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Document 62019CC0077

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 23 avril 2020.
Kaplan International colleges UK Ltd contre The Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le First-tier Tribunal (Tax Chamber).
Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 132, paragraphe 1, sous f) – Exonération des prestations de services fournies par des groupements autonomes de personnes à leurs membres – Applicabilité aux groupements TVA – Article 11 – Groupement TVA.
Affaire C-77/19.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:302

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 23 avril 2020 ( 1 )

Affaire C‑77/19

Kaplan International Colleges UK Ltd

contre

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

(demande de décision préjudicielle formée par le First-tier Tribunal [Tax Chamber] [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni])

« Recours préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonération de TVA – Article 132, paragraphe 1, sous f) – Prestations de services fournies par un groupement autonome de partage des coûts à ses membres – Champ d’application territorial – Groupement établi dans un pays tiers – Notion de “distorsion de concurrence” – Relation avec le régime de l’imposition de groupe (article 11) »

I. Introduction

1.

La présente procédure concerne une nouvelle fois l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des « groupements de partage des coûts » [article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ) ; ci-après la « directive TVA »] sur laquelle la Cour s’est récemment prononcée à plusieurs reprises ( 3 ). Cette disposition exonère les prestations fournies par un groupement à ses membres, lorsque celui‑ci se borne à répercuter sur ses membres le coût exact de ces prestations (« Cost Sharing Group » – également désigné par la juridiction de renvoi en tant que « CSG »).

2.

La spécificité de la présente affaire réside dans le fait que le groupement se trouve à Hong Kong, à savoir dans un pays tiers, alors que ses membres sont des filiales d’un groupe de sociétés qui sont toutes établies au Royaume‑Uni. La quasi-totalité de ces membres constitue avec d’autres filiales du groupe au Royaume‑Uni un groupement TVA au sens de l’article 11 de la directive TVA. Il convient donc à présent de déterminer si l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA a également un effet transfrontalier et s’applique à des groupements situés dans des pays tiers. Si tel est le cas, il convient de clarifier la relation entre cette exonération et l’imposition d’un groupement TVA qui entraîne également la non‑imposition de prestations au sein de ce groupe.

3.

La première question revêt notamment un caractère hautement sensible sur le plan économique. Le modèle choisi impliquant un pays tiers qui, comme en l’espèce, n’applique aucune TVA permet au groupement d’acquérir presque toutes les prestations de services sans que celles‑ci soient grevées de TVA et de les transmettre ensuite en exonération de TVA à ses membres au Royaume‑Uni. Si – comme cela est le cas en l’espèce – ces membres n’ont pas le droit de déduire la TVA payée en amont, il en résulte un potentiel important d’économie de TVA.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4.

Les dispositions de l’Union européenne pertinentes sont l’article 11, l’article 131 et l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

5.

L’article 11, premier alinéa, de la directive TVA donne aux États membres la possibilité suivante :

« Après consultation du comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après dénommé “comité de la TVA”), chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation. »

6.

L’article 131 de la directive TVA réglemente de manière générale les exonérations :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »

7.

Conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, figurant dans le chapitre 2 relatif aux exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général, les États membres exonèrent les opérations suivantes de la TVA :

« les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ».

B.   Le droit du Royaume‑Uni

8.

L’exonération en faveur des groupements a été transposée en droit interne par le groupe 16 de l’annexe 9, VATA 1994, qui énonce :

« Point no 1

Les prestations de services fournies par un groupement autonome de personnes lorsque chacune des conditions suivantes est satisfaite :

a)

chacune de ces personnes exerce une activité (ci‑après l’“activité pertinente”) exonérée de la TVA ou au titre de laquelle elle n’a pas la qualité d’assujetti au sens de l’article 9 de la directive 2006/112/CE du Conseil,

b)

les prestations de services sont effectuées en vue de rendre aux membres du groupement les services directement nécessaires à l’exercice de l’activité pertinente,

c)

le groupement se borne à réclamer à ses membres le remboursement exact de la part lui incombant dans les dépenses engagées en commun et

d)

l’exonération des prestations n’est pas susceptible de provoquer une distorsion de concurrence. »

9.

L’article 43 se fonde sur l’article 11, premier alinéa, de la directive TVA et il réglemente les groupements de TVA. Il prévoit :

« (1)   Si, en vertu des [articles 43A à 43D], des personnes morales sont considérées comme faisant partie d’un groupement, toute activité exercée par un membre du groupement est réputée être exercée par le membre représentatif, et

a)

toute livraison de biens ou prestation de services effectuée par un membre du groupement au bénéfice d’un autre membre du groupement ne doit pas être prise en compte ; et

b)

toute livraison ou prestation ne relevant pas du point a) ci‑dessus et constituant une livraison de biens ou une prestation de services effectuée par ou au bénéfice d’un membre du groupement est réputée être une livraison ou prestation effectuée par ou au bénéfice du membre représentatif ; et

c)

toute TVA acquittée ou due par un membre du groupement au titre de l’achat de biens dans un autre État membre ou de l’importation de biens en provenance d’un pays tiers est réputée être acquittée ou due par le membre représentatif et les biens sont considérés

i)

s’ils ont été achetés dans un autre État membre, aux fins de l’article 73, paragraphe 7, et

ii)

s’ils ont été importés en provenance d’un pays tiers, à cette fin et aux fins de l’article 38,

comme acquis ou, le cas échéant, importés par le membre représentatif ; et tous les membres du groupement sont tenus conjointement et solidairement au paiement de toute TVA due par le membre représentatif ».

10.

L’article 43, paragraphe 1AA, prévoit ce qui suit :

« Lorsque

a)

il est pertinent, aux fins de toute disposition adoptée au titre ou en application de la présente loi (ci‑après la “disposition pertinente”), de déterminer si la personne par qui ou au bénéfice de laquelle une livraison ou prestation est effectuée ou la personne qui a acquis ou importé des biens est une personne correspondant à une description spécifique,

b)

les points b) ou c) du paragraphe 1 ci‑dessus s’appliquent à toute livraison, prestation, acquisition ou importation, et

c)

il existe une différence susceptible d’être déterminante aux fins de la disposition pertinente entre

i)

la description applicable au membre représentatif et

ii)

la description applicable à l’organisme qui (excepté au titre du présent paragraphe) serait considéré, aux fins de la présente loi, comme effectuant la livraison, prestation, acquisition ou importation ou, le cas échéant, comme étant le bénéficiaire de la prestation,

la disposition pertinente produit ses effets en ce qui concerne cette livraison, prestation, acquisition ou importation, comme si la seule description applicable au membre représentatif était la description en fait applicable à cet organisme. »

11.

L’article 43, paragraphe 1AB, énonce ensuite que :

« Le paragraphe 1AA ci‑dessus ne s’applique pas lorsque l’aspect déterminant aux fins de la disposition pertinente réside dans le point de savoir si une personne est un assujetti ».

III. Les faits

12.

La requérante au principal, Kaplan International Colleges UK Ltd (ci‑après « KIC »), exerce ses activités en tant que holding d’autres sociétés du groupe Kaplan qui fournit des prestations d’enseignement. Elle compte plusieurs filiales au Royaume‑Uni. Chacune d’entre elles dirige au Royaume‑Uni, en collaboration avec des universités britanniques, un établissement d’enseignement supérieur (ci‑après les « établissements internationaux »).

13.

L’administration fiscale, Her Majesty’s Revenue and Customs (ci‑après le « HMRC ») a confirmé à KIC que les filiales sont actuellement autorisées, en tant qu’« établissements d’enseignement universitaire », à traiter les prestations d’enseignement qu’elles fournissent à des étudiants comme des prestations exonérées de la TVA.

14.

À l’exception de l’université de York International Pathway College (ci‑après l’« UYIPC ») qui est détenue majoritairement (à 55 %) par l’université de York, tous les établissements internationaux sont détenus à 100 % par KIC.

15.

