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Document 62018CJ0389

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 19 décembre 2019.
Brussels Securities SA contre État belge.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
Renvoi préjudiciel – Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents – Directive 90/435/CEE – Prévention de la double imposition – Article 4, paragraphe 1, premier tiret – Interdiction d’imposer des bénéfices reçus – Inclusion du dividende distribué par la filiale dans la base imposable de la société mère – Déduction du dividende distribué de la base imposable de la société mère et le report de l’excédent aux exercices d’imposition suivants sans limitation dans le temps – Ordre d’imputation des déductions fiscales sur les bénéfices – Perte d’un avantage fiscal.
Affaire C-389/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:1132

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

19 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents – Directive 90/435/CEE – Prévention de la double imposition – Article 4, paragraphe 1, premier tiret – Interdiction d’imposer des bénéfices reçus – Inclusion du dividende distribué par la filiale dans la base imposable de la société mère – Déduction du dividende distribué de la base imposable de la société mère et le report de l’excédent aux exercices d’imposition suivants sans limitation dans le temps – Ordre d’imputation des déductions fiscales sur les bénéfices – Perte d’un avantage fiscal »

Dans l’affaire C‑389/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), par décision du 26 janvier 2018, parvenue à la Cour le 13 juin 2018, dans la procédure

Brussels Securities SA

contre

État belge,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur) et A. Kumin, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences des 4 avril 2019 et 3 juillet 2019,

considérant les observations présentées :

pour Brussels Securities SA, par Me R. Forestini, avocat,

pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, MM. P. Cottin et J.‑C. Halleux, en qualité d’agents, ainsi que par M. G. Vercauteren, expert,

pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 6), telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2004, L 7, p. 41) (ci-après la « directive 90/435 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Brussels Securities SA à l’État belge au sujet de l’ordre dans lequel doivent être déduits les revenus déductibles des bénéfices imposables.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes du troisième considérant de la directive 90/435 :

« considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre ; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre ; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire ».

4

L’article 4 de cette directive est ainsi rédigé :

« 1.   Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable :

soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices,

soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale respectent les exigences prévues aux articles 2 et 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.

[...]

2.   Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.

[...] »

5

La directive 90/435 a été abrogée par la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 2011, L 345, p. 8), entrée en vigueur le 18 janvier 2012. Néanmoins, compte tenu de la date des faits du litige au principal, la directive 90/435 leur est applicable ratione temporis.

Le droit belge

6

L’article 202 du code des impôts sur les revenus de 1992, dans sa version en vigueur au cours de l’exercice d’imposition 2011 (ci-après le « CIR 1992 »), prévoit, en ce qui concerne le régime des revenus définitivement taxés (ci-après les « RDT ») :

« 1.   Des bénéfices de la période imposable sont également déduits, dans la mesure ou' ils s’y retrouvent :

1° les dividendes, a' l’exception des revenus qui sont obtenus a' l’occasion de la cession a' une société de ses propres actions ou parts ou lors du partage total ou partiel de l’avoir social d’une société ;

[...]

2.   Les revenus visés au paragraphe 1er, 1° et 2°, sauf dans la mesure ou' un excédent résulte de l’application de l’article 211, paragraphe 2, alinéa 3, ou de dispositions d’effet analogue dans un autre État membre de l’Union européenne, ne sont déductibles que pour autant :

1° qu’a' la date d’attribution ou de mise en paiement de ceux-ci, la société qui en bénéficie, détienne dans le capital de la société qui les distribue une participation de 10 [%] au moins ou dont la valeur d’investissement atteint au moins 2500000 EUR ;

2° que ces revenus se rapportent a' des actions ou parts qui ont la nature d’immobilisations financières et qui sont ou ont été détenues en pleine propriété pendant une période ininterrompue d’au moins un an. »

7

Aux termes de l’article 204, paragraphe 1er, du CIR 1992 :

« Les revenus déductibles conformément à l’article 202, paragraphe 1er, 1°, 3° et 4°, sont censés se retrouver dans les bénéfices de la période imposable à concurrence de 95 % du montant encaissé ou recueilli éventuellement majoré des précomptes mobiliers réels ou fictifs ou diminué, lorsqu’il s’agit de revenus visés à l’article 202, paragraphe 1er, 4° et 5°, des intérêts bonifiés au vendeur en cas d’acquisition des titres pendant la période imposable. »

8

L’article 205, paragraphes 2 et 3, du CIR 1992 est ainsi libellé :

« 2.   La déduction prévue à l’article 202 est limitée au montant des bénéfices de la période imposable, tel qu’il subsiste après application de l’article 199 diminué :

[...]

