de juridiction et un recours en révision ( 76 ), sous réserve, toutefois, d’une vérification par la juridiction de renvoi de deux éléments.

63.

Premièrement, il est constant que si elle estime fondée la demande de réouverture de la procédure introduite par la personne morale, la juridiction saisie annule la décision de sanction et renvoie l’affaire pour qu’elle soit examinée à nouveau ( 77 ). Outre le fait que cette demande n’entraîne pas automatiquement la suspension de l’exécution d’une telle décision, la description de la législation nationale fournie ne comporte pas d’indication sur le sort d’éventuelles mesures d’exécution et sur un possible remboursement de la pénalité infligée consécutivement à l’annulation de la décision de sanction, lequel me paraît indispensable. Je rappelle que, dans le cadre d’une problématique voisine, la Cour a jugé que les États membres sont tenus, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union et que la demande de remboursement de la TVA indûment versée relève du droit à la répétition de l’indu, qui tend à remédier aux conséquences de l’incompatibilité de la taxe avec le droit de l’Union en neutralisant la charge économique qu’elle a fait indûment peser sur l’opérateur qui l’a, en définitive, effectivement supportée ( 78 ). En outre, les modalités de remboursement d’un excédent de TVA doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent, cela impliquant que le remboursement soit effectué dans un délai raisonnable et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne fasse courir aucun risque financier à l’assujetti ( 79 ).

64.

Secondement, il semble ressortir de la décision de renvoi que, jusqu’à la demande de réouverture de la procédure, la personne morale sanctionnée ne peut s’opposer à l’exécution forcée d’une décision porteuse de graves conséquences quant à sa santé financière, incluant un risque de faillite. Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi doit, à mon sens, vérifier si la réglementation nationale en cause permet ou n’empêche pas l’adoption de mesures provisoires, telles que la suspension de la procédure d’exécution forcée, dans les cas exceptionnels où l’urgence de la situation l’impose ( 80 ) ou, en d’autres termes, pour prévenir la survenance de conséquences négatives irrémédiables.

65.

Sous ces deux réserves, je considère que les présomptions retenues dans la réglementation nationale en cause au principal sont enserrées dans des limites raisonnables conformément à l’exigence de la Cour.

C.   Sur la seconde question préjudicielle

66.

Eu égard au constat préalable d’inapplicabilité de la décision-cadre 2005/212 et à la teneur de la réponse suggérée à la première question préjudicielle, il y a lieu, à mon sens, de reformuler la seconde question préjudicielle en ce sens que la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 49 de la Charte s’oppose à une réglementation, telle que celle en cause au principal, prévoyant que la sanction pécuniaire infligée à la personne morale est au moins égale à la valeur de l’avantage illicite.

67.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que la sévérité d’une sanction doit correspondre à la gravité de l’infraction concernée, une telle exigence découlant tant de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte que du principe de proportionnalité des peines inscrit à l’article 49, paragraphe 3, de celle-ci. Ce principe s’impose en ce qui concerne la détermination des règles relatives à l’intensité des amendes et l’appréciation des éléments pouvant entrer en ligne de compte pour la fixation de celles-ci. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que les mesures administratives ou répressives permises par une législation nationale ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation ( 81 ). S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le montant de la sanction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, il convient d’indiquer à cette juridiction certains éléments de l’affaire au principal qui sont de nature à permettre à celle-ci de déterminer si la sanction imposée est conforme au principe de proportionnalité ( 82 ).

68.