Chaque établissement international de KIC dispose de sa propre structure de gestion et de gouvernance. L’université partenaire autorise les programmes d’enseignement pour chaque établissement international. Les établissements internationaux recrutent 85 % de leurs étudiants par l’intermédiaire d’un réseau représenté dans 70 pays et comptant 500 agents de recrutement (ci‑après les « agents »). Aucun des agents n’exerce ses activités de manière exclusive pour le groupe Kaplan. Ils sont autorisés à travailler également pour des concurrents directs des établissements internationaux ainsi que directement pour les universités. Les agents reçoivent une commission en contrepartie de leurs services. À cet égard, KIC soutenait ses agents par l’intermédiaire d’un certain nombre de bureaux de représentation sur plusieurs de ses principaux marchés, notamment la Chine, Hong Kong, l’Inde et le Nigeria. Les bureaux de représentation fournissaient aux agents un soutien opérationnel, notamment par la mise à disposition de matériel publicitaire, de formations sur les établissements et les cours proposés ainsi que sur les procédures d’admission et de conformité, etc.

16.

Jusqu’en octobre 2014, les agents concluaient des contrats directement avec KIC au Royaume‑Uni. Jusqu’en octobre 2014, les prestations de services fournies par les agents et les bureaux de représentation étaient soumises, en raison du lieu de fourniture des prestations au Royaume‑Uni, également à la TVA de cet État. KIC était redevable de cette TVA dans le cadre d’un mécanisme d’autoliquidation applicable dans ce cas de figure. Étant donné que KIC, en raison de ses propres opérations exonérées, n’est pas autorisée à déduire la TVA payée en amont, cette charge de TVA était définitive.

17.

En octobre 2014, la société Kaplan Partner Services Hong Kong Ltd (ci‑après « KPS ») a été créée par les établissements internationaux (dont UYIPC). KPS est une société par actions établie à Hong Kong. KIC détient à cet égard indirectement presque 94 % de KPS, le reste étant indirectement détenu par l’université de York, et ce par l’intermédiaire de sa participation majoritaire dans UYIPC. KIC elle‑même n’est pas membre du groupement (KPS).

18.

Après la création de KPS, KIC a continué à exercer ses activités par l’intermédiaire d’un réseau de bureaux locaux de représentation et d’agents indépendants. Les stipulations contractuelles avec les bureaux locaux de représentation et les agents indépendants ne s’appliquent désormais plus qu’avec KPS. Depuis 2014, tant le réseau de bureaux de représentation que les agents indépendants ont fourni leurs prestations de recrutement à KPS.

19.

Cela a les conséquences suivantes en amont : le lieu de fourniture de ces prestations de services ne se trouve plus à présent au Royaume‑Uni, mais il serait à Hong Kong si les mêmes règles de droit en matière de TVA que celles en vigueur dans l’Union étaient applicables à Hong Kong. Les prestations seraient alors soumises à la TVA applicables dans cette région s’il y en existait une. Cela n’est cependant pas le cas. À cet égard, KPS bénéficie des prestations de services à Hong Kong sans que celles‑ci soient grevées de TVA.

20.

En aval, KPS ne fournit quasiment aucune prestation de services à des entités non‑membres. KPS a, en définitive, repris les missions qui étaient assurées auparavant par KIC à Londres. KPS est, en outre, chargée de la gestion du réseau mondial de bureaux de représentation.

21.

Selon la juridiction de renvoi, il existe trois types de prestations qui sont désormais fournies par KPS à KIC : premièrement, les prestations fournies par les agents à KPS ; deuxièmement, les prestations fournies par les bureaux de représentation à KPS et, troisièmement, les prestations fournies par KPS en lien avec des questions telles que la conformité ainsi que les autres activités susmentionnées, comme le soutien aux agents.

22.

KIC a produit devant la juridiction de renvoi des preuves de ce que les établissements internationaux ne cherchaient pas à obtenir la fourniture de prestations de recrutement par d’autres sociétés que KPS. En d’autres termes, cela signifie que le groupement est certain que ses prestations de services seront acquises par ses membres.

23.

KPS facture séparément à chaque établissement international les montants dus aux agents au titre des prestations fournies à l’établissement concerné. KPS facture à chaque établissement tant ses propres prestations (notamment les « prestations en matière de conformité ») que les prestations fournies par les bureaux de représentation, et ce sur la base du nombre d’étudiants recrutés pour l’établissement concerné. Lors du calcul, KPS regroupe les coûts et les divise ensuite par le nombre d’étudiants. Les frais de marketing des agents sont gérés de la même manière. Toutefois, les commissions des agents sont directement imputées à des étudiants précis et elles sont facturées à l’établissement que fréquentera l’étudiant. Aucune TVA n’est facturée dans l’ensemble à cet égard.

24.

Par conséquent, la création d’un groupement à Hong Kong permet à ses membres au Royaume‑Uni d’économiser totalement la charge de TVA qui grevait les prestations de services fournies auparavant à KIC et désormais à KPS par les agents et les bureaux de représentation.

25.

Selon la juridiction de renvoi, il est constant qu’il existait de bonnes raisons commerciales de créer KPS à Hong Kong. La juridiction de renvoi souligne qu’il n’est pas allégué que KPS est une entité artificielle et le HMRC n’affirme pas que la création de KPS a donné lieu à un abus de droit. Il est de même constant que KPS fournit à ses membres les établissements internationaux, les prestations de services directement nécessaires à l’exercice de leurs activités exonérées et que la méthode de facturation appliquée par KPS prévoit le remboursement exact de la part incombant à chaque membre dans les dépenses engagées en commun.

26.

À l’exception d’UYIPC, tous les établissements internationaux font également partie d’un groupement TVA dont KIC est le membre représentatif.

27.

Le HMRC a fixé, par avis de mise en recouvrement en date du 21 avril 2017, pour la période comprise entre octobre 2014 et juillet 2016, une dette au titre de la TVA d’un montant de 5252264 livres sterling (GBP) et, par avis de mise en recouvrement en date du 22 mai 2017, pour octobre 2016, une dette au titre de la TVA d’un montant de 590000 GBP. Le HMRC a motivé ces décisions en indiquant que les prestations de services fournies à KIC par KPS ne relèvent pas de l’exonération de TVA en faveur des groupements de partage des coûts et sont donc soumises aux dispositions en matière d’autoliquidation. Étant donné que ses opérations sont majoritairement exonérées de la TVA, cette dette au titre de la TVA n’est pas non plus déductible en tant que TVA payée en amont.

28.

Par requête déposée le 28 septembre 2017, KIC a formé un recours contre ces décisions.

IV. La procédure préjudicielle

29.

Le First-tier Tribunal (tribunal de première instance, Royaume‑Uni) a sursis à statuer et présenté à la Cour à titre préjudiciel, conformément à l’article 267 TFUE, les questions suivantes :

« 1)

Quel est le champ d’application territorial de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la [directive TVA] ? En particulier, i) cette exonération s’applique-t-elle à un CSG établi dans un État membre autre que celui ou ceux où sont établis les membres du CSG ? Dans l’affirmative, ii) cette exonération est-elle également applicable à un CSG établi hors de [l’Union] ?

