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Document 62018CC0453

Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 31 octobre 2019.
Bondora AS contre Carlos V. C. et XY.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Juzgado de Primera Instancia n° 11 de Vigo et par le Juzgado de Primera Instancia n°20 de Barcelona.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Procédure européenne d’injonction de payer – Règlement (CE) no 1896/2006 – Fourniture de documents complémentaires à l’appui de la créance – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrôle par la juridiction saisie dans le cadre d’une demande d’injonction de payer européenne.
Affaires jointes C-453/18 et C-494/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:921

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 31 octobre 2019 ( 1 )

Affaires jointes C‑453/18 et C‑494/18

Bondora

[demandes de décision préjudicielle formées par le Juzgado de Primera Instancia no 11 de Vigo (tribunal de première instance no 11 de Vigo, Espagne) et par le Juzgado de Primera Instancia no 20 de Barcelona (tribunal de première instance no 20 de Barcelone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 1896/2006 – Procédure européenne d’injonction de payer – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrôle d’office par le juge – Documents non obligatoires dans le cadre d’une demande d’injonction de payer européenne, mais indispensables aux fins d’apprécier l’éventuelle existence de clauses abusives »

Introduction

1.

Un juge saisi d’une demande d’injonction de payer européenne au titre du règlement (CE) no 1896/2006 ( 2 ), relative à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, est-il tenu de procéder à un contrôle d’office de l’existence éventuelle de clauses abusives, au sens de la directive 93/13/CEE ( 3 ) ? Dans ce contexte, ledit juge est-il habilité à inviter le demandeur à lui communiquer une copie du contrat justifiant sa demande, au titre de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement ? Si tel n’était pas le cas, quelles conclusions conviendrait-il d’en tirer quant à la validité du règlement no 1896/2006, notamment à la lumière de l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») ?

2.

Telles sont, en substance, les questions fondamentales adressées à la Cour par les juridictions de renvoi en l’espèce. C’est à ce titre que, pour la première fois, la Cour sera amenée à clarifier l’articulation entre les exigences respectives du règlement no 1896/2006 et de la directive 93/13 quant à l’office du juge.

3.

Ces deux instruments de droit de l’Union semblent poursuivre des objectifs a priori antinomiques : protection du consommateur grâce à l’intervention active du juge, s’agissant de la directive, et accélération et simplification du recouvrement des créances au moyen de l’inversion du contentieux et d’une responsabilisation accrue du défendeur, pour le règlement.

4.

Il appartiendra à la Cour de déterminer si l’un de ces objectifs se doit de prévaloir sur l’autre ou si – comme je le crois – il est en réalité possible de les concilier, par une interprétation combinée de ces deux instruments.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La Charte

5.

L’article 38 de la Charte dispose :

« Un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union. »

La directive 93/13

6.

Les quatrième, cinquième, vingt et unième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 prévoient :

« considérant qu’il incombe aux États membres de veiller à ce que des clauses abusives ne soient pas incluses dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

considérant que, généralement, le consommateur ne connaît pas les règles de droit qui, dans les États membres autres que le sien, régissent les contrats relatifs à la vente de biens ou à l’offre de services [...]

[...]

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives ;

[...]

considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »

7.

Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13, celle‑ci a « pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ».

8.

L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

9.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

10.

L’article 7, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

Le règlement no 1896/2006

11.

Les considérants 9, 13 et 14 du règlement no 1896/2006 sont libellés comme suit :

« 9.

Le présent règlement a pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de procédure dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer, et d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

[...]

13.

Le demandeur devrait être tenu de fournir, dans la demande d’injonction de payer européenne, des informations suffisamment précises pour identifier et justifier clairement la créance afin de permettre au défendeur de décider en connaissance de cause soit de s’y opposer, soit de ne pas la contester.

14.

Dans ce cadre, le demandeur devrait être tenu de fournir une description des éléments de preuve à l’appui de la créance. À cet effet, le formulaire de demande devrait comporter une liste aussi exhaustive que possible des éléments de preuve habituellement produits à l’appui de créances pécuniaires. »

12.

L’article 1er du règlement no 1896/2006, intitulé « Objet », prévoit :

« 1.   Le présent règlement a pour objet :

a)

de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer ;

et

b)

d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

2.   Le présent règlement n’empêche pas le demandeur de faire valoir une créance au sens de l’article 4 en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire. »

13.

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Champ d’application » :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale dans les litiges transfrontaliers, quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (“acta jure imperii”). »

14.

L’article 2, paragraphes 2 et 3, dudit règlement énumère d’autres exceptions quant à son champ d’application, qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.

15.

L’article 3 du règlement no 1896/2006, portant l’intitulé « Litiges transfrontaliers », dispose :

« 1.   Aux fins du présent règlement, un litige transfrontalier est un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie.

2.   Le domicile est déterminé conformément aux articles 59 et 60 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

[...] »

16.

Aux termes de l’article 7 de ce règlement, intitulé « Demande d’injonction de payer européenne » :

« 1.   Une demande d’injonction de payer européenne est introduite au moyen du formulaire type A figurant à l’annexe I.

2.   La demande comprend les éléments suivants :

a)

le nom et l’adresse des parties, et le cas échéant de leurs représentants, ainsi que de la juridiction saisie de la demande ;

b)

le montant de la créance, notamment le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais ;

c)

si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine ;

d)

la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés ;

e)

une description des éléments de preuve à l’appui de la créance ;

f)

les chefs de compétence ;

et

g)

le caractère transfrontalier du litige au sens de l’article 3.

[...] »

17.

L’article 8 du règlement no 1896/2006, intitulé « Examen de la demande », est libellé comme suit :

« La juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer européenne examine, dans les meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande, si les conditions énoncées aux articles 2, 3, 4, 6 et 7 sont réunies et si la demande semble fondée. Cet examen peut être effectué au moyen d’une procédure automatisée. »

18.

L’article 9 de ce règlement, intitulé « Compléments et rectifications », prévoit :

« 1.   Si les conditions énoncées à l’article 7 ne sont pas réunies, la juridiction met le demandeur en mesure de compléter ou de rectifier la demande, à moins que celle‑ci soit manifestement non fondée ou irrecevable. La juridiction utilise à cet effet le formulaire type B figurant dans l’annexe II.

2.   Lorsque la juridiction demande au demandeur de compléter ou de rectifier la demande, elle fixe un délai qu’elle estime approprié au vu des circonstances. La juridiction peut proroger ce délai si elle le juge utile. »

19.

Conformément à l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement, si les conditions visées à l’article 8 ne sont réunies que pour une partie de la demande, la juridiction en informe le demandeur. Celui-ci est invité à accepter ou à refuser une proposition d’injonction de payer européenne portant sur le montant que la juridiction a fixé. En vertu de l’article 10, paragraphe 2, de ce même règlement, s’il accepte la proposition de la juridiction, celle‑ci délivre une injonction pour la partie de la demande qui a été acceptée par le demandeur. Les conséquences qui en résultent pour le reliquat de la demande initiale sont régies par le droit national.

20.

Aux termes de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006 :

« Le rejet de la demande n’empêche pas le demandeur de faire valoir la créance au moyen d’une nouvelle demande d’injonction de payer européenne ou de toute autre procédure prévue par le droit d’un État membre. »

21.

L’article 12 de ce règlement, intitulé « Délivrance d’une injonction de payer européenne », dispose :

« 1.   Si les conditions visées à l’article 8 sont réunies, la juridiction délivre l’injonction de payer européenne dans les meilleurs délais et en principe dans un délai de trente jours à compter de l’introduction de la demande, au moyen du formulaire type E figurant dans l’annexe V.

Le calcul du délai de trente jours ne comprend pas le délai nécessaire au demandeur pour compléter, rectifier ou modifier la demande.

2.   L’injonction de payer européenne est délivrée conjointement avec une copie du formulaire de demande. Elle ne comporte pas les informations fournies par le demandeur dans les appendices 1 et 2 du formulaire type A.

[...]

4.   Aux termes de l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé que :

a)

l’injonction a été délivrée sur le seul fondement des informations fournies par le demandeur et n’a pas été vérifiée par la juridiction ;

b)

l’injonction deviendra exécutoire à moins qu’il ait été formé opposition auprès de la juridiction conformément à l’article 16 ;

c)

lorsqu’il a été formé opposition, la procédure se poursuit devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine conformément aux règles de la procédure civile ordinaire, sauf si le demandeur a expressément demandé qu’il soit mis un terme à la procédure dans ce cas.

[...] »

22.

En vertu de l’article 22, paragraphe 3, dudit règlement, une injonction de payer européenne ne peut en aucun cas faire l’objet d’un réexamen au fond dans l’État membre d’exécution.

23.

Conformément à l’article 26 du même règlement, toute question procédurale non expressément réglée par le règlement no 1896/2006 est régie par le droit national.

24.

Enfin, le formulaire type A, figurant à l’annexe I de ce règlement, comporte une série de cases que le demandeur doit compléter. En l’espèce, il convient de mettre en évidence les cases portant les numéros suivants : 6 (« Montant principal »), 7 (« Intérêts »), 8 (« Pénalités contractuelles »), 9 (« Frais »), 10 (« Éléments de preuve disponibles à l’appui de la créance ») et 11 (« Déclarations et informations complémentaires »).

