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Document 62016CC0370

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 26 juillet 2017.
Bruno Dell'Acqua contre Eurocom Srl et Regione Lombardia.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale di Novara.
Renvoi préjudiciel – Privilèges et immunités de l’Union européenne – Protocole no 7 – Article 1er – Nécessité ou non d’une autorisation préalable de la Cour – Fonds structurels – Concours financier de l’Union européenne – Procédure de saisie‑arrêt vis‑à‑vis d’une autorité nationale portant sur des sommes provenant de ce concours.
Affaire C-370/16.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:614

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 26 juillet 2017 ( 1 )

Affaire C‑370/16

Bruno Dell’Acqua

contre

Eurocom Srl et

Regione Lombardia

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Novara, (tribunal de Novara, Italie)]

« Demande de décision préjudicielle – Article 343 TFUE – Article 1er, troisième phrase, du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Saisie-arrêt entre les mains d’un tiers auprès d’une autorité nationale portant sur des montants octroyés à un bénéficiaire dans le cadre d’un programme d’aide du Fonds social européen (FSE) – Question de la nécessité d’une autorisation préalable de la Cour de justice »

I. Introduction

1.

Conformément à l’article 343 TFUE, l’Union européenne jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission dans les conditions définies dans le protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ( 2 ). L’article 1er, troisième phrase, du protocole prévoit que les biens et avoirs de l’Union ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour.

2.

Il est régulièrement fait usage de la possibilité de s’adresser à la Cour pour obtenir une telle autorisation ( 3 ). Dans ce contexte, il n’est pas contesté qu’une saisie d’avoirs réalisée entre les mains d’organes de l’Union nécessite, en tant que mesure de contrainte dirigée contre le patrimoine de l’Union, l’autorisation de la Cour.

3.

En revanche, il n’a pas été encore statué sur le point de savoir si cette exigence d’autorisation vaut aussi dans l’hypothèse où des ressources budgétaires ont déjà été transférées aux États membres aux fins de la réalisation des objectifs de l’Union. La présente demande de décision préjudicielle, qui porte sur un soutien financier accordé dans le cadre du Fonds social européen (FSE), part du principe que telle est la situation ici.

II. Le cadre juridique des fonds structurels

4.

Les dispositions générales et applicables en l’espèce relatives aux fonds structurels, au nombre desquels figure le FSE, étaient contenues, pendant la période de programmation 2007-2013, dans le règlement (CE) no 1083/2006 ( 4 ). Ce règlement a été remplacé, pour la période de programmation 2014-2020, par le règlement (UE) no 1303/2013 ( 5 ).

5.

En vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006, les fonds interviennent en complément des actions nationales, en y intégrant les priorités de l’Union. En vertu de l’article 11, paragraphe 1, les objectifs des fonds sont poursuivis dans le cadre d’un partenariat étroit entre la Commission européenne et chaque État membre.

6.

L’article 14 du règlement no 1083/2006 prévoit ce qui suit :

« 1.   Le budget de l’Union européenne alloué aux Fonds est exécuté dans le cadre de la gestion partagée entre les États membres et la Commission, au sens du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes [JO 2002, L 248, p. 1 ( 6 )] […].

[…]

2.   La Commission assume ses responsabilités d’exécution du budget général de l’Union européenne selon les dispositions suivantes :

a)

elle s’assure de l’existence et du bon fonctionnement des systèmes de gestion et de contrôle dans les États membres conformément aux procédures décrites aux articles 71, 72 et 73 ;

b)

elle interrompt ou suspend tout ou partie des paiements conformément aux articles 91 et 92 en cas d’insuffisance des systèmes nationaux de gestion et de contrôle, et applique toute autre correction financière requise, conformément aux procédures décrites aux articles 100 et 101 ;

[…]. »

7.

L’article 32 du règlement no 1083/2006 est ainsi libellé :

« 1.   L’action des Fonds dans les États membres prend la forme de programmes opérationnels […].

2.   Chaque programme opérationnel est établi par l’État membre ou toute autorité désignée par celui-ci […].

[…]

4.   La Commission évalue le programme opérationnel proposé afin de déterminer s’il contribue aux objectifs et aux priorités du cadre de référence stratégique national et des orientations stratégiques de la Communauté pour la cohésion. […]

[…] »

8.