Ainsi qu’il a été exposé, la réglementation nationale en cause au principal vise, objectif légitime s’il en est, à sanctionner la fraude fiscale, en l’occurrence le fait pour ZK d’avoir frauduleusement soustrait la société Delta Stroy dont elle est la gérante et la représentante à l’établissement et au paiement de la TVA, procurant ainsi un avantage à cette société pour un montant de 11388,98 BGN. S’agissant des modalités de détermination du montant de la sanction pécuniaire, cette réglementation prévoit la possibilité pour le juge d’infliger à la société une amende « au moins égale à la valeur de l’avantage, jusqu’à un maximum de 1000000 BGN ». Le dispositif autorise ainsi des pénalités de différents niveaux à l’intérieur d’une fourchette, avec une peine plafond ou maximale exprimée forfaitairement et une peine plancher ou minimale correspondant à la reprise mécanique du montant de l’avantage illicite, le juge décidant de condamner la personne morale poursuivie étant tenu par ces quantums. De ce fait, il peut être considéré que la réglementation en cause laisse au tribunal le soin de moduler, entre les deux limites prévues, la sanction en considération de la gravité de l’infraction et de la situation de son auteur.

69.

La seule existence d’une peine plancher est-elle, toutefois, de nature à justifier la conclusion d’une méconnaissance de la nécessaire individualisation de la sanction exprimée par le principe de proportionnalité ? J’observe que, s’agissant d’une sanction administrative infligée en cas de surévaluation du montant de l’excédent de TVA, il a été constaté le caractère disproportionné d’une telle sanction, dans la mesure où le montant minimal de celle-ci ne pouvait être réduit en fonction des circonstances très spécifiques de l’espèce ( 83 ). Dans le domaine des offres illégales de jeux de hasard par machines à sous, la Cour a estimé que l’imposition d’une amende minimale par machine à sous non autorisée n’apparaît pas, en soi, comme étant disproportionnée au regard de la gravité des infractions en cause. Elle a, cependant, ajouté que, pour ce qui concerne « le montant de cette amende minimale », il incombe à la juridiction nationale, aux fins d’apprécier sa proportionnalité, de tenir compte du rapport entre le montant de l’amende susceptible d’être infligée et l’avantage économique découlant de l’infraction commise, afin de décourager les contrevenants de commettre une telle infraction, tout en s’assurant, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, que le montant minimal ainsi imposé n’est pas démesuré par rapport à cet avantage ( 84 ).

70.

Il me semble important de souligner que ces solutions et formulations sont manifestement en prise avec les circonstances particulières des affaires concernées, lesquelles se distinguent à l’évidence de la présente affaire relative à la violation d’obligations déclaratives en matière de TVA. Il peut, en outre, paraître paradoxal, pour ne pas dire contradictoire, d’une part, d’admettre la proportionnalité d’un régime de sanction incluant une amende minimale qui, par définition, a pour effet de contraindre le juge dans son appréciation du montant de l’amende et, d’autre part, de lui demander de s’en affranchir en considération des circonstances de l’espèce.

71.

Je rappelle enfin que la Cour a, de manière générale, indiqué que la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif ( 85 ), lequel implique la prise en compte de l’avantage économique issu du comportement infractionnel ( 86 ). Dans ce contexte et eu égard à l’importance que la jurisprudence de la Cour accorde, aux fins de la réalisation de l’objectif tenant à la perception de l’intégralité de la TVA, à la lutte contre les infractions en matière de TVA ( 87 ), l’existence d’un plancher minimal, pour ce type de peine que constitue l’amende ( 88 ), correspondant à l’avantage économique illicite potentiel ou effectif, ne semble pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

V. Conclusion

72.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie) :

1)

Les articles 47 à 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui, en vue de lutter contre la fraude fiscale, prévoit une présomption d’imputation à une personne morale d’une infraction pénale présumée commise pour son compte par une personne physique capable de l’engager et une sanction pécuniaire à ce titre de cette personne morale, sous réserve du droit pour celle-ci de pouvoir renverser ces présomptions dans le cadre d’un recours juridictionnel contre la décision de sanction et à condition que les modalités concrètes d’exercice de ce recours n’affectent pas de manière disproportionnée le droit à un recours effectif devant un tribunal et le respect des droits de la défense.

