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Document 62018CJ0454

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 11 mars 2020.
Baltic Cable AB contre Energimarknadsinspektionen.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Förvaltningsrätten i Linköping.
Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Transport d’électricité – Notion de “gestionnaire de réseau de transport” – Règlement (CE) n° 714/2009 – Interconnexion – Ligne de transport reliant les réseaux de transport nationaux des États membres – Article 16, paragraphe 6 – Champ d’application – Utilisation des recettes résultant de l’attribution de la capacité des interconnexions – Entreprise exploitant uniquement une ligne à haute tension transfrontalière assurant l’interconnexion de deux réseaux de transport nationaux.
Affaire C-454/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:189

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 mars 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Transport d’électricité – Notion de “gestionnaire de réseau de transport” – Règlement (CE) no 714/2009 – Interconnexion – Ligne de transport reliant les réseaux de transport nationaux des États membres – Article 16, paragraphe 6 – Champ d’application – Utilisation des recettes résultant de l’attribution de la capacité des interconnexions – Entreprise exploitant uniquement une ligne à haute tension transfrontalière assurant l’interconnexion de deux réseaux de transport nationaux »

Dans l’affaire C‑454/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Förvaltningsrätten i Linköping (tribunal administratif siégeant à Linköping, Suède), par décision du 5 juillet 2018, parvenue à la Cour le 12 juillet 2018, dans la procédure

Baltic Cable AB

contre

Energimarknadsinspektionen,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 juin 2019,

considérant les observations présentées :

pour Baltic Cable AB, par Mes M. Wärnsby, L. Hallberg et S. Andersson, advokater,

pour l’Energimarknadsinspektionen, par MM. G. Morén et C. Vendel Nylander ainsi que par Mmes R. Thuresson et E. Vidlund, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, initialement par M. A. Rubio González, puis par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement finlandais, par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,

pour le Parlement européen, par Mme I. McDowell et M. A. Neergaard, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme A. Lo Monaco ainsi que par MM. J. Kneale et A. Norberg, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme O. Beynet et M. K. Simonsson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 novembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation et la validité de l’article 16, paragraphe 6, du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15, et rectificatif JO 2016, L 19, p. 33).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Baltic Cable AB à l’Energimarknadsinspektionen (Inspection nationale du marché de l’énergie, Suède) (ci-après l’« Ei ») au sujet de l’utilisation des recettes, résultant de l’attribution de la capacité d’une ligne à haute tension transfrontalière assurant l’interconnexion des réseaux de transport suédois et allemand, perçues par Baltic Cable.

Le cadre juridique

La directive 2009/72/CE

3

Les considérants 44 et 59 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), énoncent :

« (44)

[...] La mise en place et la maintenance de l’infrastructure de réseau nécessaire, y compris la capacité d’interconnexion, devraient contribuer à un approvisionnement stable en électricité. La maintenance et la construction des infrastructures de réseau nécessaires, y compris la capacité d’interconnexion et la production d’électricité décentralisée, sont des éléments importants pour assurer un approvisionnement stable en électricité.

[...]

(59)

Le développement d’un véritable marché intérieur de l’électricité, grâce à un réseau interconnecté dans toute [l’Union européenne], devrait être l’un des objectifs principaux de la présente directive et les aspects réglementaires ayant trait aux interconnexions transfrontalières et aux marchés régionaux devraient dès lors constituer une des principales missions des autorités de régulation, le cas échéant en étroite coopération avec l’agence. »

4

Aux termes de son article 1er, la directive 2009/72 « établit des règles communes concernant la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité, ainsi que des dispositions relatives à la protection des consommateurs, en vue de l’amélioration et de l’intégration de marchés de l’électricité compétitifs dans [l’Union] ».

5

L’article 2 de la directive 2009/72 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3.

“transport”, le transport d’électricité sur le réseau à très haute tension et à haute tension interconnecté aux fins de fourniture à des clients finals ou à des distributeurs, mais ne comprenant pas la fourniture ;

4.

“gestionnaire de réseau de transport”, une personne physique ou morale responsable de l’exploitation, de la maintenance et, si nécessaire, du développement du réseau de transport dans une zone donnée et, le cas échéant, de ses interconnexions avec d’autres réseaux, et chargée de garantir la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable de transport d’électricité ;

[...]

13.

“interconnexion”, les équipements utilisés pour interconnecter les réseaux électriques ;

[...] »

6

Aux termes de l’article 12, sous a) et h), de cette directive :

« Chaque gestionnaire de réseau de transport est tenu :

a)

de garantir la capacité à long terme du réseau de répondre à des demandes raisonnables de transport d’électricité, d’exploiter, d’entretenir et de développer, dans des conditions économiquement acceptables, des réseaux de transport sûrs, fiables et efficaces, en accordant toute l’attention requise au respect de l’environnement ;

[...]

h)

de percevoir les recettes provenant de la gestion des congestions et les paiements effectués au titre du mécanisme de compensation entre gestionnaires de réseau de transport conformément à l’article 13 du règlement [...] no 714/2009, d’octroyer et de gérer l’accès des tiers et de préciser les motifs de refus d’un tel accès, sous le contrôle des autorités de régulation nationales ; [...] »

7

L’article 13, paragraphe 4, de la directive 2009/72 prévoit :