Le droit espagnol

25.

Conformément à la vingt-troisième disposition finale de la Ley 1/2000, de 7 de enero 2000, de Enjuiciamiento Civil ( 4 ) (loi no 1/2000 du 7 janvier 2000 portant code de procédure civile, ci‑après la « LEC »), introduisant des mesures d’application du règlement no 1896/2006 en droit espagnol et, plus particulièrement, à ses paragraphes 2 et 11 :

« 2. La demande d’injonction de payer européenne est introduite au moyen du formulaire type A figurant à l’annexe I du règlement (CE) no 1896/2006, sans qu’il soit obligatoire d’apporter de quelconques documents qui, le cas échéant, seront irrecevables.

[...]

11. Les questions procédurales non prévues par le règlement no 1896/2006 pour la délivrance d’une injonction de payer européenne sont régies par les dispositions [de la LEC] relatives à l’injonction de payer. »

26.

Aux termes de l’article 815, paragraphe 4, de la LEC :

« Si la créance réclamée est fondée sur un contrat entre une société ou un professionnel et un consommateur ou usager, le Letrado de la Administración de Justicia (greffier) doit le notifier au juge avant [la délivrance de] l’injonction de payer afin que celui‑ci puisse constater l’éventuel caractère abusif de toute clause qui fonde la demande ou qui détermine le montant exigible. Le juge examine d’office si l’une des clauses qui fonde la demande ou qui détermine le montant exigible peut être qualifiée de clause abusive. S’il estime que l’une des clauses peut être qualifiée comme telle, il invite les parties à présenter des observations dans un délai de cinq jours. Après avoir entendu les parties, il statue par voie d’ordonnance dans les cinq jours. Cette procédure n’impose pas l’intervention d’un avocat ni celle d’un avoué.

Si le juge considère que l’une des clauses contractuelles a un caractère abusif, l’ordonnance émise détermine les conséquences de ce constat en déclarant soit le caractère infondé de la demande, soit la poursuite de la procédure sans l’application des clauses jugées abusives.

Si le tribunal estime qu’il n’y a pas de clauses abusives, il fait une déclaration en ce sens et le Letrado de la Administración de Justicia (greffier) adresse une injonction au débiteur dans les termes prévus au paragraphe 1.

En tout état de cause, l’ordonnance rendue est directement susceptible de recours. »

Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

L’affaire C‑453/18

27.

Bondora AS (ci‑après « Bondora ») est une société commerciale qui a conclu un contrat de prêt avec un consommateur, M. Carlos V. C. Le 21 mars 2018, cette société a introduit une demande d’injonction de payer européenne pour un montant s’élevant à 755,27 euros contre ledit consommateur, auprès du Juzgado de Primera Instancia no 11 de Vigo (tribunal de première instance no 11 de Vigo, Espagne).

28.

Étant donné que la créance invoquée par Bondora résultait d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur, au titre de l’article 815, paragraphe 4, de la LEC, la juridiction de renvoi a demandé à Bondora de produire des documents à l’appui de ladite créance en vue de vérifier l’éventuel caractère abusif des clauses figurant dans ce contrat de prêt.

29.

Bondora a refusé de produire lesdits documents en faisant valoir, premièrement, que conformément à la vingt-troisième disposition finale, paragraphe 2, de la LEC, s’agissant d’une demande d’injonction de payer européenne, il n’était pas nécessaire de produire des documents à l’appui de ladite créance et, deuxièmement, que les articles 8 et 12 du règlement no 1896/2006 ne faisaient aucune référence à la production de documents pour la délivrance d’une injonction de payer européenne.

30.

La juridiction de renvoi considère qu’une telle interprétation de la réglementation visée au point précédent est susceptible de soulever des difficultés lorsque la créance dont l’exécution est réclamée se fonde sur un contrat conclu avec un consommateur.

31.

En effet, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a observé que l’article 815, paragraphe 4, de la LEC avait été adopté, dans son libellé actuel, à la suite de la jurisprudence de la Cour et, notamment, de l’arrêt Banco Español de Crédito ( 5 ), qui avait consacré la nécessité d’un contrôle d’office des clauses abusives dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer de droit national.

32.

Selon la juridiction de renvoi, le refus de Bondora de produire les documents visés à l’appui de sa créance, au titre de la vingt-troisième disposition finale, paragraphe 2, de la LEC, a pour effet d’empêcher le juge saisi d’exercer le contrôle que l’article 815, paragraphe 4, de cette même loi lui impose en cas de demande d’injonction de payer afférente à un consommateur.

33.

C’est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13], ainsi que la jurisprudence qui l’interprète en ce sens que cet article de la directive s’oppose à une règle nationale, telle que la vingt-troisième disposition finale, [paragraphe 2] de la [LEC], qui dispose qu’il n’est pas obligatoire d’apporter des documents dans le cadre d’une demande d’injonction de paiement européenne et que, le cas échéant, ces documents seront irrecevables ?

2)

Faut-il interpréter l’article 7, paragraphe 2, sous e), du règlement [no 1896/2006], en ce sens que cet article n’interdit pas [au juge] de demander à la société créancière de produire les documents sur lesquels elle fonde la réclamation résultant d’un prêt à la consommation conclu entre un professionnel et un consommateur si la juridiction estime que l’examen de ces documents est indispensable pour apprécier l’éventuelle existence de clauses abusives dans le contrat conclu entre les parties, et se conformer ainsi aux dispositions de la directive [93/13] et la jurisprudence qui l’interprète ? »

L’affaire C‑494/18

34.

Dans cette seconde affaire, la même société (à savoir Bondora) a conclu un contrat de prêt avec un autre consommateur, XY. Le 17 mai 2018, Bondora a demandé au Juzgado de Primera Instancia no 20 de Barcelona (tribunal de première instance no 20 de Barcelone, Espagne) de lui délivrer une injonction de payer européenne à l’encontre de XY, pour une somme de 1818,66 euros.

35.

Dans le formulaire type A (annexe I du règlement no 1896/2006), Bondora a signalé que XY était un consommateur et qu’elle disposait du contrat de prêt qui fondait la réclamation et la détermination du montant de la créance. Bondora a indiqué aussi que si le consommateur décidait de former une opposition, elle demanderait le non‑lieu à statuer.

36.

Ayant constaté la qualité de consommateur de l’une des parties au litige, la juridiction de renvoi a demandé à Bondora de remplir le point 11 du formulaire A, sous l’intitulé « Déclarations et informations complémentaires », en précisant la ventilation de la créance, ainsi qu’en reproduisant les clauses du contrat invoquées à l’appui de la créance.

37.

Bondora a refusé de fournir ces informations, en affirmant que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, elle n’était pas tenue de produire davantage d’éléments de preuve à l’appui de sa créance. En effet, conformément à la vingt-troisième disposition finale, paragraphe 2, de la LEC, en cas de demande d’injonction de payer européenne, il n’est pas nécessaire de fournir des documents à l’appui de la créance. En outre, cette société a également fait valoir que d’autres juridictions avaient déjà admis pareilles demandes d’injonction sans lui demander de satisfaire à d’autres exigences.

38.

La juridiction de renvoi s’interroge ainsi quant à l’interprétation du règlement no 1896/2006 à la lumière de l’impératif de protection des consommateurs et de la jurisprudence de la Cour ( 6 ). Selon la juridiction de renvoi, la délivrance d’une injonction de payer européenne afférente à un consommateur sans aucun contrôle quant à l’existence de clauses abusives pourrait violer l’impératif de protection des consommateurs et, à ce titre, l’article 38 de la Charte et l’article 6, paragraphe 1, TUE.

39.

Toujours selon la juridiction de renvoi, l’article 38 de la Charte, l’article 6, paragraphe 1, TUE, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à une disposition nationale, telle que la vingt-troisième disposition finale, paragraphe 2, de la LEC, pour autant qu’elle permette au juge de prendre connaissance du contenu des clauses du contrat aux fins de pouvoir exercer un contrôle d’office des clauses potentiellement abusives.

40.

En revanche, si le règlement no 1896/2006 ne permettait pas d’obtenir la moindre précision additionnelle aux fins de vérifier l’existence éventuelle de clauses abusives, ledit règlement devrait être tenu pour contraire à l’article 6, paragraphe 1, TUE et à l’article 38 de la Charte.

41.

C’est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une disposition nationale telle que la vingt-troisième disposition finale, paragraphe 4, de la [LEC], qui ne permet ni de produire, ni d’exiger la présentation d’un contrat ou le détail du montant de la créance, alors que la réclamation [de la créance] est dirigée contre un consommateur et que des indices suggèrent que des sommes sont réclamées sur le fondement de clauses abusives, est-elle conforme à l’article 38 de la [Charte], à l’article 6, paragraphe 1, [TUE] ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] ?

2)

Dans le cadre des réclamations dirigées contre un consommateur, le fait d’inviter le demandeur à préciser, au paragraphe 11 du formulaire A, le détail de la créance réclamée est-il conforme à l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement [no 1896/2006] ? En outre, le fait d’exiger de reproduire, au paragraphe 11 de ce formulaire, le contenu des clauses du contrat sur lesquelles sont fondées les réclamations dirigées contre un consommateur, au-delà de l’objet principal du contrat, pour en apprécier le caractère abusif est-il conforme à cette disposition ?