L’article 56, paragraphe 3, du règlement no 1083/2006 dispose ce qui suit :

« 3.   Une dépense n’est éligible à une contribution des Fonds que si elle a été encourue pour des opérations décidées par l’autorité de gestion du programme opérationnel concerné ou sous sa responsabilité, selon des critères fixés […]. »

9.

En vertu de l’article 60, sous b), du règlement no 1083/2006, les autorités de gestion des États membres sont chargées « de vérifier la fourniture des produits et services cofinancés et de contrôler que les dépenses déclarées par les bénéficiaires pour les opérations ont été effectivement encourues et qu’elles sont conformes aux règles [pertinentes] […] ».

10.

L’article 70 du règlement no 1083/2006 dispose ce qui suit :

« 1.   Les États membres assument la responsabilité de la gestion et du contrôle des programmes opérationnels, en particulier au travers des mesures suivantes :

[…]

b)

ils préviennent, détectent et corrigent les irrégularités et recouvrent les sommes indûment payées […].

2.   Lorsque des montants indûment payés à un bénéficiaire ne peuvent pas être recouvrés, l’État membre est responsable du remboursement des montants perdus au budget général de l’Union européenne, lorsqu’il est établi que la perte résulte de sa propre faute ou négligence.

[…] »

11.

L’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1083/2006 prévoit ce qui suit, concernant les paiements de la Commission :

« 2)   Les paiements revêtent la forme d’un préfinancement, de paiements intermédiaires et d’un paiement du solde final. Ils sont effectués au profit de l’organisme désigné par l’État membre. »

12.

L’article 77, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006 est ainsi libellé :

« Les paiements intermédiaires et le paiement du solde final sont calculés en appliquant le taux de cofinancement fixé dans la décision sur le programme opérationnel concerné pour chaque axe prioritaire aux dépenses éligibles qui figurent au titre de cet axe prioritaire dans chaque état des dépenses certifié par l’autorité de certification ».

13.

L’article 80 du règlement no 1083/2006 est ainsi libellé :

« Les États membres veillent à ce que les organismes chargés d’effectuer les paiements s’assurent que les bénéficiaires reçoivent le montant total de la participation publique dans les plus brefs délais et dans [son] intégralité. Il n’est procédé à aucune déduction ou retenue, ni à aucun autre prélèvement spécifique ou autre à effet équivalent qui réduirait ces montants pour les bénéficiaires ».

14.

L’article 98 du règlement no 1083/2006 prévoit ce qui suit :

« 1)   Il incombe en premier lieu aux États membres de rechercher les irrégularités, d’agir lorsque est constaté un changement important affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre ou de contrôle des opérations ou des programmes opérationnels, et de procéder aux corrections financières nécessaires.

2)   Les États membres procèdent également aux corrections financières requises en rapport avec les irrégularités individuelles ou systémiques détectées dans les opérations ou les programmes opérationnels. […]

Les ressources des fonds ainsi libérées peuvent être réutilisées par l’État membre jusqu’au 31 décembre 2015 pour le programme opérationnel concerné conformément aux dispositions du paragraphe 3.

[…] »

15.

Enfin, l’article 99, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1083/2006 dipose ce qui suit :

« 1.   La Commission peut procéder à des corrections financières en annulant tout ou partie de la participation communautaire à un programme opérationnel […].

2.   La Commission fonde ses corrections financières sur des cas individuels d’irrégularité recensés, en tenant compte de la nature systémique de l’irrégularité pour déterminer s’il convient d’appliquer une correction forfaitaire ou extrapolée.

3.   Lorsqu’elle décide du montant d’une correction, la Commission tient compte de la nature et de la gravité de l’irrégularité, ainsi que de l’ampleur et des implications financières des insuffisances constatées dans le programme opérationnel concerné ».

III. Les faits à l’origine du litige, l’affaire au principal et la demande de décision préjudicielle

16.