« Chaque gestionnaire de réseau indépendant est chargé d’accorder l’accès aux tiers et de gérer cet accès, y compris la perception des redevances d’accès, des redevances résultant de la gestion des congestions aux interconnexions et des paiements effectués au titre du mécanisme de compensation entre gestionnaires de réseau de transport conformément à l’article 13 du règlement [...] no 714/2009, ainsi que d’exploiter, d’entretenir et de développer le réseau de transport et d’assurer la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable grâce à la planification des investissements. [...] »

8

L’article 37, paragraphes 3 et 9, de cette directive dispose :

« 3.   Outre les missions qui lui sont confiées en vertu du paragraphe 1 du présent article, lorsqu’un gestionnaire de réseau indépendant a été désigné en vertu de l’article 13, l’autorité de régulation :

[...]

f)

surveille l’utilisation des redevances provenant de la gestion des congestions aux interconnexions collectées par le gestionnaire de réseau indépendant conformément à l’article 16, paragraphe 6, du règlement [...] no 714/2009.

[...]

9.   Les autorités de régulation surveillent la gestion de la congestion des réseaux nationaux d’électricité, y compris des interconnexions, et la mise en œuvre des règles de gestion de la congestion. À cet effet, les gestionnaires de réseau de transport ou les opérateurs du marché soumettent leurs règles de gestion de la congestion, y compris l’attribution de capacités, aux autorités de régulation nationales. Les autorités de régulation nationales peuvent demander la modification de ces règles. »

Le règlement no 714/2009

9

Les considérants 21 et 24 du règlement no 714/2009 énoncent :

« (21)

Il convient d’établir des règles concernant l’utilisation des recettes découlant des procédures de gestion de la congestion, à moins que la nature particulière de l’interconnexion en cause ne justifie une dérogation à ces règles.

[...]

(24)

[...] Les autorités de régulation, conjointement avec d’autres autorités compétentes des États membres, jouent un rôle essentiel dès lors qu’il s’agit de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité. »

10

Aux termes de l’article 1er, sous a), de ce règlement :

« Le présent règlement vise à :

a)

établir des règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité afin d’améliorer la concurrence sur le marché intérieur de l’électricité, en tenant compte des particularités des marchés nationaux et régionaux. Ceci impliquera la création d’un mécanisme de compensation pour les flux transfrontaliers d’électricité et l’institution de principes harmonisés concernant les redevances de transport transfrontalier et l’attribution des capacités disponibles d’interconnexion entre les réseaux de transport nationaux ».

11

L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, les définitions figurant à l’article 2 de la [directive 2009/72] s’appliquent, à l’exception de la définition du terme “interconnexion” qui est remplacée par le texte suivant :

“interconnexion”, une ligne de transport qui traverse ou enjambe une frontière entre des États membres et qui relie les réseaux de transport nationaux des États membres. »

12

L’article 2, paragraphe 2, sous c), du règlement no 714/2009 définit la « congestion » comme « une situation dans laquelle une interconnexion reliant des réseaux de transport nationaux ne peut pas accueillir tous les flux physiques résultant d’échanges internationaux demandés par les acteurs du marché, en raison d’un manque de capacité des interconnexions et/ou des réseaux nationaux de transport concernés ».

13

Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous g), de ce règlement, une « nouvelle interconnexion » est définie comme une interconnexion qui n’est pas achevée au plus tard le 4 août 2003.

14

Selon l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 714/2009 :

« 1.   Les redevances d’accès aux réseaux appliquées par les gestionnaires de réseau sont transparentes, tiennent compte de la nécessité de garantir la sécurité des réseaux et reflètent les coûts effectivement engagés dans la mesure où ils correspondent à ceux d’un gestionnaire de réseau efficace et ayant une structure comparable et elles sont appliquées d’une manière non discriminatoire. Ces redevances ne sont pas fonction de la distance.

[...]

4.   La fixation des redevances d’accès aux réseaux au titre du présent article ne fait pas obstacle au paiement de redevances à l’exportation déclarée ou à l’importation déclarée résultant de la gestion de la congestion visée à l’article 16. »

15

L’article 16 de ce règlement, intitulé « Principes généraux de gestion de la congestion », prévoit :

« 1.   Les problèmes de congestion du réseau sont traités grâce à des solutions non discriminatoires, basées sur le marché et qui donnent des signaux économiques efficaces aux acteurs du marché et aux gestionnaires de réseau de transport concernés. Les problèmes de congestion du réseau sont de préférence résolus avec des méthodes non transactionnelles, c’est-à-dire des méthodes qui n’impliquent pas une sélection entre les contrats des différents acteurs du marché.

2.   Les procédures de restriction des transactions ne sont utilisées que dans des situations d’urgence où le gestionnaire de réseau de transport doit agir rapidement et où le redéploiement (“redispatching”) ou les échanges de contrepartie (“counter trading”) ne sont pas possibles. Toute procédure de ce type est appliquée de manière non discriminatoire.

Sauf cas de force majeure, les acteurs du marché auxquels ont été attribuées des capacités sont indemnisés pour toute restriction.

3.   La capacité maximale des interconnexions et/ou des réseaux de transport ayant une incidence sur les flux transfrontaliers est mise à la disposition des acteurs du marché, dans le respect des normes de sécurité pour une exploitation sûre du réseau.

