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Document 62020CO0710

Ordonnance de la Cour (neuvième chambre) du 8 juillet 2022.
Procédure pénale contre AM.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l’Okresný súd Bratislava I.
Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Article 51 – Procédure législative pour l’adoption d’une résolution relative à la révocation d’une amnistie – Procédure juridictionnelle de contrôle de la conformité de cette résolution à la Constitution nationale – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste de la Cour.
Affaire C-710/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:551

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ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

8 juillet 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Article 51 – Procédure législative pour l’adoption d’une résolution relative à la révocation d’une amnistie – Procédure juridictionnelle de contrôle de la conformité de cette résolution à la Constitution nationale – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste de la Cour »

Dans l’affaire C‑710/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I, Slovaquie), par décision du 12 décembre 2018, parvenue à la Cour le 29 décembre 2020, dans la procédure pénale contre

AM,

en présence de :

Krajská prokuratúra v Bratislave,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. J.–C. Bonichot et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de l’article 82 TFUE ainsi que des articles 47 et 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci–après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre AM, un ressortissant slovaque, accusé d’abus de pouvoir en qualité de titulaire de charges publiques, d’entraves à la préparation et au déroulement d’un référendum et de faux en écriture.

 Le droit slovaque

 La Constitution slovaque

3        Aux termes de l’article 86 de l’Ústava Slovenskej republiky (Constitution de la République slovaque), telle que modifiée par l’Ústavný zákon č. 71/2017 Z. z. (loi constitutionnelle no 71/2017), du 30 mars 2017 (ci-après la « Constitution slovaque ») :

« La Národná rada Slovenskej republiky [(Conseil national de la République slovaque)] est compétente, notamment, pour :

[...]

i)      se prononcer sur l’annulation d’une décision du président [de la République slovaque] adoptée en application de l’article 102, paragraphe 1, sous j), si celle–ci est contraire aux principes d’un État démocratique et de droit ; la résolution adoptée a une portée générale et est publiée de la même manière qu’une loi,

[...] »

4        L’article 129a de la Constitution slovaque prévoit :

« L’Ústavný súd Slovenskej republiky [(Cour constitutionnelle de la République slovaque)] se prononce sur la constitutionnalité d’une résolution du Conseil national de la République slovaque révoquant une amnistie ou une grâce individuelle adoptée en application de l’article 86, sous i). L’Ústavný súd Slovenskej republiky [(Cour constitutionnelle de la République slovaque)] lance d’office une procédure en application de la première phrase [...] »

5        L’article 154f de ladite Constitution énonce :

« (1)      Les dispositions de l’article 86, sous i), de l’article 88a et de l’article 129a s’appliquent également à l’article V et à l’article VI de la décision du président du gouvernement de la République slovaque du 3 mars 1998 décrétant une amnistie, publiée sous le numéro 55/1998, à la décision du président du gouvernement de la République slovaque du 7 juillet 1998 décrétant une amnistie, publiée sous le numéro 214/1998 ainsi qu’à la décision du président de la République slovaque du 12 décembre 1997 octroyant une grâce à un prévenu [...]

(2)      La révocation des amnisties et des grâces en application du paragraphe 1

a)      emporte annulation des décisions des autorités publiques dans la mesure où elles ont été adoptées et motivées sur la base des amnisties et des grâces mentionnées au paragraphe 1, et

b)      fait disparaître les obstacles légaux aux poursuites fondés sur les amnisties et les grâces mentionnées au paragraphe 1 ; la durée de ces obstacles légaux n’est pas intégrée dans le calcul des délais de prescription relatifs aux faits visés par les amnisties et les grâces mentionnées au paragraphe 1. »

 La loi no 38/1993, telle que modifiée par la loi no 72/2017

6        L’article 48b dans la sixième section du deuxième titre de la troisième partie du zákon č. 38/1993 Z. z. o organizácii Ústavného súdu Slovenskej republiky, o konaní pred ním a o postavení jeho sudcov (loi no 38/1993 relative à l’organisation, aux règles de procédure et au statut des juges de la Cour constitutionnelle de la République slovaque), telle que modifiée par le zákon č. 72/2017 Z. z. (loi no 72/2017), du 30 mars 2017, prévoyait, à ses paragraphes 1 à 3 :

« (1)      L’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque) lance d’office la procédure au fond en application de l’article 129a de la Constitution [slovaque], la procédure débutant le jour de la publication au Zbierka zákonov Slovenskej republiky [(Journal officiel de la République slovaque)] de la résolution adoptée par le Conseil national de la République slovaque en application de l’article 86, sous i), de la Constitution [slovaque].