2)

L’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui, pour répondre à une violation de l’assujetti à ses obligations déclaratives en matière de TVA, prévoit un régime de sanctions dans le cadre duquel une amende dont le montant minimal correspond à l’avantage économique illicite retiré ou susceptible de l’être peut être infligée, à condition que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Wachsmann, P., « Droits fondamentaux et personnes morales », dans Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États membres de l’Union européenne ? Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 225-235.

( 3 ) Le droit de propriété des personnes morales est affirmé à l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), selon lequel « [t]oute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Quant à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), seuls ses articles 42 à 44 font expressément référence aux personnes morales en leur conférant des droits, à savoir le droit d’accès aux documents, le droit de saisir le Médiateur et le droit de pétition devant le Parlement européen.

( 4 ) Au titre des arrêts fondateurs, s’agissant de la Cour, voir arrêts du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, EU:C:1970:114), et du 14 mai 1974, Nold/Commission (4/73, EU:C:1974:51).

( 5 ) Décision-cadre du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (JO 2005, L 68, p. 49).

( 6 ) Décision-cadre du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation (JO 2006, L 328, p. 59).

( 7 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, McCarthy e.a (C‑202/13, EU:C:2014:2450, point 30) ; du 25 juillet 2018, Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:584, point 67), et du 12 mars 2020, VW (Droit d’accès à un avocat en cas de non-comparution) (C‑659/18, EU:C:2020:201, points 22 et 23).

( 8 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39).

( 9 ) Arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 37).

( 10 ) Arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, points 35 à 45 et 55).

( 11 ) Décision-cadre du Conseil du 24 février 2005 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO 2005, L 76, p. 16).

( 12 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 27).

( 13 ) Signalons encore que, conformément à l’article 83d, paragraphe 7, de la ZANN, la décision du tribunal contient « le montant de la sanction pécuniaire infligée » (point 3) et « la description du bien qui, le cas échéant, est confisqué au profit de l’État » (point 4).

( 14 ) Voir point 6 de la demande de décision préjudicielle.

( 15 ) Arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 30).

( 16 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

( 17 ) Arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 24 à 28), et du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, EU:C:2018:197, points 8 à 21).

( 18 ) Arrêt du 6 octobre 2021, ECOTEX BULGARIA (C‑544/19, EU:C:2021:803, points 90 et 92).

( 19 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, EU:C:2018:197, point 31).

( 20 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, ECOTEX BULGARIA (C‑544/19, EU:C:2021:803, points 94 et 95).

( 21 ) Arrêt du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 42). Si les questions posées visent l’article 49 de la Charte, la demande de décision préjudicielle se réfère également aux droits garantis à l’article 6 de la CEDH.

( 22 ) Arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, point 36).

( 23 ) Arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a. (C‑358/16, EU:C:2018:715, point 50).

( 24 ) Il est certes évident que la différence de nature entre personnes physiques et personnes morales exclut l’exercice de certains droits fondamentaux qui supposent une incarnation (par exemple, l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). Plus complexe, en revanche, est la question des contours de la jouissance de divers droits reconnus en faveur des personnes morales. La jurisprudence de la Cour révèle un traitement parfois différencié, avec une moindre intensité de la protection pour ces personnes, notamment en ce qui concerne le droit au silence [arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84)] et la protection des données à caractère personnel [arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C‑419/14, EU:C:2015:832, point 79 et jurisprudence citée)].

( 25 ) Dans le cadre d’une jurisprudence constante, il était souligné que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, la CEDH revêtant, à cet égard, une signification particulière [voir, notamment, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 13)].

( 26 ) Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 51 et 161).

( 27 ) Voir, notamment, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78), et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 56 et 77).

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358, points 149 et 150).

( 29 ) Arrêt du 16 juillet 2009, Rubach (C‑344/08, EU:C:2009:482, point 31 et jurisprudence citée).

( 30 ) Arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 72).

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêts du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, points 42 et 44), ainsi que du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, point 46).