4.   Les acteurs du marché préviennent les gestionnaires de réseau de transport concernés, suffisamment longtemps avant le début de la période d’activité visée, de leur intention d’utiliser ou non les capacités attribuées. Toute capacité attribuée non utilisée est réattribuée au marché selon une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire.

5.   Dans la mesure où cela est techniquement possible, les gestionnaires de réseau de transport compensent les demandes de capacité de tout flux d’énergie dans le sens opposé sur la ligne d’interconnexion encombrée afin d’utiliser cette ligne à sa capacité maximale. Compte dûment tenu de la sécurité du réseau, les transactions qui diminuent la congestion ne sont jamais refusées.

6.   Les recettes résultant de l’attribution d’interconnexions sont utilisées aux fins suivantes :

a)

garantir la disponibilité réelle des capacités attribuées ; et/ou

b)

maintenir ou accroître les capacités d’interconnexion via les investissements dans le réseau, en particulier dans les nouvelles interconnexions.

Si les recettes ne peuvent être utilisées d’une manière efficace aux fins mentionnées aux points a) et/ou b) du premier alinéa, elles peuvent être utilisées, sous réserve de l’approbation par les autorités de régulation des États membres concernés, à concurrence d’un montant maximum à fixer par ces autorités de régulation, pour servir de recettes que les autorités de régulation doivent prendre en considération lors de l’approbation de la méthode de calcul des tarifs d’accès au réseau, et/ou de la fixation de ces tarifs.

Le solde des recettes est inscrit dans un poste distinct de la comptabilité interne jusqu’à ce qu’il puisse être dépensé aux fins prévues aux points a) et/ou b) du premier alinéa. L’autorité de régulation informe l’agence de l’approbation visée au deuxième alinéa. »

16

Aux termes de l’article 17, paragraphes 1 et 3, du règlement no 714/2009 :

« 1.   Les nouvelles interconnexions en courant continu peuvent, sur demande, bénéficier, pendant une durée limitée, d’une dérogation à l’article 16, paragraphe 6, du présent règlement, ainsi qu’aux articles 9 et 32 et à l’article 37, paragraphes 6 et 10, de la directive [2009/72] dans les conditions suivantes :

a)

l’investissement doit accroître la concurrence en matière de fourniture d’électricité ;

b)

le degré de risque associé à l’investissement est tel que l’investissement ne serait pas effectué si la dérogation n’était pas accordée ;

c)

l’interconnexion doit être la propriété d’une personne physique ou morale distincte, du moins en ce qui concerne son statut juridique, des gestionnaires de réseau dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite ;

d)

des redevances sont perçues auprès des utilisateurs de cette interconnexion ;

e)

depuis l’ouverture partielle du marché visée à l’article 19 de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité [(JO 1997, L 27, p. 20)], il n’a été procédé au recouvrement d’aucune partie du capital ou des coûts d’exploitation de l’interconnexion au moyen d’une fraction quelconque des redevances prélevées pour l’utilisation des réseaux de transport ou de distribution reliés par cette interconnexion ; et

f)

la dérogation ne doit pas porter atteinte à la concurrence ni au bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité, ni au bon fonctionnement du réseau réglementé auquel l’interconnexion est reliée.

[...]

3.   Le paragraphe 1 s’applique également aux augmentations importantes de capacité des interconnexions existantes. »

17

L’annexe I du règlement no 714/2009, intitulée « Orientations pour la gestion et l’attribution de la capacité de transfert disponible des interconnexions entre réseaux nationaux », prévoit notamment :

« 1.7. [...] les GRT [(gestionnaires de réseau de transport)] ne limitent pas la capacité d’interconnexion pour résoudre un problème de congestion situé à l’intérieur de leur propre zone de contrôle, sauf pour les raisons prévues ci-dessus et pour des raisons de sécurité opérationnelle. [...]

[...]

2.1. Les méthodes de gestion de la congestion sont fondées sur les mécanismes du marché, de manière à favoriser un commerce transfrontalier efficace. À cet effet, les capacités sont attribuées uniquement sous la forme de ventes aux enchères explicites (capacités) ou implicites (capacités et énergie). Les deux méthodes peuvent coexister pour la même interconnexion. Pour les échanges intrajournaliers, un régime de continuité peut être appliqué.

[...]

2.6. Les GRT définissent une structure appropriée pour l’attribution des capacités selon les échéances. [...]

[...]

3.1. L’attribution de capacités au niveau d’une interconnexion est coordonnée et mise en œuvre par les GRT concernés en faisant appel à des procédures d’attribution communes. [...]

[...]

5.2. Les GRT publient une description générale de la méthode de gestion de la congestion appliquée dans différentes circonstances pour maximaliser la capacité disponible sur le marché, ainsi qu’un plan général de calcul de la capacité d’interconnexion pour les différentes échéances, basé sur les réalités électriques et physiques du réseau. Ce plan est soumis à l’appréciation des autorités de régulation des États membres concernés. »

18

Aux termes du point 6 de cette annexe, intitulé « Utilisation des recettes tirées de la congestion » :

« [...]

6.3. Les recettes de la congestion sont réparties entre les GRT concernés conformément à des critères définis d’un commun accord par les GRT concernés et soumis à l’appréciation des autorités de régulation respectives.