3)

En cas de réponse négative à la deuxième question, la version actuelle du règlement no 1896/2006 permet-elle de vérifier d’office, avant de délivrer l’injonction de payer européenne, si un contrat conclu avec un consommateur contient des clauses abusives et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle disposition ?

4)

Si la version actuelle du règlement no 1896/2006 ne permettait pas de contrôler d’office l’existence de clauses abusives avant de délivrer l’injonction de payer européenne, il est demandé à la Cour de se prononcer sur la validité dudit règlement au regard de l’article 38 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, [TUE]. »

La procédure devant la Cour

42.

Par décision du président de la Cour du 6 septembre 2018, les deux affaires ont été jointes aux fins de la phase écrite de la procédure. La jonction des deux affaires a ultérieurement été maintenue aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.

43.

Des observations écrites ont été soumises par les gouvernements espagnol, letton et hongrois, ainsi que par la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen.

44.

Les parties n’ayant pas sollicité la tenue d’une audience de plaidoiries, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, celle‑ci a décidé d’en faire l’économie.

Analyse

Observations liminaires sur les instruments applicables en l’espèce

45.

Avant d’examiner les questions préjudicielles présentées par les juridictions de renvoi, il convient d’établir l’applicabilité de la directive 93/13 et du règlement no 1896/2006 en l’espèce.

46.

S’agissant de la directive 93/13, celle‑ci trouve à s’appliquer aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur (article 1er, paragraphe 1, de ladite directive).

47.

En l’espèce, il ressort des informations visées dans les demandes préjudicielles que les litiges au principal portent sur des créances liées à des contrats de prêt conclus entre Bondora, une entité ayant la qualité de professionnel, et des consommateurs (Carlos V. C. et XY). Dès lors, la directive 93/13 trouve à s’appliquer dans le cadre des litiges au principal.

48.

S’agissant du règlement no 1896/2006, le champ d’application de celui‑ci est déterminé par l’article 2, conformément auquel ce règlement s’applique « en matière civile et commerciale dans les litiges transfrontaliers, quelle que soit la nature de la juridiction », sous réserve des exceptions énumérées aux paragraphes 1, 2 et 3 de ce même article.

49.

En l’espèce, il ressort des informations visées dans les demandes préjudicielles que les litiges au principal relèvent de la matière civile et commerciale et ne correspondent à aucune des exceptions susvisées. En revanche, la question de savoir si lesdits litiges revêtent un « caractère transfrontalier », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, demeure ouverte.

50.

En effet, cet aspect n’a pas été évoqué dans les décisions de renvoi, qui restent muettes quant à la question de la localisation du domicile de Bondora.

51.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, un litige transfrontalier est un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie. Ledit domicile est déterminé selon les dispositions pertinentes du règlement (UE) no 1215/2012 ( 7 ), soit les articles 62 et 63. Ceux-ci prévoient notamment que la détermination du lieu du domicile d’une partie incombe au juge saisi de la demande.

52.

C’est donc aux juridictions de renvoi qu’il appartiendra d’établir le respect de l’exigence visée à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement no 1896/2006. À première vue, toutefois, d’après les recherches que j’ai effectuées, Bondora semble être une société dont le siège statutaire est sis en Estonie et qui est inscrite au registre des personnes morales de cet État membre. L’exigence consacrée par l’article 3, paragraphe 1, semble donc a priori satisfaite.

53.

Les juridictions de renvoi seront appelées à mettre en œuvre les exigences des instruments du droit dérivé de l’Union applicables en l’espèce. Étant donné que le règlement no 1896/2006 et la directive 93/13 constituent des instruments de droit dérivé et, plus précisément, des actes législatifs (au sens de l’article 289 TFUE), jouissant d’un rang égal dans la hiérarchie des normes ( 8 ), et étant donné qu’aucune disposition du règlement n’exclut ni ne restreint expressément l’application de la directive, il convient donc de procéder à une lecture combinée de ces deux instruments en vue d’établir si une interprétation harmonieuse de ceux‑ci est possible.

54.

Dans les développements qui suivent, je procéderai à une analyse conjointe portant sur les premières et deuxièmes questions posées dans les affaires C‑453/18 et C‑494/18, ainsi que sur la troisième question dans l’affaire C‑494/18, avant de traiter subséquemment la quatrième question posée dans l’affaire C‑494/18.

Sur les premières et deuxièmes questions posées dans les affaires C‑453/18 et C‑494/18 et sur la troisième question posée dans l’affaire C‑494/18

55.

Par ces questions préjudicielles, les juridictions de renvoi cherchent à établir, en substance :

si le juge national saisi d’une demande d’injonction de payer européenne afférente à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur est habilité à procéder à un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses prévues dans le contrat concerné, comme l’exigent les articles 6 et 7 de la directive 93/13, tels qu’interprétés par la Cour, en prenant en considération l’article 38 de la Charte et l’article 6, paragraphe 1, TUE ;

si, à ce titre, le juge saisi peut exiger du demandeur, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, sous d) et e), de ce règlement, de reproduire le contenu des clauses contractuelles sur lesquelles se fonde sa demande ou de fournir une copie du contrat invoqué à l’appui de la créance, dans le but d’effectuer le contrôle évoqué ci‑dessus, et

par conséquent, si les dispositions susmentionnées du règlement no 1896/2006 font obstacle à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui qualifie d’irrecevables les documents supplémentaires soumis par un demandeur, tels qu’une copie du contrat justifiant la créance invoquée.

56.

Afin d’apporter une réponse à cette triple question, il convient d’examiner, de prime abord, les principes consacrés par l’article 38 de la Charte, par les articles 6 et 7 de la directive 93/13, ainsi que par la jurisprudence de la Cour portant sur l’office du juge, notamment dans le cadre de demandes d’injonctions de payer de droit national, avant d’en examiner la transposition dans le contexte du règlement no 1896/2006, à la lumière du libellé, du contexte et des objectifs de ces instruments ( 9 ).

Rappel du principe énoncé à l’article 38 de la Charte

57.

Je relève que l’article 38 de la Charte prévoit qu’un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE dispose que « [l]’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte », cette dernière ayant la même valeur juridique que les traités.

58.

Selon les explications relatives à la Charte ( 10 ), le principe contenu dans l’article 38 de celle‑ci a été fondé sur l’article 169 TFUE. En vertu de ce dernier, afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l’Union contribue, notamment, à la protection des intérêts économiques de ceux‑ci.

L’office du juge à la lumière de la directive 93/13 et de la jurisprudence de la Cour

– Principes généraux

59.

Les articles 6 et 7 de la directive 93/13 consacrent deux objectifs. Il s’agit, d’une part, d’éviter que des consommateurs ne soient liés par des clauses abusives (telles que définies dans ladite directive) et, d’autre part, de dissuader les professionnels d’avoir recours à ce type de clauses dans les contrats conclus avec les consommateurs.

60.

Ces dispositions ont donné lieu à une abondante jurisprudence au cours des vingt dernières années. Il convient d’en relever succinctement les enseignements pertinents pour mon analyse en l’espèce ( 11 ).

61.

Selon une jurisprudence constante depuis l’an 2000 ( 12 ), le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles‑ci.

62.

D’après la Cour, afin d’assurer la protection visée par la directive 93/13, la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat ( 13 ).

63.

C’est à la lumière de ces considérations que la Cour a jugé que, dans le cadre des fonctions qui incombent au juge national, en vertu des dispositions de la directive 93/13, celui‑ci est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel ( 14 ) et ce, dès qu’il dispose « des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet» ( 15 ). À cette fin, le juge doit pouvoir prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi entre dans le champ d’application de la directive 93/13 ( 16 ).

64.

Selon la jurisprudence de la Cour, ces obligations incombant au juge national doivent être considérées comme nécessaires pour assurer au consommateur une protection effective, compte tenu du risque non négligeable que celui‑ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer ( 17 ).

65.

À cet égard, la Cour a souligné que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 constitue une disposition ayant un caractère impératif et qui doit être considérée comme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public ( 18 ).

– Application dans le cadre des procédures d’injonction de payer de droit national

66.

Les principes rappelés précédemment trouvent à s’appliquer dans le cadre de procédures accélérées ou simplifiées, telles qu’une procédure d’injonction de payer de droit national ( 19 ).

67.

Une telle procédure permet à un créancier d’obtenir rapidement et avec peu de formalités un titre exécutoire pour des créances incontestées. Si les modalités précises varient d’un pays à l’autre, il s’agit néanmoins, pour l’essentiel, d’une procédure qui n’implique aucun débat contradictoire au fond, sauf dans l’hypothèse où le débiteur le déclenche en formant une opposition. Ce transfert de l’initiative procédurale au défendeur – dénommé « inversion du contentieux » – signifie qu’il incombe au destinataire de l’injonction de payer d’engager la procédure contradictoire pour empêcher que cette injonction ne devienne exécutoire ( 20 ).

68.