M. Bruno Dell’Acqua détient une créance à l’égard de la société Eurocom Srl qui, pour sa part, est créancière de la Regione de Lombardia (Région de Lombardie, Italie). Pour recouvrer sa créance, M. Dell’Acqua a donc saisi le Tribunale di Novara (tribunal de Novara, Italie) d’une procédure de saisie–arrêt entre les mains d’un tiers, afin de saisir la somme correspondante entre les mains de la Région de Lombardie. D’autres créanciers d’Eurocom sont intervenus à la procédure de saisie-arrêt ainsi engagée.

17.

Dans le cadre de la procédure de saisie-arrêt, la Région de Lombardie a certes reconnu sa qualité de débiteur à l’égard d’Eurocom, mais a fait valoir que la créance en question concernerait des montants appartenant au FSE. Il s’agirait par conséquent de moyens affectés à l’objectif de développement et d’aide à l’emploi, dont la région ne pourrait disposer qu’en faveur du bénéficiaire. Ainsi, la créance invoquée par M. Dell’Acqua ne pourrait-elle pas faire l’objet d’une saisie, en application de l’article 80 du règlement no 1083/2006.

18.

Sur la base de cette argumentation, le Tribunale di Novara (tribunal de Novara) part du principe, apparemment non contesté jusqu’à présent au cours de la procédure nationale, que les sommes concernées par la demande de saisie de M. Dell’Acqua sont des sommes appartenant au FSE. À la date de la saisine du Tribunale di Novara (tribunal de Novara), ces sommes auraient déjà été transférées par l’Union à l’organisme national chargé d’effectuer les paiements pour être reversées au bénéficiaire.

19.

Dans ce contexte, le Tribunale di Novara (tribunal de Novara) se demande si les montants concernés font l’objet, en application de l’article 132 du règlement no 1303/2013, qui correspond à l’article 80 du règlement no 1083/2006, ainsi qu’en application de l’article 1er du protocole, d’une « insaisissabilité relative », qui demande une autorisation préalable de toute saisie par la Cour. Il a donc déféré à titre préjudiciel la question suivante à la Cour :

« L’autorisation préalable au sens de l’article 1er, dernière phrase, du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne […] est-elle ou non nécessaire lorsque, dans la procédure d’exécution forcée entre les mains d’un tiers, les sommes saisies ne se trouvent plus entre les mains de l’[autorité concernée de l’Union], mais ont déjà été transférées aux organismes payeurs nationaux ? »

20.

Dans la procédure devant la Cour, la République italienne et la Commission ont déposé des observations écrites.

21.

À la lecture des explications de la juridiction de renvoi, de la République italienne et de la Commission, il n’était pas clair à quelle période de financement (2007-2013 ou 2014-2020) il y avait lieu de rattacher la créance d’Eurocom à l’égard de la Région de Lombardie. Partant, il n’était pas clair si c’était le règlement no 1083/2006 ou bien le règlement no 1303/2013 qui avait vocation à s’appliquer.

22.

En réponse à une question de la Cour à ce sujet, la République italienne a indiqué que la créance en cause relèverait du programme opérationnel régional 2007-2013, appel no 643 « Formation continue phase 2 ». La Commission a répondu, quant à elle, sur la base d’informations fournies par la Région de Lombardie le 11 mai 2017 ( 7 ), que les projets réalisés par Eurocom s’inscriraient dans le programme opérationnel portant la référence CCI 2007 IT 052 PO 006, qui a été accepté par la décision de la Commission C(2007) 5465 du 6 novembre 2007 ( 8 ), en application de l’article 32, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006.

23.

Au vu des informations fournies par la Région de Lombardie, la Commission a cependant ajouté que, avant l’expiration du délai fixé pour les demandes de paiement au titre de la période de financement 2007-2013 le 31 mars 2017, la République italienne n’avait en fait présenté aucune demande de financement auprès de l’Union pour les montants faisant l’objet de la procédure au principal. Dans les documents fournis par la Commission, une collaboratrice de la Région de Lombardie indique en effet que tous les montants obtenus par Eurocom dans le cadre du programme opérationnel régional CCI 2007 IT 052 PO 006 pour la période de financement 2007-2013 de la part du FSE auraient désormais été versés et ne pourraient plus, pour cette raison, faire l’objet d’une demande de saisie-arrêt entre les mains d’un tiers. Par conséquent, les montants réclamés à la Région de Lombardie dans l’affaire au principal représenteraient des dépenses de nature purement nationale, et non des dépenses pouvant être invoquées à l’égard du FSE au titre de la période de financement 2007-2013 et susceptibles d’obtenir, de ce fait, un cofinancement de l’Union.