( 32 ) Par opposition à cette jurisprudence, on soulignera la pusillanimité du législateur européen qui a écarté les personnes morales du champ d’application de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), estimant qu’il est prématuré de légiférer au niveau de l’Union sur la présomption d’innocence des personnes morales, laquelle devrait être protégée par les garanties législatives existantes et la jurisprudence actuelle dont l’évolution devrait déterminer l’opportunité d’agir au niveau de l’Union, selon les considérants 14 et 15 de cet acte.

( 33 ) Voir, notamment et récemment, arrêts du 28 octobre 2020, Pirelli & C./Commission (C‑611/18 P, non publié, EU:C:2020:868, points 65 à 71), et du 15 avril 2021, Italmobiliare e.a./Commission (C‑694/19 P, non publié, EU:C:2021:286, points 52 à 59).

( 34 ) Voir, par exemple, Cour EDH, 23 juillet 2002, Janosevic c. Suède, CE:ECHR:2002:0723JUD003461997, § 101 et jurisprudence citée.

( 35 ) Arrêts du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, point 43), et du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, point 47).

( 36 ) Arrêt du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, point 48), dans lequel la Cour cite également le droit d’accès aux tribunaux. Rappelons que c’est l’article 48, paragraphe 2, de la Charte qui énonce que le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé.

( 37 ) Arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) (C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 47).

( 38 ) Cette conclusion s’impose à l’évidence comme étant fondée sur la prise en compte de la notion fonctionnelle et objective de « justiciable », c’est-à-dire d’acteur au procès devant une juridiction, indifférente à la distinction entre personnes physiques et morales.

( 39 ) Arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, EU:C:2010:811, points 40 et 59).

( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Prokuratura Rejonowa Łódź-Bałuty (C‑338/20, EU:C:2021:805, points 29 et 30), étant observé que les « destinataires » des décisions réprimant les contraventions routières, visés dans cet arrêt, peuvent être des personnes physiques ou morales.

( 41 ) Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, § 251.

( 42 ) Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, § 255 à 261.

( 43 ) Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, § 243 et 244.

( 44 ) Arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank (C‑407/18, EU:C:2019:537, point 52).

( 45 ) Arrêt du 15 avril 2021, Grupa Warzywna (C‑935/19, EU:C:2021:287, point 20).

( 46 ) C’est ce même modèle qu’a choisi le législateur européen dans différentes normes, notamment dans la directive 2005/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d’infractions de pollution (JO 2005, L 255, p. 11), telle que modifiée par la directive 2009/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009 (JO 2009, L 280, p. 52), et dans la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil (JO 2011, L 101, p. 1).

( 47 ) Arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, point 44).

( 48 ) Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, § 243 et jurisprudence citée.

( 49 ) En outre, la décision par laquelle le juge inflige une sanction pécuniaire à la personne morale peut faire l’objet d’un appel dans un délai de quatorze jours à compter de sa notification aux parties. La juridiction d’appel compétente a la possibilité de modifier ou d’annuler une telle décision.

( 50 ) Arrêt du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, point 53).

( 51 ) Voir, respectivement, article 83b, paragraphe 2, point 5, et article 83a, paragraphe 4, de la ZANN. En l’occurrence, il est constant que, à la date du renvoi préjudiciel, la procédure pénale diligentée contre la personne gérant et représentant la société Delta Stroy pour dissimulations déclaratives en matière de TVA était toujours en cours.

( 52 ) Aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer que la juridiction d’appel dispose de compétences plus étendues que celle de première instance en ce qui concerne l’appréciation de la responsabilité de la personne morale.

( 53 ) Il ressort de la décision de renvoi que la personne physique et la personne morale concernées font l’objet d’un traitement procédural distinct et il ne saurait être considéré que la première peut exercer, dans le cadre des poursuites dont elle fait l’objet pour la même infraction, les droits de la défense de la seconde. Ces droits ont, en effet, un caractère subjectif, si bien que ce sont les parties concernées elles-mêmes qui doivent être en mesure de les exercer effectivement, indépendamment de la nature de la procédure dont elles font l’objet [arrêt du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, point 59)].