Le mécanisme de l’injonction de payer fait peser, à ce titre, une responsabilité considérable sur le défendeur. En effet, cette inversion du contentieux signifie que le débat judiciaire contradictoire est différé et conditionnel – en ce qu’il dépend d’une contestation active de la part du défendeur. À défaut d’une telle contestation, ce débat n’aura jamais lieu. Si ce mécanisme présente des avantages importants en termes d’efficacité et de célérité, il crée toutefois un désavantage procédural au détriment du défendeur, a fortiori lorsque celui‑ci est une partie faible, à l’instar d’un consommateur susceptible d’être surpris par l’ouverture d’une telle procédure ( 21 ).

69.

Avant de procéder à l’analyse de la jurisprudence de la Cour à ce sujet, il convient de formuler une observation liminaire quant aux types de procédures d’injonction de payer qui existent au sein de l’Union.

70.

Au sein des différents États membres, on distingue généralement deux formes de procédures d’injonction de payer ( 22 ), à savoir, d’une part, les procédures dites documentaires (ou « par preuve ») ( 23 ) et, d’autre part, les procédures non documentaires (« sans preuve ») ( 24 ).

71.

C’est dans le contexte d’une procédure nationale d’injonction de payer à caractère documentaire que la Cour a été amenée à se prononcer – pour la première fois – sur l’obligation de relevé d’office des clauses abusives par le juge avant toute opposition formée par le défendeur. Tel était l’objet de l’affaire Banco Español de Crédito ( 25 ).

72.

Après avoir rappelé les principes généraux énoncés ci‑dessus, la Cour a observé que les modalités des procédures nationales d’injonction de payer relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, au titre de leur autonomie procédurale. Selon une jurisprudence constante, cette autonomie procédurale est toutefois encadrée par l’exigence du respect des principes d’équivalence ( 26 ) et d’effectivité ( 27 ).

73.

S’agissant du principe d’effectivité, la Cour a rappelé que chaque cas doit être analysé en tenant compte de la place de la disposition en cause dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 28 ).

74.

Après s’être livrée à une analyse des caractéristiques du régime espagnol de l’injonction de payer, et notamment de la brièveté du délai d’opposition imposé au défendeur (vingt jours), la Cour a considéré qu’un tel régime procédural, qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier, est de nature à « porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13» ( 29 ).

75.

En effet, la Cour a estimé que, compte tenu de l’ensemble, du déroulement et des particularités de la procédure d’injonction de payer prévalant en droit espagnol, il existait un risque non négligeable que « les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent» ( 30 ).

76.

La Cour a ainsi élaboré une grille d’analyse particulièrement utile aux fins d’établir le risque d’atteinte à l’effectivité de la protection dont les consommateurs doivent pouvoir bénéficier au titre de la directive 93/13 ( 31 ). À la suite de cet arrêt, le Royaume d’Espagne a modifié sa législation. Cette réforme a abouti au libellé actuel de l’article 815, paragraphe 4, de la LEC, dont les juridictions de renvoi ont fait état en l’espèce.

77.

La Cour a complété son analyse dans l’arrêt Finanmadrid EFC, selon lequel la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose « à une réglementation nationale [...] qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque l’autorité saisie de la demande d’injonction de payer n’est pas compétente pour procéder à une telle appréciation» ( 32 ).

78.

L’arrêt Profi Credit Polska ( 33 ) a permis à la Cour de préciser sa position, dans le contexte d’une procédure de droit national dans laquelle la juridiction de renvoi ne disposait pas des éléments de droit et de fait nécessaires en vue de l’examen du caractère abusif des clauses justifiant la demande ( 34 ). Un tel examen ne pouvait intervenir que dans l’hypothèse d’une opposition formée par le consommateur.

79.

Dans cet arrêt, la Cour a reconnu qu’« une protection effective des droits conférés au consommateur par [la directive 93/13] ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office [par le juge national] de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné» ( 35 ). La procédure de droit national mise en cause se doit d’être « examinée dans son ensemble, en incluant tant la première phase précédant la formation de l’opposition, que la seconde phase qui lui fait suite» ( 36 ).

80.

Après avoir rappelé les principes d’autonomie procédurale, ainsi que d’effectivité, la Cour a souligné que les consommateurs se doivent d’avoir « la possibilité [...] de former opposition dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui amenuisent l’exercice des droits garantis par la directive 93/13» ( 37 ).

81.

C’est à ce titre que la Cour a jugé, après avoir rappelé les critères d’analyse évoqués au point 75 des présentes conclusions, que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposait à une réglementation nationale « permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer [...] lorsque le juge saisi [...] ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses [...], dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur tire de cette directive» ( 38 ).

82.

Quelle conclusion faut-il tirer de cette jurisprudence ?

83.

À mon sens, il convient de conclure qu’un contrôle judiciaire de la nature (potentiellement) abusive des clauses invoquées à l’appui de sa créance par le demandeur doit être possible, au stade de l’examen de la demande d’injonction de payer, y compris en cas de procédure de type non documentaire (sans preuve), à moins que le défendeur ne dispose d’un accès effectif au juge de l’opposition (autrement dit, pour autant que les règles de procédure applicables ne génèrent pas un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas d’opposition) ou à moins que le juge de l’exécution ne soit habilité à procéder à un tel contrôle.

84.

Le relevé d’office des clauses abusives par le juge saisi ne pose, en soi, pas de problème concret en cas de procédure documentaire, dans le sens où ce juge dispose des pièces produites à l’appui de sa demande par le créancier.

85.

Cependant, selon moi, les enseignements qui découlent de la jurisprudence évoquée ci‑dessus doivent aussi trouver à s’appliquer aux procédures non documentaires.

86.

En effet, à défaut, l’on en viendrait à priver les consommateurs concernés (visés par de telles procédures) du bénéfice des dispositions impératives de la directive 93/13. À ce titre, il convient de retenir une interprétation téléologique de ces dispositions et de cette jurisprudence, afin de leur assurer un effet utile. À défaut d’un accès effectif au juge de l’opposition ou d’un contrôle exercé par le juge chargé de l’exécution, les règles procédurales afférentes aux procédures non documentaires devraient donc être aménagées de façon à permettre à l’autorité saisie d’une demande d’injonction d’inviter le demandeur à produire les pièces comportant « les éléments de fait et de droit nécessaires » aux fins de la vérification du respect des exigences de la directive 93/13. En l’absence d’une telle faculté, ces procédures pourraient être considérées comme non conformes aux exigences de la directive 93/13.

87.

Il convient à présent de transposer ces exigences dans le contexte du règlement no 1896/2006.

Application dans le contexte du règlement no 1896/2006

– Observations sur la genèse du règlement no 1896/2006

88.

Le règlement no 1896/2006 est le fruit d’un long travail législatif. Le projet initial de la Commission (publié en 2004) prévoyait une procédure non documentaire « pure» ( 39 ).

89.

La version finale du règlement s’écarte à de nombreux égards de ce projet initial.

90.

Ainsi que je le relèverai dans les développements qui suivent, le législateur de l’Union a abouti à un modèle « hybride » qui combine des aspects propres aux procédures non documentaires (tels que l’absence d’obligation de produire d’emblée des pièces autres que le formulaire A, qui est annexé au règlement no 1896/2006) et des aspects plus proches des procédures de type documentaire (à l’instar de l’obligation, pour la juridiction saisie, d’examiner l’apparence de bien-fondé de la demande – voir article 8 du règlement susmentionné).

– Examen des dispositions essentielles du règlement no 1896/2006

91.

À la lecture du considérant 9 et de l’article 1er dudit règlement, il ressort que celui‑ci a notamment pour objectif de simplifier et d’accélérer les procédures, ainsi que de réduire les coûts liés au recouvrement des créances qui ne font l’objet d’aucune contestation juridique, dans le contexte de litiges transfrontaliers. C’est à la lumière de ces objectifs qu’il convient d’interpréter le règlement no 1896/2006 ( 40 ).

92.

L’article 7 du règlement susmentionné énumère les éléments que le demandeur doit fournir au moyen du formulaire A au stade du dépôt de sa demande d’injonction de payer, éléments qui comprennent ainsi : i) la cause de l’action, en ce compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés [article 7, paragraphe 2, sous d)] et ii) une description des éléments de preuve à l’appui de la créance [article 7, paragraphe 2, sous e)] ( 41 ). En vertu de l’article 8, première phrase, la juridiction saisie d’une telle demande d’injonction de payer européenne examine dans les meilleurs délais et en se fondant sur ledit formulaire de demande si les conditions énoncées (notamment) à l’article 7 du règlement sont réunies et si la demande semble fondée.

93.

La doctrine a relevé – à juste titre – que le fait de « décrire les éléments de preuve ou ne rien écrire à leur sujet ne présente pas grande différence» ( 42 ). Tant le défendeur que le juge saisi ne disposent donc que d’informations très limitées. À cet égard, sur la seule base des données reprises dans le formulaire A, le contrôle du bien-fondé de la demande par le juge est, à première vue, assez superficiel ( 43 ) – ce qui n’est guère de nature à garantir une protection effective au consommateur concerné.

94.

Conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, si les conditions énoncées à l’article 7 ne sont pas réunies, la juridiction met le demandeur en mesure de compléter ou de rectifier la demande ( 44 ).

95.