2)

Si l’exonération en faveur des CSG s’applique en principe à une entité établie dans un État membre autre que celui ou ceux où sont établis les membres du CSG ainsi qu’à un CSG établi hors de [l’Union], comment doit être appliqué le critère selon lequel l’exonération ne doit pas être susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ? En particulier :

a)

ce critère s’applique-t-il à d’éventuelles distorsions affectant d’autres bénéficiaires de services similaires qui ne sont pas membres du CSG ou s’applique-t-il uniquement aux éventuelles distorsions affectant d’autres éventuels prestataires fournissant des services aux membres du CSG ;

b)

si ce critère s’applique uniquement à d’autres bénéficiaires, une réelle possibilité de distorsion est-elle susceptible d’exister si d’autres bénéficiaires qui ne sont pas membres du CSG peuvent demander à adhérer au CSG en question ou créer leur propre CSG en vue d’obtenir des services similaires ou des économies équivalentes de TVA par d’autres méthodes (telle que la création d’une succursale dans l’État membre ou le pays tiers en question) ;

c)

si ce critère s’applique uniquement à d’autres prestataires, la réelle possibilité de distorsion doit-elle être appréciée en déterminant si le CSG est assuré de conserver la clientèle de ses membres, indépendamment de l’application de l’exonération de TVA – et, par conséquent, doit-elle être appréciée par rapport à l’accès d’autres prestataires au marché national sur lequel les membres du CSG sont établis ? Dans l’affirmative, la question de savoir si le CSG est assuré de conserver la clientèle de ses membres, car ces derniers font partie du même groupe de sociétés, a-t-elle une incidence ;

d)

des distorsions potentielles devraient-elles être appréciées au niveau national par rapport à d’autres prestataires exerçant leur activité dans le pays tiers dans lequel le CSG est établi ;

e)

la charge de la preuve quant à la probabilité d’une distorsion pèse‑t‑elle sur l’autorité fiscale de l’Union qui gère la directive TVA ;

f)

est-il nécessaire que l’autorité fiscale de l’Union commande une expertise spécifique du marché du pays tiers dans lequel le CSG est établi ;

g)

l’existence d’une réelle possibilité de distorsion peut-elle être établie par l’identification d’un marché commercial dans le pays tiers ?

3)

L’exonération en faveur des CSG peut-elle s’appliquer dans une situation telle que celle en l’espèce dans laquelle les membres du CSG sont liés entre eux par des liens économiques, financiers et organisationnels ?

4)

L’exonération en faveur des CSG peut-elle s’appliquer lorsque les membres ont créé un groupement TVA qui forme un seul assujetti ? Le fait que KIC, le membre représentatif qui (en droit national) est le bénéficiaire des services, n’est pas membre du CSG a-t-il une incidence ? Et, dans l’affirmative, cette incidence est-elle écartée par les dispositions de droit national prévoyant que le membre représentatif possède les caractéristiques et le statut des membres du CSG aux fins de l’application de l’exonération en faveur des CSG ? »

30.

Dans le cadre de la procédure devant la Cour, KIC, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont présenté leurs observations écrites et ont participé à l’audience qui s’est tenue le 23 janvier 2020.

V. Analyse juridique

31.

Les onze questions posées au total par la juridiction de renvoi concernent, en substance, trois thèmes complexes. La première question porte sur le champ d’application territorial de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA (A). La deuxième question, comprenant sept sous-questions, concerne l’interprétation du critère relatif à l’absence de distorsion de concurrence, prévu à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA (B). Les troisième et quatrième questions portent sur la relation entre l’exonération de TVA en faveur d’un groupement prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA et le régime de l’imposition de groupe au sens de l’article 11 de la directive TVA (C).

A.   Sur le champ d’application territorial de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA (première question)

32.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA s’applique à un groupement établi dans un État membre autre que celui où sont établis les membres de ce groupement et, dans l’affirmative, si cela vaut également lorsque le groupement est établi hors de l’Union.

33.

Il ressort explicitement de la décision de renvoi que le groupement (KPS) est établi à Hong Kong et donc pas dans un État membre. Par conséquent, la première partie de la question est hypothétique et, partant, irrecevable ( 4 ). Il s’ensuit qu’il n’y a lieu de répondre qu’à la seconde partie de la question. Toutefois, avant de procéder à l’examen du champ d’application territorial de la disposition (2), il convient tout d’abord de déterminer si le champ d’application personnel est ouvert (1).

1. Condition : des prestations de services fournies par le groupement à ses membres

34.

L’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’exempte en effet que les prestations de services fournies par un groupement à ses membres. Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, trois types de prestations sont fournis par KPS à KIC (voir point 21 des présentes conclusions). KIC n’est cependant précisément pas un membre du groupement (voir point 17 des présentes conclusions). À cet égard, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne serait déjà pas pertinente.

35.

D’autre part, la juridiction de renvoi souligne que les factures sont adressées aux établissements internationaux. Ces derniers sont membres du groupement. De plus, dans la quatrième question, il apparaît que, au titre du droit national, KIC est considérée fictivement, en vertu du régime de l’imposition de groupe qui se fonde sur l’article 11 de la directive TVA, à la place des établissements, comme le bénéficiaire pertinent des prestations. À cet égard, les prestations semblent avoir été effectivement fournies aux établissements internationaux. C’est uniquement sur le fondement du régime national de l’imposition de groupe qu’elles sont considérées, aux fins de la TVA, comme étant fournies au membre représentatif KIC.

36.

Dans un tel cas de figure, l’exonération prévue à l’article 132 de la directive TVA est – contrairement à ce que considèrent la Commission et le Royaume‑Uni – en principe applicable.

37.

En effet, premièrement, la fourniture de prestations de services à un autre sujet de droit est une opération factuelle. Cette opération factuelle ne saurait être affectée par la possibilité, prévue à l’article 11 de la directive TVA, de considérer plusieurs personnes étroitement liées comme un seul assujetti. De même, ce régime de l’imposition de groupe aux fins de la TVA ne saurait avoir d’incidence sur l’indépendance au regard du droit civil des personnes réunies en un groupement TVA. Les prestations de services pourraient donc avoir été fournies également aux établissements internationaux plutôt qu’à KIC, même si, à cette date, ceux‑ci faisaient partie d’un groupement TVA.

38.

Deuxièmement, cela est également conforme à l’esprit et à la finalité de la possibilité de constituer un groupement TVA, prévue à l’article 11 de la directive TVA. En effet, l’esprit et la finalité du régime de l’imposition de groupe prévue à l’article 11 de la directive TVA consiste principalement en une simplification en faveur de l’assujetti et, par conséquent, également de l’administration fiscale.

39.

D’une part, cet objectif ressort déjà de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission relative à la sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, datant de 1973. Ce document indique explicitement en ce qui concerne l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive (auquel correspond l’actuel article 11 de la directive TVA) qu’« il paraît utile de présenter au paragraphe 4 une formulation plus nuancée, permettant aux États membres de ne pas lier systématiquement la qualité d’assujetti à la notion de l’indépendance purement juridique, soit dans un souci de simplification administrative, soit pour éviter certains abus (par exemple, le fractionnement d’une entreprise entre plusieurs assujettis dans le but de bénéficier d’un régime particulier) » ( 5 ). D’autre part, cela découle également de la jurisprudence de la Cour qui souligne de même le but de simplification visé par l’article 11 de la directive TVA ( 6 ).

40.

Cette simplification administrative consiste, en substance, dans le cadre d’une imposition de toute la chaîne de consommation avec déduction de la TVA payée en amont, en l’absence d’obligation d’établir des factures (avec mention de la TVA) pour les prestations fournies au sein du groupe. En outre, chaque membre du groupe ne doit pas déposer sa propre déclaration de TVA (avec calcul de la dette au titre de la TVA et déduction de la TVA payée en amont), mais seule la « tête » de groupe doit déposer une déclaration unique de TVA. L’administration fiscale ne doit donc plus gérer un grand nombre d’assujettis, mais uniquement un seul assujetti qui, en définitive, est garant des dettes de TVA des membres de son groupe.

41.

Si toutefois l’esprit et la finalité de l’article 11 de la directive TVA visent principalement à une simplification en faveur de l’assujetti et l’administration fiscale, la disposition prévue à l’article 11 de la directive TVA se rapporte alors aussi uniquement à la relation entre l’assujetti (et les personnes qui lui sont étroitement liées) et l’administration fiscale.

42.

Pour l’administration fiscale, il existe certes fictivement, aux fins de la TVA, un seul assujetti auquel sont imputées toutes les opérations du groupe. Ce groupe aux fins de la TVA ne peut cependant pas agir à l’égard des tiers comme un sujet de droit autonome et, par conséquent, pas non plus – contrairement à ce que le Royaume‑Uni ou la Commission ont soutenu lors de l’audience – fonder un groupement au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ou faire partie d’un groupement. Les membres du groupement sont les personnes qui fondent ce groupement en vertu de leur propre capacité juridique, à savoir, en l’espèce, les différents établissements internationaux.