Les diminutions énumérées à l’alinéa 1er ne s’appliquent pas aux revenus visés à l’article 202, paragraphe 1er, 1° et 3°, alloués ou attribués par une société filiale établie dans un État membre de l’Union européenne.

Pour l’application de l’alinéa précédent, on entend par société filiale, la société filiale telle qu’elle est définie dans la directive [90/435].

3.   Les revenus, à concurrence de 95 % de leur montant, visés à l’article 202, paragraphe ler, 1°et 3°, alloués ou attribués par une société filiale visée au paragraphe 2, alinéa 3, et établie dans un État membre de l’Union européenne, qui n’ont pu être déduits peuvent être reportés sur les exercices d’imposition postérieurs. »

9

L’article 205 ter, paragraphe 1er, premier alinéa, du CIR 1992 prévoit que, pour déterminer la déduction pour capital à risque (ci-après la « DCR ») pour une période imposable, le capital à risque à prendre en considération correspond, sous réserve des dispositions des paragraphes 2 à 7 de cet article, au montant des capitaux propres de la société, à la fin de la période imposable précédente, déterminés conformément à la législation relative à la comptabilité et aux comptes annuels, tels qu’ils figurent au bilan. L’article 205 ter, paragraphe 1er, second alinéa, du CIR 1992 dispose que le capital à risque déterminé à l’alinéa 1er est diminué de la valeur fiscale nette à la fin de la période imposable précédente des actions et parts propres et des immobilisations financières consistant en participations et autres actions et parts, ainsi que de la valeur fiscale nette à la fin de la période imposable précédente des actions ou parts émises par des sociétés d’investissement dont les revenus éventuels sont susceptibles d’être déduits des bénéfices en vertu des articles 202 et 203 du CIR 1992.

10

L’article 205 ter, paragraphes 2 à 7, du CIR 1992 fixe les hypothèses dans lesquelles les capitaux propres doivent subir des corrections pour servir de base de calcul aux fins de constater le montant de la déduction pour capital à risque.

11

L’article 205 quinquies du CIR 1992 prévoit :

« En cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfices d’une période imposable pour laquelle la déduction pour capital à risque peut être déduite, l’exonération non accordée pour cette période imposable est reportée successivement sur les bénéfices des sept périodes imposables suivantes. »

12

L’article 206, paragraphe 1er, du CIR 1992, relatif à la déduction des pertes antérieures, dispose que les pertes professionnelles antérieures sont successivement déduites des revenus professionnels de chacune des périodes imposables suivantes.

13

Conformément à l’article 207 du CIR 1992, le Roi détermine les modalités suivant lesquelles s’opèrent les déductions prévues aux articles 199 à 206 de ce code.

14

L’article 77 de l’arrêté royal du 27 août 1993 d’exécution du CIR 1992 (Moniteur belge du 13 septembre 1993), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après, l’« AR/CIR 1992 »), prévoit :

« Les montants visés aux articles 202 à 205 du [CIR] 1992 déductibles à titre de revenus définitivement taxés ou de revenus mobiliers exonérés sont déduits à concurrence des bénéfices restant après application de l’article 76 ; cette déduction s’opère eu égard à la provenance des bénéfices, par priorité sur ceux dans lesquels lesdits montants sont compris. »

15

Aux termes de l’article 77/1 de l’AR/CIR 1992 :

« La déduction pour revenus de brevets visée aux articles 205/1 à 205/4 du [CIR] 1992 est déduite à concurrence des bénéfices restant après application de l’article 77. »

16

L’article 77 bis de l’AR/CIR 1992 est rédigé dans les termes suivants :

« La [DCR] visée aux articles 205 bis à 205 septies du [CIR] 1992 est déduite à concurrence des bénéfices restant après application de l’article 77/1. »

17

L’article 78 de l’AR/CIR 1992 prévoit :

« Des bénéfices déterminés conformément aux articles 74 à 77 bis sont déduites les pertes professionnelles éprouvées au cours des périodes imposables antérieures visées à l’article 206 du [CIR] 1992, dans la mesure où ces pertes, établies conformément à la législation applicable pour les périodes imposables auxquelles elles se rapportent, n’ont pu être déduites antérieurement ou n’ont pas été couvertes auparavant par des bénéfices exonérés par convention ou n’ont pas été réparties antérieurement entre les associés.