IV. Appréciation

24.

Par sa question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, une autorisation préalable de la Cour conformément à l’article 1er, troisième phrase, du protocole est nécessaire en cas de demande de saisie de fonds ayant à l’origine appartenu à l’Union mais ayant déjà été transférés à une autorité de l’État membre au moment de la demande de saisie.

25.

Les renseignements susmentionnés de la Région de Lombardie ( 9 ) laissent toutefois place au doute quant à l’hypothèse de fait sur laquelle repose la question de la juridiction de renvoi. Ils remettent en cause, en particulier, l’idée qu’il s’agirait, dans le cas des fonds dont la saisie est demandée, de montants que la Région de Lombardie doit à Eurocom au titre d’un programme du FSE, subventionné par conséquent aussi par des ressources de l’Union. En effet, il semble que la totalité des montants liés à des projets menés par Eurocom dans le cadre du programme opérationnel CCI 2007 IT 052 PO 006 avec l’aide du FSE ait déjà été versée par la Région de Lombardie au bénéficiaire. Par conséquent, ces montants ne pourront plus faire l’objet d’une saisie-arrêt entre les mains de cette région.

26.

Si la détermination de la nature exacte des montants dont la saisie est demandée dans la procédure au principal devait être pertinente pour la décision de la juridiction de renvoi sur le fondement des dispositions du droit national, il incomberait à cette dernière d’analyser, en se basant sur les nouveaux éléments obtenus dans la présente procédure et d’éventuelles recherches complémentaires, quelle est finalement la nature des montants ici en cause.

27.

En revanche, pour ce qui est du droit de l’Union, et donc de la question soumise à la Cour, il n’est pas nécessaire de résoudre le point de savoir si l’on est en présence, dans le cas des montants que M. Dell’Acqua entend saisir entre les mains de la Région de Lombardie, de fonds que cette région doit à Eurocom au titre de la réalisation de projets subventionnés dans le cadre du FSE, et donc à l’aide de ressources de l’Union, ou s’il s’agit de créances autres d’Eurocom à l’encontre de la Région de Lombardie.

28.

En effet, comme la Commission l’a déjà indiqué à juste titre dans ses observations initiales, même dans le premier cas de figure, il ne s’agirait pas de « biens ou avoirs » de l’Union au sens de l’article 1er, troisième phrase, du protocole. Cela résulte tant du libellé (ci-après, sous A) que d’une interprétation téléologique (ci-après, sous B) de cette disposition.

A.   Sur le libellé de l’article 1er, troisième phrase, du protocole

29.

Ainsi, il semble, tout d’abord, assez évident que le texte de l’article 1er, troisième phrase, du protocole ne peut pas étayer la position défendue par la République italienne dans la présente procédure, selon laquelle les fonds en cause dans l’affaire au principal – dont la juridiction de renvoi et la République italienne considèrent qu’ils proviennent de ressources du FSE – constitueraient des « avoirs de l’Union ». En effet, à partir du moment où des fonds de l’Union ont été transférés à des tiers, ils ne représentent plus des « avoirs de l’Union » au sens du droit des voies d’exécution. Si, par exemple, l’Union a versé son salaire à un fonctionnaire de l’Union ou réglé la facture d’un fournisseur, on voit mal comment l’on pourrait permettre à ceux-ci, afin de faire échec aux tentatives de saisie de la part de leurs propres créanciers ou des créanciers de ces derniers, de se prévaloir des règles prévues en droit de l’Union pour protéger les « avoirs de l’Union » contre les saisies.

B.   Sur l’esprit et la finalité de l’article 1er, troisième phrase, du protocole

30.

Aussi, comme l’explique la République italienne, l’idée selon laquelle les ressources transférées par l’Union à un organisme payeur national dans le cadre des fonds structurels conserveraient leur qualité d’« avoirs de l’Union » repose‑t‑elle non pas sur le texte, mais sur une interprétation téléologique de l’article 1er, troisième phrase, du protocole.

