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Document 62019CJ0526

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 1er octobre 2020.
Entoma SAS contre Ministre de l’Économie et des Finances et Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).
Renvoi préjudiciel – Sécurité des denrées alimentaires – Nouveaux aliments et nouveaux ingrédients alimentaires – Règlement (CE) no 258/97 – Article 1er, paragraphe 2, sous e) – Notion d’“ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux” – Mise sur le marché – Insectes entiers destinés à l’alimentation humaine.
Affaire C-526/19.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:769

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

1er octobre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité des denrées alimentaires – Nouveaux aliments et nouveaux ingrédients alimentaires – Règlement (CE) no 258/97 – Article 1er, paragraphe 2, sous e) – Notion d’“ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux” – Mise sur le marché – Insectes entiers destinés à l’alimentation humaine »

Dans l’affaire C‑526/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 28 juin 2019, parvenue à la Cour le 9 juillet 2019, dans la procédure

Entoma SAS

contre

Ministre de l’Économie et des Finances,

Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský, F. Biltgen et N. Wahl (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Entoma SAS, par Me F. Molinié, avocat,

pour le gouvernement français, par Mmes A.-L. Desjonquères et C. Mosser, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo ainsi que de M. G. Damiani, avvocati dello Stato,

pour la Commission européenne, par M. C. Hödlmayr et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juillet 2020,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement (CE) no 258/97 du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires (JO 1997, L 43, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 596/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009 (JO 2009, L 188, p. 14) (ci-après le « règlement no 258/97 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Entoma SAS au ministre de l’Économie et des Finances et au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation au sujet d’un arrêté préfectoral ordonnant, d’une part, la suspension de la mise sur le marché par Entoma d’insectes entiers destinés à l’alimentation humaine et, d’autre part, le retrait de ces insectes du marché jusqu’à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché, délivrée après une évaluation démontrant que ceux-ci ne présentent pas de danger pour la santé du consommateur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no°258/97

3

Les considérants 1 et 2 du règlement no 258/97 énonçaient :

« (1)

[...] les différences entre les législations nationales en matière de nouveaux aliments ou de nouveaux ingrédients alimentaires peuvent entraver la libre circulation des denrées alimentaires [et] créer des conditions de concurrence déloyale affectant directement le fonctionnement du marché intérieur ;

(2)

[...] afin de protéger la santé publique, il est nécessaire de s’assurer que les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires font l’objet d’une évaluation d’innocuité unique suivant une procédure [de l’Union] avant d’être mis sur le marché dans [l’Union européenne] [...] »

4

L’article 1er de ce règlement disposait :

« 1.   Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans [l’Union] de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires.

2.   Le présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans [l’Union] d’aliments et d’ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu’ici restée négligeable dans [l’Union] et qui relèvent des catégories suivantes :

c)

les aliments et ingrédients alimentaires présentant une structure moléculaire primaire nouvelle ou délibérément modifiée ;

d)

les aliments et ingrédients alimentaires composés de micro-organismes, de champignons ou d’algues ou isolés à partir de ceux-ci ;

e)

les aliments et ingrédients alimentaires composés de végétaux ou isolés à partir de ceux-ci et les ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux, à l’exception des aliments et des ingrédients alimentaires obtenus par des pratiques de multiplication ou de reproduction traditionnelles et dont les antécédents sont sûrs en ce qui concerne l’utilisation en tant que denrées alimentaires ;

f)

les aliments et ingrédients alimentaires auxquels a été appliqué un procédé de production qui n’est pas couramment utilisé, lorsque ce procédé entraîne dans la composition ou dans la structure des aliments ou des ingrédients alimentaires des modifications significatives de leur valeur nutritive, de leur métabolisme ou de leur teneur en substances indésirables.

3.   Le cas échéant, il peut être déterminé, selon la procédure prévue à l’article 13, paragraphe 2, si un type d’aliment ou d’ingrédient alimentaire relève du paragraphe 2 du présent article. »

5

L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement prévoyait :

« Les aliments ou ingrédients alimentaires qui relèvent du présent règlement ne doivent pas :

présenter de danger pour le consommateur,

[...] »

6

Aux termes de l’article 12 du même règlement :

« 1.   Si un État membre a, à la suite de nouvelles informations ou d’une réévaluation des informations existantes, des raisons précises d’estimer que l’usage d’un aliment ou d’un ingrédient alimentaire conforme au présent règlement présente des risques pour la santé humaine ou pour l’environnement, cet État membre peut restreindre provisoirement ou suspendre la commercialisation et l’utilisation sur son territoire de l’aliment ou de l’ingrédient alimentaire en cause. Il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission [européenne] en précisant les motifs de sa décision.