( 54 ) Rappelons que la Cour a jugé, en substance, que, sous réserve du respect des droits garantis par le droit de l’Union, en particulier par la Charte, l’administration fiscale nationale, afin de constater l’existence d’une fraude à la TVA, doit pouvoir s’appuyer sur des preuves obtenues dans le cadre de procédures pénales non clôturées ne concernant pas l’assujetti [arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, point 38), et du 24 février 2022, SC Cridar Cons (C‑582/20, EU:C:2022:114, point 37)].

( 55 ) Voir point 2 de la décision de renvoi.

( 56 ) L’article 4, paragraphe 2, du protocole no 7 à la CEDH prévoit la possibilité de rouvrir, le cas échéant, la procédure pénale lorsque des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement pénal intervenu.

( 57 ) La survenance d’une des situations concernées, abandon par le ministère public des poursuites dirigées contre cette personne physique, lorsque l’acte n’a pas été commis ou ne constitue pas une infraction, ou acquittement de celle-ci, ne laisse guère de doute sur l’issue de ce nouvel examen de l’affaire eu égard au mécanisme d’imputation de l’infraction par représentation retenu pour fonder la responsabilité de la personne morale.

( 58 ) En l’absence d’appel ou de rejet de ce dernier (voir article 83e, paragraphe 5, et article 83f de la ZANN).

( 59 ) Voir, par analogie, arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, points 41 et 52), ainsi que du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal) (C‑430/19, EU:C:2020:429, point 30). Cette jurisprudence de la Cour relative à des procédures administratives de contrôle fiscal en matière de TVA doit trouver a fortiori à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pouvant conduire, dans le même domaine, à l’adoption d’une sanction pécuniaire revêtant un caractère pénal.

( 60 ) Voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, M (C‑398/12, EU:C:2014:1057, point 39).

( 61 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 46).

( 62 ) Voir, par analogie, arrêt du 24 février 2022, SC Cridar Cons (C‑582/20, EU:C:2022:114, point 51).

( 63 ) Arrêts du 24 février 2022, SC Cridar Cons (C‑582/20, EU:C:2022:114, point 50), et du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, point 43).

( 64 ) Arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) (C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 51).

( 65 ) Cour EDH, 23 juillet 2002, Janosevic c. Suède, CE:ECHR:2002:0723JUD003461997, § 101.

( 66 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, points 63 et 64).

( 67 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 25).

( 68 ) Décision du Conseil du 7 juin 2007 relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007, L 163, p. 17).

( 69 ) Arrêt du 17 janvier 2019, Dzivev e.a. (C‑310/16, EU:C:2019:30, points 25 et 26).

( 70 ) JO 1995, C 316, p. 49.

( 71 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2019, Dzivev e.a. (C‑310/16, EU:C:2019:30, points 27, 29 et 31).

( 72 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Trade Agency (C‑619/10, EU:C:2012:531, point 59).

( 73 ) Voir, par analogie, arrêt du 14 octobre 2021, Landespolizeidirektion Steiermark (Machines à sous) (C‑231/20, EU:C:2021:845, point 44).

( 74 ) L’établissement, en l’occurrence, d’une fraude à la TVA liée à des manquements de la gérante et représentante de la personne morale à ses obligations déclaratives en la matière ne me paraît pas de nature à susciter d’importantes difficultés probatoires.

( 75 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, point 68).

( 76 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, point 69). En d’autres termes, les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.