En vertu de l’article 12 dudit règlement, lorsque les conditions de l’article 8 sont satisfaites, ladite juridiction délivre l’injonction de payer européenne ( 45 ). Dans ce cadre, le défendeur doit recevoir un nombre limité d’informations ( 46 ). En particulier, le défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité de s’opposer à l’injonction de payer en formant opposition auprès de la juridiction d’origine, qui doit être envoyée dans un délai de trente jours à dater de la signification ou la notification de l’injonction qui lui aura été faite.

96.

Faute d’opposition de la part du défendeur, l’injonction de payer devient exécutoire (article 18 du règlement no 1896/2006).

– Nécessité d’un contrôle du juge au stade de l’examen initial de la demande d’injonction de payer européenne

97.

Ainsi que je l’ai relevé au point 83 des présentes conclusions, à défaut de dispositions expresses à cet égard ( 47 ), il convient d’établir si le contrôle du juge se doit d’intervenir au stade de l’examen (initial) de la demande d’injonction ou si, au contraire, le consommateur dispose d’un accès effectif et suffisant au juge de l’opposition, ou encore si le juge de l’exécution est en mesure de procéder à un tel contrôle en dernier ressort.

98.

Je commencerai par écarter cette dernière possibilité : en vertu de l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006, tout réexamen au fond dans l’État membre d’exécution est prohibé ( 48 ).

99.

S’agissant de l’accès au juge de l’opposition, si le droit européen de la consommation n’a pas pour vocation de suppléer à une « passivité totale du consommateur » et s’il n’est donc pas, en soi, préjudiciable que ledit consommateur doive former opposition à l’injonction de payer pour entamer la deuxième phase de la procédure, lors de laquelle le juge appréciera d’office le caractère abusif des clauses du contrat justifiant la demande d’injonction ( 49 ), il convient toutefois de vérifier si les modalités d’exercice du droit de former opposition à l’injonction permettent de garantir le respect des droits que le consommateur tire, entre autres, de la directive 93/13 ( 50 ).

100.

En d’autres termes, peut-on se contenter de confier au juge de l’opposition le soin d’intervenir, sans possibilité de contrôle en amont par le juge saisi de la demande d’injonction ?

101.

À cet égard, les critères formulés par la Cour dans l’arrêt Banco Español de Crédito ( 51 ) permettent de procéder à une appréciation globale ( 52 ) de la procédure instituée par le règlement no 1896/2006.

102.

Existe-t-il un risque non négligeable que le consommateur visé par une telle demande européenne d’injonction de payer ne forme pas opposition à celle‑ci, compte tenu de ses modalités ?

103.

À l’instar de la Commission, je considère que la réponse à cette question est positive, notamment en raison, premièrement, du délai d’opposition, deuxièmement, du risque d’ignorance de l’étendue de ses droits par le consommateur et, troisièmement, du caractère limité de l’information mise à sa disposition.

104.

De façon très générale, la conception du règlement no 1896/2006 semble avoir privilégié des considérations tenant à la célérité, ainsi qu’à l’efficacité de la procédure, au détriment des « garde-fous » juridiques susceptibles de protéger le défendeur ( 53 ).

105.

Ainsi, s’agissant du délai d’opposition, l’on observera qu’il s’agit d’un délai unique, d’une durée de trente jours, à compter de la notification ou de la signification de l’injonction de payer ( 54 ). À titre de comparaison, dans l’arrêt Banco Español de Crédito, la Cour a déjà relevé qu’un délai de vingt jours était « particulièrement court ». Cet élément doit être pris en considération de façon parallèle à l’information mise à la disposition du consommateur (j’y reviendrai ultérieurement, au point 107 des présentes conclusions). On relèvera à cet égard que l’affaire Banco Español de Crédito portait sur une procédure documentaire qui – par nature – permet au consommateur de prendre plus facilement connaissance des éléments de preuve invoqués à son égard, à l’inverse du modèle essentiellement non documentaire sur lequel s’appuie la procédure européenne d’injonction de payer.

106.

En outre, l’on ne peut pas sous-estimer le risque que le défendeur ignore ou ne perçoive pas l’étendue de ses droits. La question de savoir si une clause du contrat sous-jacent est abusive peut se révéler complexe et la réponse à cette question peut ne pas être évidente à la lecture des informations dont dispose le consommateur ( 55 ) – a fortiori eu égard au fait que ce dernier peut même ignorer l’existence du concept juridique de « clause abusive ». En effet, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé n’est pas tenu de connaître le contenu de la directive 93/13 ni, a fortiori, l’ensemble des clauses que celle‑ci est susceptible d’inclure dans son champ d’application ( 56 ). En ce sens, l’accès à l’opposition est subordonné à la préexistence d’un accès à la connaissance du droit ( 57 ). Ledit accès à la connaissance du droit se révèle d’autant plus problématique dans la situation de personnes déjà endettées, qui ne seront pas nécessairement en mesure d’avoir recours aux services d’un juriste pour examiner le contrat en cause et déceler d’éventuelles illicéités ( 58 ).

107.

Enfin, il convient de prendre en compte le contenu limité de la demande d’injonction et le caractère incomplet des informations dont le consommateur dispose à cet égard. Ainsi que je l’ai relevé au point 93 des présentes conclusions, le système choisi par le législateur de l’Union, reposant sur un modèle procédural non documentaire, atténué par la « description » des éléments de preuve, ne permet pas de garantir au consommateur visé un exercice éclairé de sa faculté d’opposition. En effet, les informations qui sont fournies tant par le demandeur (dans le cadre du formulaire A) que par la juridiction saisie au stade de la notification (ou de la signification) de l’injonction sont très limitées et n’attirent aucunement l’attention du consommateur sur la nécessité de vérifier notamment le point de savoir si le contrat sous-jacent ne comporte pas de clauses abusives ( 59 ). Je fais ici la jonction avec ma remarque antérieure, portant sur la question de l’accès à la connaissance du droit, qui est la condition sine qua non d’un exercice éclairé du droit d’opposition (ou d’un renoncement à ce droit).

108.

Le fait que l’exercice de l’opposition ne doive pas être motivé (en vertu de l’article 16, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006) n’a aucune incidence à cet égard ( 60 ) : à défaut d’informations suffisantes quant à l’opportunité d’une contestation, le consommateur risque de s’abstenir de faire opposition et de procéder au paiement de la somme visée dans l’injonction, par crainte de s’engager dans une procédure judiciaire au coût difficilement prévisible ( 61 ) et à l’issue incertaine.

109.

En somme, selon moi, il existe un risque non négligeable que le consommateur s’abstienne de former opposition dans ces conditions.

110.

À cet égard, le règlement no 1896/2006 peut (et doit) être interprété en ce sens que le juge saisi de la demande d’injonction de payer est habilité à exercer un contrôle d’office des clauses potentiellement abusives. En effet, ainsi que je le démontrerai ci‑après, la reconnaissance de ce pouvoir du juge permet d’assurer le respect des exigences de la directive 93/13, telle qu’interprétée par la Cour, sans pour autant méconnaître la lettre et l’esprit dudit règlement. Avant de procéder à cette démonstration, je me dois d’abord d’examiner dans quelle mesure le juge saisi peut obtenir des informations additionnelles au titre de ce règlement, afin d’exercer son pouvoir de contrôle.

– Étendue des pouvoirs de contrôle du juge saisi

111.

Dans ce contexte, la question est donc de savoir quels sont les éléments additionnels que le juge saisi devrait pouvoir solliciter et de savoir si ces éléments peuvent légalement être exigés du créancier au titre du règlement no 1896/2006.

112.

À supposer qu’elles soient correctement remplies, les cases 6, 7, 8 et 9 du formulaire A permettront au juge attentif de relever (d’emblée) certaines anomalies. En effet, dans la pratique, les clauses abusives les plus courantes concernent le mode de calcul des intérêts de retard et les pénalités contractuelles. Cependant, afin d’en avoir le cœur net, le juge devra impérativement disposer du texte de ces clauses litigieuses. C’est précisément la situation qui s’est présentée dans les litiges au principal et qui a donné lieu aux renvois préjudiciels en l’espèce.

113.

Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, un contrat peut receler des clauses qui ne se révèlent abusives qu’au terme d’une lecture d’ensemble, par leur effet combiné.

114.

Le formulaire A permet d’incorporer des informations en sus de celles formellement visées dans les cases susmentionnées (voir case 11).

115.

D’après moi, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement susmentionné, combiné à l’article 7, paragraphe 2, sous d) et e) ( 62 ), dudit règlement, le juge saisi est en droit d’inviter le demandeur à compléter sa demande, ainsi qu’à reproduire la totalité des clauses invoquées à l’appui de sa créance, notamment au moyen de la case 11 du formulaire A.

116.

La reproduction de la totalité du contrat permet d’éviter qu’un créancier peu scrupuleux ne procède à une sélection opportuniste des clauses soumises au contrôle du juge. En effet, un tel procédé aurait pour effet d’empêcher le juge saisi de comprendre l’équilibre global du contrat et de mettre en lumière le caractère potentiellement abusif d’une combinaison de clauses.

117.