6.4. Les GRT établissent clairement à l’avance l’utilisation qu’ils feront de toute recette qu’ils pourraient tirer de la congestion et communiquent l’utilisation effective qui en a été faite. Les autorités de régulation vérifient que cette utilisation est conforme au présent règlement et aux présentes orientations et veillent à ce que la totalité des recettes tirées de la congestion résultant de l’attribution de capacités d’interconnexion soit affectée à un ou plusieurs des trois buts décrits à l’article 16, paragraphe 6, du présent règlement.

[...]

6.6. Les recettes tirées de la congestion et destinées à des investissements pour maintenir ou accroître les capacités d’interconnexion sont affectées de préférence à des projets spécifiques préalablement désignés qui contribuent à réduire la congestion en question et qui peuvent également être mis en œuvre dans un délai raisonnable, compte tenu notamment de la procédure d’autorisation. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19

Baltic Cable est une société suédoise qui possède et exploite, depuis l’année 1994, une ligne électrique à haute tension assurant l’interconnexion des réseaux électriques suédois et allemand.

20

Par décision du 9 juin 2016, l’Ei a, sur le fondement de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement no 714/2009, enjoint à Baltic Cable d’inscrire ses recettes de congestion, à savoir celles que cette dernière avait tirées de l’attribution de la capacité de ladite interconnexion, pour la période allant du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 et celle allant du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, à un poste distinct de sa comptabilité interne jusqu’à ce qu’elles puissent être utilisées aux fins de garantir la disponibilité réelle des capacités attribuées et/ou de maintenir ou d’accroître les capacités d’interconnexion via les investissements dans le réseau, en particulier dans de nouvelles interconnexions.

21

Par décision du 2 novembre 2017, l’Ei a rejeté la demande de Baltic Cable, présentée au titre de l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009, de pouvoir utiliser ses recettes de congestion comme des recettes que les autorités de régulation doivent prendre en considération lors de l’approbation de la méthode de calcul des tarifs d’accès au réseau, et/ou de la fixation de ces tarifs.

22

Baltic Cable a introduit un recours contre ces deux décisions devant le Förvaltningsrätten i Linköping (tribunal administratif siégeant à Linköping, Suède). Elle soutient, à titre principal, que l’article 16 du règlement no 714/2009 vise exclusivement les GRT au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2009/72, et non les entreprises qui, à l’instar de Baltic Cable, gèrent uniquement une interconnexion.

23

À titre subsidiaire, Baltic Cable fait valoir que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que les entreprises exploitant uniquement une interconnexion sont libres de disposer comme elles l’entendent de l’intégralité des recettes de congestion provenant de l’interconnexion dans laquelle elles ont investi.

24

En tout état de cause, ces entreprises devraient être autorisées à utiliser leurs recettes de congestion conformément à l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009.

25

Enfin, Baltic Cable fait valoir que, dans la mesure où ses recettes de congestion représentent environ 70 % de ses revenus, les décisions de l’Ei, mentionnées aux points 20 et 21 du présent arrêt, sont contraires au droit de propriété. Lesdites décisions méconnaîtraient également le principe de proportionnalité en portant une atteinte démesurée à la capacité de Baltic Cable de poursuivre ses activités et en nuisant de la sorte aux objectifs de maintien efficace des capacités d’interconnexion poursuivis par le règlement no 714/2009, alors même qu’il existerait des moyens moins contraignants de rencontrer lesdits objectifs en recourant aux possibilités ouvertes par l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, de ce règlement. Enfin, ces mêmes décisions violeraient le principe de protection de la confiance légitime dans la mesure où, en ayant précédemment statué sur le plafond des recettes de Baltic Cable, l’Ei aurait accepté la manière dont Baltic Cable envisageait d’utiliser ses recettes de congestion.

26

L’Ei soutient que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 vise toute personne qui perçoit des recettes de congestion et que, par conséquent, Baltic Cable est soumise à cette disposition s’agissant de l’utilisation de ses recettes de congestion.

27

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’appliquerait exclusivement aux GRT, l’Ei fait valoir que Baltic Cable doit être considérée comme étant un GRT.

28

Elle soutient, en outre, que, dans la mesure où Baltic Cable est dépourvue de clients acquittant des redevances de réseau, celle-ci ne saurait bénéficier des dérogations prévues à l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009, lesquelles impliquent en effet une réduction desdites redevances.

29

Tout en reconnaissant que l’application de l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 à Baltic Cable aurait pour celle-ci des conséquences pouvant être considérées comme disproportionnées, l’Ei estime que cette considération ne l’autorise pas à faire une application qui serait contra legem de ladite disposition.

30

La juridiction de renvoi considère que, eu égard au libellé de l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009, son champ d’application n’est pas limité aux seuls GRT, bien qu’une interprétation contraire ne saurait être exclue d’emblée.

31

Selon cette juridiction, il résulte par ailleurs clairement de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous a) et b), du règlement no 714/2009 qu’une entreprise qui exploite une interconnexion ne peut pas utiliser ses recettes de congestion dans une perspective de rentabilité. En revanche, une interprétation extensive de cette disposition pourrait autoriser une utilisation de ces recettes aux fins de l’exploitation et de la maintenance de cette interconnexion.

32

La juridiction de renvoi doute néanmoins que l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009 permette à une autorité nationale d’autoriser une entreprise, telle que Baltic Cable, dépourvue de clients acquittant des redevances de réseau susceptibles d’être réduites, à utiliser ses recettes de congestion à des fins autres que celles visées à l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, de ce règlement.