43.

Par conséquent, la perte de l’indépendance aux fins de la TVA (c’est‑à‑dire, conformément à l’article 11 de la directive TVA) se limite uniquement à la relation entre les sociétés étroitement liées et l’administration fiscale. Elle ne produit pas d’effet par rapport aux tiers. Dans la plupart des cas, une entreprise étrangère ne sait pas (et ne peut pas non plus vérifier) si le bénéficiaire de la prestation fait ou non partie d’un groupement TVA. Par conséquent, le prestataire doit notamment mentionner sur la facture, conformément à l’article 226, point 5, de la directive TVA, son cocontractant en tant que bénéficiaire de la prestation et non le groupement TVA ou son membre représentatif dont il n’a pas connaissance.

44.

Par conséquent, il convient de procéder à la distinction suivante : si KPS a fourni initialement à KIC une quelconque prestation de services que KIC a utilisée pour elle‑même ou éventuellement fournie à son tour à des tiers ou aux différents établissements internationaux, une exonération de TVA au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est d’emblée exclue, car KIC n’est pas membre du groupement.

45.

Toutefois, il peut en aller autrement des prestations de services fournies aux établissements internationaux même si, en vertu des dispositions nationales applicables en matière d’imposition de groupe, l’on considère fictivement que ces établissements sont représentés par KIC. Il appartient uniquement à la juridiction de renvoi et non à la Cour de clarifier cette circonstance factuelle, à savoir de déterminer à qui les différentes prestations de services ont effectivement été fournies.

46.

Dans les développements qui suivent, il sera donc considéré que, contrairement à ce qu’indique la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle, les trois types de prestations de services qui y sont mentionnés (énumérés au point 21 des présentes conclusions) n’ont pas été fournis à KIC, mais en réalité aux différents établissements internationaux qui sont membres du groupement (KPS). C’est en effet uniquement dans ce cas de figure que se pose la question de l’exonération de TVA au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

2. Groupement établi dans un pays tiers

47.

Dans ce cas de figure, il convient de déterminer si l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA s’applique également aux prestations de services fournies par un groupement établi dans un pays tiers à ses membres établis dans un État membre. Cette question – que j’ai déjà traitée en détail dans mes conclusions dans les affaires Aviva et DNB Banka ( 7 ) et que la Cour pouvait laisser ouverte dans ses précédentes décisions ( 8 ) – appelle une réponse négative, conformément à la position retenue par la Commission et le Royaume‑Uni.

a) Sur le libellé, l’interprétation historique et l’interprétation systématique de la disposition

48.

À première vue, le libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne contient cependant aucune limitation territoriale. Le législateur n’a pas non plus limité le champ d’application, comme il l’a fait dans d’autres dispositions (notamment, à l’article 11, premier alinéa, de la directive TVA), explicitement au territoire d’un seul État membre. Toutefois, il existe également des dispositions qui se basent explicitement sur les activités transfrontalières de l’assujetti [voir article 148, sous e), de la directive TVA – « des compagnies de navigation aérienne, pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré »].

49.

À cet égard, il peut tout au plus être constaté que le libellé n’impose ni n’exclut aucune thèse. Un argument en ce sens que les groupements établis dans des pays tiers sont également couverts par cette disposition ne saurait être déduit de son libellé.

50.

Une consultation de la législation antérieure – la sixième directive 77/388/CEE ( 9 ) – explique pourquoi aucune limitation explicite ne figure dans le libellé, contrairement à ce qui est prévu à l’article 11 de la directive TVA.

51.

L’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA était réglementée auparavant à l’article 13 de la sixième directive. Cet article ne visait, comme cela ressort de son titre, que les « exonérations à l’intérieur du pays ». La refonte n’a cependant pas entraîné de modification sur le fond à cet égard ( 10 ). Par conséquent, l’on peut considérer, au regard de la sixième directive, qu’une exonération de TVA à l’intérieur du pays ne couvre également que les prestations fournies par un groupement établi à l’intérieur du pays à l’égard de ses membres établis à l’intérieur du pays.

52.

Le positionnement systématique des exonérations de TVA dans le titre IX de la directive TVA plaide également en faveur de cette interprétation plus restrictive. Les chapitres 1 à 3 ne supposent aucune opération transfrontalière spécifique. Ce n’est qu’aux chapitres 4 à 8 et 10 que sont prévues des exonérations spécifiques de TVA pour les opérations transfrontalières. Si l’exonération de TVA visait les groupements transfrontaliers, le législateur l’aurait plutôt réglementée dans ces dispositions.

53.

Il convient d’en conclure que le législateur de l’Union ne visait pas, lors de l’adoption de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA [qui était alors l’article 13, paragraphe 1, sous f)], les groupements transfrontaliers – et, a fortiori, pas les groupements établis dans un pays tiers –, mais, dans le contexte d’une « exonération à l’intérieur du pays », également les « groupements à l’intérieur du pays ».

b) Sur la divergence d’appréciation par rapport à l’article 11 de la directive TVA

54.

Cette interprétation – à savoir la limitation des groupements autonomes au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA au territoire d’un État membre – évite notamment une divergence d’appréciation par rapport à l’article 11 de la directive TVA. Celui-ci permet aux États membres de traiter ensemble comme un seul assujetti « les personnes établies sur [leur] territoire » qui, par l’intermédiaire d’un groupement, sont d’une certaine manière « étroitement liées entre elles ». Dès lors, seules des entreprises établies dans le même État membre sont susceptibles de constituer un groupement au titre de l’article 11.

55.

L’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA prévoit des exigences moins importantes quant à la nature du groupement que l’article 11. En effet, cette disposition n’exige pas qu’il existe une relation étroite entre les entreprises. Par conséquent, il serait contradictoire d’autoriser sur ce fondement, au titre d’opérations transfrontalières, une exonération de TVA qui ne serait pas autorisée par la disposition prévoyant des conditions plus strictes.

56.

Cela est particulièrement manifeste en l’espèce. Le groupement KPS pourrait dans la présente affaire, en principe, également être membre du groupement TVA de KIC (au titre des personnes « étroitement liées entre elles »). L’article 11 de la directive TVA limite cependant l’exonération de TVA explicitement au Royaume‑Uni. Pourquoi un résultat similaire (exonération de TVA des prestations fournies par le groupement à ses membres) devrait-il alors être obtenu au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ?

57.

Cette divergence d’appréciation ne peut être levée que si les effets de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA et ceux de l’article 11 de la directive TVA se limitent eux aussi à un seul État membre. Cela suppose que le groupement et le membre auquel une prestation de services est fournie soient établis dans le même État membre.

58.

C’est le même raisonnement qui sous-tend les deux cas de figure : la limitation au territoire national permet d’éviter qu’un État membre empiète sur la souveraineté fiscale territoriale d’un autre État membre autorisant un régime d’imposition de groupe ou un tel groupement dont l’autre État membre peut difficilement contrôler les conditions. Cela garantit dans le même temps que des décisions contradictoires ne sont pas adoptées par les différentes administrations fiscales. La raison principale consiste cependant sans doute à empêcher qu’il soit tiré profit des différents taux d’imposition ou régimes fiscaux. Cela est tout particulièrement manifeste s’agissant des pays tiers (y compris leurs zones spéciales d’administration), car ceux‑ci – comme en l’espèce – ne sont pas tenus de prévoir une taxe sur la valeur ajoutée.

c) Sur l’existence de taux d’imposition différents (la problématique des taux d’imposition)

59.