Dans ce cadre, par souci de célérité et de simplicité, le juge invitera le demandeur à produire une copie complète du contrat (au lieu de devoir incorporer la totalité du texte de ce contrat au moyen d’une manipulation de type « copier-coller » dans le formulaire).

118.

Cette interprétation des dispositions du règlement no 1896/2006 permet d’assurer un contrôle approprié des clauses concernées, dans le respect de l’article 4 de la directive 93/13, en vertu duquel « le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié [...] en se référant [...] à toutes les autres clauses du contrat » (mise en italique par mes soins).

119.

En cas de doute quant au bien-fondé de la demande, en raison du caractère potentiellement abusif d’une clause donnée, le juge sera ainsi en mesure de refuser de délivrer une injonction de payer européenne, au titre de l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1896/2006, ou de délivrer une injonction partielle, conformément au prescrit de l’article 10 dudit règlement ( 63 ).

– Conformité au libellé et aux objectifs du règlement no 1896/2006 et de la directive 93/13, à la lumière de l’article 38 de la Charte

120.

Le libellé et les objectifs du règlement no 1896/2006 permettent-ils de retenir l’interprétation proposée ci‑dessus ?

121.

À mon sens, la réponse est « oui ».

122.

Certes, il existe une tension potentielle entre l’impératif d’intervention active du juge (découlant de la directive 93/13, telle qu’interprétée par la Cour) et les objectifs de célérité, de simplification et de réduction des coûts poursuivis par le règlement no 1896/2006.

123.

Cette tension, résultant du caractère hybride du règlement et de l’exigence restreinte portant sur une description des éléments de preuve ( 64 ), est accentuée par l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Szyrocka ( 65 ). D’après cet arrêt, l’article 7 du règlement no 1896/2006 doit être interprété « en ce sens qu’il règle de manière exhaustive les conditions que doit remplir la demande d’injonction de payer européenne» ( 66 ).

124.

Faut-il en conclure que cet arrêt exclut toute possibilité d’exiger des informations ou documents additionnels ( 67 ), notamment aux fins du contrôle de la nature (potentiellement) abusive des clauses invoquées à l’appui d’une demande d’injonction de payer européenne ?

125.

Selon moi, une telle lecture de l’arrêt Szyrocka ( 68 ) serait erronée.

126.

En effet, le raisonnement sous-jacent à cet arrêt était le suivant : l’objectif poursuivi par ledit règlement serait mis en cause si les États membres pouvaient, dans leur législation nationale, prescrire, à titre général, des exigences additionnelles devant être remplies par la demande d’injonction de payer européenne. En effet, de telles exigences entraîneraient non seulement l’imposition, dans les différents États membres, de conditions divergentes pour une telle demande, mais conduiraient également à l’accroissement de la complexité, de la durée et des coûts de la procédure européenne d’injonction de payer ( 69 ).

127.

En l’occurrence, s’agissant de clauses abusives dans des contrats conclus avec un consommateur, le pouvoir de contrôle du juge procède implicitement et nécessairement de la directive 93/13, telle qu’interprétée par la Cour. Il s’agit donc d’une exigence qui découle directement du droit de l’Union et non d’une exigence additionnelle qui serait imposée de façon arbitraire par un État membre et qui serait de nature à engendrer, entre les États membres, des divergences inconciliables. Pour ce même motif, une telle exigence ne compromet pas l’autonomie de la procédure que le règlement no 1896/2006 institue, ni sa prévisibilité, ni son uniformité ( 70 ).

128.

Par ailleurs, le pouvoir de solliciter une copie du contrat ne porte pas fondamentalement atteinte aux objectifs d’accélération, de simplification et de réduction des coûts consacrés par l’article 1er du règlement no 1896/2006 ( 71 ).

129.

Le juge saisi est habilité à réclamer des éléments supplémentaires au titre de l’article 9 du règlement no 1896/2006. La transmission d’une copie du contrat s’inscrit dans le cadre de cette prérogative. Plus particulièrement, la transmission d’une copie du contrat (en tant que telle) ne complexifie pas de façon déraisonnable le déroulement de la procédure.

130.

En effet, il n’y a (a priori) rien de plus simple, de nos jours, que de copier un document et de le communiquer par courrier électronique. À ce titre, si le créancier se voyait adresser une telle requête par le juge saisi de sa demande d’injonction, il devrait pouvoir s’y conformer sans délai, sans difficulté particulière et, en principe, sans frais ( 72 ). Une telle solution est compatible avec une informatisation de la procédure ( 73 ).

131.

En sus, dès lors que le contrôle exercé par le juge est strictement limité à la vérification du caractère potentiellement abusif, prima facie, des clauses invoquées (lors de l’examen de l’apparence de bien-fondé de cette demande), une telle solution ne devrait pas davantage entraîner de retards significatifs dans le traitement de ladite demande – a fortiori pour un juge aguerri au contentieux en matière de droit de la consommation.

132.

Par ailleurs, la solution proposée permet également de garantir le respect des objectifs de la directive 93/13, à la lumière de l’article 38 de la Charte.

133.

Cette solution assure une protection effective du consommateur, en permettant au juge de refuser la délivrance d’une injonction de payer (ou de délivrer une injonction de payer partielle) lorsque les clauses invoquées semblent, à première vue, potentiellement abusives ( 74 ). Cette solution rencontre également l’objectif de dissuasion visé à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, en décourageant les comportements prédateurs.

134.

En effet, si l’on devait retenir une interprétation différente des deux instruments en cause, on aboutirait à engendrer un effet d’aubaine, en permettant à des créanciers peu scrupuleux de contourner le régime impératif consacré par la directive 93/13 ( 75 ), en ayant recours à la procédure simplifiée du règlement no 1896/2006 ( 76 ). Une telle solution ne permettrait pas d’assurer le niveau élevé de protection des consommateurs visé à l’article 38 de la Charte ( 77 ), notamment sous l’angle de leurs intérêts économiques ( 78 ).

135.

Dans les litiges au principal, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, un tel résultat serait d’autant plus absurde que la procédure d’injonction de payer de droit national garantirait au consommateur une meilleure protection que la procédure européenne instituée par le règlement no 1896/2006 (dans la mesure où ladite procédure de droit national, adaptée à la suite de l’arrêt Banco Español de Crédito ( 79 ), inclut un contrôle judiciaire d’office au stade de l’examen de la demande d’injonction de payer ( 80 )).

136.

De cette façon, la solution proposée permet de rétablir l’équilibre entre professionnels et consommateurs, voulu par le législateur de l’Union ( 81 ) – équilibre qui, autrement, risquerait d’être mis à mal par l’inversion du contentieux qui caractérise la procédure prévue par le règlement no 1896/2006 et qui rend d’autant plus essentielle une information appropriée du juge et du défendeur-consommateur ( 82 ).

137.

Enfin, en guise d’observation finale, il convient encore de relever que, conformément aux articles 8 et 11 du règlement no 1896/2006, le juge saisi de la demande d’injonction de payer n’est appelé à statuer que sur une apparence de bien-fondé, lorsqu’il accueille ou rejette une telle demande.

138.

En d’autres termes, un éventuel rejet de la demande (en raison, à titre d’exemple, de doutes quant au caractère potentiellement abusif des clauses invoquées) n’empêchera évidemment pas le créancier d’obtenir satisfaction de sa créance, s’il échet, par d’autres voies procédurales ( 83 ). Cet élément est expressément confirmé à l’article 1er, paragraphe 2, et à l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006 ( 84 ).

Conclusion

139.

Les premières et deuxièmes questions dans les affaires C‑453/18 et C‑494/18 et la troisième question dans l’affaire C‑494/18 appellent, selon moi, une réponse positive.

140.

Ainsi, le juge national examinant une demande d’injonction de payer européenne afférente à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur est habilité à procéder au contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses prévues dans le contrat concerné, comme l’exigent les articles 6 et 7 de la directive 93/13, lus à la lumière de l’article 38 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, TUE.

141.

À ce titre, le juge saisi peut exiger du demandeur, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, sous d) et e), de ce règlement, de reproduire le contrat invoqué à l’appui de la créance, dans le seul but d’effectuer le contrôle évoqué ci‑dessus.

142.

Par conséquent, les dispositions susmentionnées du règlement no 1896/2006 et de la directive 93/13 font obstacle à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qualifiant d’irrecevables les documents additionnels soumis par un demandeur, à l’instar d’une copie du contrat justifiant la créance invoquée.

Sur la quatrième question posée dans l’affaire C‑494/18

143.

La juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la validité du règlement no 1896/2006 et se demande, plus particulièrement, si ce règlement est conforme à l’article 38 de la Charte (ainsi qu’à l’article 6 TUE), en cas de réponse négative aux questions examinées ci‑dessus.

144.

Dans la mesure où lesdites questions appellent, d’après moi, une réponse positive, il n’y a pas lieu de statuer sur ce point.

145.

En effet, l’interprétation du règlement no 1896/2006 proposée ci‑dessus permet de concilier celui‑ci avec le régime impératif consacré par la directive 93/13 et de garantir le niveau élevé de protection du consommateur visé à l’article 38 de la Charte.

Conclusions

146.