33

Enfin, dans l’hypothèse où l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 serait applicable à une entreprise telle que Baltic Cable, ladite juridiction s’interroge sur la validité de cette disposition au regard du principe de proportionnalité.

34

Considérant, dans ces conditions, que le litige pendant devant lui soulève des questions d’interprétation et de validité du droit de l’Union, le Förvaltningsrätten i Linköping (tribunal administratif siégeant à Linköping) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’applique-t-il à l’ensemble des cas dans lesquels une personne perçoit des recettes résultant de l’attribution d’une interconnexion, indépendamment des circonstances [...], ou bien ne s’applique-t-il que lorsque celui qui perçoit ces recettes est un [GRT] au sens de la définition donnée à l’article 2, paragraphe 4, de la directive [2009/72] ?

2)

S’il est répondu à la première question que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 ne s’applique qu’aux gestionnaires de réseau de transport, une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion est-elle gestionnaire de réseau de transport ?

3)

Si la réponse à la [première question ou à la deuxième question] implique que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion, les coûts d’exploitation et de maintenance d’une interconnexion peuvent-ils être considérés comme des investissements dans le réseau destinés à maintenir ou [à] accroître les capacités d’interconnexion au sens de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009 ?

4)

Si la réponse à la [première question ou à la deuxième question] implique que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion, l’autorité de surveillance peut-elle, sur la base de l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009, autoriser une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion, qui dispose de méthodologies pour définir les tarifs, mais qui n’a pas de clients acquittant directement des redevances de réseau (tarifs) susceptibles d’être réduites, à utiliser les recettes résultant de l’attribution de l’interconnexion dans une perspective de rentabilité ou, en cas de réponse négative à la [troisième question], pour l’exploitation et la maintenance ?

5)

Si la réponse à la [première question ou à la deuxième question] implique que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion et que les réponses aux [troisième et quatrième questions] impliquent que cette entreprise n’a pas le droit d’utiliser les recettes résultant de l’attribution de l’interconnexion pour l’exploitation et la maintenance ou dans une perspective de rentabilité, ou bien que cette entreprise peut utiliser ces recettes pour l’exploitation et la maintenance mais pas dans une perspective de rentabilité, une application de l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion est-elle contraire au principe de proportionnalité prévu par le droit de l’Union ou à tout autre principe ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

35

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion transfrontalière.

36

L’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement no 714/2009 prévoit que les recettes de congestion sont utilisées aux fins de garantir la disponibilité réelle des capacités attribuées et/ou de maintenir ou d’accroître les capacités d’interconnexion via les investissements dans le réseau, en particulier dans les nouvelles interconnexions.

37

Cette disposition ne précisant pas quelles sont les personnes soumises à une telle obligation, il y a lieu, aux fins de l’interprétation de ladite disposition, de tenir compte de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

38

S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009, il convient de relever que presque toutes les dispositions de l’article 16 de ce règlement, y compris son paragraphe 1 qui, par son contenu général, introduit l’ensemble des dispositions de cet article 16, se réfèrent explicitement aux GRT en mettant en exergue les différentes responsabilités que ceux-ci doivent assumer dans le cadre de la gestion de la congestion, ce dernier terme ne visant, ainsi qu’il découle de l’article 2, paragraphe 2, sous c), du règlement no 714/2009, que des situations liées à une interconnexion telle que définie au paragraphe 1 de l’article 2 de ce règlement.

39

Or, le libellé de l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 n’indique nullement que cette disposition devrait être soustraite à l’économie générale dudit article 16. Il en découle qu’il y a lieu de considérer que ladite disposition ne vise que les GRT.

40

Cette interprétation est corroborée par l’annexe I du règlement no 714/2009, intitulée « Orientations pour la gestion et l’attribution de la capacité de transfert disponible des interconnexions entre réseaux nationaux », dont les dispositions se réfèrent à leur tour de manière systématique aux GRT. En particulier, le point 1.7 de cette annexe prévoit ainsi que les GRT ne limitent pas la capacité d’interconnexion pour résoudre un problème de congestion situé à l’intérieur de leur propre zone de contrôle, tandis que le point 5.2 de ladite annexe énonce que les GRT publient une description générale de la méthode de gestion de la congestion appliquée dans différentes circonstances pour maximaliser la capacité disponible sur le marché, ainsi qu’un plan général de calcul de la capacité d’interconnexion pour les différentes échéances. Il ressort également des points 1.7, 2.6 et 3.1 de la même annexe que les GRT sont responsables de l’attribution des capacités au niveau des interconnexions.

41

Il s’ensuit, comme le confirment au demeurant l’article 12, sous h), ainsi que l’article 13, paragraphe 4, et l’article 37, paragraphe 3, sous f), de la directive 2009/72, que les recettes de congestion sont collectées par les GRT qui sont ainsi tenus de les utiliser conformément à l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009.

42

Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si la notion de GRT, au sens du règlement no 714/2009, s’étend aux entreprises exploitant uniquement une interconnexion.

43

À cet égard, concernant, tout d’abord, la notion d’interconnexion, l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 714/2009 définit celle-ci, notamment, comme une « ligne de transport » reliant des « réseaux de transport nationaux des États membres ». Il s’ensuit que, s’agissant du transport d’électricité, le règlement opère une distinction entre une interconnexion et un réseau, la première étant non pas un « réseau » mais une « ligne » de transport.