31.

Cette disposition viserait en effet à éviter que ne soient apportées des entraves au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union ( 10 ). Une telle entrave pourrait résulter, en particulier, de mesures de contrainte affectant le financement des politiques communes ou la mise en œuvre de programmes d’action établis par l’Union ( 11 ).

32.

Les ressources des fonds structurels seraient, dans ce contexte, « liées » dans la mesure où c’est pour la mise en œuvre des politiques de l’Union qu’elles devraient être employées. Un tel « lien » ne serait dissous qu’avec la réalisation complète de l’objectif poursuivi par l’Union et donc uniquement lorsque les sommes seraient passées dans le patrimoine du bénéficiaire. Par conséquent, la saisie de sommes destinées à des bénéficiaires d’aides pourrait entraver le financement de la politique structurelle commune. Ces sommes devraient donc relever de la protection contre les saisies prévue par le droit de l’Union, indépendamment du point de savoir si elles se trouvent encore auprès des organes de l’Union, ou déjà aux mains des organismes nationaux chargés d’effectuer les paiements.

33.

Cela serait d’autant plus vrai dans la mesure où, lorsqu’ils octroient des ressources appartenant au FSE, les organismes payeurs nationaux agiraient en tout état de cause seulement en tant que gestionnaires des fonds de l’Union, coopérant de la sorte à l’exercice d’une fonction relevant de la compétence des organes de l’Union. Partant, dans ce contexte, ils agiraient en tant que « bras prolongé de la Commission » et exerceraient non pas une fonction « propre », mais une fonction « de l’Union ».

34.

Plausible à première vue, cette argumentation repose, si l’on y regarde de plus près, sur une compréhension erronée du fonctionnement des fonds structurels, à tout le moins dans un cas tel que celui de l’affaire au principal. On ne saurait notamment considérer que les États membres et leurs autorités se voient attribuer dans ce cadre le simple rôle d’une « courroie de transmission », consistant uniquement à « remettre » au bénéficiaire les ressources accordées par l’Union. Les États membres disposent, au contraire, d’une marge d’appréciation substantielle lors de la mise en œuvre de la politique des fonds structurels. En accord avec cela, ce sont principalement les autorités compétentes des États membres qui sont responsables de veiller à ce que les projets bénéficiant d’une aide dans le cadre des programmes des fonds structurels soient menés à bonne fin.

1. Sur le fonctionnement des programmes des fonds structurels

35.

La réglementation de l’Union en matière de mise en œuvre de la politique des fonds structurels implique que les tâches et responsabilités se répartissent de la manière suivante entre la Commission et les États membres : la Commission a pour mission de s’assurer que les programmes opérationnels proposés par les États membres, ainsi que leur réalisation, correspondent aux objectifs de la politique des fonds structurels et que les systèmes de contrôle et de gestion instaurés par les États membres fonctionnent correctement ( 12 ).

36.

La mise en œuvre proprement dite des programmes opérationnels recevant l’aide des fonds structurels incombe, en revanche, aux autorités désignées à cet effet par les États membres ( 13 ). Non seulement celles–ci sélectionnent les projets à mener concrètement dans le cadre des programmes opérationnels ( 14 ), mais elles sont aussi compétentes pour contrôler la réalisation de ces projets et les dépenses effectuées par les bénéficiaires ( 15 ).

37.

Il est vrai que ces dépenses doivent aussi être justifiées auprès de la Commission, au moyen de documents probants ( 16 ). Celle-ci ne contrôle cependant les projets concrets que par échantillonnage, et seulement dans le cadre et aux fins du contrôle du bon fonctionnement des systèmes de surveillance et de gestion des États membres. S’il n’existe pas de raisons de soupçonner des défaillances de ces systèmes, la Commission peut d’ailleurs se fonder sur les rapports établis par les États membres. En outre, les contrôles de la Commission sont proportionnels à la participation financière de l’Union, et plus ou moins approfondis en fonction du montant de cette participation ( 17 ). Ainsi, la Commission effectue ses paiements non pas sur la base d’un contrôle de l’exactitude des justificatifs des dépenses des bénéficiaires, mais sur la base des rapports et déclarations de dépenses des États membres ( 18 ).