Cette déduction s’opère suivant les modalités prévues à l’article 75, alinéa 2, étant entendu que lesdites pertes, éprouvées dans des pays pour lesquels les bénéfices sont exonérés par convention, ne sont déduites que dans la mesure où elles dépassent les bénéfices exonérés par convention. »

18

L’article 79 de l’AR/CIR 1992 est libellé comme suit :

« La déduction pour investissement visée aux articles 68 à 77 et 201 du [CIR] 1992 est ensuite déduite du montant des bénéfices belges qui subsistent après application de l’article 78. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

19

Brussels Securities, société établie en Belgique, est assujettie à l’impôt des sociétés dans cet État membre.

20

Dans sa déclaration d’imposition relative à l’exercice 2011, Brussels Securities a indiqué avoir déterminé sa base imposable en déduisant, en premier lieu, la DCR et, en second lieu, les RDT. Elle a également revendiqué le report de déductions à l’exercice d’imposition 2012 au titre des RDT pour un montant de 6027313,39 euros, de la DCR pour un montant de 38787618,70 euros et des pertes fiscales pour un montant de 4600991,75 euros.

21

Dans un avis de rectification du 21 mai 2013, l’administration fiscale a annoncé son intention de revoir le montant de la DCR reportable au début et a' l’issue de l’exercice d’imposition 2011 en se basant sur l’ordre d’imputation des déductions fiscales prévu aux articles 77 à 79 de l’AR/CIR 1992. Selon cet ordre, des bénéfices imposables doivent d’abord être déduits les RDT, ensuite la DCR, et, enfin, les pertes a' reporter. Dans la mesure où Brussels Securities n’avait pas appliqué ledit ordre d’imputation pour les exercices d’imposition 2005 a' 2011, l’administration fiscale a considéré qu’aucune somme ne pouvait être reportée à l’exercice 2012 au titre des RDT et que, en ce qui concerne la DCR, le montant devait être porté à 44630643,66 euros. Les pertes à reporter ont été maintenues à la somme de 4600991,75 euros.

22

Le 23 octobre 2013, l’administration fiscale a pris une décision de taxation, en maintenant sa position, telle qu’elle résultait de l’avis de rectification du 21 mai 2013.

23

Sa réclamation contre cette décision de taxation ayant été rejetée, Brussels Securities a saisi la juridiction de renvoi, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), d’une demande d’annulation de l’avis de rectification du 21 mai 2013 et de la décision de taxation du 23 octobre 2013 ainsi que d’une demande visant à ce que soit dit pour droit que les montants des RDT et des excédents des RDT, ainsi que les montants de la DCR et de l’excédent de la DCR dont Brussels Securities est fondée à se prévaloir s’élèvent aux montants déclarés dans sa déclaration fiscale afférente a' l’exercice d’imposition 2011.

24

Selon Brussels Securities, l’ordre d’imputation des déductions fiscales, tel que prévu aux articles 77 à 79 de l’AR/CIR 1992, reviendrait à faire perdre a' une société qui bénéficie du régime des RDT le bénéfice de l’avantage fiscal que constitue la DCR, et ce à concurrence des RDT qu’elle peut déduire. La réglementation nationale ne serait, partant, pas conforme à l’article 4 de la directive 90/435.

25

La juridiction de renvoi se demande si, en raison de l’ordre d’imputation des déductions fiscales prévu par l’AR/CIR 1992 et compte tenu du droit a' la DCR et du droit de déduire le solde des pertes antérieures, le régime d’exonération consistant, dans un premier temps, a' inclure le dividende distribué par la filiale dans la base imposable de la société mère, et, dans un second temps, a' déduire ce dividende de cette base imposable à concurrence de 95 % de son montant, au titre des RDT, conduit a' taxer plus lourdement la société mère par rapport à un régime d’exonération dans lequel les dividendes attribués par la filiale sont purement et simplement écartés des bénéfices de l’exercice fiscal durant lequel ils ont été obtenus, réduisant d’autant le résultat imposable et augmentant dans la même mesure, le cas échéant, les pertes fiscales reportables.