À la lumière de ce qui précède, je propose à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions soumises par le Juzgado de Primera Instancia no 11 de Vigo (tribunal de première instance no 11 de Vigo, Espagne) et par le Juzgado de Primera Instancia no 20 de Barcelona (tribunal de première instance no 20 de Barcelone, Espagne) :

Dans le cadre de l’examen d’une demande d’injonction de payer introduite en vertu du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer, cette demande portant sur une créance fondée sur un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, la juridiction saisie est habilitée à procéder à un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses prévues dans ce contrat, conformément aux articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière de l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, TUE.

Pour ce motif, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, sous d) et e), de ce règlement, la juridiction saisie peut exiger du demandeur de reproduire le contrat invoqué à l’appui de sa créance, dans le seul but d’effectuer le contrôle évoqué ci‑dessus.

Les articles 7 et 9 du règlement no 1896/2006, lus en combinaison avec les articles 6 et 7 de la directive 93/13, font obstacle à une disposition de droit national, telle que celle en cause au principal, qui qualifie d’irrecevables les documents additionnels produits devant la juridiction saisie par un demandeur, à l’instar d’une copie du contrat justifiant la créance invoquée à l’égard du consommateur.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO 2006, L 399, p. 1).

( 3 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

( 4 ) BOE no 7, du 8 janvier 2000.

( 5 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349).

( 6 ) La juridiction de renvoi évoque notamment l’arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320).

( 7 ) Le libellé de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 renvoie aux articles 59 et 60 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), en vigueur à l’époque. Le règlement no 44/2001 a entre-temps été remplacé et abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 8 ) Voir aussi, à cet égard, Berthe, A., L’injonction de payer, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 378.

( 9 ) Je me réfère ici aux critères d’interprétation traditionnellement retenus par la Cour. Voir arrêt du 7 février 2018, American Express (C‑304/16, EU:C:2018:66, point 54 et jurisprudence citée).

( 10 ) JO 2007, C 303, p. 17.

( 11 ) Pour un exposé détaillé de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes à ce sujet, voir Beka, A., The Active Role of Courts in Consumer Litigation. Applying EU Law of the National Courts’Own Motion, Cambridge, Intersentia, 2018.

( 12 ) Voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 25), du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, point 25), et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 26 et jurisprudence citée).

( 13 ) Arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 28 et jurisprudence citée).

( 14 ) Arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, point 38), et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 29 et jurisprudence citée).

( 15 ) Arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, point 35).

( 16 ) Voir arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659, points 51 et 56), et du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88, point 24).

( 17 ) Mise en italique par mes soins. Arrêts du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, EU:C:2002:705, point 33), et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, point 31 et jurisprudence citée).

( 18 ) Voir arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée). La Cour a précisé qu’il y a lieu de considérer que cette qualification s’étend à toutes les dispositions de la directive qui sont indispensables à la réalisation de l’objectif poursuivi par ledit article 6.

( 19 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 43 et jurisprudence citée).

( 20 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2015:746, point 27). Sur la notion d’« inversion du contentieux », voir aussi : Boularbah, H., Requête unilatérale et inversion du contentieux, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 214 et s.

( 21 ) Voir, à cet égard, Szpunar, M., « Quelques aspects procéduraux de la protection des consommateurs contre les clauses abusives : le contrôle d’office dans le cadre des procédures accélérées et simplifiées », in L’Europe au présent. Liber amicorum Melchior Wathelet, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 690.

( 22 ) Livre vert sur une procédure européenne d’injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance [COM(2002) 746 final, point 3.1.1].

( 23 ) Ibidem. Le modèle documentaire impose, à la charge du demandeur, une obligation de produire une preuve écrite qui justifie la créance en cause (à titre d’exemple, la documentation contractuelle à l’appui de celle‑ci). Ce modèle permet au juge de procéder à un contrôle (restreint) de ladite documentation, afin d’écarter les demandes injustifiées ou fantaisistes et de protéger le défendeur à l’égard de telles demandes.

( 24 ) Ibidem. Le modèle non documentaire se caractérise par l’absence totale d’examen au fond de la créance en cause par la juridiction saisie de la demande d’injonction de payer. Dès lors qu’une demande est recevable et répond aux conditions formelles de base, ladite juridiction délivre une injonction de payer, sans apprécier plus avant le bien-fondé de cette demande. Dès lors que ce modèle ne suppose aucun examen du bien-fondé de la demande, il n’est pas nécessaire de présenter un document justificatif de la créance (qui ne servirait qu’à permettre un tel contrôle). Le défendeur se voit généralement offrir le bénéfice d’un double délai d’opposition, afin de compenser le caractère sommaire de cette procédure « sans preuve ».

( 25 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349).

( 26 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, points 46 et 47). Dans cette affaire, la Cour a affirmé qu’elle ne disposait « d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité [au principe d’équivalence] de la réglementation en cause ».

( 27 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 46). En vertu du principe d’effectivité, les modalités instituées en droit national ne peuvent pas rendre « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union ».

( 28 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 49).

( 29 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 53).

( 30 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 54) (mise en italique par mes soins).

( 31 ) Cette liste de critères n’est toutefois pas exhaustive : le droit d’accès au juge de l’opposition doit faire l’objet d’un examen global. Voir également, en ce sens, Berthe, A., L’injonction de payer, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 171.

( 32 ) Voir arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2016:98, point 55). Mise en italique par mes soins.

( 33 ) Arrêt du 13 septembre 2018 (C‑176/17, EU:C:2018:711).

( 34 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, points 45 à 47).

( 35 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 44 et jurisprudence citée).

( 36 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 54). Voir aussi conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:293, point 28).

( 37 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 63).

( 38 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, dispositif). Mise en italique par mes soins.

( 39 ) La juridiction saisie se devait notamment de « s’abstenir d’un examen au fond de la créance en cause » [considérant 12 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne d’injonction de payer COM(2004) 173 final]. Pour un exposé détaillé de l’historique du règlement, voir Berthe, A., L’injonction de payer, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 230-238.

( 40 ) Voir, en ce sens, Crifo, C., Cross-Border Enforcement of Debts in the European Union, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2009, p. 111.

( 41 ) Le considérant 13 du règlement no 1896/2006 souligne, à ce titre, la nécessité de fournir des informations suffisamment précises pour identifier et justifier la créance afin de permettre au défendeur de décider en connaissance de cause soit de s’y opposer, soit de ne pas la contester.

( 42 ) Berthe, A., L’injonction de payer, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 273. Voir aussi, en ce sens, Payan, G., « La procédure d’injonction de payer européenne : entre efficacité et insécurité », Ius et Actores, 2014, p. 264.

( 43 ) Voir Lopez de Tejada, M., et d’Avout, L., « Les non‑dits de la procédure européenne d’injonction de payer », Revue critique de droit international privé, 2007, p. 729, ainsi que Guinchard, E., « Réforme législative adoptée pour le règlement [instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges] et réforme jurisprudentielle à venir pour le règlement [instituant une procédure européenne d’injonction de payer] ? », Revue trimestrielle de droit européen, 2016, p. 435 et suiv.

( 44 ) À cet égard, je relève d’entrée de jeu que, dans le formulaire type A, le créancier-demandeur est obligé de préciser d’emblée si son cocontractant revêt la qualité de consommateur. La case 11 dudit formulaire A permet de fournir des informations complémentaires (rendant ainsi possible, par exemple, la reproduction de clauses déterminées).

( 45 ) En vertu de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, si les conditions visées à l’article 8 ne sont réunies que pour une partie de la demande, la juridiction saisie en informe le demandeur, qui est alors invité à accepter (ou à refuser) une proposition d’injonction de payer européenne portant sur le montant fixé par ladite juridiction. Si le demandeur accepte la proposition de la juridiction, la juridiction délivre une injonction de payer européenne pour la partie de la demande qui a été acceptée par le demandeur. Les conséquences qui en résultent pour le reliquat de la demande initiale sont régies par le droit national (voir article 10, paragraphe 2, dudit règlement).

( 46 ) Voir également point 107 des présentes conclusions.

( 47 ) Ainsi que la Cour l’a rappelé à plusieurs reprises, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle et celles‑ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité : voir arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 46), et du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 57). Il me semble que ce constat doit s’appliquer, mutatis mutandis, à la procédure d’injonction de payer européenne, dans la mesure où le règlement no 1896/2006 ne comporte aucune disposition expresse qui ferait échec à l’application de la directive 93/13 ou qui déterminerait les modalités de contrôle des clauses potentiellement abusives (au sens de ladite directive) dans ce contexte.

( 48 ) C’est notamment pour cette raison que, dans l’affaire Finanmadrid EFC, l’avocat général Szpunar avait observé que « de lege ferenda, [il] serait souhaitable de modifier le règlement [...], qui couvre potentiellement les créances découlant des contrats avec des consommateurs, afin de prévoir explicitement le contrôle d’office des clauses abusives au stade de l’adoption de l’injonction de payer européenne » : voir, à ce sujet, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2015:746, note 20).

( 49 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:293, point 73 et jurisprudence citée).

( 50 ) Arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 71).

( 51 ) Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349).

( 52 ) Voir points 73 et 79 des présentes conclusions.