2.   La Commission examine dès que possible, au sein du comité permanent des denrées alimentaires, les motifs visés au paragraphe 1. Elle prend les mesures qui s’imposent en vue de confirmer, de modifier ou d’abroger la mesure nationale en conformité avec la procédure de réglementation visée à l’article 13, paragraphe 2. L’État membre qui a arrêté la décision visée au paragraphe 1 peut la maintenir jusqu’à l’entrée en vigueur de ces mesures. »

Le règlement (UE) 2015/2283

7

Le règlement no 258/97 a été abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2018, par le règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015 (JO 2015, L 327, p. 1).

8

Aux termes des considérants 6 et 8 du règlement 2015/2283 :

« (6)

Il y a lieu de clarifier et de mettre à jour la définition existante des nouveaux aliments dans le règlement [no 258/97] par un renvoi à la définition générale des denrées alimentaires prévue dans le règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil [, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1)].

[...]

(8)

Le champ d’application du présent règlement devrait, en principe, demeurer identique à celui du règlement [no 258/97]. Toutefois, étant donné l’évolution scientifique et technologique depuis 1997, il y a lieu de revoir, de préciser et de mettre à jour les catégories d’aliments qui constituent de nouveaux aliments. Ces catégories devraient inclure les insectes entiers et leurs parties. [...] »

9

L’article 1er de ce règlement, intitulé « Objet et finalité », dispose :

« 1.   Le présent règlement établit des règles relatives à la mise sur le marché dans l’Union de nouveaux aliments.

2.   La finalité du présent règlement est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et des intérêts des consommateurs. »

10

L’article 2 dudit règlement, intitulé « Champ d’application », prévoit :

« 1.   Le présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans l’Union de nouveaux aliments.

[...] »

11

L’article 3 du même règlement, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 2 :

« [...] on entend par :

a)

“nouvel aliment”, toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l’Union avant le 15 mai 1997, indépendamment de la date d’adhésion à l’Union des États membres, et qui relève au moins d’une des catégories suivantes :

[...]

v)

les denrées alimentaires qui se composent d’animaux ou de leurs parties, ou qui sont isolées ou produites à partir d’animaux ou de leurs parties, à l’exception des animaux obtenus par des pratiques de reproduction traditionnelles qui ont été utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, et pour autant que les denrées alimentaires provenant de ces animaux aient un historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l’Union ;

[...] »

12

L’article 35 du règlement 2015/2283, intitulé « Mesures transitoires », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Les denrées alimentaires n’entrant pas dans le champ d’application du règlement [no 258/97], qui sont légalement mises sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018 et qui entrent dans le champ d’application du présent règlement peuvent continuer d’être mises sur le marché jusqu’à ce qu’une décision soit prise en conformité avec les articles 10 à 12 ou avec les articles 14 à 19 du présent règlement à la suite d’une demande d’autorisation d’un nouvel aliment ou d’une notification d’un aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers qui est introduite pour la date fixée dans les modalités d’exécution adoptées conformément à l’article 13 ou 20 du présent règlement, respectivement, mais au plus tard le 2 janvier 2020. »

Le droit français

13

L’article L. 218-5-4 du code de la consommation, dans sa version en vigueur au 27 janvier 2016, disposait :

« S’il est établi qu’un produit a été mis sur le marché sans avoir été l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement ou de la déclaration exigé par la réglementation applicable à ce produit, le préfet ou, à Paris, le préfet de police peut ordonner la suspension de sa mise sur le marché et son retrait jusqu’à la mise en conformité avec la réglementation en vigueur. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

14

Entoma commercialisait, à la date des faits au principal, des produits constitués de vers de farine, de criquets ou de grillons préparés et destinés à l’alimentation humaine sous la forme d’insectes entiers.

15

Par un arrêté du 27 janvier 2016, le préfet de police de Paris a suspendu la mise sur le marché des insectes entiers commercialisés par Entoma, au motif, notamment, que cette dernière ne disposait pas de l’autorisation de mise sur le marché prévue par le règlement no 258/97, et a ordonné le retrait de ces insectes du marché jusqu’à l’octroi d’une telle autorisation, délivrée après une évaluation visant à démontrer que ces produits ne présentaient aucun danger pour le consommateur.

16

Entoma a introduit un recours tendant à l’annulation de cet arrêté devant le tribunal administratif de Paris (France). Par jugement du 9 novembre 2017, ce dernier a rejeté ce recours.