26

À cet égard, cette juridiction précise que, si durant l’une des sept périodes imposables suivantes, visées par l’article 205quinquies du CIR 1992, la société mère réalise un résultat positif, le régime de mise à l’écart immédiate des dividendes attribués par la filiale conduirait à ce que la DCR soit imputée en priorité par rapport au solde des pertes antérieures récupérables, augmenté du montant des dividendes exonérés, de telle sorte que le solde de ces pertes a' reporter sur la période imposable suivante serait plus élevé que dans le cadre du régime de déduction des RDT. Dans le cadre de ce dernier régime, l’imputation du solde des RDT reportés doit être effectuée par priorité par rapport a' celle du solde de la DCR reportée. Ainsi, selon ladite juridiction, en raison de l’ordre d’imputation des déductions fiscales prévu par la réglementation nationale en cause au principal, la déduction des RDT est susceptible d’entraîner une charge fiscale plus lourde que celle qu’impliquerait un régime de mise a' l’écart immédiate des dividendes attribués par la filiale.

27

Dans ces conditions, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4 de la directive [90/435], combiné avec les autres sources du [droit de l’Union], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose a' ce qu’une réglementation d’une autorité nationale, telle que le [CIR 1992] et l’[AR/CIR 1992], dans les textes applicables pour l’exercice d’imposition 2011,

ayant opté pour un régime d’exonération (abstention d’imposer les bénéfices distribués reçus par une société mère a' titre d’associée de sa société filiale) consistant, dans un premier temps, a' inclure le dividende distribué par la filiale dans la base imposable de la société mère, et, dans un second temps, a' déduire ce dividende de cette base imposable en proportion de 95 %, au titre des [RDT][,]

en raison de l’application combinée, pour déterminer la base de calcul de l’impôt des sociétés de la société mère, de ce régime belge de déduction des [RDT] et (1) des règles portant sur une autre déduction constituant un avantage fiscal prévu par cette réglementation (la [DCR]), (2) du droit de déduire le solde des pertes antérieures récupérables, (3) du droit de reporter aux exercices fiscaux suivants, lorsque pour un exercice fiscal leur montant est supérieur a' celui des bénéfices imposables, l’imputation de l’excédent des [RDT], de la [DCR] et du solde des pertes antérieures récupérables, et (4) de l’ordre d’imputation prévoyant, lors de ces exercices fiscaux suivants, que l’imputation doit porter jusqu’a' épuisement du bénéfice imposable d’abord sur les [RDT], puis sur la [DCR] reportée (dont le report est limité aux “sept périodes imposables suivantes”), puis sur le solde des pertes antérieures récupérables[,]

entraîne la réduction, à hauteur de tout ou partie des dividendes reçus de la filiale, des pertes que la société mère aurait pu déduire si les dividendes avaient été purement et simplement écartés des bénéfices de l’exercice fiscal durant lequel ils ont été obtenus (avec pour effet de réduire le résultat imposable de cet exercice fiscal et d’augmenter, le cas échéant, les pertes fiscales reportables) plutôt que d’être maintenus dans ces bénéfices et d’être ensuite l’objet de règles d’exonération et de report du montant exonérés en cas d’insuffisance des bénéfices,

a' savoir la réduction du solde des pertes antérieures récupérables de la société mère, pouvant survenir lors des exercices fiscaux suivant un exercice fiscal pour lequel les [RDT], la [DCR] et le solde des pertes antérieures récupérables excédent le montant des bénéfices imposables [ ?] »

La procédure devant la Cour

28

Une première audience de plaidoiries a été tenue le 4 avril 2019. À la suite du départ d’un membre de la Cour, juge rapporteur dans la présente affaire, de son remplacement au sein de la formation de jugement par un autre juge et de la désignation d’un nouveau juge rapporteur, une deuxième audience de plaidoiries a été tenue le 3 juillet 2019. Lors des deux audiences les mêmes parties et intéressés ont été représentés.