( 53 ) Voir, en ce sens, Lopez de Tejada, M., et d’Avout, L., « Les non‑dits de la procédure européenne d’injonction de payer », Revue critique de droit international privé, 2007, p. 723-724. Voir également point 93 des présentes conclusions.

( 54 ) La procédure européenne se distingue ainsi de la plupart des procédures de type non documentaire qui compensent en quelque sorte l’absence de pièce justificative par un double délai de recours, plus favorable au défendeur : je pense, notamment, à la Mahnverfahren en droit allemand.

( 55 ) En effet, si certaines clauses pénales ou relatives aux intérêts moratoires peuvent se révéler intrinsèquement abusives, il n’en va pas de même dans d’autres hypothèses, plus subtiles, où le caractère abusif du contrat résulte de l’interaction de différentes clauses.

( 56 ) Tel est (a fortiori) le cas lorsque le contrat en cause est régi par le droit d’un État membre autre que celui du consommateur : voir, en ce sens, cinquième considérant de la directive 93/13.

( 57 ) Voir, en ce sens, Chainais, C., « L’injonction de payer française, modèle d’une protection juridictionnelle monitoire », in Justices et droit du procès. Du légalisme procédural à l’humanisme processuel, Paris, Dalloz, 2010, p. 646, no 51.

( 58 ) Rott, P., « Case Note on Banco Español de Crédito », European Review of Contract Law, 2012, p. 470-480.

( 59 ) Voir point 95 des présentes conclusions. À mon sens, un raisonnement par analogie avec l’arrêt Pannon GSM s’impose ici ; il conviendrait d’avertir préalablement le consommateur du caractère potentiellement abusif d’une clause pour que celui‑ci puisse décider, en connaissance de cause, de ne pas exercer ses droits à cet égard : voir arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, point 33).

( 60 ) J’observe par ailleurs qu’en pratique, le nombre d’oppositions formées à l’encontre des injonctions de payer européennes est limité (ce qui semble corroborer l’absence d’incidence de cet aspect sur l’exercice de l’opposition). Par exemple, en Autriche, en 2012, 96 % des injonctions délivrées n’ont pas fait l’objet d’une opposition de la part du débiteur. Voir, à ce sujet, rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne d’injonction de payer [COM(2015) 495 final, section 3.7].

( 61 ) Le règlement no 1896/2006 fixe uniquement un plafond quant aux frais de justice. L’article 25 dispose que « le total des frais de justice afférents à une procédure européenne d’injonction de payer et à la procédure civile qui y fait suite en cas d’opposition […] n’excède pas les frais afférents à la procédure qui n’a pas été précédée par une procédure européenne d’injonction de payer […] ». Ces frais de justice comprennent les frais et les droits à verser à la juridiction, dont le montant est fixé conformément au droit national. Ces frais peuvent, parfois à eux seuls, dépasser le montant de la créance concernée. S’il est avisé, le consommateur tiendra également compte, dans son raisonnement, des frais liés à son éventuelle représentation en justice (honoraires d’avocat) et, le cas échéant, des intérêts judiciaires qui continuent à courir à son encontre pendant la durée de la procédure.

( 62 ) Pour rappel, ces dispositions visent respectivement la cause de l’action (y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés) et la description des éléments de preuve à l’appui de la créance.

( 63 ) Voir point 95 des présentes conclusions. Tel sera le cas, notamment, si le juge saisi éprouve des doutes quant au montant des intérêts légalement exigibles ou quant au montant sollicité au titre d’une pénalité contractuelle.

( 64 ) Je me réfère ici au libellé de l’article 7, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1896/2006.

( 65 ) Arrêt du 13 décembre 2012, Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:794).

( 66 ) Arrêt du 13 décembre 2012, Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:794, dispositif).

( 67 ) Voir, en ce sens, Payan, G., « La procédure d’injonction de payer européenne : entre efficacité et insécurité », Ius et Actores, 2014, p. 263 et 264.

( 68 ) Arrêt du 13 décembre 2012, Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:794).

( 69 ) Arrêt du 13 décembre 2012, Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:794, point 31, mise en italique par mes soins). Dans le même ordre d’idées, je relève que l’avocat général Mengozzi a également mis en lumière le fait que l’égalité d’accès à la procédure d’injonction de payer, pour tous les créanciers et tous les débiteurs de l’Union, est subordonnée à la prévisibilité et à l’uniformité des exigences prévues par le règlement no 1896/2006, permettant ainsi de préserver l’autonomie de ladite procédure : voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:400, points 33 à 36).

( 70 ) Je renvoie ici aux éléments d’appréciation mis en lumière dans les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Szyrocka (C‑215/11, EU:C:2012:400, points 33 à 36).

( 71 ) Pour paraphraser l’arrêt Szyrocka (cité précédemment), l’exercice d’un tel pouvoir n’aboutira pas à un « accroissement de la complexité, de la durée et des coûts de la procédure européenne d’injonction de payer ».

( 72 ) Je suis évidemment consciente de la question éventuelle des frais de traduction du contrat. Cependant, il me semble que ce problème est plutôt théorique. En effet, l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le contrat soit établi dans la langue habituelle du débiteur (puisqu’il a signé ledit contrat) – langue habituelle qui sera, dans la majorité des cas, également celle de la juridiction saisie (en raison de la règle de compétence de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, qui dispose que « si [...] le défendeur est le consommateur, la compétence appartient aux seules juridictions de l’État membre où le défendeur a son domicile »).

( 73 ) En vertu de l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 1896/2006, il est possible de déposer une demande d’injonction de payer européenne par la voie électronique. L’article 8 de ce même règlement admet aussi un examen par l’intermédiaire d’une « procédure automatisée ». Le législateur de l’Union semble ainsi vouloir encourager l’informatisation de la procédure : la solution proposée ne fait pas obstacle à cette évolution. Voir également, en ce sens, Payan, G., « La procédure d’injonction de payer européenne : entre efficacité et insécurité », Ius et Actores, 2014, p. 265.

( 74 ) En effet, le juge saisi ne statue pas sur le fond et n’annule pas les dispositions du contrat mises en cause. Il refuse simplement de délivrer un titre exécutoire dans le cadre du règlement no 1896/2006, en s’appuyant sur une apparence de droit – sans préjuger des droits du créancier, qui devront faire l’objet d’un débat contradictoire devant le juge du fond. Voir également points 137 et 138 des présentes conclusions.

( 75 ) Voir point 65 des présentes conclusions et jurisprudence citée.

( 76 ) Je relève également que, dans le cadre de sa résolution du 1er décembre 2016 sur l’application de la procédure européenne d’injonction de payer (2016/2011/INI), le Parlement européen a souligné ce qui suit : « bien qu’il s’agisse d’une procédure rationalisée, [l’on ne peut] la détourner pour imposer des clauses inéquitables dans les contrats, l’article 8 du règlement [no 1896/2006] invitant ainsi les juridictions concernées à examiner, sur la base des informations dont elles disposent, si les demandes semblent fondées pour s’assurer que ces dernières soient conformes à la jurisprudence de la Cour de justice en la matière » (voir considérant J de ladite résolution).

( 77 ) Par souci d’exhaustivité, il importe aussi de noter que l’article 12 TFUE a consacré la nature transversale de cette exigence de protection élevée des consommateurs, de telle sorte que « les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union ». Cette nature transversale plaide également pour une interprétation du règlement no 1896/2006 conforme au prescrit de l’article 38 de la Charte, ainsi que des articles 6 et 7 de la directive 93/13.

( 78 ) Voir article 169 TFUE et point 58 des présentes conclusions.

( 79 ) Arrêt du 14 juin 2012 (C‑618/10, EU:C:2012:349). Voir également point 76 des présentes conclusions.

( 80 ) Voir article 815, paragraphe 4, de la LEC (point 26 des présentes conclusions).

( 81 ) Telle est, du reste, la finalité du régime impératif institué par la directive 93/13. En effet, l’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive 93/13 ne pourrait être atteint si les consommateurs devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux‑mêmes le caractère abusif d’une clause [voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 26)]. Or, tel serait précisément le cas si le consommateur devait former opposition pour pouvoir bénéficier d’un contrôle judiciaire relatif aux clauses potentiellement abusives et faire échec à la mise en œuvre de celles‑ci. Voir aussi points 62, 63 et 99 des présentes conclusions et jurisprudence citée.

( 82 ) Pour de plus amples développements à ce sujet, voir Sinopoli, L., « Le droit au procès équitable à l’ombre de l’inversion du contentieux. À propos de quelques décisions de la Cour de justice en droit judiciaire européen », Revue de droit commercial belge, 2015, p. 7 à 18.

( 83 ) Sans préjudice des règles de compétence consacrées par le règlement no 1215/2012. En effet, les articles 17 à 19 de ce règlement prévoient des règles protectrices en matière de compétence juridictionnelle, lorsque l’une des parties à un litige afférent à un contrat est un consommateur.

( 84 ) Pour rappel, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement, rien n’empêche le demandeur de « faire valoir une créance [...] en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire ». En vertu de l’article 11, paragraphe 3, dudit règlement, « le rejet de la demande n’empêche pas le demandeur de faire valoir la créance au moyen d’une nouvelle demande d’injonction de payer européenne ou de toute autre procédure prévue par le droit d’un État membre ».

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