17

Par arrêt du 22 mars 2018, la cour administrative d’appel de Paris (France) a rejeté l’appel interjeté par Entoma, jugeant que ledit arrêté avait été légalement pris sur le fondement de l’article L. 218-5-4 du code de la consommation.

18

Entoma a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, le Conseil d’État (France). Au soutien de son pourvoi, elle a notamment fait valoir que la cour administrative d’appel de Paris avait commis une erreur de droit en jugeant que les produits qu’elle commercialisait étaient soumis au règlement no 258/97, alors que, consistant en des insectes entiers destinés à être consommés en tant que tels, ils étaient exclus du champ d’application de ce règlement. Plus précisément, elle reproche à la cour administrative d’appel de Paris d’avoir adopté une interprétation erronée de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), dudit règlement, dans la mesure où cette disposition ne visait expressément que les « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux » et non les animaux entiers. À cet égard, Entoma fait valoir, en s’appuyant sur le considérant 8 du règlement 2015/2283, que l’inclusion des insectes entiers dans la catégorie des « nouveaux aliments », résultant de l’article 3, paragraphe 2, sous a), v), du règlement 2015/2283, ne précise pas la définition antérieure qui était limitée aux seules parties d’animaux, mais en modifie la portée par un ajout à la précédente définition. Elle en déduit que les produits alimentaires qu’elle commercialisait avaient été légalement mis sur le marché avant le 1er janvier 2018 et que, à ce titre, ils bénéficiaient des mesures transitoires prévues à l’article 35, paragraphe 2, du règlement 2015/2283 qui permettaient leur maintien sur le marché à condition de faire l’objet, avant le 2 janvier 2020, d’une demande d’autorisation comme « nouveaux aliments » ou d’une notification en tant qu’aliments traditionnels soumis au régime défini par ce règlement.

19

Le ministre de l’Économie et des Finances soutient qu’il n’y avait aucune raison sanitaire d’exclure la mise sur le marché d’insectes entiers du champ d’application du règlement no 258/97, la consommation d’insectes entiers présentant autant de risques pour la santé du consommateur que celle d’ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux.

20

Le Conseil d’État a estimé que, compte tenu des possibilités d’interprétation différentes des termes du règlement no 258/97, la question de savoir si l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de ce règlement doit être interprété comme incluant dans son champ d’application des aliments constitués d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels pose une difficulté sérieuse d’interprétation du droit de l’Union.

21

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement [no 258/97] doit-il être interprété comme incluant dans son champ d’application des aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou ne s’applique-t-il qu’à des ingrédients alimentaires isolés à partir d’insectes ? »

Sur la question préjudicielle

22

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97 doit être interprété en ce sens que des insectes entiers destinés à l’alimentation humaine constituent des « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux », au sens de cette disposition, et que, partant, ils relèvent du champ d’application de ce règlement.

23

Il convient de relever, à titre liminaire, que cette question n’est pertinente que s’agissant de l’application du règlement no 258/97, qui était applicable ratione temporis au litige au principal. En effet, le règlement 2015/2283, qui a abrogé et remplacé le règlement no 258/97 à partir du 1er janvier 2018, prévoit expressément que les animaux entiers, insectes entiers compris, entrent dans son champ d’application [considérant 8 et article 3, paragraphe 2, sous a), v), du règlement 2015/2283].

24

Afin de répondre à la question de la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, conformément à son article 1er, paragraphe 1, le règlement no 258/97 a pour objet la mise sur le marché de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2016, Davitas, C‑448/14, EU:C:2016:839, point 17 et jurisprudence citée).

25

L’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 258/97 vise à délimiter le champ d’application de celui-ci, notamment en définissant ce qu’il faut entendre par « nouveaux aliments et ingrédients alimentaires ». Il ressort du libellé même de cette disposition que, pour être qualifiés de « nouveaux », au sens de ce règlement, les aliments ou les ingrédients alimentaires doivent remplir deux conditions cumulatives. D’une part, la consommation humaine de ces aliments ou ingrédients alimentaires doit être « restée négligeable » dans l’Union avant le 15 mai 1997, date d’entrée en vigueur dudit règlement, et, d’autre part, ceux-ci doivent relever de l’une des catégories expressément visées à l’article 1er, paragraphe 2, sous c) à f), du même règlement (arrêt du 9 novembre 2016, Davitas, C‑448/14, EU:C:2016:839, points 18 à 21 et jurisprudence citée).