Sur la question préjudicielle

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société mère de sa filiale doivent être, dans un premier temps, inclus dans la base imposable de la première, avant de pouvoir faire, dans un second temps, l’objet d’une déduction, à hauteur de 95 % de leur montant, dont l’excédent peut être reporté aux exercices suivants sans limitation dans le temps, cette déduction étant prioritaire par rapport à une autre déduction fiscale dont le report est limité dans le temps.

30

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 prévoit que, lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices, soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale respectent les exigences prévues aux articles 2 et 3 de cette directive, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.

31

La directive 90/435 laisse ainsi explicitement le choix aux États membres entre le système d’exonération et le système d’imputation, respectivement prévus aux premier et second tirets de l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, point 31).

32

Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, le Royaume de Belgique a opté pour le système d’exonération, prévu à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435. C’est, partant, à la lumière de cette seule disposition qu’il convient de répondre à la question posée.

33

À cet égard, la Cour a jugé que l’obligation de l’État membre ayant choisi le système prévu à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435 de s’abstenir d’imposer les bénéfices que la société mère reçoit, à titre d’associée, de sa société filiale n’est assortie d’aucune condition et est exprimée sous la seule réserve des paragraphes 2 et 3 du même article ainsi que de celle prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive (arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, point 33).

34

Ainsi, les États membres n’ont pas le droit de soumettre le bénéfice de l’avantage résultant de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de ladite directive à des conditions autres que celles prévues par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, points 34 et 36).

35

En outre, il ressort, notamment, du troisième considérant de la directive 90/435 que celle-ci vise à éliminer, par l’instauration d’un régime fiscal commun, toute pénalisation de la coopération entre sociétés d’États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle de l’Union. Cette directive tend ainsi à assurer la neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices par une société filiale sise dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre (arrêts du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement, C‑247/08, EU:C:2009:600, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a., C‑448/15, EU:C:2017:180, point 25).

36

Afin d’atteindre l’objectif de la neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices par une société filiale sise dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre, la directive 90/435 entend éviter, notamment, par la règle prévue à son article 4, paragraphe 1, premier tiret, une double imposition de ces bénéfices, en termes économiques, c’est-à-dire éviter que les bénéfices distribués ne soient frappés, une première fois, dans le chef de la société filiale et, une seconde fois, dans celui de la société mère (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2008, Banque Fédérative du Crédit Mutuel, C‑27/07, EU:C:2008:195, points 24, 25 et 27, ainsi que du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, points 29 et 30).

37

Ainsi, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435 interdit aux États membres d’imposer la société mère au titre des bénéfices distribués par sa filiale, sans distinguer selon que l’imposition de la société mère a pour fait générateur la réception de ces bénéfices ou leur redistribution (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 79) et que relève d’une telle interdiction également une réglementation nationale qui, bien qu’elle n’impose pas les dividendes perçus par la société mère en tant que tels, est susceptible d’avoir pour effet que la société mère subit indirectement une imposition sur ces dividendes (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, point 40).

38

En effet, une telle réglementation n’est compatible ni avec le libellé ni avec les objectifs et le système de la directive 90/435, dès lors qu’elle ne permet pas d’atteindre pleinement l’objectif de prévention de la double imposition économique que vise la règle instaurée à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C‑138/07, EU:C:2009:82, points 41 et 45).

39

À cet égard, il convient de relever que le régime fiscal belge relatif aux RDT, tel qu’il était en vigueur au cours des exercices d’imposition 1992 à 1998, en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 février 2009, Cobelfret (C‑138/07, EU:C:2009:82), prévoyait que les dividendes perçus par la société mère étaient ajoutés à la base imposable de celle-ci et que, par la suite, un montant correspondant à 95 % de ces dividendes était déduit de cette base, mais uniquement dans la mesure où il existait des bénéfices imposables dans le chef de la société mère et sans possibilité de reporter aux exercices fiscaux ultérieurs la partie non déduite des RDT. La Cour a considéré, aux points 37 et 39 de cet arrêt, que, lorsque la société mère ne réalisait pas d’autres bénéfices imposables au titre de la période d’imposition concernée, une telle réglementation avait pour effet de réduire les pertes de la société mère à hauteur des dividendes perçus et, dans la mesure où elle admettait le report des pertes sur des exercices fiscaux ultérieurs, était susceptible d’augmenter la base imposable de la société mère lors des exercices fiscaux ultérieurs.