( 77 ) Dans l’hypothèse d’un abandon des poursuites dirigées contre la personne physique ou d’un acquittement de celle-ci, on peut s’interroger sur l’objet et donc le sens d’un nouvel examen de l’affaire en ce qui concerne la responsabilité de la personne morale dans le cadre d’un régime fondé sur l’imputation à celle-ci d’une infraction présumée commise par cette personne physique et, apparemment, sur un cumul de responsabilités interdisant la poursuite de la seule personne morale pour un acte infractionnel de son représentant, sans que soit recherchée et établie la culpabilité de ce dernier.

( 78 ) Arrêt du 24 février 2022, SC Cridar Cons (C‑582/20, EU:C:2022:114, point 55). En outre, dans le cadre d’une appréciation des limites raisonnables dans lesquelles les États peuvent recourir à l’exécution d’une décision de majorations d’impôt, avant qu’il ne soit statué sur le recours visant de telles majorations, la Cour EDH a estimé que devait être prise en compte la possibilité de revenir à la situation juridique antérieure dans l’hypothèse de l’accueil d’un tel recours et donc du remboursement de toute somme indûment payée par le contribuable (voir également Cour EDH, 23 juillet 2002, Janosevic c. Suède, CE:ECHR:2002:0723JUD003461997, § 105 à 109).

( 79 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary (C‑254/16, EU:C:2017:522, point 20).

( 80 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 67) ; du 14 juin 2017, Menini et Rampanelli (C‑75/16, EU:C:2017:457, point 61), et du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, points 70 et 71). Dans ces décisions, la Cour a jugé que le principe de protection juridictionnelle effective, réaffirmé à l’article 47 de la Charte, ne s’opposait pas à des réglementations nationales subordonnant l’introduction d’un recours juridictionnel à la mise en œuvre préalable de procédures de conciliation et de médiation extrajudiciaires ou à l’obligation d’épuiser les voies de recours administratives disponibles, à condition, notamment, que ces procédures n’entraînent pas de retard substantiel pour l’introduction d’un recours juridictionnel et que des mesures provisoires soient possibles dans les cas exceptionnels où l’urgence de la situation l’impose.

( 81 ) Arrêt du 6 octobre 2021, ECOTEX BULGARIA (C‑544/19, EU:C:2021:803, points 97 à 99).

( 82 ) Arrêt du 15 avril 2021, Grupa Warzywna (C‑935/19, EU:C:2021:287, point 28).

( 83 ) Dans l’arrêt du 15 avril 2021, Grupa Warzywna (C‑935/19, EU:C:2021:287, point 37 et dispositif), la Cour a dit pour droit que cette sanction s’applique indifféremment à une situation dans laquelle l’irrégularité résulte d’une erreur d’appréciation commise par les parties à l’opération quant au caractère taxable de cette dernière, qui se caractérise par une absence d’indice de fraude et de perte de recettes pour le Trésor public, et à une situation dans laquelle de telles circonstances particulières font défaut.

( 84 ) Arrêt du 14 octobre 2021, Landespolizeidirektion Steiermark (Machines à sous) (C‑231/20, EU:C:2021:845, points 46 et 47).

( 85 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, ECOTEX BULGARIA (C‑544/19, EU:C:2021:803, point 100), étant rappelé que la nécessité de mesures dissuasives est expressément prévue par l’article 325 TFUE.

( 86 ) Dans l’arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze (C‑452/20, EU:C:2022:111), la Cour a jugé qu’il n’apparaît pas qu’un système de sanctions qui, afin de priver les contrevenants des avantages économiques découlant de la violation de l’interdiction de vendre des produits du tabac aux mineurs et de les dissuader de violer cette interdiction, prévoit un cumul de sanctions, amende et suspension d’une licence d’exploitation d’un commerce, excède les limites de ce qui est nécessaire pour garantir l’objectif de protéger la santé humaine et de réduire, notamment, la prévalence du tabagisme chez les jeunes.

( 87 ) Arrêt du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, EU:C:2018:197, point 44 et jurisprudence citée).

( 88 ) Il en irait différemment pour des peines privatives de liberté.

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