38.

En conséquence, les éventuelles corrections financières opérées à l’encontre des bénéficiaires chargés de mener à bien les projets concrets ne sont nullement le fait de la Commission, mais des États membres ( 19 ). Ceux-ci peuvent affecter des ressources recouvrées à d’autres fins dans le cadre du même programme opérationnel ( 20 ), mais sont aussi responsables des pertes qu’ils ont occasionnées ( 21 ).

39.

Les corrections financières apportées par la Commission consistent, en revanche, en réductions forfaitaires ou extrapolées du montant global que l’Union met à disposition pour un programme opérationnel donné ( 22 ). Ces corrections visent non pas à rectifier une exécution défaillante au niveau des bénéficiaires, mais à sanctionner des défauts dans le fonctionnement des systèmes nationaux de gestion et de surveillance, ainsi que l’absence d’action corrective à cet égard de la part des États membres.

40.

Lors de son évaluation des programmes opérationnels des États membres, la Commission examine par ailleurs le degré d’utilisation des ressources, l’efficacité et l’efficience de la programmation des fonds, ainsi que l’impact socioéconomique. Cette évaluation doit permettre de tirer des conclusions pour la politique de cohésion sociale et économique ( 23 ).

41.

Dans le cadre de ce système, il n’est donc pas exact de qualifier les versements faits par la Commission aux États membres de remboursement direct de dépenses effectuées pour l’exécution de projets précis financés par les fonds structurels, que les États membres retransféraient sans modification aux bénéficaires chargés de la mise en œuvre de ces projets. Au contraire, les paiements effectués à partir du budget de l’Union représentent une contribution, fixée sous la forme d’une enveloppe globale, au budget général des États membres pour les différents programmes opérationnels, dont la ventilation entre différents projets précis relève de la compétence des États membres ( 24 ).

2. Conclusions pour la question de la nature d’« avoirs de l’Union » des ressources des fonds structurels transférées aux États membres

42.

Il découle de ce qui précède que, en présence d’une demande de saisie-arrêt entre les mains d’un tiers formée par un créancier d’un bénéficiaire auprès d’un organisme payeur national dans une situation comme celle de l’affaire au principal, il est inexact de parler d’« avoirs de l’Union » en ce qui concerne les montants en cause, même en recourant à une interprétation téléologique de l’article 1er, troisième phrase, du protocole.

43.

En effet, la finalité de cette disposition est certes, comme mentionné plus haut, d’empêcher les entraves au bon fonctionnement de l’Union, susceptibles de résulter notamment de mesures de contrainte portant sur le financement des politiques communes ou la réalisation de programmes d’action de l’Union ( 25 ). Aussi, les divers projets sélectionnés par les États membres en vue d’une aide par les fonds structurels participent-ils certainement, par nature, à la mise en œuvre de la politique structurelle et à la réalisation des programmes d’action de l’Union instaurés à cet effet. Cela est illustré par le fait qu’une aide des fonds structurels doit faire l’objet d’une publicité par les États membres ( 26 ).

44.

Néanmoins, le lien entre le cofinancement mis à disposition par l’Union et la réalisation d’un projet déterminé est trop indirect pour que l’on puisse considérer que les montants dont les autorités des États membres sont redevables envers les bénéficiaires pour l’exécution dudit projet doivent bénéficier de la protection contre les saisies prévue pour les avoirs de l’Union, en application du protocole, afin d’éviter une entrave au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union.

45.

Dans le cadre du système des fonds structurels, et conformément au principe de subsidiarité qui est à la base de ce système, appliquer la protection contre les saisies prévue par le protocole aux montants revenant à un bénéficiaire au titre de la réalisation d’un projet ( 27 ) ne représente en effet pas l’instrument approprié, même au regard d’une interprétation large de l’esprit et de la finalité de cette disposition, pour garantir la réalisation des politiques de l’Union. Dans ce cadre, c’est au contraire aux États membres qu’il incombe en première ligne d’apprécier dans quelle mesure les projets individuels contribuent à la réalisation des politiques et programmes d’action de l’Union et si, pour des dépenses des bénéficiaires dans le contexte de ces projets, un cofinancement de l’Union doit être demandé ou si une demande de cofinancement déjà présentée doit être rectifiée.