(2)      Seul le Conseil national de la République slovaque est partie à la procédure.

(3)      L’autre partie à la procédure est le gouvernement de la République slovaque, représenté par le ministre de la Justice de la République slovaque, si la procédure porte sur une résolution ayant révoqué une amnistie, ou le président de la République slovaque, si la procédure porte sur une résolution ayant révoqué une grâce individuelle. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7        AM a fait l’objet de poursuites pénales en Slovaquie pour des infractions prétendument commises au cours de l’année 1997.

8        Le 3 mars 1998, le président du gouvernement de la République slovaque, qui, en raison de l’expiration du mandat du président de la République slovaque, exerçait, à l’époque, les pouvoirs de celui-ci, a décrété une amnistie couvrant ces infractions.

9        Par décision du 26 juin 2000, l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I, Slovaquie) a clôturé lesdites poursuites sur le fondement, notamment, de cette amnistie. Cette décision, devenue définitive, a produit, en droit slovaque, les mêmes effets que ceux qu’aurait entraînés un arrêt de relaxe.

10      Le 4 avril 2017 sont entrées en vigueur la loi constitutionnelle no 71/2017 ainsi que la loi no 72/2017.

11      Par une résolution du 5 avril 2017, le Conseil national de la République slovaque a, sur le fondement de l’article 86, sous i), de la Constitution slovaque, révoqué l’amnistie décrété le 3 mars 1998 par le président du gouvernement de la République slovaque.

12      Par un arrêt du 31 mai 2017, l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque) a, en application de l’article 129a de la Constitution slovaque, jugé que cette résolution était conforme à celle-ci.

13      Conformément à l’article 154f, paragraphe 2, de la Constitution slovaque, la résolution du 5 avril 2017 emporte l’annulation de la décision du 26 juin 2000 de l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I), de sorte que les poursuites pénales contre AM ont été reprises.

14      La juridiction de renvoi souligne que, dans le cadre de la procédure devant l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque), AM n’avait pas la qualité de partie à la procédure, même si la décision de cette Cour constitutionnelle était susceptible d’affecter la validité de la décision de rouvrir la procédure pénale contre lui.

15      La juridiction de renvoi se demande toutefois si le principe ne bis in idem s’oppose à la réouverture de cette procédure.

16      En outre, la juridiction de renvoi se demande si une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le contrôle par la Cour constitutionnelle d’un État membre d’une disposition législative révoquant une amnistie est limité à la seule appréciation de la conformité de cette disposition à la Constitution nationale, sans que puisse être appréciée en outre sa conformité au droit de l’Union, est compatible avec l’article 267 TFUE, avec les droits fondamentaux garantis, notamment, aux articles 47 et 50 de la Charte, ainsi qu’avec le principe de coopération loyale découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Par ailleurs, le mécanisme national de révocation d’une amnistie pourrait être en conflit avec les principes de proportionnalité et d’effectivité, qui limitent l’autonomie procédurale des États membres lors de l’adoption de dispositions juridiques internes.

17      Dans ces circonstances, l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une disposition d’une loi nationale qui annule directement, sans décision d’une juridiction nationale, la décision d’une juridiction nationale mettant fin aux poursuites pénales, qui a, en vertu du droit national, la nature d’une décision définitive entraînant la relaxe et sur la base de laquelle la procédure pénale a été définitivement interrompue à la suite de l’amnistie accordée conformément à une loi nationale, est-elle conforme au droit à un tribunal impartial, garanti à l’article 47 de la [Charte], ainsi qu’au droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti à l’article 50 de la [Charte] et à l’article 82 [TFUE] ? En cas de réponse négative à cette question, la juridiction nationale est-elle liée par une telle disposition de la loi nationale ?