26

En l’occurrence, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur la première condition que pose l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 258/97 pour qualifier les insectes entiers destinés à l’alimentation humaine de « nouveaux aliments et ingrédients alimentaires », à savoir celle que la consommation humaine d’insectes soit « restée négligeable » dans l’Union avant le 15 mai 1997.

27

En revanche, la juridiction de renvoi a des doutes concernant l’application de la seconde condition prévue à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 258/97. Plus concrètement, elle cherche à savoir s’il pourrait être considéré que cette condition est remplie du fait que les insectes entiers seraient susceptibles d’être qualifiés de « nouveaux aliments ou ingrédients alimentaires » en ce qu’ils relèveraient de l’une des catégories définies à l’article 1er, paragraphe 2, sous c) à f), dudit règlement, et plus précisément de celle visée au point e) de cette dernière disposition, qui fait référence à des « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux ».

28

À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de relever que les termes « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux » ne sont pas définis par le règlement no 258/97.

29

Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêts du 9 novembre 2016, Davitas, C‑448/14, EU:C:2016:839, point 26 et du 26 octobre 2017, The English Bridge Union, C‑90/16, EU:C:2017:814, point 18).

30

En premier lieu, s’agissant du sens habituel de l’expression « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux » dans le langage courant, il y a lieu de relever que, s’il est constant que le terme « animaux » devrait être compris comme comprenant les insectes, l’utilisation des termes « ingrédients alimentaires », associés à l’expression « isolés à partir d’animaux », conduit à considérer que le sens habituel à attribuer à cette expression dans le langage courant est que seuls les ingrédients alimentaires composés de parties d’animaux, à l’exclusion des animaux (et partant des insectes) entiers, étaient visés à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97.

31

En effet, d’une part, s’agissant des termes « ingrédients alimentaires », il convient de relever que le règlement no 258/97 ne définit pas le terme « ingrédient ». Toutefois, ce terme, quelle que soit la langue officielle utilisée, fait référence, de manière générale, à un élément faisant partie d’un produit final composite plus large, en substance, une « denrée alimentaire » (ou un « aliment »). Par conséquent, un ingrédient est, en principe, non pas un produit destiné à être consommé en lui-même, mais plutôt une substance ou un produit à ajouter à d’autres substances pour constituer un aliment.

32

Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 36 de ses conclusions, il n’apparaît pas que les animaux entiers puissent être qualifiés d’« ingrédient », ceux-ci constituant une « denrée alimentaire » et non un « ingrédient alimentaire ». Cette interprétation est corroborée, implicitement, mais nécessairement, par le libellé de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97, qui opère clairement une distinction entre les « denrées alimentaires » (ou « aliments ») et les « ingrédients alimentaires », tout en employant uniquement les termes « ingrédients alimentaires » lorsqu’il fait référence aux animaux.

33

Au demeurant, cette interprétation correspond également, en substance, à la définition du terme « ingrédient » adoptée dans d’autres dispositions législatives de l’Union relatives à l’alimentation, telles que celle prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous f), du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission (JO 2011, L 304, p. 18).

34

D’autre part, s’agissant de l’expression « isolés à partir » d’animaux, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 37 et 38 de ses conclusions, celle-ci fait référence à un processus d’extraction à partir de l’animal. Dès lors, aucune interprétation de celle-ci ne saurait conduire à désigner un animal entier, à moins de créer une tautologie selon laquelle les animaux entiers sont « isolés à partir » d’animaux entiers.

35

Par ailleurs, cette expression se distingue clairement, dans toutes les versions linguistiques, des termes « composés de », dont la portée est plus large, qui figurent à l’article 1er, paragraphe 2, sous d) et e), du règlement no 258/97, lorsque les catégories d’aliments concernées relèvent des « végétaux », des « micro-organismes », des « champignons » ou des « algues », et qui permettent d’inclure des aliments composés d’un seul tenant (par exemple un « végétal » entier). À cet égard, le règlement 2015/2283 inclut les animaux entiers dans son champ d’application, lorsqu’il fait référence aux « denrées alimentaires qui se composent d’animaux ou de leurs parties ».

36

Il ressort des considérations qui précèdent que l’expression « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux » présente un sens clair et précis. En effet, le libellé de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97 ne vise pas les « animaux entiers » et, de ce fait, n’inclut pas les insectes entiers.

37

En second lieu, il convient de relever que l’interprétation littérale de cette disposition est cohérente tant avec le contexte dans lequel celle-ci s’insère qu’avec les objectifs poursuivis par le règlement no 258/97.