46.

Dans ce contexte, il appartient par conséquent aux États membres d’examiner si une saisie de montants revenant à des bénéficiaires pour la réalisation de leurs projets entraverait l’exécution des politiques et programmes de l’Union. La Commission ne pourrait, pour sa part, examiner l’appréciation ainsi portée par les États membres que dans l’exercice de ses contrôles des rapports de ces derniers relatifs à l’exécution des programmes opérationnels et, le cas échéant, dans le cadre de ses contrôles portant sur les systèmes de surveillance et de gestion des États membres.

47.

À cet égard, il convient de considérer que, dans la plupart des cas, les fonds publics ne peuvent pas non plus faire l’objet de mesures de contrainte sans restrictions dans les États membres ( 28 ). Il faut donc partir du principe qu’une demande de saisie de sommes dues à un bénéficiaire dans le cadre d’un projet subventionné par un fonds structurel, introduite par un tiers auprès d’une autorité d’un État membre, devra en général être examinée par un juge de cet État membre, qui devra apprécier dans quelle mesure la saisie entraverait la réalisation de missions publiques. À cette occasion, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, les intérêts des États membres et de l’Union à la bonne exécution du projet devront, eux aussi, être mis en balance avec la nécessité de protéger les créanciers du bénéficiaire.

48.

Comme la Commission l’a indiqué avec raison, cela résulte aussi de la jurisprudence de la Cour concernant l’obligation des États membres, invoquée par la Région de Lombardie, la juridiction de renvoi et la République italienne, de veiller à ce que les bénéficiaires reçoivent la somme globale correspondant à la participation publique dès que possible et dans sa totalité, et à ce que ce montant ne soit pas réduit par des déductions, retenues, taxes spécifiques ou éléments analogues ( 29 ).

49.

Comme la Cour l’a en effet déjà affirmé à propos de dispositions comparables dans le domaine de la gestion partagée du budget de l’Union, ces dispositions doivent éviter que les États membres n’opèrent des déductions sur les montants en cause ayant un rapport direct et intrinsèque avec les sommes versées, telles que des redevances pour les services des autorités de gestion ( 30 ). En revanche, ces dispositions n’ont pas pour objet d’apporter des restrictions aux diverses procédures qui, dans les droits nationaux, permettent de recouvrer les créances. Cependant, une telle pratique ne doit pas entraver le fonctionnement correct de la politique concernée de l’Union ni l’efficacité du droit de l’Union ( 31 ).

V. Conclusion

50.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question du Tribunale di Novara (tribunal de Novara, Italie) :

En cas de demande de saisie-arrêt entre les mains d’un tiers auprès d’une autorité d’un État membre, portant sur des fonds que cette autorité doit à un bénéficiaire pour la réalisation d’un projet subventionné dans le cadre d’un programme opérationnel par le Fonds social européen (FSE), notamment avec des ressources de l’Union européenne, aucune autorisation préalable de la Cour en application de l’article 1er, troisième phrase, du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne n’est nécessaire. Il incombe à la juridiction de l’État membre, dans le cadre de la procédure nationale de saisie, d’apprécier, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, si des dispositions du droit de l’Union s’opposent à la saisie demandée, ou si cette saisie entraverait le bon fonctionnement de la politique de renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Protocole du 8 avril 1965 (JO 2010, C 8, p. 266, ci-après le « protocole »).

( 3 ) Voir, notamment, récentes ordonnances du 19 novembre 2012, Marcuccio/Commission (C‑1/11 SA, non publiée, EU:C:2012:729) ; du 21 septembre 2015, Shotef/Commission (C‑1/15 SA, non publiée, EU:C:2015:632), et du 29 septembre 2015, ANKO/Commission (C‑2/15 SA, non publiée, EU:C:2015:670).

( 4 ) Règlement du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25). Les modifications successives du règlement no 1083/2006 sont sans effet notable sur le contenu des dispositions qui nous intéressent ici.

( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320).

( 6 ) Article 53, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1605/2002, devenu article 58, paragraphe 1, sous b), et article 59 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n °1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1).

( 7 ) Courriel du 11 mai 2017, annexe 1 à la réponse de la Commission à la question de la Cour.