44

Ensuite, aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2009/72 qui, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 714/2009, est applicable aux fins de ce règlement, un GRT est une personne physique ou morale responsable de l’exploitation, de la maintenance et, si nécessaire, du développement du réseau de transport dans une zone donnée et, le cas échéant, de ses interconnexions avec d’autres réseaux, et chargée de garantir la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable de transport d’électricité.

45

Il en résulte que relève de la notion de GRT une personne qui est responsable, notamment, de l’exploitation et de la maintenance, non seulement d’un réseau de transport, mais également, selon le cas, d’une ou plusieurs interconnexions.

46

Enfin, eu égard au libellé de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2009/72, il appert que le législateur de l’Union n’a pas explicitement envisagé l’hypothèse dans laquelle un GRT exploiterait exclusivement une « ligne de transport », donc notamment une interconnexion. Pour autant, rien ne permet de considérer que l’intention du législateur de l’Union aurait été d’exclure un opérateur qui exploite et maintient exclusivement une ou plusieurs interconnexions de la notion de GRT au sens de cette disposition et du règlement no 714/2009.

47

En effet, tout d’abord, il convient de relever que la définition du GRT, rappelée au point 44 du présent arrêt, met l’accent sur la responsabilité de la personne concernée à l’égard de l’exploitation, de la maintenance et, le cas échéant, du développement de l’infrastructure permettant d’acheminer l’électricité, sans qu’il importe que celle-ci constitue un « réseau » ou une « ligne ».

48

Ensuite, l’article 17 du règlement no 714/2009, qui prévoit une dérogation à l’article 16, paragraphe 6, de ce règlement en faveur des nouvelles interconnexions, dispose, à son paragraphe 1, sous c), que, pour bénéficier de cette dérogation, l’interconnexion en question doit être la propriété d’une personne physique ou morale distincte des GRT dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite. Il ressort des travaux préparatoires du règlement (CE) no 1228/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité (JO 2003, L 176, p. 1), lequel a été abrogé et remplacé par le règlement no 714/2009, notamment de l’exposé des motifs de la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité [COM(2002) 304 final], que sont visées à cette disposition les interconnexions pour lesquelles les investisseurs ne peuvent pas compter sur des redevances instituées pour l’utilisation des réseaux reliés par l’interconnexion.

49

Il s’ensuit que le législateur de l’Union est nécessairement parti de la prémisse selon laquelle relèvent du champ d’application de l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 les entreprises exploitant uniquement une interconnexion.

50

Enfin, l’activité qui se limite à exploiter et à maintenir une interconnexion participe aux échanges transfrontaliers d’électricité et est ainsi susceptible d’améliorer la concurrence sur le marché intérieur de l’électricité. Par conséquent, l’exclusion d’une telle activité de la notion de GRT irait à l’encontre de l’objet du règlement no 714/2009 tel que défini à son article 1er, sous a).

51

Il en découle que la notion de GRT, au sens du règlement no 714/2009, s’étend aux entreprises exploitant uniquement une interconnexion transfrontalière.

52

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion transfrontalière.

Sur la troisième question

53

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un GRT exploite uniquement une interconnexion transfrontalière, les coûts d’exploitation et de maintenance de celle-ci peuvent être considérés comme des investissements dans le réseau destinés à maintenir ou à accroître les capacités d’interconnexion, au sens de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), de ce règlement.

54

À titre liminaire, il convient de rappeler, ainsi qu’il découle de l’intitulé de l’article 16 du règlement no 714/2009, que les dispositions de cet article établissent un ensemble de règles liées à la gestion de la congestion.

55

Pour sa part, la notion de congestion est définie à l’article 2, paragraphe 2, sous c), du règlement no 714/2009 comme une situation résultant d’un manque de capacité des interconnexions et/ou des réseaux de transport concernés.

56

Dans ce cadre, l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 régit les « recettes résultant de l’attribution d’interconnexions ».

57

Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, sous a), du règlement no 714/2009, ladite attribution de capacités d’interconnexion fait l’objet de principes harmonisés devant permettre d’établir des règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité afin d’améliorer la concurrence sur le marché intérieur de l’électricité. En vertu du point 2.1 de l’annexe I de ce règlement, cette attribution est effectuée sous la forme de ventes aux enchères.

58

Il découle de la lecture combinée de l’ensemble des dispositions citées aux points 54 à 57 du présent arrêt que moins la capacité disponible de l’interconnexion en cause est suffisante par rapport à la demande, plus les recettes visées à l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 sont susceptibles de s’avérer importantes pour le GRT concerné. Partant, et ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, les GRT n’ont, en principe, pas d’incitation économique à réduire les congestions.

59

Or, en vue de réduire ou, à tout le moins, de contenir la congestion, l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement no 714/2009 impose que ces recettes soient utilisées, selon son point a), aux fins de garantir la disponibilité réelle des capacités attribuées et/ou, selon son point b), aux fins de maintenir ou d’accroître les capacités d’interconnexion via les investissements dans le réseau, en particulier dans les nouvelles interconnexions.

60

En l’occurrence, la juridiction de renvoi s’interroge plus particulièrement sur la portée de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009.