L’admission de la thèse relative au groupement transfrontalier ouvre en effet la voie à un modèle d’optimisation fiscale relativement facile à instaurer, notamment pour les groupes de sociétés ayant des activités au niveau mondial, qui effectuent des opérations exonérées (c’est‑à‑dire n’ouvrant pas droit à la déduction de la TVA payée en amont). Ces groupes de sociétés doivent uniquement créer avec leurs entreprises ayant des activités dans l’Union un groupement établi dans un État ayant le taux d’imposition à la TVA le plus bas, voire aucune TVA (l’on pense à cet égard aux États‑Unis ou également, comme en l’espèce, à Hong Kong). Ce groupement pourrait alors acquérir l’ensemble des prestations de services auprès de tiers, ces prestations étant acquises jusqu’alors grevées de TVA.

60.

Étant donné que le lieu de fourniture de la prestation serait alors situé généralement dans cet État et que ce dernier n’applique aucune TVA ou seulement un faible taux de TVA, un tel groupement ne supporterait aucune ou uniquement une faible charge de TVA. Le groupement « fournirait à son tour » ensuite à ses membres, contre un simple remboursement des coûts, les prestations de services qu’il a acquises. Le lieu de fourniture de ces prestations se situerait alors, certes, dans les États membres concernés. La prestation y serait cependant exonérée de TVA en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

61.

Indépendamment de la question de savoir comment les États membres concernés sont censés pouvoir vérifier dans ce cas l’absence d’atteinte à la concurrence ou les autres critères (voir, à cet égard, points 67 et suivants des présentes conclusions), la charge de TVA supportée par le groupe de sociétés pourrait aisément être réduite ( 11 ). En revanche, l’on n’aurait pas pu parvenir à un tel résultat en recourant à un groupement TVA visé à l’article 11 de la directive TVA (voir, à cet égard, points 54 et suivants des présentes conclusions).

62.

Même en considération des libertés fondamentales, cette conclusion n’est pas remise en cause en l’espèce. En effet, même si les libertés fondamentales s’appliquaient dans ce cas de figure impliquant un pays tiers, une limitation territoriale de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), tout comme une limitation territoriale de l’exonération applicable au groupement TVA en vertu de l’article 11 de la directive TVA, serait justifiée par des motifs liés à la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres ( 12 ). De même, la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux justifie une telle limitation. En revanche, s’il l’on considérait que la limitation de l’exonération de TVA à un territoire d’un État membre est contraire au droit de l’Union, la question se poserait logiquement de savoir si l’article 11 de la directive TVA ne serait pas lui aussi contraire au droit de l’Union. L’on peut cependant fortement en douter ( 13 ).

63.

L’affirmation de KIC ( 14 ) selon laquelle le risque qu’il soit tiré profit des différents taux d’imposition est négligeable, car l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne concerne que les activités d’intérêt général mentionnées à l’article 132 de la directive TVA, laisse perplexe. D’une part, il est difficile de déduire de la nature de l’activité (activité d’intérêt général exonérée) l’étendue de la matière fiscale concernée. Le secteur assurément non négligeable de l’enseignement et de la santé en atteste suffisamment.

64.

D’autre part, cette thèse est contraire à la volonté claire du législateur. Les activités énumérées à l’article 132 de la directive TVA ne sont exonérées par ce dernier que partiellement (en ce qui concerne la valeur ajoutée au dernier stade de la création de valeur), mais non en totalité.

65.

Si le législateur avait voulu réduire la totalité de la charge de TVA pour les bénéficiaires d’activités d’intérêt général (telles que les prestations d’enseignement ou de soins à la personne), il aurait également ajouté à l’article 169 de la directive TVA l’exonération prévue à l’article 132 de la directive TVA et autorisé une déduction de la TVA payée en amont malgré l’exonération des prestations en aval. Il n’a cependant volontairement pas fait usage de cette faculté dont il avait connaissance.

66.

Le choix délibéré du législateur en faveur d’une exonération seulement partielle de TVA est en définitive totalement contourné par la structure retenue par KIC (création d’un groupement dans un pays tiers sans système de TVA).

d) Sur l’appréciation de l’absence d’atteintes à la concurrence

67.

Le fait que l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, ainsi qu’il ressort de son libellé, ne doit pas provoquer une distorsion de concurrence, ce que l’administration fiscale nationale doit pouvoir vérifier, plaide lui aussi en faveur d’une limitation territoriale de l’exonération de TVA. Cela exclut, en tout état de cause, un groupement dans un pays tiers.

68.

Les administrations fiscales ne sont guère en mesure de procéder à une appréciation transfrontalière de l’existence de distorsions de concurrence dans différents États, notamment dans des pays tiers (comme en l’espèce à Hong Kong). À cet égard, l’approche retenue par la Cour dans l’arrêt Isle of Wight Council e.a. relativement à l’article 13 de la directive TVA ( 15 ) est transposable à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

69.

La Cour a souligné dans cet arrêt les difficultés d’identification des distorsions de concurrence sur des marchés qui ne coïncident pas avec la compétence territoriale des autorités locales. Une telle situation risquerait de porter atteinte aux principes de neutralité fiscale et de sécurité juridique. Cela vaut a fortiori dans les cas de figure impliquant un pays tiers.

70.

À cela s’ajoute le fait que, conformément à l’article 131 de la directive TVA, il convient d’assurer une application correcte et simple de l’article 132 de la directive TVA. Une telle application est cependant de facto exclue si une autorité fiscale devait apprécier l’atteinte à la concurrence de manière globale ou si plusieurs autorités fiscales procédaient à des appréciations différentes, éventuellement contradictoires. Cela entraînerait précisément des atteintes à la concurrence ( 16 ). À cet égard, les difficultés importantes en pratique quant à l’application et le contrôle plaident également contre une inclusion des groupements établis dans des pays tiers.

3. Conclusion

71.

En conclusion, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que les prestations de services fournies par un groupement établi dans un pays tiers ne sont pas couvertes par l’exonération de TVA. Par conséquent, les prestations de services fournies par KPS aux établissements internationaux ne sont pas exonérées, de sorte qu’il n’y a pas lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

B.   À titre subsidiaire : sur l’interprétation du critère relatif à l’absence de « distorsion de concurrence » (deuxième question)

72.

En revanche, dans l’hypothèse où la Cour estimerait que les groupements établis dans un pays tiers sont également visés par l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, il convient de répondre aux autres questions posées par la juridiction de renvoi.

73.

Les sept sous-questions posées dans le cadre de la deuxième question concernent toutes le point de savoir quels critères doivent être appliqués pour déterminer l’existence d’une distorsion de concurrence au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, laquelle exclut à nouveau l’exonération de TVA effectivement accordée.

74.

Pour autant que la juridiction de renvoi demande une appréciation concernant un groupement établi dans un autre État membre, cette question est – comme cela a déjà été mentionné (point 33 des présentes conclusions) – hypothétique et, partant, irrecevable. Ce n’est que pour autant que la deuxième question porte sur un groupement établi dans un pays tiers qu’il y a lieu d’y répondre.

1. Sur la finalité de la disposition

75.

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé ( 17 ) et comme je l’ai indiqué par ailleurs ( 18 ), l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA vise à compenser un désavantage concurrentiel subi par des entreprises de faible taille par rapport à un concurrent de taille plus importante. Celui-ci peut faire fournir les prestations de services du groupement par ses propres employés ou, dans le cadre d’un groupement TVA, par une société étroitement liée. Ainsi que le relève à juste titre la Commission ( 19 ), l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA vise à assurer une égalité de traitement, aux fins de la TVA, entre les grandes et les petites entreprises, et ce du fait de l’exclusion de la déduction de la TVA payée en amont pour les opérations en aval exonérées.

76.

Cela est illustré par l’exemple suivant : un grand hôpital, qui est en mesure d’assurer lui‑même la restauration de ses patients (par son propre personnel de cuisine), ne supporte pas de charge de TVA pour les frais de personnel y afférents. Un petit hôpital qui n’est pas en mesure d’employer pleinement le personnel en question ne dispose que de deux possibilités.

77.