( 8 ) Décision portant adoption du programme opérationnel d’intervention communautaire du FSE au titre de l’objectif « Compétitivité régionale et emploi » dans la Région de Lombardie, annexe 2 à la réponse de la Commission à la question de la Cour.

( 9 ) Voir point 23 ci-dessus.

( 10 ) Ordonnances du 11 avril 1989, SA Générale de Banque/Commission (1/88 SA, EU:C:1989:142, point 2) ; du 29 mai 2001, Cotecna Inspection/Commission (C‑1/00 SA, EU:C:2001:296, point 9), et du 29 septembre 2015, ANKO/Commission (C‑2/15 SA, EU:C:2015:670, point 12).

( 11 ) Ordonnances du 11 avril 1989, SA Générale de Banque/Commission (1/88 SA, EU:C:1989:142, point 13) ; du 29 mai 2001, Cotecna Inspection/Commission (C‑1/00 SA, EU:C:2001:296, point 12) ; du 14 décembre 2004, Tertir-Terminais de Portugal/Commission (C‑1/04 SA, EU:C:2004:803, point 14), et du 21 septembre 2015, Shotef/Commission (C‑1/15 SA, EU:C:2015:632, point 14).

( 12 ) Voir considérants 28 et 66, article 14, paragraphe 2, articles 32 et suiv., articles 47 et suiv. ainsi qu’articles 72 et suiv. du règlement no 1083/2006.

( 13 ) Voir article 12 du règlement no 1083/2006.

( 14 ) Voir article 56, paragraphe 3, et article 60, sous a), du règlement no 1083/2006.

( 15 ) Voir considérant 66 ainsi qu’articles 60 et suiv. du règlement no 1083/2006.

( 16 ) Voir article 78, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006.

( 17 ) Voir articles 72 à 74 du règlement no 1083/2006.

( 18 ) Voir articles 61 et 62, 67 et 68, 71 à 78, 86 et 89 du règlement no 1083/2006.

( 19 ) Voir articles 70 et 98 du règlement no 1083/2006.

( 20 ) Voir article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement no 1083/2006.

( 21 ) Voir article 70, paragraphe 2, du règlement no 1083/2006.

( 22 ) Voir article 99 du règlement no 1083/2006.

( 23 ) Voir article 49, paragraphe 3, du règlement no 1083/2006.

( 24 ) Voir article 53, paragraphe 6, et article 77 du règlement no 1083/2006.

( 25 ) Voir point 31 ci-dessus et jurisprudence citée.

( 26 ) Voir article 69 du règlement no 1083/2006.

( 27 ) Le point de savoir s’il en va autrement dans d’autres cas de figure, dans lesquels il existe un lien plus direct entre les ressources accordées par la Commission et des projets précis, par exemple, pour les grands projets [article 37, paragraphe 1, sous h), et articles 39 et suiv. du règlement no 1083/2006] ou dans d’autres domaines où les États membres gèrent des fonds de l’Union, devrait être examiné au cas par cas. Voir cependant, en défaveur d’un lien trop direct entre l’aide apportée par l’Union et les projets réalisés au sein des États membres, y compris pour des grands projets, conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Regione Siciliana/Commission (C‑417/04 P, EU:C:2006:28, point 84), citées par la Commission, ainsi qu’arrêt du 2 mai 2006 rendu dans cette affaire (EU:C:2006:282, points 23 à 32).

( 28 ) Voir, notamment, pour la République fédérale d’Allemagne, article 170, paragraphe 3, de la loi sur la juridiction administrative ou, pour la République française, article L.2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

( 29 ) Voir article 80 du règlement no 1083/2006.

( 30 ) Voir arrêts du 7 octobre 2004, Suède/Commission (C‑312/02, EU:C:2004:594, point 22) ; du 5 octobre 2006, Commission/Portugal (C‑84/04, EU:C:2006:640, point 35), et du 25 octobre 2007, Porto Antico di Genova (C‑427/05, EU:C:2007:630, point 13).

( 31 ) Arrêt du 19 mai 1998, Jensen et Korn-og Foderstofkompagniet (C‑132/95, EU:C:1998:237, points 54 et 60).

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