61

Ainsi qu’il découle du libellé de cette disposition, le législateur de l’Union a mis en exergue la nécessité que les recettes visées à cette disposition, y compris celles affectées au maintien des interconnexions existantes, relèvent d’un « investissement », qu’il s’agisse d’un investissement permettant d’accroître les capacités d’interconnexion ou d’un investissement permettant de les maintenir. À cet égard, le point 6.6 de l’annexe I du règlement no 714/2009 dispose que les recettes tirées de la congestion et destinées à de tels investissements sont affectées de préférence à des projets spécifiques préalablement désignés qui contribuent à réduire la congestion en question et qui peuvent également être mis en œuvre dans un délai raisonnable, compte tenu notamment de la procédure d’autorisation.

62

Partant, les coûts d’exploitation et de maintenance d’une interconnexion, en ce qu’ils ne constituent pas de tels investissements, ne sauraient relever du champ d’application de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009.

63

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un GRT exploite uniquement une interconnexion transfrontalière, les coûts d’exploitation et de maintenance de cette interconnexion ne peuvent pas être considérés comme des investissements dans un réseau, destinés à maintenir ou à accroître les capacités d’interconnexion au sens de cette disposition.

Sur la quatrième question

64

Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’elle applique cette disposition à un GRT qui exploite uniquement une interconnexion transfrontalière, l’autorité nationale de régulation peut autoriser un tel GRT à utiliser ses recettes de congestion dans une perspective de rentabilité ou pour l’exploitation et la maintenance de ladite interconnexion.

65

Selon l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009, les recettes de congestion qui ne peuvent être utilisées d’une manière efficace pour garantir la disponibilité réelle des capacités attribuées et/ou pour maintenir ou accroître les capacités d’interconnexion via des investissements dans le réseau, en particulier dans les nouvelles interconnexions, peuvent être utilisées, sous réserve de l’approbation par les autorités de régulation des États membres concernés et à concurrence d’un montant maximum à fixer par ces autorités, pour servir de recettes que lesdites autorités doivent prendre en considération lors de l’approbation de la méthode de calcul des tarifs d’accès au réseau, et/ou de la fixation de ces tarifs.

66

À cet égard, il importe de relever, tout d’abord, que, contrairement aux GRT responsables uniquement d’une interconnexion, les GRT qui exploitent à la fois une interconnexion et un réseau de transport ont, ainsi qu’il résulte du libellé même de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009, la possibilité d’investir non seulement dans cette interconnexion et/ou dans de nouvelles interconnexions, mais également dans le réseau de transport lui-même dans la mesure où, comme l’implique la notion de congestion définie à l’article 2, paragraphe 2, sous c), du règlement no 714/2009, ce réseau peut être à l’origine de problèmes de congestion en raison de son manque de capacité.

67

Ensuite, à la différence des GRT exploitant uniquement une interconnexion, un GRT qui exploite également un réseau de transport perçoit, conformément à l’article 14 du règlement no 714/2009, des redevances d’accès audit réseau qui, ainsi qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, sous e), du règlement no 714/2009, le mettent en mesure de couvrir les coûts d’exploitation et de maintenance de l’interconnexion qu’il doit supporter. Ces redevances peuvent en outre permettre aux GRT qui les perçoivent d’exercer leur activité dans une perspective de rentabilité.

68

Enfin, l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009 autorise, sous certaines conditions, les GRT à utiliser leurs recettes de congestion aux fins de réduire le montant des redevances d’accès au réseau. Or, étant donné qu’ils n’exploitent aucun réseau de transport et que, partant, ils ne perçoivent pas de telles redevances, les GRT exploitant uniquement une interconnexion ne sont pas en mesure d’utiliser leurs recettes de congestion aux fins envisagées par l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009.

69

Pour tirer les conséquences des différences exposées aux points 66 à 68 du présent arrêt, il importe, en premier lieu, de prendre en considération le paragraphe 1 de l’article 16 du règlement no 714/2009, en vertu duquel, notamment, les problèmes de congestion du réseau doivent être traités au moyen de « solutions non discriminatoires ». Ladite disposition reflète le principe général de non-discrimination désormais consacré à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

70

Partant, il convient d’interpréter le paragraphe 6 de l’article 16 du règlement no 714/2009 à l’aune du paragraphe 1 de cet article et dudit principe, de manière à veiller à ce que, dans le cadre de l’application dudit paragraphe 6, les GRT exploitant uniquement une interconnexion ne fassent pas l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à ceux qui, en outre, gèrent un réseau de transport.

71

En deuxième lieu, il convient d’observer que l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 doit être interprété à la lumière du considérant 21 de ce règlement, aux termes duquel il est permis de déroger aux règles concernant l’utilisation des recettes de congestion si la nature particulière de l’interconnexion en cause le justifie.

72

À cet égard, l’article 17 du règlement no 714/2009 permet aux nouvelles interconnexions de pouvoir bénéficier d’une dérogation à l’article 16, paragraphe 6, de ce règlement, tout en exigeant que, à cette fin, plusieurs conditions spécifiques soient satisfaites, parmi lesquelles celle, prévue à l’article 17, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, tenant à ce que l’interconnexion en question soit la propriété d’une personne physique ou morale distincte des GRT dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite.