40

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, à la suite de l’arrêt du 12 février 2009, Cobelfret (C‑138/07, EU:C:2009:82), le régime des RDT a été modifié. Conformément à l’article 205, paragraphe 3, du CIR 1992, la partie des RDT qui ne peut être déduite au cours de l’exercice d’imposition concerné en raison de l’insuffisance de bénéfices peut désormais faire l’objet d’un report aux exercices d’imposition ultérieurs. De surcroît, ce report n’est pas limité dans le temps. Il apparaît ainsi que la diminution des pertes reportables, à laquelle conduit l’intégration des dividendes dans la base imposable de la société mère, est désormais compensée par un report, illimité dans le temps, des RDT du même montant.

41

Toutefois, il ressort des indications figurant dans la décision de renvoi que, en vertu des dispositions du CIR 92, les RDT reportés doivent être déduits par priorité des résultats positifs réalisés par la société mère lors des exercices subséquents, les autres éléments déductibles, notamment la DCR et les pertes, ne pouvant faire l’objet d’une déduction que si, et dans la mesure où, cela est encore possible après la déduction prioritaire des RDT. Plus précisément, la base imposable de la société mère est déterminée en déduisant de ses bénéfices, d’abord les RDT reportés, ensuite, pour autant qu’il existe encore des bénéfices imposables, la DCR reportée, si le délai de son utilisation n’est pas expiré, et, enfin, les pertes reportées.

42

Ainsi, la déduction prioritaire des RDT est susceptible de diminuer, voire de réduire à zéro, la base imposable, ce qui peut avoir pour effet de priver, totalement ou partiellement, le contribuable d’un autre avantage fiscal.

43

En effet, si, conformément à la réglementation nationale applicable au litige au principal, les pertes peuvent être reportées sans limitation dans le temps, la DCR ne peut l’être qu’aux sept exercices d’imposition suivants. Dans ces conditions, l’ordre dans lequel les déductions doivent être opérées, décrit au point 41 du présent arrêt, peut entraîner l’expiration du droit d’utiliser la DCR reportée, à concurrence du montant des RDT qui a été déduit par priorité des bénéfices imposables de la société mère.

44

Or, la DCR accordée à une société soumise à l’impôt des sociétés en Belgique constitue un avantage fiscal qui a pour effet de réduire le taux effectif de l’impôt des sociétés que doit acquitter une telle société dans ledit État membre (arrêt du 17 octobre 2019, Argenta Spaarbank, C‑459/18, EU:C:2019:871, point 37).

45

Il apparaît ainsi que la combinaison du régime des RDT applicable aux dividendes perçus, de l’ordre des déductions prévu par la réglementation nationale, ainsi que de la limitation dans le temps de la possibilité d’utiliser la DCR, peut avoir pour effet que la perception des dividendes est susceptible d’entraîner, pour la société mère, la perte d’un autre avantage fiscal prévu par la législation nationale, et, de ce fait, une imposition plus lourde de ladite société que celle à laquelle elle aurait été soumise si celle-ci n’avait pas perçu de dividendes de sa filiale non résidente ou si, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, les dividendes avaient été purement et simplement écartés de la base imposable de la société mère.

46

Dans ces conditions, contrairement à l’objectif poursuivi par l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435, la perception de tels dividendes n’est pas fiscalement neutre pour la société mère.

47

Le gouvernement belge a fait valoir, devant la Cour, que les effets sur la base imposable de la société mère, tels que décrits aux points 42, 43 et 45 du présent arrêt, sont dus uniquement aux éléments étrangers à la perception des dividendes qui ne relèvent pas de la directive 90/435, tels que l’ordre d’imputation des déductions fiscales ou la limitation dans le temps du report de la DCR, relevant de la seule réglementation nationale.

48

À cet égard, il est, certes, vrai que, en vertu du principe de l’autonomie fiscale des États membres, en l’absence de mesures d’harmonisation prises au niveau de l’Union, il appartient à ces derniers de déterminer tant l’ordre des déductions qui peuvent être appliquées à la base imposable d’une société mère que les délais de report de tels avantages. Toutefois, une telle compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens arrêt du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C‑174/18, EU:C:2019:205, point 30 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 15 juillet 2019, Galeria Parque Nascente, C‑438/18, non publiée, EU:C:2019:619, point 50).