Il peut confier la restauration à un tiers. Dans ce cas, la TVA sera cependant due, tant sur les coûts des matériaux que sur les dépenses de personnel engagées par le tiers pour son personnel de cuisine. Cette TVA est, au niveau de l’hôpital, définitive (en raison des prestations en aval exonérées, il n’existe aucun droit à déduction de la TVA payée en amont – voir articles 168 et 169 de la directive TVA). Il doit donc supporter des coûts plus élevés que le concurrent pour pouvoir offrir les mêmes prestations. Il s’agit là d’un désavantage concurrentiel résultant principalement de la taille de l’entreprise.

78.

L’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA permet cependant d’éviter ce désavantage concurrentiel. L’hôpital susmentionné peut, en effet, s’associer au sein d’un groupement avec un autre hôpital. Ce groupement recrute le personnel qui, par la suite, est employé dans une mesure suffisante par les deux membres de ce groupement et assure la restauration pour les deux hôpitaux. Les coûts à cet égard sont répartis entre les deux hôpitaux. Étant donné que la prestation fournie par le groupement à ses membres est exonérée, les dépenses de personnel ne sont désormais plus grevées de TVA (s’agissant des coûts des matériaux, l’imposition à la TVA en amont continue de s’appliquer de manière identique). Le désavantage concurrentiel subi par les deux plus petits hôpitaux par rapport au concurrent (de taille plus important) serait ainsi supprimé.

79.

Toutefois, si cette exonération de TVA vise à supprimer un désavantage concurrentiel, l’octroi de cette exonération de TVA ne saurait entraîner en général, dans le même temps, à nouveau une distorsion de concurrence ou susciter un risque de distorsion de concurrence. La condition liée à l’absence de distorsion de concurrence prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA semble quelque peu singulière à cet égard et n’aurait, en définitive, guère de sens ( 20 ).

2. Sur l’exigence d’une interprétation restrictive du critère relatif à la distorsion de concurrence

80.

Par conséquent, il me semble qu’il convient de retenir nécessairement une interprétation restrictive de ce critère, afin de ne pas rendre inopérante l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

81.

L’on parvient à la même conclusion lorsque l’absence de distorsion de concurrence est entendue comme une exception à l’exonération de principe prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, car une dérogation ou une exception à une règle générale doit, selon la Cour, être interprétée de manière stricte ( 21 ).

82.

Toutefois, si l’absence de distorsion de concurrence était considérée comme une exception à l’exonération et que, à son tour, celle‑ci constituait une exception à l’obligation fiscale de principe ( 22 ), l’on pourrait considérer que l’on est en présence d’une contre-exception. Une telle contre-exception pourrait exiger une interprétation particulièrement stricte (en tant qu’exception d’interprétation stricte à une exception) ou particulièrement large (en tant que contre-exception à une exception d’interprétation stricte).

83.

Indépendamment des considérations qui précèdent, cette « contre-exception » devrait cependant en l’espèce aussi être interprétée de manière stricte. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’interprétation doit être conforme aux objectifs poursuivis par les exonérations et respecter les exigences liées à la neutralité fiscale. Notamment, les termes utilisés pour définir les exonérations visées à l’article 132 ne doivent pas être interprétés d’une manière qui priverait celles‑ci de leurs effets ( 23 ).

84.

Tel serait cependant le cas si l’on admettait de manière large l’existence d’une distorsion de concurrence. En définitive, cette conclusion coïncide avec l’interprétation téléologique et restrictive, exposée précédemment (point 80 des présentes conclusions), du critère relatif à l’absence de « distorsion de concurrence ».

85.

L’on peut relever des éléments en faveur d’une telle interprétation restrictive déjà dans la jurisprudence de la Cour selon laquelle la constatation d’une distorsion de concurrence exige qu’il existe un risque réel que l’exonération puisse à elle seule, dans l’immédiat ou dans le futur, provoquer des distorsions de concurrence ( 24 ). La distorsion de concurrence se rapporte, à cet égard, à l’exonération de TVA des prestations fournies par le groupement ( 25 ). Cette exonération empêche que des tiers puissent fournir ces prestations au même prix aux membres du groupement [réponse à la deuxième question sous a)], de sorte qu’il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question sous b).

86.

Compte tenu de l’interprétation restrictive qui doit être retenue en ce qui concerne le critère relatif à l’absence de distorsion de concurrence, une telle interprétation restrictive ne saurait être justifiée uniquement par l’existence d’un marché commercial. Cela conduirait l’idée qui sous-tend l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA à l’absurde. Conformément à cette disposition, il doit être possible d’éviter un désavantage concurrentiel par rapport à des concurrents de taille plus importante (voir, à cet égard, point 75 des présentes conclusions) précisément par une coopération avec d’autres entreprises [réponse à la deuxième question sous g)].

87.

Si le groupement pouvait être établi dans un pays tiers, il conviendrait alors d’examiner les distorsions de concurrence résultant de ses prestations au niveau national logiquement aussi par rapport à d’autres prestataires de services du pays tiers dans lequel le groupement est établi. Les intermédiaires étrangers au sein et hors du Royaume‑Uni subiraient un désavantage concurrentiel et ne pourraient pas fournir aux établissements internationaux situés au Royaume‑Uni les mêmes prestations, car le coût de leurs prestations serait augmenté de la TVA due au Royaume‑Uni [réponse à la deuxième question sous d)].

88.

Afin d’établir l’existence d’une distorsion de concurrence, il convient d’examiner à cet égard si le groupement peut être assuré de conserver la clientèle de ses membres également sans l’exonération de TVA ( 26 ). Si les prestations de services du groupement sont adaptées aux besoins des membres de telle sorte que le groupement puisse également être assuré que lesdits membres acquerront ces prestations de services, l’on est en principe en présence d’une pratique coopérative (voir, à cet égard, points 75 et suivants) qui doit être exonérée en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA [réponse à la deuxième question sous c)].

89.

En effet, les membres d’un groupement ne se regroupent en règle générale que lorsqu’ils sont assurés que les membres acquerront les prestations du groupement (« garantie d’achat »). L’on peut donc considérer en principe que la constitution d’un groupement n’entraîne pas de distorsion de concurrence au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

90.

Au regard de la finalité de l’exonération de TVA (prévention d’un désavantage concurrentiel), le critère relatif à l’absence de distorsion de concurrence peut, à mon sens, viser uniquement à éviter les abus (voir article 131 de la directive TVA). En effet, ce critère a, en définitive, uniquement pour but de garantir que l’exonération de TVA ne soit pas appliquée d’une manière contraire à sa finalité. La question de savoir quand cela est le cas ne peut être tranchée que sur le fondement d’indices.

91.

Compte tenu de l’objectif de ce critère qui vise principalement à éviter les abus, c’est sur l’administration fiscale que pèse la charge de la preuve ( 27 ) de l’existence d’un abus à éviter ou des indices en ce sens [réponse à la deuxième question sous e)]. Aucune disposition du droit de l’Union n’impose, à cet égard, à l’administration fiscale l’obligation de se procurer une expertise spécifique concernant les marchés de pays tiers. La question de savoir comment les autorités fiscales nationales satisfont à la charge de la preuve qui leur incombe ne relève pas du droit de l’Union, mais du droit national en matière de procédures fiscales [réponse à la deuxième question sous f)].

3. Sur les indices suggérant l’existence d’une distorsion de concurrence

92.

Le fait que le groupement fournisse les mêmes prestations de services dans une ampleur importante, contre rémunération, à des entités non‑membres et, à cet égard – par l’effet des synergies –, agisse sur le marché principalement en tant que concurrent et dans une moindre mesure en tant que groupement coopératif peut notamment être un indice en ce sens que l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA est appliquée d’une manière contraire à sa finalité. Dans ce cas, il pourrait exister, sous certaines conditions, un risque réel de distorsion de concurrence à l’égard des prestataires tiers susmentionnés.

93.