73

Ce faisant, le législateur de l’Union a, s’agissant des nouvelles interconnexions, entendu assouplir la portée des obligations découlant de l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009, notamment dans l’hypothèse où une interconnexion est gérée par un GRT distinct de ceux qui gèrent les réseaux reliés par cette interconnexion.

74

En outre, l’article 17, paragraphe 3, du règlement no 714/2009, en vertu duquel le paragraphe 1 de cet article s’applique aux augmentations importantes de capacité des interconnexions existantes, implique que la circonstance selon laquelle l’interconnexion concernée est la propriété d’un GRT distinct de ceux dont les réseaux sont reliés par cette interconnexion est également pertinente pour qu’il soit dérogé aux règles, prévues à l’article 16, paragraphe 6, de ce règlement, concernant l’utilisation des recettes de congestion tirées des interconnexions existantes.

75

En troisième lieu, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 714/2009 exige que les problèmes de congestion soient traités au moyen de solutions « basées sur le marché ».

76

Pour sa part, l’article 12, sous a), de la directive 2009/72 prévoit, notamment, que chaque GRT doit pouvoir exercer son activité « dans des conditions économiquement acceptables ».

77

Or, les différences, relevées aux points 66 à 68 du présent arrêt, existant entre un GRT qui exploite à la fois un réseau de transport et une interconnexion et celui qui exploite uniquement une interconnexion sont précisément de nature à placer les GRT qui relèvent de cette seconde catégorie dans une situation dans laquelle les recettes de congestion qu’ils perçoivent ne peuvent, ainsi que l’envisage l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009, être utilisées d’une manière efficace aux fins mentionnées aux points a) et/ou b) du premier alinéa de ce même paragraphe 6, dans la mesure où l’affectation de la totalité desdites recettes à ces fins aurait pour conséquence d’empêcher lesdits GRT de poursuivre leur activité dans des conditions économiquement acceptables, faute pour ceux-ci de pouvoir faire face aux coûts d’exploitation et de maintenance de l’interconnexion et de dégager un profit approprié.

78

Compte tenu des considérations exposées aux points 69 à 77 du présent arrêt, les autorités nationales de régulation qui, ainsi qu’il ressort du considérant 24 du règlement no 714/2009, jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité doivent, lorsqu’elles appliquent l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, de ce règlement à un GRT exploitant uniquement une interconnexion, mettre ce dernier en mesure d’exercer son activité dans des conditions économiquement acceptables, correspondant aux conditions du marché du transport d’électricité, y compris de réaliser un profit approprié, afin, notamment, d’éviter qu’il ne soit discriminé par rapport aux autres GRT concernés. Si nécessaire à de telles fins, il appartient à ladite autorité d’autoriser ledit GRT, par dérogation à ce que prévoit l’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement no 714/2009, à utiliser une partie des recettes de congestion qu’il perçoit afin de couvrir les coûts liés à l’exploitation et à la maintenance de l’interconnexion et de dégager de son activité un profit approprié.

79

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale de régulation applique cette disposition à un GRT exploitant uniquement une interconnexion transfrontalière, il appartient à ladite autorité d’autoriser ledit GRT à utiliser une partie de ses recettes de congestion dans une perspective de rentabilité ainsi que pour l’exploitation et la maintenance de l’interconnexion, afin d’éviter qu’il ne soit discriminé par rapport aux autres GRT concernés et d’assurer qu’il soit en mesure d’exercer son activité dans des conditions économiques acceptables, y compris en réalisant un profit approprié.

Sur la cinquième question

80

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans les conditions précisées par cette question et dans le cas où l’article 16, paragraphe 6, du règlement no 714/2009 s’applique à un GRT qui exploite uniquement une interconnexion transfrontalière, cette disposition doit être considérée comme contraire au principe de proportionnalité ou à tout autre principe général du droit de l’Union.

81

Il ressort du libellé de cette question que la juridiction de renvoi a posé celle-ci uniquement dans l’hypothèse où les réponses aux questions précédentes impliqueraient qu’un tel GRT n’est pas en droit d’utiliser ses recettes de congestion aux fins de couvrir ses coûts d’exploitation et de maintenance et/ou dans une perspective de rentabilité.

82

Or, eu égard aux réponses apportées par la Cour aux premières à quatrième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question.

Sur les dépens

83

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 16, paragraphe 6, du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003, doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une entreprise qui exploite uniquement une interconnexion transfrontalière.

 

2)

L’article 16, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un gestionnaire de réseau de transport (GRT) exploite uniquement une interconnexion transfrontalière, les coûts d’exploitation et de maintenance de cette interconnexion ne peuvent pas être considérés comme des investissements dans un réseau, destinés à maintenir ou à accroître les capacités d’interconnexion au sens de cette disposition.

 

3)

L’article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, du règlement no 714/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une autorité nationale de régulation applique cette disposition à un gestionnaire de réseau de transport (GRT) exploitant uniquement une interconnexion transfrontalière, il appartient à ladite autorité d’autoriser ledit GRT à utiliser une partie de ses recettes de congestion dans une perspective de rentabilité ainsi que pour l’exploitation et la maintenance de l’interconnexion, afin d’éviter qu’il ne soit discriminé par rapport aux autres GRT concernés et d’assurer qu’il soit en mesure d’exercer son activité dans des conditions économiques acceptables, y compris en réalisant un profit approprié.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le suédois.

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