49

En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 32 du présent arrêt, le Royaume de Belgique a opté, dans le cadre de la transposition de la directive 90/435, pour le régime d’exonération prévu à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de ladite directive et a choisi de mettre en œuvre ce régime en prévoyant l’inclusion des dividendes dans la base imposable de la société mère, suivie de leur déduction de cette base et de la possibilité de reporter les RDT aux exercices d’imposition ultérieurs, en vue d’une déduction par priorité. Or, un tel choix implique nécessairement une interaction entre les dividendes et les autres éléments de la base imposable, tels que la DCR. Dans ces conditions, les effets d’une telle interaction doivent être conformes à la directive 90/435, indépendamment de la circonstance que la détermination de l’ordre d’imputation des déductions fiscales et la limitation dans le temps du report de la DCR relèvent de la seule compétence nationale.

50

En outre, est dépourvu de pertinence l’argument soulevé par le gouvernement belge dans ses observations écrites, selon lequel, d’une part, la société mère n’est pas systématiquement imposée sur les dividendes qu’elle perçoit de sa filiale, mais l’est uniquement dans l’hypothèse où elle n’a pas pu faire valoir son droit à la DCR durant sept années consécutives, faute de bénéfices suffisants pendant cette période, et, d’autre part, même si une telle imposition intervenait, celle-ci ne porterait pas sur les dividendes en tant que tels.

51

En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 82 de ses conclusions, bien que les effets préjudiciables d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal soient susceptibles de ne survenir que dans certains cas de figure et non de façon systématique, il n’en demeure pas moins qu’une telle réglementation entraîne des effets qui sont incompatibles avec la directive 90/435.

52

Enfin, le gouvernement belge relève que dans l’hypothèse où il existe encore des bénéfices au stade de l’imputation de la DCR, les RDT ont déjà pu être déduits des bénéfices de la société mère, de sorte que l’inclusion préalable, dans sa base imposable, des dividendes distribués par sa filiale non résidente a été intégralement compensée, sur le plan fiscal, par un montant égal de déduction des RDT.

53

Toutefois, un tel constat ne vise qu’à établir que les dividendes n’ont pas été imposés de manière directe, en tant que tels. Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 33 et 37 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435 s’oppose, sous la seule réserve de ce qu’autorisent les paragraphes 2 et 3 dudit article, tant à toute imposition directe de la société mère au titre des bénéfices distribués par sa filiale qu’aux situations dans lesquelles la société mère subit indirectement une imposition des dividendes perçus de sa filiale. Or, ainsi qu’il a été précisé au point 45 et suivants du présent arrêt, la perception des dividendes, dans le cadre de l’application d’un régime fiscal tel que celui en cause au principal, peut, dans certaines situations, entraîner la perte d’un avantage fiscal, ce qui, à son tour, peut entraîner une imposition plus lourde de la société mère que si de tels dividendes avaient été exclus de sa base d’imposition. Dès lors que la charge fiscale de la société mère est susceptible d’être affectée, il y a lieu de considérer que cette dernière subit, de ce fait, indirectement une imposition sur les dividendes perçus de sa filiale.

54

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société mère de sa filiale doivent être, dans un premier temps, inclus dans la base imposable de la première, avant de pouvoir faire, dans un second temps, l’objet d’une déduction, à hauteur de 95 % de leur montant, dont l’excédent peut être reporté aux exercices suivants sans limitation dans le temps, cette déduction étant prioritaire par rapport à une autre déduction fiscale dont le report est limité dans le temps.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société mère de sa filiale doivent être, dans un premier temps, inclus dans la base imposable de la première, avant de pouvoir faire, dans un second temps, l’objet d’une déduction, à hauteur de 95 % de leur montant, dont l’excédent peut être reporté aux exercices suivants sans limitation dans le temps, cette déduction étant prioritaire par rapport à une autre déduction fiscale dont le report est limité dans le temps.

 

Xuereb

von Danwitz

Kumin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 décembre 2019.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la VIIème chambre

P. G. Xuereb


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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