De même, le fait que le groupement ne fournisse pas de prestations de services spécifiquement adaptées aux besoins de ses membres, mais se contente de fournir à son tour des prestations qu’il a acquises peut constituer un indice. Ces prestations pourraient sans difficulté être proposées et acquises par d’autres entités. Dans ce cas, également, les prestataires tiers seraient évincés du marché concerné. Cela pourrait, sous certaines conditions, être partiellement admis en l’espèce, car les prestations du groupement consistaient manifestement en grande partie dans le simple transfert à ses membres des prestations acquises auprès de tiers (agents, etc.).

94.

Une telle acquisition de prestations et la transmission sans modification de ces prestations acquises est également en contradiction avec le caractère de l’exonération de TVA tel qu’il a été dégagé aux points précédents des présentes conclusions. Cette exonération vise non pas à optimiser la simple acquisition et revente de prestations, mais à permettre une pratique de coopération entre des opérateurs de marché de faible taille aux fins de compenser un désavantage concurrentiel par rapport à des concurrents de taille plus importante qui fournissent eux‑mêmes ces prestations (voir points 75 et suivants des présentes conclusions).

95.

En cas de simple acquisition de prestations et de transmission de ces prestations sans modification, une prestation propre du groupement fait cependant défaut. Il n’existe alors aucun désavantage concurrentiel par rapport à des concurrents qui acquièrent eux‑mêmes les prestations, car celles‑ci sont grevées de la même TVA. Il en irait autrement si le groupement créait une propre valeur ajoutée. Cela serait notamment le cas si les agents étaient employés par le groupement lui‑même de sorte que ce serait le groupement lui‑même qui fournirait les services d’intermédiation. Dans cette hypothèse, l’on serait également en présence de l’élément lié à la coopération sur lequel se fonde l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

96.

Le fait que l’objectif poursuivi réside uniquement dans l’optimisation de la charge de TVA payée en amont et non dans la coopération mutuelle aux fins d’éviter un désavantage concurrentiel est susceptible de constituer un autre indice. Une optimisation de la charge de TVA payée en amont peut être admise lors de l’instauration d’un avantage concurrentiel par le transfert de revenus externes, tirés de prestations, à un groupement établi dans un État appliquant un très faible – voire aucun – taux de TVA. Cela, également, pourrait tout à fait être le cas en l’espèce.

97.

Enfin, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier ces aspects.

C.   À titre subsidiaire : sur la relation avec le régime de l’imposition de groupe visé à l’article 11 de la directive TVA (troisième et quatrième questions)

98.

Dans l’hypothèse où, d’une part, la Cour estimerait qu’un groupement situé dans un pays tiers est, lui aussi, visé par l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA et, d’autre part, la juridiction de renvoi conclurait, malgré les indices existants, à l’absence de distorsion de concurrence, il convient encore de répondre aux troisième et quatrième questions.

99.

Ces deux questions concernent la relation entre l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA et la possibilité de recourir au régime de l’imposition de groupe, prévue à l’article 11 de la directive TVA. Le Royaume‑Uni a fait usage de cette possibilité. Concrètement, ces questions portent sur le point de savoir si et à quelles conditions les membres d’un groupement TVA peuvent également être membres d’un groupement.

100.

La Commission et le Royaume‑Uni s’accordent à cet égard sur le fait que seules les prestations fournies par le groupement à ses membres autonomes sont exonérées de la TVA. Ils considèrent que l’existence d’un groupement TVA fait obstacle à ce que des prestations puissent être fournies aux membres du groupement, car ceux‑ci perdent leur autonomie en vertu des dispositions applicables au groupement TVA. Pour autant que tous les établissements internationaux – qui ont fondé KPS – fassent partie d’un groupement TVA, l’on doit prendre en compte, selon la Commission et le Royaume‑Uni, non plus les membres du groupement mais uniquement un seul membre.

101.

Il s’agit là d’une approche très formelle que je ne considère pas comme exacte, comme je l’ai déjà exposé précédemment (voir points 34 et suivants). En outre, l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA mentionne un groupement « de personnes ». Des personnes autonomes au regard du droit civil demeurent cependant des personnes, même si elles relèvent du champ d’application d’un groupement TVA. En outre, la directive utilise la notion de « groupements autonomes » et non celle de « groupements de personnes autonomes », comme le souligne à juste titre également KIC dans ses observations écrites.

102.

L’autonomie doit donc se rapporter uniquement au groupement et non aux membres du groupement. En l’espèce, il est constant que la fiction de l’absence d’autonomie du groupement (pour KPC) ne saurait s’étendre à un régime d’imposition de groupe. L’article 11 de la directive TVA exclut en effet explicitement l’existence d’un effet transfrontalier.

103.

Conformément à la position de KIC et contrairement à ce qu’a soutenu la Commission lors de l’audience, la notion de « personne » figurant à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne doit pas non plus être entendue comme équivalant à un « assujetti » et encore moins à l’assujetti envisagé de manière extensive par le recours à une fiction, tel que visé à l’article 11 de la directive TVA. Cela ressort déjà du libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. En effet, celui‑ci mentionne également des personnes qui exercent une activité pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’« assujetti ». Par conséquent, des non‑assujettis peuvent, eux aussi, être membres d’un groupement.

104.

À cet égard, la création d’un groupement TVA en recourant à la fiction d’un assujetti unique prévue à l’article 11 de la directive TVA (selon laquelle plusieurs personnes peuvent être considérées « comme un seul assujetti ») ne fait pas obstacle, en tant que telle, à l’existence d’un groupement de personnes. Elle n’exclut pas non plus que le groupement fournisse des prestations à ses membres.

105.

Cela apparaît clairement lorsque l’on modifie quelque peu l’exemple susmentionné (voir points 76 et suivants des présentes conclusions). Un autre hôpital de faible taille C s’associe dans un État membre aux hôpitaux A et B dans le cadre d’un groupement Z qui prend en charge la restauration des patients. A est cependant acquise ultérieurement par X et fait désormais partie d’un groupement TVA dont la tête de groupe (au Royaume‑Uni, le membre représentatif) est X. Z continue de fournir des prestations à A, B et C dont l’indépendance au regard du droit des sociétés n’est pas affectée par les dispositions de l’article 11 de la directive TVA.

106.

Il semble douteux que l’exonération de TVA des prestations fournies par Z à A soit effectivement subordonnée à ce que, aux fins de la TVA, ces prestations soient désormais fictivement réputées être fournies à X et que ce dernier ne fasse, d’un point de vue formel, pas partie du groupement. L’esprit et la finalité du régime de l’imposition de groupe visent – comme cela a été exposé précédemment (points 38 et 39 des présentes conclusions) – à une simplification administrative et non à faire dépendre l’exonération de TVA en faveur d’un groupement de la structure sociale ultérieure de ses membres et de l’existence d’un régime d’imposition de groupe.

107.

La nécessité d’une coopération neutre aux fins de la TVA entre A, B et C ne disparaît pas non plus du simple fait qu’A fait désormais partie du groupement TVA de X. En effet, cela n’a aucune incidence sur le désavantage concurrentiel subi par A, B et C par rapport à un concurrent de taille relativement importante.

108.

Contrairement à ce que soutiennent la Commission et le Royaume‑Uni, les deux « régimes » (régime de l’imposition de groupe et exonération de TVA des prestations d’un groupement) ne s’excluent donc pas en principe mutuellement. Ils doivent uniquement être coordonnés l’un par rapport à l’autre.

109.

Ce n’est que dans la mesure où les membres du groupement sont des personnes faisant toutes partie d’un seul et même groupement TVA que l’article 11 constitue une lex specialis par rapport à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA. Le régime de l’imposition de groupe prévu à l’article 11 de la directive TVA est la disposition la plus étendue, car ce régime ne taxe aucune prestation au sein du groupe. L’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’exempte, en revanche, que les prestations fournies par le groupement à ses membres (et non les prestations fournies par les membres au groupement ou les prestations fournies par les membres entre eux). Le régime de l’imposition de groupe écarte donc l’application de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

110.