38

À cet égard, il importe, tout d’abord, d’observer que, ainsi que la Commission l’indique dans ses observations, il n’apparaît pas que, en utilisant le terme « animaux », le législateur de l’Union ait eu l’intention de viser spécifiquement les insectes ni qu’il ait eu à l’esprit les risques posés par leur consommation. En effet, il semble que, par l’adoption du règlement no 258/97, celui-ci ait décidé de ne réglementer que les produits dont il anticipait, en 1997, la mise sur le marché. Or, comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 45 à 48 de ses conclusions, l’utilisation d’insectes dans l’industrie agroalimentaire est un phénomène relativement récent et, ainsi qu’il ressort du considérant 8 du règlement 2015/2283, c’est précisément au vu de l’« évolution scientifique et technologique depuis 1997 » que ledit législateur a décidé en 2015, par l’adoption du règlement 2015/2283, « de revoir, de préciser et de mettre à jour les catégories d’aliments qui constituent de nouveaux aliments », et d’inclure explicitement les « insectes entiers et leurs parties ».

39

Ensuite, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le règlement no 258/97 poursuit une finalité double consistant à assurer le fonctionnement du marché intérieur des nouveaux aliments et à protéger la santé publique contre les risques que ceux-ci peuvent générer (arrêt du 9 novembre 2016, Davitas, C‑448/14, EU:C:2016:839, point 31 et jurisprudence citée).

40

S’agissant de la finalité consistant à garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine, ainsi que les gouvernements français et italien le font valoir dans leurs observations, il pourrait certes paraître illogique, d’un point de vue sanitaire, de vouloir soumettre à la réglementation les ingrédients alimentaires isolés à partir d’insectes, tout en excluant les insectes entiers, dans la mesure où un insecte entier est composé de l’ensemble de ses parties et que l’insecte entier, tout comme ses parties, a vocation à être ingéré par le consommateur, ce qui pourrait présenter, dès lors, les mêmes risques du point de vue de la santé publique.

41

Toutefois, une telle argumentation, fondée sur l’une des deux finalités du règlement no 258/97, ne saurait suffire à justifier une interprétation extensive des termes univoques « isolés à partir d’animaux », qui aurait pour effet d’inclure les « animaux entiers » dans le champ d’application de ce règlement.

42

D’une part, ainsi qu’il ressort des points 30 à 36 du présent arrêt, le sens habituel dans le langage courant des termes « isolés à partir d’animaux », figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97, qui est au demeurant le même dans toutes les versions linguistiques, conduit à constater que ces termes n’incluent manifestement pas dans le champ d’application de cette disposition les animaux entiers. Or, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, le libellé clair de cette disposition ne saurait en principe être remis en cause par une interprétation téléologique de ladite disposition qui reviendrait à élargir le champ d’application de ce règlement, ce qu’il appartient au seul législateur de l’Union de décider.

43

En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé, en substance, aux points 72 et 73 de ses conclusions, une telle interprétation ne saurait aller contra legem. Une telle limite, qui répond sans aucun doute à l’impératif de sécurité juridique et de prévisibilité du droit, a par ailleurs été reconnue dans le cadre de la jurisprudence de la Cour portant sur le principe d’interprétation conforme du droit national (arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 100, et du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

44

D’autre part, et en tout état de cause, une interprétation conduisant à exclure les animaux entiers, tels les insectes, du champ d’application du règlement no 258/97 ne compromet pas en soi l’objectif de protection de la santé humaine. En effet, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, la circonstance que les insectes entiers ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement implique seulement une absence d’harmonisation au niveau de l’Union des conditions de leur mise sur le marché, et, dès lors, qu’aucune notification ou autorisation ne seraient nécessaires en vertu dudit règlement. Or, en vertu d’une jurisprudence constante, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l’exigence d’une autorisation préalable à la mise sur le marché des denrées alimentaires, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 35 ainsi que jurisprudence citée). Partant, le fait que les insectes entiers soient exemptés de l’évaluation d’innocuité prévue par le règlement no 258/97 n’exclut pas la possibilité pour les États membres de prévoir dans leur législation nationale que l’éventualité d’un danger pour la santé publique que pourraient poser des insectes entiers devait faire l’objet d’une telle évaluation.

45

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97 doit être interprété en ce sens que des aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement (CE) no 258/97 du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, tel que modifié par le règlement (CE) no 596/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, doit être interprété en ce sens que des aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement.

 

Prechal

Rossi

Malenovský

Biltgen

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er octobre 2020.

Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de la IIIème chambre

A. Prechal


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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