2)      Une disposition de droit national limitant le contrôle par [l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque)] de la résolution du Conseil national de la République slovaque révoquant une amnistie ou une grâce individuelle et adoptée en application de l’article 86, sous i), de la [Constitution slovaque] à la seule appréciation de sa constitutionnalité, sans tenir compte des actes contraignants adoptés par l’Union européenne, et notamment la [Charte], le traité [FUE] ainsi que le traité [UE], est-elle conforme au principe de loyauté au sens de l’article 4, paragraphe 3, [TUE], de l’article 267 [TFUE] ainsi que de l’article 82 [TFUE], au droit à un tribunal impartial, garanti à l’article 47 de la [Charte], ainsi qu’au droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti à l’article 50 de la [Charte] ? En cas de réponse négative à cette question, la juridiction nationale est-elle liée par une telle décision de [l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque)] ? »

 La procédure devant la Cour

18      Par décision du président de la Cour du 4 février 2021, la présente affaire a été suspendue dans l’attente du prononcé de l’arrêt dans l’affaire C‑203/20.

19      Le 4 janvier 2022, la procédure a été reprise et, par lettre de la même date, le greffe de la Cour a notifié à la juridiction de renvoi l’arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie) (C‑203/20, EU:C:2021:1016), en lui demandant, si, au vu de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande.

20      Par lettre reçue le 22 février 2022, la juridiction de renvoi a indiqué à la Cour qu’elle maintenait sa demande de décision préjudicielle.

 Sur la compétence de la Cour

21      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle-ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

22      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

23      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences qui lui sont attribuées [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 77 ainsi que jurisprudence citée].

24      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 82 TFUE et les articles 47 et 50 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition de droit national qui annule la décision d’une juridiction nationale mettant fin aux poursuites pénales contre une personne, cette décision ayant, en vertu du droit national, la nature d’une décision définitive entraînant la relaxe et sur la base de laquelle la procédure pénale a été définitivement interrompue à la suite de l’amnistie accordée conformément à une loi nationale, et, en cas de réponse affirmative, si la juridiction nationale est liée par une telle disposition.

25      À cet égard, il y a lieu de relever que la première question vise, notamment, les articles 47 et 50 de la Charte.

26      Or, le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

27      Du reste, cet article 51, paragraphe 1, confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais non en dehors de telles situations [arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 38 ainsi que jurisprudence citée].

28      Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence [arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 39 ainsi que jurisprudence citée].

29      En l’occurrence, il convient de relever, d’une part, que la procédure au principal concerne des infractions qui ne sont pas harmonisées en droit de l’Union [arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 40].

30      D’autre part, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie) (C‑203/20, EU:C:2021:1016), il ne ressort pas de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi envisage d’engager une procédure d’émission d’un mandat d’arrêt européen.

31      Par ailleurs, ni l’article 82 TFUE ni les actes adoptés sur son fondement ne régissent l’adoption et la révocation d’une amnistie. En particulier, s’agissant de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), qui a été précisément adoptée sur la base de l’article 82 TFUE, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que cette directive ne saurait s’appliquer à une procédure de nature législative relative à la révocation d’une amnistie non plus qu’à une procédure juridictionnelle ayant pour objet le contrôle de la conformité de cette révocation à la constitution nationale [arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 71].

32      La Cour est, dès lors, manifestement incompétente pour répondre à la première question.

33      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, TUE, les articles 82 et 267 TFUE ainsi que les articles 47 et 50 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la législation d’un État membre en vertu de laquelle le contrôle par la Cour constitutionnelle de cet État membre d’une disposition législative révoquant une amnistie est limité à la seule appréciation de sa conformité à la Constitution, sans que puisse être appréciée en outre sa conformité au droit de l’Union.

34      À cet égard, il suffit de rappeler qu’une législation nationale prévoyant une procédure de nature législative relative à la révocation d’une amnistie ainsi qu’une procédure juridictionnelle ayant pour objet le contrôle de la conformité de cette révocation à la Constitution ne met pas en œuvre le droit de l’Union, dès lors que de telles procédures ne relèvent pas du champ d’application de ce droit [arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 74].

35      Le droit de l’Union n’étant donc pas applicable à une telle législation nationale, la Cour, compte tenu des considérations mentionnées aux points 26 à 28 de la présente ordonnance, est manifestement incompétente pour répondre à la seconde question.

36      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I).

 Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par l’Okresný súd Bratislava I (tribunal de district de Bratislava I, Slovaquie), par décision du 12 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le slovaque.

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