Le fait que certains membres du groupement fassent également partie d’un groupement TVA au Royaume‑Uni ne fait donc pas obstacle à l’application de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

VI. Conclusion

111.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le First‑tier Tribunal (tribunal de première instance, Royaume‑Uni) :

1)

L’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ne s’étend pas à un groupement établi dans un pays tiers.

2)

L’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exonération de TVA des prestations de services fournies par un groupement à ses membres en contrepartie du remboursement exact de la part leur incombant n’entraîne pas, en principe, une distorsion de concurrence, sauf si cette exonération est appliquée d’une manière contraire à sa finalité.

Peuvent constituer des indices en ce sens que l’exonération est appliquée d’une manière contraire à sa finalité notamment le fait

que le groupement fournisse les mêmes prestations de services dans une ampleur importante, contre rémunération, à des entités non‑membres et agisse, à cet égard, sur le marché principalement en tant que concurrent et dans une moindre mesure en tant que groupement coopératif,

que le groupement ne fournisse pas de prestations de services spécifiquement adaptées aux besoins de ses membres, mais se contente de fournir des prestations qu’il a acquises ou

que l’objectif poursuivi réside uniquement dans l’optimisation de la charge de TVA payée en amont et non dans la coopération mutuelle aux fins d’éviter un désavantage concurrentiel.

C’est sur l’administration fiscale que pèse la charge de la preuve de ces indices. Le droit de l’Union ne lui impose cependant pas l’obligation de se procurer une expertise spécifique ou tout rapport similaire. Enfin, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier ces indices.

3)

Le fait que certains membres du groupement fassent également partie d’un groupement TVA ne fait pas obstacle à l’application de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112. Il existe cependant une primauté du régime plus étendu de l’imposition de groupe, prévu à l’article 11 de la directive 2006/112. Par conséquent, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 ne s’applique pas lorsque tous les membres du groupement font partie d’un seul et même groupement TVA.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) JO 2006, L 347, p. 1.

( 3 ) Arrêts du 20 novembre 2019, Infohos (C‑400/18, EU:C:2019:992) ; du 21 septembre 2017, Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:718) ; du 21 septembre 2017, DNB Banka (C‑326/15, EU:C:2017:719) ; du 21 septembre 2017, Commission/Allemagne (C‑616/15, EU:C:2017:721), et du 4 mai 2017, Commission/Luxembourg (C‑274/15, EU:C:2017:333).

( 4 ) Voir, sur cette conséquence juridique, notamment, arrêt du 14 février 2019, Vetsch Int. Transporte (C‑531/17, EU:C:2019:114, point 45).

( 5 ) Voir motifs relatifs à l’article 4, paragraphe 4, figurant à la page 4 de la proposition de la Commission du 20 juin1973 [COM(73) 950 final].

( 6 ) Arrêts du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, point 40) ; du 25 avril 2013, Commission/Suède (C‑480/10, EU:C:2013:263, point 37), et du 9 avril 2013, Commission/Irlande (C‑85/11, EU:C:2013:217, points 47 et 48).

( 7 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:150, points 36 et suivants) et dans l’affaire DNB Banka (C‑326/15, EU:C:2017:145, points 45 et suivants).

( 8 ) Arrêts du 21 septembre 2017, Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:718), et du 21 septembre 2017, DNB Banka (C‑326/15, EU:C:2017:719).

( 9 ) Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1).

( 10 ) Conformément au considérant 3, l’adoption de la directive TVA n’a visé à la refonte que de la structure et du libellé, sans toutefois que cela ait entraîné de changements de fond dans la législation existante. Les changements de fond opérés ont cependant été repris de manière exhaustive dans les dispositions sur la transposition et l’entrée en vigueur de la directive. Aucune mention n’est faite, à cet égard, de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.

( 11 ) L’on est en présence d’un modèle d’optimisation fiscale comparable lorsque, au sein de l’Union, l’État membre présentant le taux de TVA le plus faible est choisi comme siège du groupement.

( 12 ) Sur cette justification, voir seulement arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, points 45 et 46) ; du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 48) ; du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331, point 47), et du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 60).

( 13 ) Répondent également par la négative : Ehrke-Rabel, T., VAT Grouping : The Relevance of the Territorial Restriction of Article 11 of the VAT Directive, World Journal of VAT/GST Law, volume 1, no 1, juillet 2012, p. 61 (points 70 et suivants) ; Bjerregaard Eskildsen, C., VAT Grouping versus Freedom of Establishment, 20 EC Tax Review, Issue 3, p. 114-120 ; voir en détail également Stadie, H., dans Rau/Dürrwächter, UStG, article 2, notes 812 et suivantes (version : 174e édition – octobre 2017).

En revanche sont d’un autre avis van Doesum, A., van Kesteren, H., van Norden, G.-J., The Internal Market and VAT : intra-group transactions of branches, subsidiaries and VAT groups (2007) 16 EC Tax Review, Issue 1, p. 34 (point 41).

( 14 ) Voir points 56 et suivants des observations écrites.

( 15 ) Arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C‑288/07, EU:C:2008:505, points 49 et suivants).

( 16 ) Cela est le cas lorsque dans un pays il est procédé à une déduction de la TVA payée en amont par le groupement, car l’exonération de TVA est refusée parce que l’on considère que de telles distorsions de concurrence existent. En revanche, dans l’État membre du bénéficiaire de la prestation, l’exonération peut s’appliquer, compte tenu de l’autoliquidation par le membre du groupement, car aucune distorsion de concurrence ne peut être constatée dans ce cas.

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2019, Infohos (C‑400/18, EU:C:2019:992, point 36) ; du 21 septembre 2017, Commission/Allemagne (C‑616/15, EU:C:2017:721, point 56), et du 11 décembre 2008, Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing (C‑407/07, EU:C:2008:713, point 37). Voir également conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2002:562, point 118).

( 18 ) Mes conclusions dans l’affaire Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:150, points 20 et suivants) et dans l’affaire DNB Banka (C‑326/15, EU:C:2017:145, point 51).

( 19 ) Voir point 11 des observations écrites.

( 20 ) En ce sens, déjà, conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2002:562, points 125 et suivants) – « on doit constater qu’il [le marché] se présente sous un jour très particulier ». Voir également mes conclusions dans l’affaire Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:150, point 67).

( 21 ) Voir notamment arrêt du 28 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑128/05, EU:C:2006:612, point 22 et jurisprudence citée).

Voir en lien avec les exonérations de TVA prévues par la directive TVA également arrêts du 21 septembre 2017, Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:718, point 30) ; du 21 septembre 2017, Commission/Allemagne (C‑616/15, EU:C:2017:721, point 49), et du 5 octobre 2016, TMD, C‑412/15, EU:C:2016:738, point 34 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir, concernant explicitement les exonérations de TVA prévues à l’article 132 de la directive TVA, arrêt du 21 septembre 2017, Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:718, point 30).

( 23 ) Arrêts du 20 novembre 2019, Infohos (C‑400/18, EU:C:2019:992, point 30) ; du 4 mai 2017, Commission/Luxembourg (C‑274/15, EU:C:2017:333, point 50) ; du 28 novembre 2013, MDDP (C‑319/12, EU:C:2013:778, point 25) ; du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, EU:C:2013:198, point 23) ; du 11 décembre 2008, Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing (C‑407/07, EU:C:2008:713, point 30) ; du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 16), et du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47).

( 24 ) Voir arrêts du 20 novembre 2019, Infohos (C‑400/18, EU:C:2019:992, point 48), et du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2003:621, point 64).

( 25 ) Arrêt du 20 novembre 2019, Infohos (C‑400/18, EU:C:2019:992, point 47).

( 26 ) Voir arrêt du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2003:621, point 59) et conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Taksatorringen (C‑8/01, EU:C:2002:562, points 131 et suivants).

( 27 ) Sur la charge de la preuve de l’existence d’une pratique abusive en droit de la TVA, voir, à titre d’exemple, arrêt du 10 juillet 2019, Kuršu zeme (C‑273/18, EU:C:2019:588, points 35 et 38).

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